Publication : 16/02/2012
Pages : 156
Grand Format
ISBN : 978-2-86424-853-8
Couverture HD

Borderland

Vamba SHERIF

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18 €
Titre original : Bound to secrecy
Langue originale : Anglais
Traduit par : Xavier Luffin

Un jour écrasant de la saison sèche, un homme vêtu d’un costume trois pièces descend d’un car dans la grand-rue de la ville frontalière de Wologizi. L’étranger, William Soko Mawolo, arrive de Monrovia pour mener une enquête secrète sur la disparition du chef local.
Dès la première nuit, il est effrayé par des bruits infernaux et inexplicables qu’il semble être le seul à entendre. Il est dérouté par l’attitude des gens de Wologizi qui l’aident et l’égarent à la fois : le vieux Kapu, le nouveau chef, ses femmes, en particulier la plus âgée, Hawah Lombeh, qui se glisse dans son lit, le caporal Gamla, chef de la police, le Libanais, mémoire de la ville, Seleh le menuisier, amant de Makemeh la belle et insaisissable fille du chef disparu, qui l’attire et le repousse.
Mawolo enquête difficilement dans une atmosphère étouffante, découvrant l’usage du pouvoir dans un pays corrompu, ainsi que les interactions entre le visible et l’invisible dans une société rythmée par les mystères de l’initiation. Plus il s’approche de la vérité, plus le monde devient inquiétant et plus il approche de sa propre fin.

  • « Tout commence par l'arrivée d'un étranger dans la petite ville de Wologizi. Cet homme en costume trois pièces attire quelque peu les regards et les curieux se posent de nombreuses questions sur sa venue. William Mawolo est en fait là pour mener une enquête secrète sur la disparition du chef local. Mais son enquête ne va pas être aussi facile qu'il l'espérait : les habitants tentent de l'embrouiller dans ses recherches, des bruits mystérieux s'élèvent la nuit, les gens ne sont pas ce qu'ils semblent être. Une enquête haletante, des personnages intrigants, une écriture limpide font de ce roman un véritable délice. »

    Noéllie Taxu-Jouannet
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    Noé Gaillard
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    entretien avec Nathalie Carré
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    Geneviève Bridel
    RSR La 1ère
  • " Une enquête suffocante au fin fond de l'Afrique australé"
    Christophe Laurent
    VAR MATIN
  • « Un roman très maîtrisé par un jeune auteur né au Libéria en 1973 »
    Olivia Marsaud
    AFRIQUE MAGAZINE
  • « Avec une récit bien mené et déroutant, auquel la traduction française laisse toute sa force, l’auteur tient son lecteur en haleine, mêlant habilement le genre policier avec celui du « retour au source »
    Christophe Le Bec
    JEUNE AFRIQUE
  • « Premier roman envoûtant, par un auteur inconnu d’un pays qui ne l’est guère moins».
    Jean-Claude Perrier
    LIVRES HEBDO
  • ‘ Habile mélange de polar contemporain et de traditions ancestrales, Borderland vous happe et ce court voyage est particulièrement réjouissant »
    par Christophe Dupuis
    LA TETE EN NOIR
  • « Un récit dense et rêveur, un délice qui fait frissonner le lecteur fasciné »
    Véronique Petetin
    ETUDES
  • « Voilà donc un roman original. »
    Yonnel Liégois
    813

Par un jour oppressant de la saison sèche, un homme descendit du bus et traversa la rue principale de la ville frontière de Wologizi. Il s'approcha d'un jeune homme penché au-dessus d'une citerne remplie d'eau. Le jeune homme regardait son reflet depuis un certain moment déjà, et le visage qui le salua dans l'eau claire portait un sourire béat. L'étranger boitait, mais avec le temps il avait appris à dissimuler intelligemment son handicap en se pavanant, si bien que le jeune homme qui avait entendu le bruit de ses pas et s'était maintenant retourné vers lui supposa qu'il était arrogant. En fait, le jeune homme était moins fasciné par sa valise ou même son costume trois pièces taillé sur mesure que par sa façon de marcher. C'était la démarche pleine d'assurance d'un homme tout à fait conscient de l'effet que son apparence avait sur les gens.
L'étranger s'assit sur un banc, sous un arbre au feuillage épais, non loin du jeune homme, puis il poussa un long soupir qui trahit aussitôt sa satisfaction. Wologizi répondait à ses attentes, car lorsqu'il observa la rue poussiéreuse, il put voir plusieurs vieillards : deux d'entre eux étaient étendus dans des hamacs, les autres étaient couchés sur des nattes, faisant passer les heures suffocantes à l'ombre d'un arbre à pain. Ce spectacle le fascina – la ville frontière était endormie, sous l'emprise de la chaleur. Durant le voyage qui l'avait mené jusqu'à cette ville, l'étranger avait caressé l'idée de se laisser envoûter, comme ces vieillards, par le charme léthargique de la chaleur, sans se soucier du reste du monde. Comme pour confirmer cette idée, une légère brise se mit à souffler à sa droite, depuis l'endroit où se trouvait le jeune homme, et se dirigea lentement vers lui. Il ferma les yeux pour savourer pleinement ce moment.
-Viens par ici, dit-il au jeune homme.
L'étranger le regarda parcourir la faible distance qui les séparait, ses mouvements étaient languides, sa démarche étonnamment féline, mais ce ne fut que lorsque le jeune homme se tint devant lui qu'il put lire la peur dans ses yeux.
-Peux-tu m'indiquer la route qui mène à la résidence ?
C'était ainsi que l'on appelait la maison dans cette région, la résidence, et l'étranger le savait. Le jeune homme leva une main toute fine et désigna une maison au loin. L'étranger remarqua que la main en question était couverte de brûlures, qui ne semblaient pas être rituelles, mais il se leva, choisissant de les ignorer. De l'autre côté d'une colline ocre à travers laquelle la route principale avait été creusée, l'étranger put apercevoir la résidence, perchée fièrement au sommet d'une autre colline.
-Qui vit là-bas ? demanda-t-il.
Le jeune homme ne répondit pas.
-Dis-moi qui vit là-bas ? insista-t-il.
Bien que l'identité de l'occupant de la résidence fût de notoriété publique, le jeune homme resta silencieux.
-Viens t'asseoir près de moi. Parle-moi.
Le ton de l'étranger était rassurant, attirant même, pourtant le jeune homme gardait toujours les yeux fixés au sol. Peut-être, pensa l'étranger, la réticence du jeune homme était-elle due à sa timidité.
-Pourquoi restes-tu silencieux ?
C'est à ce moment qu'il donna une petite tape sur l'épaule du jeune homme, un geste qu'il regretta aussitôt car cela déclencha une réaction qui le stupéfia. Le jeune garçon recula et se mit à courir sans jamais se retourner, jusqu'à ce qu'il disparaisse derrière un nuage de poussière. L'incident perturba l'étranger, même après avoir troqué la terrible chaleur contre une ombre agréable. Lorsqu'il se tourna vers les vieillards, il constata qu'ils n'avaient pas bougé d'un cil.
La route qui le mena à la résidence était bordée de maisons poussiéreuses, d'où émergeait parfois une voix, que la chaleur transformait en un chuchotement presque sensuel. En arrivant au centre de la ville, il croisa l'un de ces nombreux Libanais venus faire du commerce dans le pays, debout devant son magasin, en train de mâcher un morceau de pain avec l'avarice d'un enfant. À sa droite, il aperçut plusieurs jeunes réunis autour d'une affiche, en face d'un cinéma, ils discutaient du film – de ses héros et de ses héroïnes, mais aussi des méchants et de leurs tactiques cruelles. Cette scène lui rappela son enfance. Ensuite, l'étranger passa devant une station-service, des hommes jouaient aux dames sous le toit en tôle ondulée. Encouragés par une poignée de spectateurs, les deux joueurs se houspillaient et s'insultaient, se maudissant et jurant de manière parfaitement exagérée, comme s'il s'agissait d'un duel à mort. Le premier menaçait de battre l'autre, tout en le prévenant que le perdant devrait céder sa femme et ses biens au gagnant et qu'il ne jouerait plus jamais aux dames. L'étranger les ignora, mais il put sentir leurs yeux lui percer littéralement le dos, même après qu'il eut passé le tournant. Il se retourna, persuadé qu'il croiserait le regard de l'un d'entre eux, mais il ne vit qu'un nuage de poussière qui avançait rapidement devant lui.
Bientôt, il arriva à un carrefour. Les sentiers menaient vers des quartiers clôturés abritant des huttes au toit de chaume et des maisons faites de briques et d'argile. Plutôt que d'emprunter la route menant à la résidence, il opta pour la voie principale qui menait au sommet d'une colline, puis dans une vallée. Il voulait voir le fleuve qui formait la frontière entre son pays et l'État voisin, comprendre comment cette zone frontière était habitée. Mais l'ascension était difficile, la chaleur insupportable, il se mit rapidement à transpirer en abondance. L'étranger fut dégoûté par l'odeur de sa propre sueur, devenue âcre malgré le parfum qu'il portait. Il dut faire halte plus d'une fois pour s'éponger le visage à l'aide de son mouchoir. Cela lui prit près d'une heure pour atteindre le fleuve, situé au pied de la montagne. Bien avant d'arriver à le voir, il en entendit le doux gargouillis, comme s'il lui confiait un secret. Contre toute attente, il n'y avait aucun édifice sur les rives du fleuve pour indiquer où finissait un territoire et où commençait l'autre, aucun douanier. En fait, il n'y avait pas le moindre signe de vie, mis à part le cri occasionnel d'un oiseau ou d'un animal solitaire. Même le pont au-dessus du fleuve était négligé. Quelques poutres avaient été jetées par-dessus, désormais vieillies et usées. À côté du pont, reliées au tronc de deux arbres géants de part et d'autre du fleuve, il y avait des cordes tressées – ce que l'on appelle dans cette partie du pays un “pont de singe”, utilisé uniquement durant la saison des pluies, lorsque le fleuve déborde de son lit et recouvre même le pont. Quel genre de ville frontière était-ce donc, s'il n'y avait même pas de frontières clairement définies ?
L'étranger rebroussa chemin et se dirigea vers la résidence. Bien avant de pouvoir l'atteindre, l'édifice se dressait devant lui, majestueux et imposant, surplombant Wologizi de manière pompeuse. L'édifice à trois étages était séparé de tous côtés – de la vallée à l'arrière, de la ville qui s'étendait en dessous – par des murs en briques de ciment surplombées de tessons de bouteille. La première chose qui attira son attention fut l'antenne radio qui trônait sur le toit. Puis il vit un écriteau où était rédigé en lettres capitales l'avertissement suivant : PRENEZ GARDE A MA PRESENCE. Il pensa que cela faisait sans doute allusion à un chien féroce entraîné pour tenir à distance les intrus dans son genre, alors il cria pour s'en assurer mais il n'obtint aucune réaction. En approchant du panneau, il remarqua qu'il avait été fraîchement repeint, contrairement aux autres murs. La grille était ouverte et il entra non sans une certaine réserve. À sa droite se trouvait la station radio, constituée d'une seule pièce. Il s'en approcha, à la recherche du moindre mouvement. Il n'y avait plus de porte, les fenêtres avaient été brisées. L'étranger entra et découvrit que la radio qui reliait Wologizi au monde extérieur était hors d'état de marche. Soudain, il eut la nette impression que quelqu'un l'espionnait, il quitta alors la station radio d'un air confus. Il monta les escaliers jusqu'au premier étage de la maison, arriva dans un salon spacieux au plafond haut, dont les coins avaient été tachés par des fuites d'eau. Tout était recouvert de poussière et de toiles d'araignée : les chaises et les tables, qui avaient dû être belles autrefois, décorées du drapeau et des armoiries du pays gravés avec précision, les étagères en bois décorées d'une impressionnante collection de vases et de porcelaines chinoises, les portraits de divers dignitaires munis de cadres dorés. Un parfum de délabrement, pénétrant et persistant, emplissait l'air. Durant un moment, l'étranger resta immobile, envahi, écrasé par cette splendeur négligée.
Dehors, à l'arrière de la maison, il chercha une explication au mauvais état de la résidence mais n'en trouva aucune. Il y avait une cuisine sans ustensiles, un puits au pied duquel se trouvait un seau. Il fit une pause pour observer la montagne qui se dressait devant lui, là où commençait une forêt impénétrable qui s'enfonçait dans la vallée. Cette dernière plongeait brusquement vers la montagne, une parmi d'autres dans cette longue chaîne de sommets qui enserraient Wologizi.
Encore une fois, il sentit une présence derrière lui, furtive mais persistante, comme s'il était espionné. Il se retourna et se retrouva nez à nez avec un vieillard frêle aux traits émaciés, vêtu d'un ample boubou de fabrication locale. Ses mâchoires remuaient avec détermination, en train de broyer une noix de cola. Le vieil homme avait un regard crispé, comme s'il se méfiait de l'étranger. Le soleil était maintenant au zénith, frappant les deux hommes de son intensité sauvage, l'air était serein, momentanément pris au piège du silence oppressant qui régnait sur cet endroit déserté.
-Quelle splendide résidence vous avez là, dit l'étranger.
Face à cette prise de contact pour le moins inhabituelle, le vieil homme resta d'abord silencieux, mais il ne put résister longtemps au sourire désarmant de l'étranger qui se dirigeait vers lui, la main tendue pour le saluer.
-C'est ce que disent tous ceux qui viennent à Wologizi.
La poignée de main de l'étranger était ferme, le vieil homme ressentit une douleur insupportable tandis que sa main était enserrée, mais il s'en cacha. -On ne peut pas la rater, continua l'homme, avec dans la voix la même note de spontanéité et de charme qu'au début. Lorsque je suis descendu du bus, je l'ai vue au loin et j'ai décidé de venir l'admirer de plus près.
Ce n'est qu'à ce moment-là qu'il libéra la main du vieil homme, puis il se dirigea rapidement vers l'entrée du complexe, où il s'arrêta pour observer la résidence avec ravissement, comme s'il la voyait pour la première fois.
-Cela semble tellement déplacé ici, finit-il par dire.
-La résidence a été construite il y a très longtemps par le président qui y logeait lorsqu'il venait nous rendre visite. Depuis, nous avons décidé de la garder vide. De temps en temps on vient juste enlever la poussière.
En disant cela, le vieil homme était à l'affût des moindres réactions de l'étranger, mais à part le sourire chaleureux qui illuminait son visage, il ne trahissait pas la moindre émotion.
-C'est effectivement une maison digne d'un président.
Le vieil homme s'éloigna de quelques pas de l'étranger, comme s'il s'apprêtait à le quitter, puis il se tourna soudain vers lui.
-Vous disiez être venu jusqu'ici en bus ?
-Oui, je ne fais que passer.
-Vous n'étiez jamais venu dans cette partie du pays ?
-C'est la toute première fois, vieil homme.
-Alors vous devez savoir que le bus ne passe par ici que tous les trois ou quatre jours, voire une fois par semaine.
-Une fois tous les trois ou quatre jours ? reprit l'étranger.
Le vieil homme acquiesça. Tous deux se tenaient sous un acacia, en face de l'antenne de radio que l'étranger regardait régulièrement, comme s'il se demandait ce qu'elle pouvait bien faire à Wologizi. En silence, les deux hommes considéraient leur échange de paroles, chacun perdu dans son monde, pensant à ce qu'il allait ajouter, puis l'un d'entre eux reprit la parole :
-En ce moment précis, sous cette chaleur insupportable, rien ne me ferait plus plaisir qu'un vin de palme bien frais.
C'était l'étranger. Sa franchise poussa le vieil homme à sourire, car cela ne faisait que confirmer ce qu'il pensait depuis le début. Il répondit : -Dans ce cas, vous êtes venu au bon endroit.
Les deux hommes se mirent à rire. Fier et implacable, le soleil frappait leurs dos tandis qu'ils descendaient la colline. Sur le bord de la route, en face d'eux, un serpent profitait de la chaleur du soleil, mais en remarquant leur présence il se faufila dans les hautes herbes, ne faisant plus qu'un avec la forêt. Lorsque le silence retomba dans le sillage des deux hommes, le serpent sortit de sa cachette et reprit nonchalamment sa place sur le bord de la route. Wologizi était encore sous l'emprise de la torpeur, mais quelques heures plus tard elle quitterait cette atmosphère d'inertie pour entamer la soirée dans un débordement d'activités.

Vamba Sherif est né au Liberia en 1973. Il a passé sa jeunesse au Koweït où son père était universitaire. Il a quitté le Koweït au moment de la première guerre du Golfe, pour les Pays-Bas où il vit toujours.

Bibliographie