Publication : 06/05/2010
Pages : 196
Poche
ISBN : 978-2-86424-716-6
Couverture HD

J'ai confiance en toi

Massimo CARLOTTO • Francesco ABATE •

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11 €
Titre original : Mi fido di te
Langue originale : Italien
Traduit par : Laurent Lombard

Propriétaire à Cagliari d’un restaurant gastronomique et chic, l’élégant et respectable notable Gigi Vianello accumule surtout d’énormes profits dans le trafic international d’aliments avariés et trafiqués réservés aux magasins discount. Son regard cynique et son goût de la manipulation nous révèlent les mille horreurs alimentaires dont nous faisons malgré nous notre pain quotidien. Mais à la suite d’une malencontreuse liaison avec une belle paumée saisie par la bigoterie, tout va se retourner contre lui. Gigi verra resurgir son passé de dealer qui a escroqué une famille de négociants véreux de la Vénétie et commencera, de la Sardaigne à Saint-Pétersbourg, une féroce descente dans les soutes du banditisme mondialisé.
Francesco Abate et Massimo Carlotto nous restituent, sur fond d’une très solide documentation, la force cruelle des personnages négatifs auxquels le grand romancier “noir” nous a habitués.

  • chronique par Bernard Poirette le 13 juin 2010
    C’est à lire
    RTL
  • Elisa Palmer
    LUXSURE.FR
  • BIBLIOSURF.COM
  • « Les détails du trafic alimentaire sont tellement crédibles que ça en fait froid dans le dos. [...] Un vrai régal ! »
    Françoise Bachelet
    LIVRES-A-LIRE.NET
  • "Une belle petite surprise qui sort chez Métailié ces jours-ci. J’ai confiance en toi. L’histoire d’un type écoeurant, Gigi Vianello, dépourvu d’humanité et qui ne pense qu’à faire du fric. Gigi se lance dans le trafic lucratif des aliments avariés. Après avoir lu ce livre, on ne fait plus ses courses comme avant. Les yeux rivés sur les étiquettes et sans aucune confiance pour les discounts et produits industriels. […] Ecrit à quatre mains dans un style qui rappelle celui de l’américain Bret Easton Ellis et les univers développés dans Americain Psycho et Moins que Zéro."
    LE BLOG DE ERIC VALMIR
  • « Après lecture de J’ai confiance en toi, roman qui, osons le dire, se … dévore, nul doute que vous regarderez votre assiette d’un autre œil. »
    Christine Marcandier-Bry
  • « Un roman noir, fondé sur une solide documentation. »
    Geneviève Simon
    LA LIBRE BELGIQUE
  • « Bien mené et tonique. »
    Lilianne Tiberi
    TRIBUNE BULLETIN CÔTE D’AZUR
  • « Depuis l’antiquité, la péninsule italienne a souvent produit les pires salopards, Gigi Vianello ne dépare pas le lot. De la Sardaigne à la Russie son histoire est un cheminement infâme. Accrochez-vous ! »
    François Joly
    LA TRIBUNE DE VIENNE ET DE L’ISERE
  • « Un marché alimentaire véreux aux ramifications internationales, des plaines verdoyantes d’Italie aux places enneigées de Saint-Pétersbourg. Malgré les haut-le-cœur, un livre à dévorer. »
    Yonnel Liegeois
    NVO
  • « C’est le livre à ne pas lire avant de remplir son chariot au supermarché discount ou de commander un jambon-mozzarella au resto. »
    Dominique Simonnot
    LE CANARD ENCHAINE
  • « J’ai confiance en toi révèle le banditisme organisé et mondialisé qui, en toute innocence, atterrit dans nos assiettes. De quoi frémir, sinon vomir. Massimo Carlotto, à qui l’on doit notamment le cruel Arrivederci amore (2003), a pris pour associé dans cette entreprise de démystification de la "mal-bouffe" Francesco Abate, camarade à l’esprit grinçant. Richement documentés, ils écrivent à quatre mains, comme pour mieux s’amuser à mettre à mal notre naïveté. »
    Martine Laval
    TELERAMA

1

La mère était belle. Je la reluquais depuis que nos voitures s’étaient arrêtées l’une à côté de l’autre en attendant que le feu passe au vert. Belle comme on en voit dans ces pubs pour les pâtes maison.

La fille était belle comme on en rencontre beaucoup par ici. Race féminine supérieure, façonnée par le soleil et les centres de beauté. Polie par le ressac des plages de quartz et par des heures d’aquagym. Un produit naturel bien développé, capable de faire perdre la tête à n’importe qui.
La mère était belle. Son gosse, non.

Le morveux qui me faisait des grimaces par la vitre arrière devait avoir tout pris du père, il était laid et ça n’allait pas s’arranger en vieillissant.
Il se tordait la bouche et l’agrandissait démesurément en la tirant sur les côtés avec ses doigts minuscules, maigres, osseux. On aurait dit les griffes d’une petite chauve-souris ou les ongles d’un rat d’égout.

Je le regardai de travers pour qu’il arrête, il me dégoûtait, me mettait mal à l’aise et m’empêchait de mater sa mère qui jouait avec son collier, effleurant de la main sa poitrine à peine voilée d’une petite chemise de lin clair, étudiée pour mettre ses formes en valeur. Je l’imaginais se savonnant nue sous la douche, la peau assouplie par une mousse de santal. Un parfum de terre mais aussi de mer, qui donne envie de lécher et de croquer.

Tout à coup le gosse arrêta de se contorsionner comme une couleuvre. Le feu passa au vert. Mais les voitures en route pour la plage de Pula ne bougèrent pas d’un pouce. Ni la mienne, ni la sienne. C’était bouché, comme tous les samedis matin. Et, vu que ça ne servait à rien, personne n’osa se défouler en klaxonnant. Le rouge réapparut au-dessus de nos têtes, et l’enfant se mit à déballer son goûter. Je lui souris.

“Mange, mon mignon, mange”, pensai-je.

J’avais reconnu l’emballage. Le producteur était un de mes clients. Tous les mois, je lui fournissais plusieurs quintaux d’ovoproduits. En provenance d’une entreprise de recyclage de déchets des environs de Turin qui, au lieu d’écouler les œufs pourris, cassés, infestés de parasites, en nettoyait la putrescine et la cadavérine et les transformait en une bouillie conditionnée dans de commodes petits bidons de cinq litres, prêts à être versés dans les pétrisseuses des confiseries industrielles. Et le goût ne devait pas être mauvais, vu l’avidité d’adulte avec laquelle le gamin mordait dans son goûter, sans en laisser tomber une seule miette entre les sièges. Le propriétaire de l’entreprise n’avait jamais posé de questions sur la qualité du produit mais le prix et l’absence d’étiquettes sur les récipients, ça voulait tout dire.

“Mange, mon mignon, mange.”

La file de voitures commença enfin à bouger et je fis un signe au morveux. D’une certaine façon, il était lui aussi un de mes clients.

J’aurais voulu les suivre et, pourquoi pas, mettre ma serviette de plage à quelques pas de leur parasol. Le reste aurait été le jeu de la journée. Mais pour moi, l’heure n’était pas aux vacances.

Si ç’avait été un film, si ç’avait été une scène de film, c’est là que serait partie la bande-son pour commenter les images. Un son dilaté et une petite musique joyeuse. Peut-être Starman, avec la voix de jeune homme de David Bowie. Mais ce n’était pas un film et il n’y eut aucune musique.

J’arrivai au port industriel où je devais répartir un lot de deux mille tonnes de blé dur canadien de catégorie 5, la plus basse, destinée à la consommation animale. Les autorités canadiennes en avaient interdit le commerce parce que pollué d’ochratoxine. De peur que vaches et cochons ne chopent le cancer. Avant d’arriver en Sardaigne, le navire battant pavillon de Hong-Kong avait fait escale à Bari, où il avait déchargé cinquante-huit mille tonnes destinées à divers moulins et fabricants de pâtes fraîches du coin. J’avais réussi à me glisser dans l’affaire mais le marché local, à cause des limites géographiques de l’île, hélas, n’arrivait pas à absorber plus d’une certaine quantité. Avec le riz, c’était mieux. Dans le port de Rotterdam arrivaient régulièrement des États-Unis des lots munis de fausses certifications OGM-free, et une petite partie m’était livrée après avoir été emballée par une entreprise des environs de Novara pour avoir l’air d’un vrai produit italien. Sur le quai je retrouvai mes deux hommes de confiance.

– On est pile à l’heure. Nos camions sont prêts à partir.

Peppino Floris, la quarantaine, tout en nerfs, serrait dans sa main droite un talkie-walkie, dans la gauche une chemise où étaient agrafés les bordereaux de livraison.
Il faisait une chaleur bestiale mais lui, dans son petit costume bleu, qui n’était certainement pas de confection – vu sa petite taille il n’aurait rien trouvé dans les magasins –, ne transpirait pas d’une goutte. Plus qu’à un homme, il ressemblait à une olive verte salée. Sec, petit, coriace, ce qu’il faut pour monter une société de crédit tout à lui et étrangler les emprunteurs en toute légalité.

Son talkie-walkie vibra, puis grésilla :

– Dottor Floris, on n’attend plus que vos instructions pour nous mettre en route. Si vous nous envoyez ici le dottor Sorrentino, on bouclera l’affaire avec la police financière.

Gaetano Sorrentino me regarda et attendit. Bouger au bon moment et jouer en contre, c’était son métier. A vingt-deux ans employé de banque, à trente-cinq à la tête d’une société informatique. Depuis toujours indic de la police financière à qui il fournissait hommes et moyens pour forcer tout firewall. Et on savait comment le remercier. Mais les contacts qui lui permettaient de tirer les ficelles à couvert, c’étaient pas tant avec les chefs qu’avec la piétaille. Jeunes sous-officiers à qui il offrait des extras bien juteux quand il les mettait en veste et cravate, leur collait sur la tête un écouteur et un petit micro, et les emmenait jouer les gros bras dans les réunions publiques de son parti. Il n’y avait rien à craindre, rien à surveiller dans ces parades politiques. En vérité, leur présence servait à que dalle, mais désormais une meute de gardes du corps, ça faisait partie de la mise en scène. Ces gars avec leurs gros pectoraux et leurs lunettes noires donnaient de l’importance aux candidats en campagne électorale et excitaient le public qui avait l’impression de prendre part à un événement majeur. En réalité, c’était toujours la même comédie, la politique italienne en tenue de gala.

Sorrentino portait lui aussi un costume bleu sombre, à fines rayures verticales bleu clair, bleu comme ses yeux vitreux de poisson prédateur au millier de dents tranchantes. Il me regarda, ne broncha pas et attendit que je finisse de contrôler les feuilles agrafées dans la chemise.

Je lui serrai la main :

– Bien, Gaetano, comme d’habitude donc.

Il me serra la main :

– Comme d’habitude, Gigi.

Et il alla vers la montagne bariolée des containers. Derrière, nos camions prêts à partir. Il parla brièvement avec un officier de la police financière, monta dans le premier et la caravane se mit en route.

D’un mouvement rapide du bras – une demi-torsion – Peppino Floris remonta sa montre au-dessus de son poignet. Il aurait dû faire un autre trou dans le bracelet pour ne pas retrouver chaque fois le boîtier dans le creux de sa main. Mais désormais c’était un tic nerveux auquel il s’était fait.

– Comme d’habitude, Gigi.

Il regarda le dernier camion franchir le mur de la douane, attendit que sa silhouette se brouille dans la chaleur de l’air qui montait du ciment brûlé par le soleil. Et c’est seulement quand les contours du poids lourd s’estompèrent qu’il me fit un vague signe de salut, monta dans sa Mercedes cabriolet et s’éloigna tranquillement en faisant à peine ronronner le moteur.

Floris et Sorrentino écoulaient sur l’île la marchandise que je dégotais à travers le monde. Je n’avais jamais de liens directs avec les clients, non seulement pour des raisons de sécurité, mais surtout pour que les rôles dans la société soient clairs. J’étais le chef, j’avais les bons contacts pour procurer les produits et je n’avais aucune intention de les partager avec qui que ce soit.

Il était presque deux heures et j’avais faim. Je me dirigeai vers le centre et garai ma Cayenne en face du restaurant Chez Momò. Lui aussi m’appartenait. Une occasion que m’avait procurée Peppino Floris. Le propriétaire, joueur invétéré, était tombé dans ses griffes et Peppino l’avait obligé à me vendre son enseigne à un prix imbattable.

J’avais besoin d’un restaurant.

D’abord parce que je voulais un endroit sûr où manger. A force de trafiquer des saloperies, j’étais devenu un parano de la bouffe. Et puis, parce que j’avais besoin d’une couverture. D’une double couverture même.

Officiellement le restaurant était ma seule activité professionnelle et comme j’en avais fait un temple de la pureté œnogastronomique, siège de diverses associations de gourmets, je pouvais m’en prévaloir comme d’un certificat de haute moralité au cas où on m’aurait chopé à commercialiser quelque saloperie.

Je pourrais jurer que j’avais été trompé et être victime d’une arnaque. Tout le monde me connaissait comme un fanatique de la qualité. Certains de mes clients, face à des notes plutôt salées, me définissaient comme le taliban de la restauration cagliaritaine, mais en réalité ils ne pouvaient que me remercier : Chez Momò même le papier chiotte était de qualité supérieure, le meilleur sur le marché, sans colorants ni traitements cancérigènes.