Un entrepreneur au bord de la faillite hérite d'une grande propriété dans le sud du Brésil. Ce qui aurait pu être sa chance se révèle être sa perte. Au cours d'un séjour dans la vieille maison, fasciné par la violence qui marque l'histoire de sa famille, en proie à des sensations étranges, il se laisse aller à l'ivresse du pouvoir des assassins.
Dans un paysage qui a été témoin de guerres fratricides et d'impitoyables massacres, l'auteur construit avec une grande économie de moyens une ambiance étouffante qui aboutit à l'incarnation moderne et néo-libérale de cette violence démoniaque.
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« Une sorte de polar dans la pampa dans la veine des grands écrivains sud-américains. »Alexis LiebaertMARIANNE
I
- Non, je ne suis pas candidat et je ne brigue aucun poste, s'est exclamé Lino avec impatience. J'appuie Brandini parce qu'il est mon ami. Maintenant, ma chère, excuse-moi, mais je suis au volant. Téléphone-moi plus tard, au bureau.
Il a refermé son portable et s'est apprêté à entrer dans le parking de l'immeuble. Il connaissait cette journaliste. C'était une vraie mocheté. Il n'allait pas perdre son temps avec un laideron.
En sortant de la voiture, il a senti le froid. Dans la Mitsubishi, il était bien au chaud. Il a regardé son véhicule avec une pointe de haine. Il devait encore le dernier versement.
Il a pris l'ascenseur avec le gros type du septième étage qui était jugé pour malversation. Malversation! Un terme bien démodé.
- Il y a un sacré brouillard, a dit le gros type.
L'ascenseur était en verre et se traînait le long de la façade de l'immeuble comme un lézard renfrogné. La ville de Porto Alegre était enveloppée d'une épaisse brume blanche.
- La journée va être froide, a-t-il ajouté pour dire quelque chose.
- Il fait trois degrés au-dessus de zéro, a précisé le gros type en frottant ses mains l'une contre l'autre.
Un geste symbolique, car il portait des gants et un manteau, exactement comme Lino. Il est descendu au septième étage.
Lino est resté seul avec la voix de Tereza.
"Tu es incapable d'aimer !" Tereza était de São Paulo. Tereza détestait le Sud, le froid, l'accent. Dernièrement, elle avait commencé à se lamenter en de grandes tirades. La dernière lui avait gâché le petit-déjeuner.
L'ascenseur est arrivé au vingt-deuxième étage. Lino a traversé le corridor d'un air sombre. Il a dit bonjour à la secrétaire, a refermé la porte de son bureau et s'est effondré dans le fauteuil.
Pendant un certain temps il est resté plongé dans ses pensées, se demandant s'il allait s'abandonner à la dépression ou réagir. Il a regardé les papiers sur la table. Il n'avait aucune envie de vendre des appartements. Deux unités de l'entreprise avaient déjà demandé un failli concordataire, l'histoire s'était répandue et soudain lui-même se retrouvait en train de sombrer vertigineusement dans le puits de l'insolvabilité. Peu importait, dès lors que les apparences étaient sauves. Telle était la règle numéro un.
Les affaires avaient déjà pris un coup dans l'aile une première fois, des amis au gouvernement avaient donné un coup de pouce. Mais, maintenant, cette histoire de bagnole achetée à tempérament...
Ce gars chez le concessionnaire était un salaud. Et l'injonction de payer, un affront. Il l'avait envoyée par dépit, parce que lui, Lino, était un Paes Rodrigues et lui, le vendeur de bagnoles, un cireur de bottes de la deuxième génération d'immigrants. Lino a passé la main sur la liasse de lettres. Une enveloppe grise a attiré son attention: Antunes & Schuster. avocats.
Il l'a ouverte avec le coupe-papier en cristal. Il a chaussé ses lunettes:
"Monsieur Bertholino José de Paes Rodrigues.
Cher Monsieur,
Nous avons l'honneur et le privilège de vous informer que vous êtes l'héritier de..."
A mesure qu'il lisait, il se redressait dans son fauteuil. Il lisait par bribes, sautant des lignes, en proie à l'exaltation et à la crainte.
Il a pensé qu'il s'agissait d'une plaisanterie cruelle.
Non, impossible. évidemment, il y avait un côté de la famille qu'il fréquentait peu, des grands-oncles sans enfants qui vivaient loin de tout dans une petite ferme à Touro Passo ou Dieu sait comment s'appelait ce bled.
Il a caressé du doigt le numéro de téléphone des avocats. Encore une emmerde? Ou bien le gros lot? Sans passer par la secrétaire, il a composé le numéro des avocats.
Une voix pédante lui a expliqué avec une profusion de détails qui ne l'intéressaient pas que, oui, parfaitement, il était l'héritier et, très prochainement, le propriétaire d'une ferme dans l'ouest de l'État, près d'Uruguaiana, et que, parfaitement, il en connaissait la superficie, ce n'était pas le pactole, mais ce n'était pas non plus à dédaigner, environ huit cents hectares, pas mal du tout, en effet, et bien entendu vous pouvez passer à l'étude cet après-midi, nous préparerons la paperasse.
Quand Lino est arrivé chez lui, dans le quartier de Três Figueiras, il avait une enveloppe dans sa poche. A table, au dîner, il a regardé sa femme et a souri d'un air énigmatique. Il a posé l'enveloppe sur la nappe blanche, à côté des assiettes fumantes.
- C'est quoi, ça?
- Devine.
Et s'adressant à son fils:
- Tu aurais envie de faire un voyage avec moi, mon grand?
Avant même d'avoir fini sa phrase, il a lu le mépris habituel dans les yeux du garçon. Il s'était trop précipité. Bento n'accepterait jamais une invitation lancée de cette façon.
-Nous sommes redevenus des propriétaires terriens.
La nostalgie amère dans sa voix les a désarçonnés un instant. Lino a raconté l'histoire avec force circonlocutions, savourant les regards ébahis. Il a pris son verre de vin, a proposé un toast.
- Qu'est-ce que ça vaut? a demandé une Tereza pétrifiée.
- Ça permettra de sortir de la mouise.
Il a saisi la main de Bento.
- On va voir la propriété, fiston? Ça fait presque huit heures de voiture. Ça sera amusant.
Bento a hésité un instant.
- Je ne sais pas. Je te répondrai demain.
Et il a retiré sa main.