Dans le Triangle d’or de la marijuana, le Sinaloa, le jeune David, un peu attardé et naïf, est capable de tuer un lièvre d’un lancer de pierre. Ce qui en fait, malgré lui, un joueur de baseball convoité. À la fête du village, il danse avec une fille interdite, réservée au fils d’un trafiquant. Bagarre. David tue son agresseur. Son père passe un accord avec le trafiquant et l’éloigne. À Los Angeles, il est dragué par une fille qui l’emmène dans sa chambre, le déniaise puis le met à la porte en lui disant qu’elle s’appelle Janis Joplin. Il en tombe éperdument amoureux, se fait virer de son équipe de baseball pour alcoolisme et renvoyer au Mexique. David n’est pas armé pour faire face aux barons de la drogue du Sinaloa. Tout explose autour de lui, dealers, policiers corrompus, guérilleros au coeur pur, femmes fatales et même une voix intérieure. Sa vie devient une course d’obstacles, une fuite continuelle ponctuée de coups de chance. Il va de catastrophe en catastrophe, de situation dangereuse en menaces de mort. Mais il n’a qu’un seul objectif : retrouver son amour, Janis Joplin.
Un polar impeccable, tragicomique virtuose, sarcastique et tendre, avec en plus l’argot lyrique des narcos.
« Le temps prouvera qu’il est l’un des plus grands noms de la littérature mexicaine contemporaine. » Arturo Pérez-Reverte
PRIX NATIONAL DE LITTÉRATURE JOSÉ FUENTES MARES
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"Aussi drôle que grave, un rythme effréné, des personnages hauts en couleur et forts de caractère font de ce texte un bijou du genre !"Lyse Menanteau
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Élmer Mendoza signe avec ce brillant roman noir un aller-simple pour le monde du narcotrafic mexicain dans la fin des années 1960. Tout démarre avec un bal de village°: David, considéré comme l'idiot du village, commet l'erreur de danser avec la promise d'un fils de grand trafiquant. Le fiancé s'insurge et pointe son arme, David réplique alors par un parfait jet de pierre et le tue sur le coup. Débute alors l'incroyable fuite du jeune homme, miraculeusement repéré et promu à une belle carrière de joueur de base-ball qui se stoppe brutalement après la journée qui va changer sa vie°: il rencontre une jeune femme qui se dit être Janis Joplin et l'entraîne au lit. S'ensuit une soirée trop arrosée qui déplaît profondément à l'agent recruteur. Sans compter les barons de la drogue, omniprésents et qui n'oublient rien. Aussi drôle que grave, un rythme effréné, des personnages hauts en couleur et forts de caractère font de ce texte un bijou du genre !Lyse Menanteau
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« Une comédie noire et déjantée. »Hubert ProlongeauSang Froid
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"Avec L’Amant de Janis Joplin, Élmer Mendoza explore cette double réalité durable et douloureuse qui marque le continent américain : celle de la misère des uns et de l’abondance des autres, chacune se nourrissant de l’autre." "Les années 1970, c’est l’époque où, tandis que montent les économies parallèles, commencent à s’effondrer les beaux espoirs liés aux mouvements underground. Et Mendoza semble rendre ici un malicieux et triste hommage à ceux qui, de William Burroughs à Norman Mailer, de Jim Morrison à la « sorcière blanche », en scandèrent les rêves de libération. À lire en écoutant I Need a Man to Love."Arnaud de MontjoyeLe Monde Diplomatique
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"Une intrigue particulièrement originale, qui flirte largement vers le tragicomique, servie avec pas mal d'ironie et une pointe de poésie. Un polar complexe et corrosif." Lire la chronique iciBlog Baz'art
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"Avec cette fresque effrénée, aussi drôle, décalée et grinçante que grave, l'auteur magnifie la tragique quête de paix d'un homme naïf et pur, une véritable étoile filante, un homme sans arme face à la cruauté de l'existence."Amélie Bouton813
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"Nul temps morts dans ce roman déjanté mais non dénué d’humour du mexicain Elmer Mendoza qui manie l’ironie avec brio."Jean-Paul GuéryWebzine Rock Hardy
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"Une tragicomédie rocambolesque colorée par l’argot des narcotrafiquants."Isabelle LesniakLes Echos week-end
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"L’auteur nous plonge avec tendresse et humour dans des situations plus cocasses et dangereuses les unes que les autres."Michel PrimautFemme actuelle
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Ecouter le podcast "Crimes et reconfinement" d'Alibi iciAlibi
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"Au-delà de l’humour, de l’aspect loufoque, Mendoza dresse un terrible panorama de son pays dans ces années 70..."Christophe LaurentCorse Matin
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« On suit avec délectations les tribulations de ce jeune homme complètement dépassé par la situation et sans cesse aux prises avec la voix de sa conscience qui interfère dans ses prises de décisions. Nul temps morts dans ce roman déjanté mais non dénué d’humour du mexicain Élmer Mendoza qui manie l’ironie avec brio. »Jean-Paul GuéryLa tête en noir
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« On se laisse volontiers embarquer par le côté frénétique de ce formidable roman, pétaradant à souhait. Mais derrière la farce se cache l'impitoyable portrait d'un Mexique déjà largement aux mains des cartels de la drogue à l'époque, doublé d'une poignante histoire d'amour, celle d'une sorte de pathétique Forrest Gump chicano qui ne vit plus qu'en pensant à une fameuse nuit où il a couché avec Janis, "la Sorcière Blanche". »Philippe BlanchetRolling Stone
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"Élmer Mendoza signe avec ce brillant roman noir un aller-simple pour le monde du narcotrafic mexicain dans la fin des années 1960." "Aussi drôle que grave, un rythme effréné, des personnages hauts en couleur et forts de caractère font de ce texte un bijou du genre !"Lyse MenanteauPAGE des libraires (Librairie Le Matoulu)
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"Il faut lire ce deuxième roman (huit au total) du Mexicain publié dans sa version originale en 2001 comme un témoignage, une radiographie d’un pays rongé par le narcotrafic mais avec une touche décalée, drôle, piquante et acide à l’inverse de l’ultime La Griffe du chien de Don Winslow."Philippe MancheFocus Vif (Belgique)
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"Élmer Mendoza signe un roman noir endiablé sur un Mexique diabolique."Damien AubelTransfuge
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"La lecture de ce livre était immersive, les mots, les expressions, donnent un style familier typiquement mexicain et on a la sensation d’y être." Lire la chronique iciBlog L'atelier de Litote
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"C'est un roman noir qui réserve de belles surprises et est admirablement écrit." Lire la chronique iciSite Lyvres
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"Elmer Mendoza sait créer l’empathie, rythme intelligemment son histoire et puis il y a l’inaccessible étoile de David, Janis Joplin…" Lire la chronique iciBlog Nyctalopes
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"L'Amant de Janis Joplin offre une vision tellement mexicaine de la vie, une forme de dérision, de fatalisme lucide et ça, Mendoza sait le faire passer." Lire la chronique iciBlog The killer inside me
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"Le roman met le doigt sur un climat de défiance généralisée qui traduit avec justesse la situation réelle." Lire la chronique iciVictorien AttenotSite Espaces latinos
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"On n’est pas franchement dépaysés, l’univers violent du narcotrafic est connu, Élmer Mendoza le fait glisser vers un absurde un peu comique, Janis Joplin a une fâcheuse tendance à demeurer indéfiniment l’ « inaccessible étoile » de David. Ce qui surprendra, c’est le mélange entre premier et second degré, le côté décalé presque farfelu du personnage principal et de sa voix intérieure face au réalisme des rapports avec les policiers et les trafiquants ou les détenus quand tout le monde se retrouve en prison." Lire la chronique iciChistian RoinatBlog America Nostra - Nos Amériques
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"Aussi drôle que grave, un rythme effréné, des personnages hauts en couleur et forts de caractère font de ce texte un bijou du genre !"Lyse MenanteauPAGE des libraires
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"Connaissez-vous le Sinaloa ? Si ce n’est pas le cas, précipitez-vous sur L’Amant de Janis Joplin, un roman noir baroque et survitaminé, signé Elmer Mendoza." "Il faut tout le talent et l’humour désabusé d’Élmer Mendoza pour faire de cette réalité un conte loufoque et désenchanté."Laurent BonzonTageblatt
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"Le roman d’Élmer Mendoza, l’un des meilleurs conteurs [de son] pays et fin observateur du narcotrafic, est dense, beau, drôle et tragique à la fois. […] il décrit avec brio le monde des narcos et nous propose une sorte de David contre Goliath revisitée à la sauce épicée, servie par un rythme effréné et une langue magnifique, que la traduction de François Gaudry révèle à merveille."Marc FernandezAlibi
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Il faisait froid ? Et alors ? Le temps n’allait pas empêcher les couples de danser sous la magie de la lune, dans les hauteurs de la sierra, à l’entrée d’un hangar sombre où il n’y avait qu’un lecteur de cassettes. Qui avait besoin de plus ? pensait Carlota Amalia Bazaine en observant les garçons qui faisaient bruyamment les malins à l’écart du bal, exclus par le manque de filles. Elle fut tentée de se joindre à eux pour rigoler un peu, mais elle se ravisa : ce soir-là elle avait envie d’autre chose. Elle ne pouvait pas danser, tout le monde le savait, parce qu’elle était une femme à part : chasse gardée de Rogelio Castro, personne n’aurait osé l’approcher, encore moins ces jeunes qui préféraient s’en prendre à David Valenzuela avec des tapes sur la tête et des bourrades dans le dos, en criant : Ferme ton bec, ducon, les mouches vont entrer. Ils revenaient de la Côte ou des États-Unis, où ils étaient allés travailler ; ceux qui étaient restés avaient récolté cannabis et pavot et ça avait bien marché, ça marchait toujours bien pour eux, le Triangle d’or était de plus en plus puissant. En revanche, ce pauvre David était l’idiot du village. Mais pas complètement idiot, pensait Carlota, il ne mange pas de bestioles et ne sort pas d’énormités ; un peu lent, c’est vrai, innocent, comment dire ?, naïf mais plus gentil que les autres. David se demandait ce qu’il devait faire – il avait toujours des problèmes pour décider – on était en train de le molester et de le virer de la fête. Pour échapper à l’agressivité de ses amis, il se rapprocha des danseurs et se retrouva devant Carlota. La fiancée de Rogelio Castro lui jeta un regard malicieux qui le fit rougir. Bonjour, dit-il. Il allait s’éloigner, mais la voix de Carlota, David !, le paralysa. Qu’est-ce qu’elle me veut ? Il se retourna nerveux, bouche bée, et la femme lui dit : Viens danser. Une nouvelle chanson commençait, David pensa à Rogelio Castro, il paraît qu’il a tué six types à Santa Apolonia, ou plus, quatre en tout cas à Verdugo, et il se dit : Vaut mieux pas que tu la regardes, mais il ne voulait pas refuser, aucun mec d’ici ne le ferait, même s’il n’ignorait pas que violer une chasse gardée provoquerait un désastre, et il resta immobile. Elle le regarda dans les yeux. Tu veux pas ? Et David remarqua qu’elle se passait la langue sur les lèvres. Gaffe : une chose c’est que tu l’invites, une autre qu’elle insiste. Que lui a dit son père sur l’amour ? Qu’il tue, qu’il te massacre. David l’a entendue chanter Yo soy rielera, tengo a mi Juan depuis la maison voisine, il a rêvé qu’il la voyait se déshabiller pendant qu’il survolait la montagne à la recherche de proies. Ma maman veut un tatou, elle a besoin d’huile de tatou pour la toux de ma sœur, il y a des années qu’il rêve de ses yeux verts de gringa, de la blancheur de son corps élancé et si beau. Apparemment Carlota le savait, ou au moins le devinait, les femmes devinent toujours quand elles plaisent à un homme. David baissa la tête, bon d’accord, et il se laissa conduire au milieu des autres couples qui dansaient étroitement enlacés. C’était mélimélo ce soir-là, au village.
Carlota ouvrit son blouson rouge et ils dansèrent, David était maladroit, il n’osait pas la serrer, mais la fille l’encourageait : David, sois pas timide, hein ? Viens plus près pour bien danser, alors ils se collèrent l’un contre l’autre, il sentit les seins de sa partenaire et il eut une érection. Il se sentit très mal : Seigneur Dieu, Jésus, non, c’est pas possible, Carlota était la femme qu’il aimait, qu’il avait toujours vue et entendue depuis le patio de sa maison, ou de la cuisine. Pourquoi fallait-il qu’il bande à cet instant ? Il se déhancha comme Cantinflas, sa mère ne disait-elle pas que se toucher comme ça c’était un péché ? Mais la chair est plus sensible que la chemise, et David, perdant toute inhibition, se pressa contre la fille. Après tout il avait presque vingt ans et elle un peu plus de seize. Il faisait un froid mordant, mais les invités qui buvaient ou dansaient se foutaient complètement du froid. À travers une légère brume il voyait les autres tituber, après des heures à écluser du mezcal. Alors il ferma les yeux et se laissa emporter par la buée déposée dans son oreille, il sentait les jambes fermes de Carlota, respirait le parfum de ses cheveux. Ah ! toi, je veux t’épouser ! pensa-t-il. Viens avec moi ce soir, on ira chez moi, à Durango, ou à Culiacán, c’est plus près, on peut y aller en avion ou à cheval. Carlota Amalia l’encourageait avec douceur, elle n’était pas obsédée par son voisin, mais il ne lui déplaisait pas, c’était un gars sympathique et propre, dommage qu’il ne soit pas normal ; en plus, à cause de la mainmise de Rogelio Castro, elle ne pouvait s’intéresser à aucun homme, ça avait coûté la vie à deux étrangers qui ne croyaient pas aux chasses gardées. Petite, elle adorait David, mais en grandissant elle avait remarqué ces petites tares dont parlaient tous les autres. Dommage, qu’il soit si différent : toujours la bouche ouverte, les dents de devant démesurées. À présent, elle commençait à éprouver du plaisir et se laissait emporter, elle n’avait pas pensé aller si loin, mais elle était excitée. Alors elle se mit à parler pour donner le change : le Duque m’a dit que t’avais tué trois lapins en trois jets de pierre, c’est vrai que tu vises aussi bien ? Plus ou moins… David réfléchissait au nombre d’enfants qu’ils auraient… quatre… deux filles et deux garçons… Elle insista : T’aimes le lapin ? J’adore. Plutôt six filles et six garçons, continuait-il à penser. Comment tu le préfères ? En sauce, et toi ? Rôti. Tu pourrais tuer un rat à dix mètres ? Je l’ai jamais fait. Et une tarentule ? Elles, je les écrase avec le pied.
David était cloué, ses scrupules s’étaient évanouis. Rivé à ce corps divin que le destin avait mis entre ses mains, il s’abandonna à l’ardeur qui précède l’orgasme. Carlota perçut la force du garçon et pensa qu’ils allaient trop loin, qu’il y avait des limites, qu’il valait mieux parler de lapins, mais après tout elle s’ennuyait et personne ne les voyait, ils étaient dans l’obscurité, alors elle se laissa aller, aller… et elle sentit que l’homme se cambrait et arrivait à l’apogée à l’instant où il était sur le point de lui briser les reins. L’air se chargea d’une intense odeur de semence et elle lui caressa le cou, étonnée. Que se passait-il ? David s’immobilisa un instant, puis se remit à danser d’un pas mécanique, en respirant fortement, sans sourire. Enfin elle se détacha un peu de lui car la cassette s’était arrêtée. Pourquoi l’avait-elle laissé faire, alors qu’ils n’étaient pas fiancés ? Le pauvre, qui peut lui en vouloir, c’est l’idiot du village.
Il devait être huit heures du soir, trois lampes à pétrole brûlaient autour de la cour. David ne renonçait pas, bien que les autres couples se soient déjà dispersés. Elle m’aime, je vais l’emmener chez moi, je peux l’entretenir avec ce que je gagne à la scierie, si son fiancé se fâche, je l’emmène à Tamazula, je lui achète des vêtements et on va chez ma tante Altagracia… Mais avant même qu’ait commencé la chanson suivante ils furent séparés par Rogelio Castro en personne. À quoi tu joues, là, enfoiré de gogol ? Tu as oublié qui est le maître de cette fille ? Il le poussa. Tu sais très bien qu’ici c’est moi qui mène la danse, non ? David restait muet. Ils étaient ensemble à l’école primaire, mais Rogelio avait toujours été un sale mec. Il ne s’est rien passé, intervint Carlota. Je t’ai sifflée, toi ? Il empestait l’alcool et l’herbe, la fille leur laissa le champ libre, que pouvait-elle faire de plus ? Elle n’ignorait pas son erreur : elle en avait marre, elle ne pouvait même pas danser avec l’idiot du village. David restait tétanisé, s’efforçant de contrôler le besoin de vider ses intestins, en revanche Rogelio s’apaisait. Tout le monde sait que cette fille, elle est à moi, il n’y a que moi qui la baise, pensait-il, ce pauvre débile, qu’est-ce qu’il aurait pu lui faire ?
Ce ne fut pas la lueur des lampes à pétrole, très ténue, mais la lune qui éclaira la tache de sperme sur le pantalon kaki de David. Rogelio vit la tache et ce fut comme si on lui injectait du feu dans le sang. Fils de ta putasse de mère ! Il sortit son pistolet. C’est le comble ! L’idiot du village qui veut me planter les cornes ! Il pouvait le tuer sur place, en moins de deux, mais il voulait l’humilier, et il se tourna vers sa fiancée. T’es excitée, hein ? Toi et moi on va régler ça, salope, je vais t’en faire boire du petit-lait ! Puis il cria à David : Et toi ducon, t’es un mec, un vrai ? Il lui tira une balle entre les pieds pour le faire danser. Un gros macho, hein ? Autre balle. Et David tomba à côté d’une lampe à pétrole, les tripes tordues. Rogelio essayait de lui écraser les testicules mais n’y arrivait pas. Profitant de ce qu’il avait baissé son arme, David tenta de s’enfuir vers la montagne, mais son ennemi hurla : Où tu vas comme ça, fils de pute ? Il lui barra le chemin et le bourra de coups de pied, David voulait s’éloigner, mais la cour grandissait comme sa peur. Je veux aller aux cabinets, cria-t-il. Rogelio tira en l’air. Relève-toi, pauvre taré ! Je veux aller chez moi. Il savait que son heure était venue, tout idiot qu’il soit, un montagnard menacé avec un pistolet pour une affaire de cœur sait qu’il n’y a pas de salut, et encore moins si l’offensé était Rogelio Castro. Sa famille était la plus prospère dans la culture de la marijuana et aussi la plus sanguinaire de la région. Ils étaient sept frères, et Rogelio le plus cruel : Nique ta mère, putain de fumier ! David aperçut Carlota Amalia le dos tourné pour ne pas voir, réfugiée dans les bras de ses amies. Les autres restaient immobiles, la violence engendre la lâcheté. Alors David regarda son agresseur qui, avant de le sacrifier, s’offrait le luxe de pointer son arme vers le ciel, pour ensuite la baisser lentement, lorsque David sentit sous ses doigts une pierre qu’il lui lança soudain en pleine tête, crac, comme un ultime réflexe de défense.
Rogelio s’effondra sans connaissance. Le coup avait été si foudroyant qu’il provoqua un vide, un instant où la lueur de la lune était dans les lampes, et celle des lampes Dieu sait où. Hébété, David regarda les autres. Je l’ai touché ? Ils l’observaient avec des visages allongés comme les montres de Dalí. Je l’ai touché à la tête ? Il crut voir son propre père parmi les ombres, entouré d’animaux, Papa, je sais pas ce que j’ai fait. Mais son imagination lui jouait des tours, il crut voir aussi sa mère et ses sœurs, il chercha la Voie lactée pour savoir s’il était en train de rêver, mais le ciel était caché par le brouillard, il resta immobile. Où était passée Carlota ? C’était si bon de danser avec elle.
David eut alors l’impression que quelqu’un s’éveillait dans sa tête et il entendit une voix intérieure : Qu’est-ce que je dois faire maintenant ? J’espère que ça ne me prendra pas trop de temps. Mais qu’est-ce qui se passe ? se demanda David, les gens s’étaient figés autour du cadavre, qui tenait encore le pistolet à la main, puis ils commencèrent à bouger et les voix à s’élever. Qui va prévenir don Pedro Castro ? Il faut faire quelque chose pour le gogol avant que les frères se pointent. Prévenez son papa. J’aimerais pas être à sa place. Pauvre gars, qu’est-ce qu’ils vont lui faire ? Carlota observait la scène, atterrée. David était tourneboulé. Je l’ai touché à la tête ? Rogelio n’était pas si méchant que ça avec lui et David venait de le tuer d’un seul jet de pierre, comme le cerf qu’il avait rencontré sur le sentier. Petit village grand enfer, affirma la voix. Je dois échapper à cette maudite punition. Le brouillard envahissait la cour.
C’est la faute de Carlota, dirent ceux qui buvaient du mezcal. Qu’est-ce qu’elle avait à danser alors qu’elle était chasse gardée ? J’espère qu’il ne va pas trop s’énerver quand il sentira que je suis là, murmura la voix intérieure sur un ton légèrement électrique. Au début c’est toujours difficile. Appelez le commandant Nazario, suggéra quelqu’un, et David sentit que son envie d’évacuer lui tordait les tripes. Il se rappelait le commandant Nazario, quelques jours avant, il cherchait des tatous et l’avait vu, lui et ses hommes, assassiner trois présumés guérilleros dans un ravin. La prison de Chacala était un trou immonde qui puait la merde accumulée. Le commandant Nazario va m’arrêter ? se demanda-t-il, et la voix lui répondit : David, tu m’entends ? La voix, qui pouvait être celle d’une femme au ton grave, ou celle d’un homme délicat, envahissait complètement sa tête, la comprimait, il l’entendait parfaitement mais ne comprenait pas. Un peu dur de la feuille. David ouvrit encore plus sa bouche tremblante. Quoi ? Qui parle ? C’est très bien que tu m’écoutes, dit la voix, et la peur paralysa David. Il scruta le brouillard, mais personne ne faisait attention à lui, ils s’occupaient tous du défunt. Inutile de me chercher, tu ne me verras pas, je suis à l’intérieur de toi. À l’intérieur de moi ? Tu viens d’éliminer ce misérable. Où es-tu ? Qui es-tu ? Je suis en toi, je t’ai dit, arrête de demander. Tu peux pas être dans ma tête… Bien sûr que je peux, calme-toi, je vais t’expliquer. Tu es le diable ? Non, je suis ta partie réincarnable. Quoi ? Ton karma, ce qui va se réincarner de toi quand tu seras mort. Quand je… je comprends pas. Ne t’inquiète pas, tu comprendras. Je veux pas mourir. Rassure-toi, je ne vais pas te faire de mal. Je veux plus t’entendre, tu es le démon, va-t’en ! Les autres entendirent ses cris et l’entourèrent. Pas de scandale, exigea la voix. Tu n’as pas besoin de parler à voix haute, je peux entendre ce que tu penses. David secouait la tête, fous le camp, maudit ! Je veux pas aller en enfer, il soufflait férocement, se fouillait les oreilles et criait : Va-t’en ! Va-t’en ! Il ne se rendit pas compte que les autres l’observaient, les yeux exorbités. Écartez-vous ! lança quelqu’un, et David reconnut la voix de son père. Papa, je veux pas être damné. Damné ? Ne pense pas à ça, s’ils t’attrapent, ils vont te tuer. Il lui prit le bras. Le diable est dans ma tête. Calme-toi, viens, partons, et ils s’engagèrent dans une ruelle où les attendait un cheval. Ils galopèrent un peu plus d’un kilomètre à travers les collines et s’arrêtèrent à la piste d’atterrissage. Malgré le brouillard, le père finit par repérer le hangar. Le pilote était en train de boire à côté d’une avionnette. Le père alla droit au but, mais l’aviateur refusa. Non, señor, avec ce temps c’est trop dangereux, regardez, on se voit à peine, en plus je ne suis pas autorisé à voler de nuit. Je comprends, mais je t’offre deux fois le prix du vol. Qu’est-ce qui vous arrive, señor ? fit le pilote avec ironie. J’aime bien déconner, mais pas trop quand même, la vie, c’est tout ce que j’ai. D’accord, alors cinq fois le prix, pour que t’en profites bien. David écoutait son père sans comprendre, la chaîne d’événements qui le bousculaient était si longue qu’il n’avait pas fini de réfléchir à l’un d’eux que déjà un autre survenait. Je dois partir ? Mais où ? Bien sûr que tu dois partir, dit la voix. Tu es un tueur et les tueurs ne passent pas l’hiver. Taistoi ! s’écria David. Les deux hommes le regardèrent. Qui doit se taire ? Il est un peu nerveux, expliqua le père. Il doit aller voir un docteur. Pourquoi vous ne l’amenez pas chez celui de don Pedro Castro ? Non, je veux l’emmener dans une clinique privée. Désolé, mais je ne peux pas, s’obstina le pilote. Au loin, on commençait à entendre des cris incompréhensibles qui déchiraient la brume. C’est moi qui ai amené Rogelio Castro et il m’a ordonné de dormir ici. Ah, tu es le pilote de Rogelio ? L’homme hocha la tête, lèvres serrées. Alors, tu ferais mieux de décamper, Rogelio vient d’être tué et j’ai l’impression qu’on en a après toi, tu entends ces cris ? Pas la peine de vous foutre de moi, je suis pas un gamin.
Je me fous pas de toi, mais c’est pas toi qui es arrivé il y a moins d’une heure ? Tu as amené Rogelio à la fête et on l’a tué à cause d’une femme. Ah, merde ! Le pilote était intrigué. La femme s’appelle Carlota et il venait la voir, pas vrai ? Eh bien, il est mort là-bas et les gens te cherchent. Moi ? Mais pourquoi ? Le père de la fille pense que tu es complice. On entendit au loin un cri à peine intelligible : Rends-toi ! Le pilote regarda Alfonso Valenzuela. Je multiplie par cinq, par dix et tu l’emmènes à cette adresse. Chienne de vie ! N’en jetez plus, señor Valenzuela. Vous venez ? Non, il vaut mieux que je reste. David était perturbé par sa partie réincarnable qui persistait à le conseiller : Si tu as tué quelqu’un, tu as intérêt à t’enfuir, un peu de mobilité te ferait du bien. Ce serait pas mieux à cheval ? demanda-t-il à son père. Tu veux te faire choper par Nazario ? Tu vas prendre cette avionnette et dépêche-toi avant que ce monsieur change d’avis, il va t’emmener chez ton oncle et tu resteras avec eux quelques jours. Le pilote mit les moteurs en marche, David commença à geindre. Et le diable ? Son père lui donna l’accolade. Ne l’écoute pas, petit, et il le poussa vers l’avion. Je sais que c’est dur, mais tu dois partir, tu connais les Castro. Allez, tire-toi ! L’avion se mit en mouvement et le père resta sur la piste, de plus en plus flou. Depuis quand n’avait-il pas pleuré comme ça ? David entendit deux détonations. Tranquille, dit le pilote, dans un moment on arrive à Culiacán.