Publication : 17/03/2011
Pages : 192
Grand Format
ISBN : 978-2-86424-733-3

Le destin du touriste

Rui ZINK

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18 €
Titre original : O destino turístico
Langue originale : Portugais
Traduit par : Daniel Matias

Quand le voyage se transforme en tourisme et la curiosité de l’autre en voyeurisme de la violence, les pays du Sud deviennent des destinations où l’on peut assouvir des désirs inavoués ou réaliser des souhaits qu’on n’est pas capables de mettre soi-même en œuvre.
Il y a des endroits où on fait du tourisme de guerre, où on peut assister de près à des bombardements, des explosions et des attentats. Il y a la Zone qui vit en guerre civile depuis des années, c’est là que Greg va faire du tourisme. Mais après la disparition d’une délégation philippine au grand complet, son guide commence à se poser des questions sur ses véritables intentions. Pourquoi Greg tient-il tellement à visiter ce "paradis infernal", à être au milieu de cette horreur quotidienne ?
Entre roman d’aventures et conte philosophique, avec un style allègre et un humour féroce, Rui Zink nous oblige à regarder autrement les pays du Sud, les destinations touristiques, et à nous interroger sur le destin du touriste.

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    Didier Bazy
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  • Entretien avec Rui Zink à lire ici.
    Mickaël Caron
    SO FOOT
  • « Une fiction politique orwellienne, cynique et brillante, dont on ne ressort pas indemne. A lire absolument. »
    Pamela Pianezza
    BE
  • « Rui Zink signe un ouvrage véhément, un cauchemar qui interpelle, avec une virulence qui se fait rare dans le paysage littéraire actuel. » Plus d'infos ici.
    Mikaël Demets
    L’ACCOUDOIR.FR
  • « A 50 ans, le portugais Rui Zink voit pour la première fois un de ses romans traduit en langue française. L’occasion de découvrir cet auteur moqueur adepte de l’humour féroce, de la satire sociétale, très habile à ponctuer son récit de petites plaisanteries… Humour. »
    Annick Woehl
    L’ALSACE
  • « À travers son héros, Zink, dans un style féroce et cynique, pointe l’attrait et la fascination malsaine que peut avoir l’Occident pour le sud et les motivations ambiguës des touristes. »
    Daniel Muraz
    LE COURRIER PICARD
  • « Le romancier portugais Rui Zink dénonce avec humour le voyeurisme du touriste en mal de sensations.
    Tristan Savin
    LIRE
  • « Rui Zink réussit à créer un sentiment de désorientation permanente. Comme si nous étions happés dans un monde qui s’était mis à avancer à l’envers "à la vitesse (vertigineuse) d’une bande qu’on rembobine"… »
    Yves Le Gall
    LE MATRICULE DES ANGES
  • « Construit très habilement, ce conte où l’esprit de Boulgakov croise l’humour beckettien, a une dimension prospective glaçante. »
    Fabrice Lardreau
    TRANSFUGE
  • « … une dénonciation de la position du touriste riche dans les pays pauvres, mais aussi plus largement une réflexion sur l’avenir de l’homme sur une planète en ruine. »
    Véronique Rossignol
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  • « Une fiction politique orwellienne, cynique et brillante, dont on ne ressort pas indemne ». A lire absolument »
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Il n'a pas eu de problèmes à l'aéroport


Il est arrivé le matin, après un vol de nuit : il n'a pas eu de problèmes à l'aéroport. En fait, il s'attendait à plus de problèmes. N'ayant pas eu les problèmes auxquels il s'attendait, il n'a donc eu aucun problème.
Le visa était en règle et le passeport valable jusqu'à l'anniversaire de Mathusalem. Dans l'avion, il n'y avait pas beaucoup de monde. À l'heure actuelle, seuls des fous, des candidats au suicide, des soldats de fortune, des trafiquants d'armes ou des journalistes, plus assoiffés de gloire que dotés de matière grise, atterrissaient ici. Malgré tout, le passage de la frontière avait été lent. Un passager qui semblait s'y connaître, un homme d'affaires sans doute, avait murmuré : bureaucrates de merde.
Et il avait ses raisons. Il était de notoriété publique que le pays était en miettes, que ce n'était même plus un pays mais une zone, une zone de mort, un terrain de chasse sauvage et brutale, alors qu'est-ce qu'il leur prenait de jouer aux paladins de l'ordre ? C'était la sensation que donnait le poste de contrôle des frontières : un portail pompeux, débordant d'arabesques, de fioritures et de retouches qui n'ouvrait sur rien et feignait d'ignorer que le palais dont il constituait l'entrée avait été rayé de la surface de la terre. À bien y penser, cette frontière était un bon présage. Adieu, monde extérieur. Bonjour, enfer intérieur.
Quand ils découvrirent une arme semi-automatique dans sa valise, l'homme d'affaires s'emporta :
– Comment ça je ne peux pas entrer armé ? Je ne peux pas entrer armé ? Vous plaisantez ?
Les agents blasés, las, cyniques.
– Mesures de sécurité, sir.
– Mesures de sécurité ? C'est comme si on interdisait l'entrée des talons hauts en discothèque !
– C'est le règlement, sir.
– Regardez, j'ai un permis de port d'armes. J'ai même un permis de tuer ! Vous plaisantez, forcément.
– Nous ne faisons qu'obéir aux ordres, sir.
– Bureaucrates de merde !
– Ce langage est inutile, sir.
– Inutile ? Espèce de macaque, je t'en ficherai de l'inu…
– Ayez l'obligeance de nous suivre, sir.
Qu'allaient-ils faire de cet homme quand plus personne ne pourrait voir ? Ils allaient le passer à tabac, lui montrer que l'on ne pouvait pas insulter impunément les autorités ? Ou seulement lui rendre la vie impossible, lui administrer le traitement de l'ennui, le faire attendre des heures dans une pièce fermée, sans toilettes, et le remettre dans le premier avion de retour vers la civilisation ? Plus probablement, ils se limiteraient à lui confisquer son arme et ils le laisseraient aller en paix. Le pays avait besoin de devises, et même une bande de psychopathes en uniforme ne tuerait pas la poule aux œufs d'or.

À la sortie, une lumière blanchâtre, de la poussière, un terrain vague avec des résidus asséchés de ce qui avait dû être des flaques de boue. Ou bien des cratères, créés par les traces de pas d'un reptile géant quelconque. Ce qui, quoique improbable, n'était pas pour autant impossible : dans la brochure, on évoquait une histoire pittoresque, du folklore local : apparemment, depuis quelques années, des récits (difficile de connaître leur degré de fiabilité) faisaient état de l'existence de ce genre de monstre. Attaques inexplicables, disparitions, mystérieuses traces de pas. Véridique ou fausse (ou plutôt, fausse ou fausse), c'était en tout cas une bonne histoire qui reposait sur deux théories : celle d'une résurrection de dinosaures disparus du fait d'une mutation, fruit d'une exposition continue à un cocktail de radiations et de produits chimiques ; et une autre plus poétique selon laquelle le monstre avait toujours été là, il avait simplement hiberné un petit peu plus que le temps d'une saison – près de soixante-cinq millions de saisons de plus, pas grand-chose.
Bon, d'un point de vue logique, la non-confirmation de l'existence de tels êtres n'était pas une preuve de leur inexistence. Le même raisonnement qui, en d'autres occasions, s'était appliqué aux armes de destruction massive était là aussi applicable – ou cette zone valait-elle moins que les autres ? Ce serait une terrible injustice qu'il y ait des distinctions hiérarchiques entre les paradis du chaos. D'un autre côté, la vie était injuste.


Ce fut un jeu d'enfant de trouver un taxi. Même pas besoin de négocier. Il partit du principe que seul un chauffeur très stupide essaierait de lui faire payer un prix effrontément plus élevé que la concurrence.
Non que cela eût de l'importance – il avait de l'argent. Même pour mourir, on n'allait nulle part sans argent. L'argent, du reste, était fait pour être dépensé, à cause de l'augmentation constante du coût de la vie, à moins d'investir dans des actions sûres : carburants, aliments, nanotechnologies.
L'inflation, un fléau planétaire. Même dans les pays normaux, la vie coûtait les yeux de la tête – il serait par conséquent intéressant de savoir à quel prix était la mort ici, dans la zone. Les moralistes ne se lassaient pas de répéter que la zone était un microcosme où les valeurs étaient toutes inversées et ils le disaient sur un ton résigné, ils étaient d'ailleurs plus résignés que moralistes. Si la vie ne valait rien ou presque, alors sans doute la mort valait-elle plus que le prix normal. Et lui, il était prêt à payer ce qu'il fallait.
Deux rangées de chars, de chaque côté de la route, canons de cent vingt millimètres dressés en diagonale (comme des sabres croisant le fer) garantissaient que la seule voie entre l'aéroport et la ville ne serait pas prise par des insurgés.
– Vous voyez, monsieur, comment notre gouvernement tient à la sécurité ?
Impossible de dire s'il y avait de la moquerie dans la voix du chauffeur.
– Je vois, dit le passager.
– Ce n'est pas que les terroristes soient assez forts pour ça, poursuivit le chauffeur, ou qu'ils aient intérêt à le faire.
Et il expliqua ce que d'aventure le passager savait déjà : beaucoup de ces bandes vivaient précisément de l'enlèvement d'étrangers. Si l'aéroport fermait du jour au lendemain, elles perdraient elles aussi une de leurs principales sources de revenus.
Le passager ignorait totalement s'il était dans un taxi officiel, réglementé ou pas. Il ne savait pas non plus comment les taxis étaient ici, leur couleur, leur odeur, leurs signes extérieurs, s'ils avaient un compteur ou s'ils facturaient simplement au kilomètre. C'était très certainement un taxi clandestin – un de ces véhicules personnels qu'un individu débrouillard transformait en taxi par un simple acte de baptême. D'un autre côté, l'expérience lui avait appris que plus un gouvernement était nul, plus grande était la tentation de vouloir tout contrôler.
– Si vous le souhaitez, monsieur, je peux rester à votre service dans les jours qui viennent. Pour pas cher, patron, pour pas cher. Je vous emmène où vous voulez. Pour voir notre beau pays.
– Je vais y penser, répondit le passager.
Le chauffeur le jaugea dans le rétroviseur sale.
– Vous êtes américain, monsieur ?
– Non.
Le chauffeur se tut et attendit, comme si cette seule question avait épuisé toutes les possibilités. Au bout d'un moment, le passager soupira et mentit :
– Suisse.
Le chauffeur sembla soulagé :
– Ah, la Suisse. Un beau pays. C'est pas que je connaisse. Mais, pour ce que j'en sais, c'est un beau pays. Des montagnes, des tunnels et de la neige, n'est-ce pas ? Et neutre, n'est-ce pas ?
Le passager acquiesça :
– Oui, neutre.
Le chauffeur approuva :
– C'est bien. Être neutre, c'est bien. Et vous vous appelez… ?
Le passager regarda sur les côtés. Ils traversaient une espèce de désert crasseux, brunâtre, des habitations de temps en temps, des masures surtout, quelques corps marchant sans but, des paquets sur la tête, d'autres simplement arrêtés pour regarder la vie passer. Un berger, grand et sec, presque nu, bâton à la main, avec un maigre troupeau. Et des carcasses, nombreuses, de ce qui probablement avait été des véhicules. Carcasses calcinées de chars, de jeeps, de 4 × 4, de fourgonnettes, de simples voitures, et même d'hélicoptères. Un cimetière d'os métalliques carbonisés – sauf que, de cette mine, rien n'indiquait qu'il sortirait des diamants.
Quel mal y avait-il à dire son nom ? Quelle importance, un nom ou un autre, dans une conversation entre inconnus ? Il pourrait sans crainte dire la vérité. Oui, mais il pourrait aussi continuer à mentir. Comme ce héros grec, Ulysse. Menteur comme un arracheur de dents, le brave Ulysse. Quand le Cyclope lui demanda comment il s'appelait, il répondit : Mon nom est Personne. Et quand le monstre se plaignit à son père de ce que le Grec lui avait fait – crever son unique œil –, le dieu courroucé demanda qui était cet impudent, l'ogre idiot répondit : Personne, papa, Personne a fait ça. Personne, Ulysse… deux noms bien choisis. Et quel autre nom si ce n'est les deux noms de ce Grec pourrait-il porter ?
Ah, oui, bien sûr. Évidemment.
– Greg. – Il mentit. – Mon nom est Greg.
– Guereg ?
– Non. Seulement Greg.
– Guereg. Joli nom. Moi, c'est Amadou, à votre service.
– Enchanté, Amadou.
– Enchanté, monsieur Guereg. Tout le plaisir est pour moi.
Amadou parlait anglais, ce qui n'était déjà pas si mal. Là-bas, lui avait-on dit à l'agence, tout le monde parlait anglais. C'était comme une deuxième langue. Parfois, une troisième ou une quatrième, mais ils parlaient anglais.
Les gens pauvres, apparemment, étaient très doués pour les langues. Un trait génétique, ou quelque chose comme ça. Greg, lui aussi, n'était pas de langue maternelle anglaise. Mais ça le choquait, franchement ça le choquait quand personne ne parlait anglais ou au moins hindi ou mandarin. Ici, grâce à Dieu, ce n'était pas un problème. Quelques-uns, au moins, devaient parler anglais. Mon Dieu, merci, se sentit-il quasiment contraint à dire, choukran, gracias, xie xie, viele danke, dhanyavaad, spassiba, dziekuje, salamat po, barak brigadu, d'avoir dans cette infortunée partie du monde quelqu'un qui parle anglais.
– Soldat de fortune, monsieur Guereg ?
Amadou n'était peut-être pas un grand chauffeur, mais on ne pouvait pas dire qu'il n'était pas tenace. Ça valait sans doute la peine de l'engager pour quelques jours de plus. Comme un mariage d'intérêt. Jusqu'à ce que la mort nous sépare.
– Non.
– Commerçant ?
– Non.
Amadou avait un œil sur la route, et l'autre sur le passager. Le gauche fixait la poussière blanchâtre qu'était le monde du dehors ; le droit surveillait le rétroviseur sur le pare-brise. Il semblait abattu, le pauvre, incapable de deviner la profession de l'illustre passager.
Niet, encore une dernière tentative :
– ONU ?
Greg décida de lever le voile sur le mystère qui n'en était pas un :
– Touriste.
– Ah.
Il n'était pas absurde de dire que les yeux d'Amadou s'étaient illuminés.
C'est Greg qui sembla ne pas comprendre l'expression oculaire, puisqu'il jugea utile de répéter :
– Oui, touriste.
Amadou rit et le passager fut quelque peu surpris de découvrir qu'il avait encore une dentition complète. Il devait être plus jeune qu'il ne le paraissait. En réfléchissant bien, maintenant que Greg le regardait avec attention, il était bien plus jeune qu'il ne le paraissait. Non pas la quarantaine, ni même la trentaine, mais la vingtaine. Si ça se trouve, même la moustache était teinte. Bon présage. Très bon présage. Amadou acquiesça, tout en riant :
– Touriste ? J'ai compris. Touriste. Bienvenue dans notre humble pays alors, Guereg le touriste !


Greg ne savait pas si le chauffeur de taxi – amateur ou professionnel – avait exagéré le prix de la course. De toute façon, ce n'était pas important. Il ne savait pas combien de temps il allait rester dans la zone, peu de temps espérait-il. Il avait réservé pour une semaine en demi-pension. Mais, si tout se passait bien, son séjour ne dépasserait pas les deux ou trois jours. Il était venu pour cela – parce que ce pays avait la réputation (méritée, espérait-il) d'être un pays où il n'était pas nécessaire d'attendre longtemps pour se voir remettre le produit qu'on escomptait.
Ils entraient à présent dans la ville. Des bâtiments délabrés, effondrés, calcifiés – il était difficile de savoir s'ils étaient à moitié construits ou à moitié détruits. Beaucoup étaient sans toiture, d'autres avec une moitié de toit, d'autres encore n'étaient que des ruines ou alors une structure nue, uniquement de ciment et d'acier. Quelques pans de murs en pierre. Les rues, pour leur part, n'étaient que poussière, déjections et plastiques sur le sol et dans les airs.
Et tout cela enveloppé dans une lumière aveugle. Lumière aveugle devrait être un paradoxe, mais ce n'en était pas un. Pas ici. C'était vraiment une lumière tellement, tellement lumineuse qu'elle empêchait presque de voir.
Durant la course, Greg aperçut (plus qu'il ne vit) quelques ronds-points, quelques commerces, quelques personnes errant dans les rues. Ici ou là, dans un cratère noir, il croyait reconnaître le fantôme d'un café ou d'une pizzeria, alors que cela était maculé de suie, ce n'était rien d'autre qu'une soudaine nuée noire contrastant violemment avec la blancheur de la lumière. Était-ce maculé ou falsifié ? Enfin, c'était au diable de venir trancher.
Qu'est-ce qu'il racontait ? Le diable n'avait pas besoin de venir, il habitait déjà ici. Le diable était, si ce n'est le patron, au moins un habitant honoris causa de la zone.
C'était bien pour cela (le fait que la zone était un enfer) que Greg était venu jusqu'à elle, à ce qu'il en restait. Parce que le diable de cet ancien paradis en avait déjà fait sa demeure.
Pas de doute, Greg venait pour mourir. Et, pris d'une sensation d'euphorie, il porta presque un toast : il avait une conviction, une intuition, une certitude ; il sentait qu'il avait fait mouche, scaramouche, fandango, will you do the tango, for me, for me, for me.
Après une vie plus ou moins menée àlagrâcedeDieu, versant brutalement dans la disgrâcedeDieu, sa mort au moins aurait un sens – parce qu'elle était recherchée par lui, elle était réclamée par lui, et c'était lui qui avait choisi le lieu, sinon l'heure, pour la dernière (ou première, les avis ici divergeaient) rencontre avec le Créateur.
Ou avec Elle.


L'hôtel avait une piscine. Greg ne savait pas s'il devait en rire ou en pleurer. L'hôtel avait une piscine. Les chambres n'étaient pas toutes occupées, mais il y avait malgré tout une certaine agitation dans le hall. Beaucoup d'hommes d'affaires, quelques-uns visiblement très occupés, portable à l'oreille, ou assis dans les canapés, penchés vers l'avant, engagés dans une discussion passionnée. Un individu, les cheveux coiffés en arrière, comme enduits de brillantine, faisait de grands gestes avec ses mains. Une grande femme, vêtue d'un gilet kaki à poches et de bottes montantes, rappelant un petit peu Lara Croft (l'actrice des films, pas celle du jeu vidéo), donnait des instructions à un homme hirsute, avec une caméra posée sur les genoux. Un groupe de Philippins suivait une femme à l'air indigène (mais belle, à sa façon) qui brandissait un éventail rond, comme un agent de la circulation. À présent, partout, on ne voyait que des Philippins. Toujours en bande – pire que les Japonais.
Amadou n'avait pas pu aider Greg à porter sa valise et il s'en était excusé, malheureusement les chauffeurs de taxi n'étaient pas autorisés à entrer dans l'enceinte de l'hôtel. À une époque, il y avait eu quelques problèmes, monsieur Guereg en avait peut-être même entendu parler. Apparemment, la direction considérait comme peu positif pour la réputation de l'hôtel que les clients volent en éclats dans le hall. Plus qu'un dérangement – une inélégance. À cet effet, il y avait la zone dehors, non ? Ici, c'était un espace de repos et de loisir, aussi raffiné et sûr qu'il était, au vu des circonstances, humainement possible.
Greg garda la carte de visite d'Amadou, mais finalement il ne décida rien. On verrait plus tard. Un bagagiste l'accompagna jusqu'à la réception, où il déclina son identité, montra son passeport, laissa les données de sa carte de crédit. Greg pensa que c'était, comme d'habitude, uniquement pour débiter plus tard les frais du minibar ou du téléphone, ou même du Health Club, mais le réceptionniste le regarda par-dessus ses lunettes, comme un bibliothécaire face à un lecteur qui rend un livre en retard.
– Nous pensions que vous le saviez déjà. Nous débitons d'avance pour une semaine afin de couvrir d'éventuelles dépenses : hôpital, transport d'urgence, services privés, désintoxication, prothèse, casino…
– D'avance ?
Le réceptionniste eut un très léger rictus, qui pouvait signifier a) qu'il le déplorait. Ou alors b) qu'il déplorait le manque de présence d'esprit du client.
– Comme vous le savez certainement, mon bon monsieur, aucune assurance ne couvre la zone. C'est pourquoi, à notre grand regret, nous n'avons d'autre choix que de facturer d'avance.
– Ah. Vous facturez d'avance des services dont je n'ai pas bénéficié…
– Mais vous pouvez être sûr qu'à la fin du séjour, si le solde est en votre faveur, ce sera pour nous un plaisir, malheureusement rare, de vous rembourser la différence.
Greg jugea préférable de laisser tomber. Pourquoi se lancer dans une guerre dont il se fichait ?
– Très bien. Si c'est le règlement de la maison…
– Et la bonne nouvelle, c'est que l'accès à la piscine et au hammam est gratuit. Si vous avez oublié quelque chose, maillot de bain, chaussures appropriées, lunettes de natation ou n'importe quel autre équipement sportif, nous sommes également en mesure de vous le fournir pour une somme modique.
– Vous n'allez pas me dire qu'il y a aussi un court de tennis dans votre hôtel ?
– C'est avec plaisir que je peux vous dire que nous en possédons un. Bien entendu, l'accès aux courts se fait en fonction de la liste d'attente ou de la nécessité de nettoyer les éclats d'obus, relativement rares ces derniers temps.
– Votre hôtel me surprend…
– Nous espérons que c'est de manière positive, cher monsieur. Nous ne sommes peut-être pas le plus grand hôtel de la zone, et Dieu sait que nous ne sommes pas le plus ancien, mais nous essayons d'être celui qui s'acquitte du meilleur service pour ses honorables clients. Nous sommes régis par une devise : la zone peut être une barbarie ; nous, nous sommes une oasis de civilité.

Né à Lisbonne en 1961, il est professeur de littérature portugaise à l’université et a écrit de nombreux romans, dont Dávida divina (Don divin), prix du Pen Club portugais en 2005. Le Destin du touriste est son premier roman traduit en français.

Bibliographie