Publication : 09/04/2009
Pages : 160
Grand Format
ISBN : 978-2-86424-681-7

Le jour où j'ai tué mon père

Mario SABINO

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17 €
Titre original : O dia em que matei meu pai
Langue originale : Brésilien
Traduit par : Béatrice de Chavagnac

Tout le monde doit tuer le père pour pouvoir vivre, lui l’a fait simplement d’un coup sur la tête et par derrière. Ensuite, il a appelé la police et maintenant il raconte son histoire à une psychiatre.
Il mène une enquête sur lui-même, il suit les détails de sa vie,  montre sa médiocrité en face de ce « gagnant » qu’était son père, séducteur, brillant, riche, sûr de lui, jusqu’à séduire sa belle-fille.
Il essaie tous les instruments intellectuels pour analyser son acte, la philosophie, la religion, la psychologie, le comportementalisme : tout se révèle incapable d’expliquer son acte.
Par ailleurs il nous fait lire son roman inachevé, comme le psychiatre nous y cherchons une interprétation symbolique, une explication, mais la littérature ne révèle rien, elle cache, dissimule.
L’auteur nous perd avec malice, avec humour, avec une habileté diabolique pour troubler notre sens de l’ordre et de la réalité.
Il est facile de tuer, ce qui est difficile, c’est de savoir pourquoi on tue.

 

1

Le jour où j’ai tué mon père était un jour clair, d’une clarté diffuse, sans ombres et sans relief. Ou peut-être était-il gris. De cette grisaille qui teinte jusqu’aux âmes les moins enclines à la mélancolie. C’est étrange que ce soit le seul détail dont je ne me souvienne pas, tous les autres sont encore bien vivaces en moi. Mais qu’importe ? Le cadre n’était que cela – cadre. Pour­quoi essayer de tirer la nature de son indifférence pour nous, les hommes ? Venons-en au fait. J’ai tué mon père comme on tue un insecte. Non, l’image n’est pas exacte, car, la plupart du temps, il y a irritation, sinon peur dans une action aussi banale. Excusez-moi, je divague. Il serait plus juste de dire que j’ai tué mon père comme on respire. D’une respiration régu­lière qui n’exige pas un grand effort pour attirer l’air jusqu’aux poumons.
Un coup de bâton sur la nuque, un autre sur la tête. Il était assis sur le divan du salon et lisait le journal, comme tous les matins avant d’aller au club où il faisait ses mille cinq cents mètres à la nage en quarante minutes. Un homme athlétique, mon père, et toujours bronzé, du bronzage des riches, signe extérieur de sa prospérité. Je me suis approché par derrière à pas feutrés sur le tapis moelleux. Au premier choc, son buste a été projeté en avant, comme lorsqu’on se penche pour nouer ses lacets. Plié en deux, il a reçu le deuxième coup – le chrême qui entérine le baptême. Un filet de sang coule du coin de sa bouche, sa main droite tremble pendant quelques secondes avant de retomber inerte sur le sol, son visage se fige dans une expression d’effroi… La description de la scène est-elle satis­faisante ? J’espère ne pas avoir été trop désagréable, car telle n’était pas mon intention.
J’ai posé le bâton contre le dossier du divan avec un soin que je considère aujourd’hui excessif (comme si ce bout de bois était un objet rituel). J’ai contourné mon père et, avant de le replacer sur le divan, j’ai jeté un coup d’œil sur la page qu’il était en train de lire avant de mourir. C’était la page des petites annonces érotiques. À quoi rêvait-il en son dernier instant ? À Aline, la minette aux lèvres de miel ? À Milena, l’effrontée sans fraîcheur ? Ou à leurs cousines sadiques qui promettaient de tout faire deux fois ? Je sais, j’aurais pu omettre cette partie, mais savoir que mon père s’intéressait aux petites annonces de prostituées lui donne une humanité qui m’attendrit. J’ai dit humanité, mieux vaudrait dire faiblesse. Il était connu, voire vénéré pour son pouvoir de séduction. Jusqu’à sa fin décrétée par moi, mon père s’était montré capable de charmer des femmes de tous âges et toutes conditions. Impossible de l’ima­giner payant pour coucher avec une fille. Les femmes, toutes celles qu’il a eues, étaient folles de lui. Les prostituées ne sont bonnes que pour les hommes comme moi. N’étaient.
J’ai étendu le corps de mon père sur le divan et je me suis assis à côté, près de son visage. Je ne sais pas combien de temps je suis resté là à le regarder, mais suffisamment pour me souvenir de chaque ride de son visage. Puis, j’ai fermé ses yeux écarquillés. L’expression d’effroi fit place à un sourire. Ou peut-être était-ce une impression.
Puis, j’ai téléphoné à la police. “Venez m’arrêter. J’ai tué mon père.”

Mario SABINO est né à São Paulo en 1962. Il est actuellement le rédacteur en chef de la grande revue  brésilienne Veja. Le Jour où j'ai tué mon pèreest son premier roman.

Bibliographie