Adomeit, personne ne l'a connu, tout le monde prétend le connaître. Il a vécu dans la compagnie des oiseaux, d'une gouvernante et de deux disciples. "Chacun est comme il est. Mais il était du genre à ne pas laisser en paix qui que ce soit autour de lui." Il a lui-même réglé le scénario de ses obsèques et fixé au mardi de la Pentecôte, "le jour de la forêt", la lecture de ses dernières volontés, ultime pied de nez au conformisme et à l'hypocrisie. Toute la bourgade s'y presse.
Un chœur souvent cacophonique passe au crible relations familiales, amitiés, amours, rivalités et conflit des générations. Chacun rapporte sa version des faits au travers des dialogues, conversations, monologues et échanges dont le contenu est constamment mis en doute. Rien ne porte le sceau de la certitude dans ce petit "théâtre du monde".
Andreas Maier révèle un véritable talent de narrateur dont l'écriture rappelle Thomas Bernhard par son rythme et sa musicalité.
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Combiner l'exercice de style et la satire sociale, c'est l'enjeu que s'est donné Andreas Maier pour son premier roman. Le résultant est distrayant pour peu que le lecteur se prête au jeu.René FuglerDNA
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C'est un premier roman, dû à la plume d'un écrivain né en 1967 à Bad Nauheim, près de Francfort. Un texte compact, en deux chapitres, à l'intérieur desquels on ne distingue aucune césure, aucun paragraphe. L'histoire est celle d'un certain Adomeit, un homme énigmatique qui a vécu dans la compagnie des oiseaux, d'une gouvernante et de deux disciples. Un gars que personne alentour ne paraît avoir vraiment connu, tout en prétendant le contraire, et qui a réglé lui-même le déroulement de ses funérailles, fixées un mardi de la Pentecôte, " le jour de la forêt ". La lecture des dernières volontés de ce solitaire sera l'occasion d'une ultime mascarade et moquerie envers le conformisme des habitants de ce coin de campagne. Car on est dans la Wetterau, contrée imaginaire, miroir de destinées plutôt médiocres, sinon pusillanimes. Une sorte de chœur cacophonique à la Thomas Bernhard se met en place tournant en dérision les relations familiales, les amitiés, les amours et autres rivalités de ce microcosme. Tout près de la forêt, ce vieux mythe allemand bruissant d'orages...Alain FavargerLA LIBERTÉ
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Mais qui était donc Adomeit ? " Un bon à rien faire " ou un philosophe qui " s'était contenté du matériau simple et brut que lui fournissait son être " ? Entre ceux qui l'ont connu, ceux qui l'ont méconnu et ceux qui ne l'ont jamais vu s'engage une conversation ininterrompue qui redonne chair à cet atypique bourgeois allemand. Mais tant de voix discordantes ne peuvent brosser un portrait cohérent du vieil original et le mort-sujet devient vite le mort-révélateur des acteurs du dialogue. Le Mardi de la Forêt est un livre étrange où la parole s'arrache au rythme incantatoire de ce nom que l'on répète .OH LA ! Isabelle de Courson
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« A. Maier, dont c'est le premier roman, s'amuse à restituer des confessions impromptues, des discussions de comptoir où se mêlent ressentiment et admiration. Belle illustration de la mesquinerie d'une certaine province. »Pierre DeshussesLE MONDE DES LIVRES
I
C'est, a dit Schossau, comme si tout s'était trouvé amoindri par suite d'un processus chimique, la disparition d'une substance qui n'est plus contenue dans les choses, alors même qu'elle devrait s'y trouver. Il lui était parfaitement impossible de dire ce qui l'amenait à de telles pensées. On ne peut en effet ressentir le manque d'une substance que si elle a été auparavant présente, or si on examine la situation avec rigueur, selon lui, rien dans les choses ne peut être mis en évidence qui puisse indiquer une présence antérieure. Un examen attentif amène à affirmer que c'est l'expression n'est plus qui entraîne un processus subreptice. Or, il s'agit d'un processus non pas subreptice, mais exclusivement descriptif, et qui décrit non les choses, mais le sentiment qui est le sien. Ma pensée n'impose aucune nécessité aux choses. Quant à lui, Schossau, il lui arrive ces derniers jours de penser de plus en plus fréquemment cette phrase. D'ailleurs, en fait, il pense de manière ininterrompue ce qui vient d'être exposé ci-dessus. A l'instant même, sur le chemin qui l'amenait ici, il dit s'être arrêté sur la promenade au pied de la citadelle parmi les rameaux d'un buisson de rhododendrons, avoir contemplé la floraison blanc rose et avoir là aussi été écrasé par le sentiment que ce rhododendron avait été privé de quelque chose, qu'il était incomplet, et cependant, ce n'était pas le buisson qui était atteint par ce manque, mais lui-même, Schossau. Ma pensée n'impose aucune nécessité aux choses. Il s'était ensuite assis sur le banc situé en contrebas du buisson et dit n'avoir pu se retenir de cacher quelques secondes son visage dans ses mains.
A ce moment-là, il lui était apparu très clairement que les habitants de la cuvette de Wetterau étaient fous, tous autant qu'ils étaient. Cependant depuis quelque temps, il avait tendance à perdre le contrôle de lui-même. Il n'était plus capable de dire ce qui de toute cette histoire s'était réellement produit, ce qui lui avait seulement été raconté ou ce qu'il avait le cas échéant ajouté ou inventé à force d'y penser et d'y repenser constamment. Quelque chose n'avait plus cessé de parler en lui-même. Tout parlait en même temps. Il s'était aussi rappelé qu'il avait, il y a trois jours, au commencement de cette malheureuse histoire, traversé le bois de pins des environs de Florstadt, et quelles étranges pensées l'avaient occupé en ce lieu. Ainsi par exemple: qu'il était contraire à la nature de traverser un bois de pins en plein été. En été, on traverse un bois de feuillus, pas un bois de pins. Un dialogue intérieur plein d'agressivité s'était alors noué spontanément entre lui et lui-même. Bien sûr que l'on traverse en plein été le bois de pins de Florstadt, car en cet endroit la forêt est touffue et par conséquent, il y fait frais. Or en été, quand il fait une chaleur torride, l'être humain recherche la fraîcheur, comme on peut le lire chez le premier épicurien venu. Son interlocuteur avait alors, dit-il, pris un ton sournois, se gaussant de l'expression forêt touffue et de façon générale des épicuriens. D'ailleurs, avait-il ajouté, il fait plus frais dans n'importe quelle forêt de feuillus, ceci résultant des processus d'échanges gazeux des arbres, or n'était-il pas, lui, Schossau, un fanatique de grand air, un fanatique affiché et sûr de lui, qui ne supportait pas d'être dans un espace clos où se trouvaient plus de deux autres personnes sans être obligé d'ouvrir la fenêtre. Ce qui ne l'empêchait apparemment pas de parcourir ce bois de pins, avait rétorqué le contradicteur, car toutes choses ne relèvent pas nécessairement d'une explication logique et en outre, n'avait-il pas le droit de son côté, puisqu'en effet dans l'instant présent, il avançait effectivement à travers ce bois de pins, et que lui, l'autre Schossau, malgré son attitude sournoise et mauvaise, faisait de même et l'accompagnait. Il avait, disait-il, remarqué à quelque distance un jeune homme qu'il ne connaissait pas et qui, manifestement pressé, traversait à bonne allure la forêt comme s'il allait vers un but précis. Il s'était dirigé droit vers le chêne du pendu sous lequel il s'était arrêté, regardant autour de lui. Schossau disait que ce comportement lui avait semblé curieux, ce qui l'avait incité à se poster en retrait derrière un groupe d'arbres. L'homme, qui d'après son allure ne semblait pas être de la Wetterau, pouvait avoir une vingtaine d'années. Schossau s'était soudain dit qu'il s'agissait peut-être d'un parent d'Adomeit que l'on avait porté en terre le matin même. Mais Schossau n'était pas parvenu à se souvenir s'il avait vu cet homme à l'enterrement. C'était un de ces enterrements de campagne que suivent exclusivement ceux que le défunt détestait le plus. Si le vieil Adomeit, disait Schossau, avait pu voir ceux qui, debout devant sa tombe, y avaient jeté des fleurs et une poignée de terre, il aurait protesté. Étaient présents tous ceux qui de son vivant avaient été incapables d'éprouver une once de compréhension à son égard et avaient toujours voulu l'enfermer, lui qui était de la région de la Wetterau, dans les schémas et les poncifs de l'existence rurale que l'on mène couramment ici. Quand il était tombé malade et que sa belle-fille lui apportait chaque jour sa soupe, elle l'avait fait en soulignant par son attitude emphatique et théâtrale que cela allait de soi alors que leur relation, tout comme d'ailleurs celle d'Adomeit et de son fils, avait toujours été marquée par une inimitié et même une méfiance réciproques. En apportant cette soupe à Adomeit, elle avait fait de lui un vieillard tout à fait normal qui de façon tout à fait normale était dépendant, et ce faisant était enfin parvenue à le contraindre à la normalité que les gens, pris dans l'étroitesse de leur entendement, avaient toujours déploré ne pas trouver en lui, ces gens qui sont in extenso adhérents de caisses d'assurances maladie, ce qui avait permis de conclure que la belle-fille elle aussi n'était que trop heureuse de la décrépitude d'Adomeit et de sa dépendance croissante. Adomeit se trouvait enfin rendu au point où ils auraient toujours souhaité le voir. Mais, disait Schossau, comme on pouvait trouver tout cela détestable! Adomeit, qu'il avait très bien connu, car finalement, on a rarement l'occasion de rencontrer des gens de cette trempe, avait jusqu'au bout été capable de se tenir devant son fourneau pour y préparer n'importe quel plat, une saucisse dans la poêle, un pâté de foie chaud aux oignons, et il supportait même encore à peu près ce genre de mets. Ce qui n avait pas empêché sa belle-fille de venir tous les jours de Butzbach lui apporter de la soupe. Il paraît qu'il lui disait: Voyons, je n'ai pas besoin de soupe, tu le vois bien! Elle avait rétorqué qu'il était malade, devait se ménager, s'asseoir dans son fauteuil, poser une couverture sur ses jambes, profiter pour son plus grand bien et pour sa santé du repos dont il jouissait et attendre qu'elle ait réchauffé la soupe qu'elle avait préparée à son intention. C'est ta soupe préférée. Ma soupe préférée, avait demandé Adomeit complètement décontenancé, c'est quoi? De la soupe au fenouil. Quelle horreur, avait crié Adomeit (lui, Schossau, avait souvent, affirmait-il, assisté à ce genre de scène). Comment oses-tu prétendre que la soupe au fenouil est ma soupe préférée? Toute ma vie durant, je n'ai avalé de la soupe que tout à fait à contrecœur tu le sais parfaitement mon fils te l'aura dit! Et de la soupe au fenouil, en plus! Allons, lui disait-elle alors, assez de simagrées, la soupe au fenouil, c'est très bon pour la santé, c'est exactement ce qu'il te faut. C'était bon pour sa santé, c'était tout particulièrement bon pour un vieil homme comme lui, ajoutait-elle. Elle avait été elle-même chercher une brochure à la Caisse d'assurances maladie, ce qui lui montrait combien elle prenait soin de lui. Elle avait ajouté que l'assurance maladie faisait de grands efforts en matière de communication, elle éduquait la population, partant de l'idée que plus les gens agiraient eux-mêmes pour leur santé, plus ils y veilleraient, plus les dépenses de santé diminueraient, ce qui permettrait de baisser les cotisations qui pour l'instant étaient très élevées. Il s'en moquait complètement avait, d'après Schossau, répondu Adomeit tout ça, c'était des bêtises. On connaît la chanson, elle n'est pas nouvelle. Hier une infusion de tilleul, aujourd'hui une soupe au fenouil, et demain, qui sait, une thérapie à base d'urine. Tout ça ne nous mène à rien. Adomeit proclamait sa bonne santé, il souffrait seulement de vieillesse. Qu'elle commence donc par atteindre le même âge que lui. A quoi sa belle-fille avait répondu qu'il était vraiment incapable de tenir compte du moindre argument. Les gens de la Caisse d'assurances maladie étaient tout de même les mieux placés pour savoir ce qui lui faisait du bien, c'étaient des spécialistes, des savants, qu'il la lise donc au moins une fois, cette brochure. Comment peuvent-ils donc prétendre, avait alors demandé Adomeit, savoir ce qui me fait du bien? Ils ne me connaissent même pas, ils ne m'ont jamais vu! D'ailleurs cette brochure, elle s'appelle comment? La santé par la nature. Après de telles joutes oratoires, Adomeit avait plus ou moins poliment mis sa belle-fille à la porte de son appartement dans la Untere Kirchgasse. Il semble que par la suite, les brochures de ce genre avaient été de plus en plus nombreuses à s'empiler sur le buffet d'Adomeit qui se désespérait complètement de voir sa belle-fille, plus encore que son fils, suivre sans se poser la moindre question les consignes qu'elles donnaient, même si ce n'était que pour deux ou trois semaines. A chaque fois, elle lui avait proposé une nouvelle thérapie, un nouveau mode d'alimentation ou seulement des exercices de relaxation, ou quelque chose d'analogue, en voulant lui faire croire qu'il s'agissait d'une vérité absolue. Pas question de t'asseoir dans ton fauteuil, telle était alors la consigne, c'est mauvais pour ton dos, assieds-roi sur une chaise bien dure, pour faire travailler tes muscles, et surtout, tiens-toi bien droit. Une semaine après, alors qu'il était par hasard assis à la table de la salle à manger sur la chaise en bois et jetait un coup d'œil au courrier, sa belle-fille lui avait immédiatement dit d'un ton plein d'inquiétude de s'installer dans son fauteuil, rester ainsi sur la chaise en bois était vraiment trop fatigant pour lui; quand il lui avait alors fait remarquer qu'elle se contredisait, puisqu'une semaine auparavant se fiant à une des brochures diffusées par les caisses d'assurances maladie, elle lui avait interdit d'utiliser son fauteuil, sa belle-fille avait eu la seule réaction qu'une personne de son espèce pouvait avoir: elle n'avait pas du tout réagi. Reconnais donc que tu es pleine contradiction, reconnais une fois pour toutes que ce que tu appelles tes vérités est nul et non avenu pour la bonne et simple raison que ru te contredis constamment, parfois même au cours d'une seule et même semaine. A ce moment-là, il paraît que sa belle-fille s'était contentée de lui demander s'il fallait qu'elle tire le rideau ou s'il préférait qu'elle ouvre la fenêtre. Et si son intention était de se coucher ou de rester assis? Tu ne peux vraiment pas reconnaître que tu viens de te contredire? Pourquoi donc, telle était la question qu'elle lui posait avec constance, elle ne comprenait vraiment pas de quoi il parlait, aucun problème, il n'y avait vraiment aucune raison de faire autant de complications, il était peut-être tour simplement nerveux parce qu'il n'avait pas assez dormi la nuit passée. J'ai dormi comme une marmotte, avait répondu Adomeir. Eh bien, elle s'en réjouissait, telle avait été sa réponse, tant mieux, et sans doute voulait-il rester encore un moment assis là, et elle, sa belle-fille, le laisserait donc seul, il fallait qu'elle aille chercher sa fille à l'école, etc.