Orpheline, confiée à l’Assistance publique de l’Yonne, Yvette a un destin tout tracé de fille de ferme plus ou moins maltraitée au gré des familles qui l’accueillent. Elle avance dans la vie “comme un chien aveugle suivant une piste, de relent en relent, au cœur de la pestilence du clapier, des remugles de la bauge, des senteurs du fumier”, jusqu'à ce beau jour où elle est remarquée par un couple de Parisiens qui, séduits, décident de l’adopter. Les Zervos, éditeurs des Cahiers d’art, plus riches en amis artistes et poètes qu’en or, font entrer dans leur ronde fascinante et bohême ce jeune “diamant brut” qui ne rate pas une seconde des leçons de son ami Pablo Picasso, des belles histoires de Braque, ou de celles, plus subtiles, de Paul Eluard caché avec Nusch dans le grenier des Zervos. Puis il y aura, plus tard et moins aimé, l’encombrant René Char. Bref, tout ce monde des arts, de la poésie, des engagements et des mensonges nécessaires qui animent la vie de ces années troubles. Et qui, au gré des circonstances dramatiques de l’Occupation, oscille entre Vézelay et Saint-Germain-des-Prés,. La guerre terminée on revient à Paris, là on se parle, on se touche, se jalouse, on vit et couche ensemble, avec quelques sordidités par-ci par-là…
Yvette s’enfuira jusqu’en Israël où elle a écrit ce livre magnifique, à l’écriture percutante et profonde portée par l’inventivité qui fait de cette biographie d’orpheline une œuvre littéraire rare, absolue révélation tant sur le monde de l’art qu’en littérature.
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C'est un récit de vie et un grand texte littéraire, une de ces perles rares qu'on n'attendait pas. Décédée en 2003 en Israël, Yvette Szczupak-Thomas a commencé son autobiographie en 1980, et l'a achevée en 1999. Pourquoi ce livre nous arrive-t-il seulement aujourd'hui, c'est un des nombreux mystères de l'édition... Mais l'on peut penser que ce texte marquera à jamais les Editions Métailié, tout comme tous ceux qui le liront.
Florence Lorrain
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, Monique AtlanFRANCE 2 Dans quel éta-gère
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, Olivia de LamberterieFRANCE 2 Télé Matin
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« Ce livre posthume sous forme d’autobiographie est redoutable. »A PARIS
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« Un livre intense, un destin hors du commun, une force de vie incroyable, des personnages plus ou moins connus mais très attachants, et une écriture taillée avec finesse comme un diamant ! En plus, on a adoré tous ces petits secrets du monde de l'art et de la littérature de l'époque. »
Anne-Laure MaireAUFEMININ.COM -
« Du diamant brut, ce récit a l'éclat et le tranchant. Une sourde révolte l'anime et en fait l'un des textes les plus étincelants. »
Evelyne Bloch-DanoMARIE CLAIRE -
« Un Cœur simple. Le Récit, éblouissant et terrible, d'une enfance orpheline ballotée entre fermes et salons parisiens, de 1938 à 1950. »
Anne CrignonLE NOUVEL OBSERVATEUR -
« Au-delà du témoignage historique aux grandes qualités littéraires, cette personnalité exceptionnelle donne à voir avec une acuité implacable l'ambivalence de la nature humaine. »
Jeanne de MénibusMADAME FIGARO -
« Cette œuvre littéraire, au-delà du témoignage, balaie un monde parfois délétère, souvent éclatant, où une fillette, jouet gracieux entre les mains des adultes, parvient à se sauver par l'intelligence de son regard et son incroyable instinct de survie. »
Christine FerniotTELERAMA -
« Yvette, joyau brut. L'incroyable destin d'Yvette Thomas: pupille de l'Assistance publique, protégée de Picasso, soumise au bon plaisir de certains artistes? »
Valérie Marin La MesléeLE POINT -
« "Souvent l'intelligence n'est qu'une saloperie à la surface de l'âme", affirmait Dominique de Roux. Une sèche maxime somptueusement validée par ce témoignage qui frappe fort et sonne juste. »
Elisabeth BarilléLE FIGARO MAGAZINE -
« Histoire d'une vie hors norme, ce texte à la langue poétique et syncopée, est une absolue révélation. Tant sur le plan littéraire qu'humain. »
Muriel du BrusleFEMMES -
« Un autoportrait saisissant. La définition d'un écrivain. »
Astrid De LarminatLE FIGARO LITTERAIRE -
« Un Diamant brut est une absolue révélation tant sur le monde de l'art qu'en littérature. »
Béatrice GronnierLA LIBERTE DE L'YONNE -
« Dans Un diamant brut: Vézelay-Paris 1938-1950 (Métailié), Yvette Szczupak-Thomas, jeune fille de l'Assistance publique, raconte son parcours des fermes de Bourgogne aux salons de Saint-Germain-des-Prés. »
André RollinLE CANARD ENCHAINE -
« On a rarement lu la cruauté du genre humain peinte de manière aussi violente. On en reste "poustouplate" comme disait Yvette petite fille, avant que ses parents adoptifs ne ripolinent sa manière de parler ("on n'est pas en patouasie"), autrement dit à la fois époustouflée et aplatie devant ce mélange d'inhumanité et de révélation sur le monde des arts, totalement sous le charme de ce diamant brut. »
Olivia de LamberterieELLE -
« Yvette Thomas, orpheline recueillie sous l'Occupation par un couple d'éditeurs d'art, révèle Picasso, Eluard, Char et bien d'autres sous un jour dérangeant? »
Marianne PayotL'EXPRESS -
« Les vies d’Yvette Thomas. Un destin hors norme à travers le siècle. »
Alain Beuve-MéryLE MONDE DES LIVRES
II
CHEZ LES ZERVOS
En bordure du jardin, sept personnes dansent, se trémoussent, piaillent comme des Sioux écervelés. Devant mon père adoptif assis en tailleur qui se balance en avant, en arrière, ma mère adoptive, tournoyant sur elle-même et braillant “Ravajà, à la mouquère” retrousse sa belle robe orange et montre son cul nu. Ils s’abattent sur moi d’un seul coup, m’entraînent dans une chevauchée folle. Saute à droite, petite ! Saute à gauche ! On fête ton arrivée et l’anniversaire d’Yvonne.
On me fait boire du vin mousseux, on m’enfourne dans la bouche des anchois ou des oeufs de poisson sur des canapés de pain blanc, des olives, des amandes épluchées et salées, des bâtonnets de gingembre et de pâte d’abricot. La gorge affolée par les luxueuses saveurs, les larmes retenues à l’intérieur des paupières, je dédie ce pique-nique qui inaugure mon adoption à ceux que je laisse derrière moi.
Sept personnes de la haute société parisienne en pleine soûlerie, et démontées, et devenues sauvages, chancellent sans tomber, vomissent sans se salir, emploient des “gros mots” sans perdre leur distinction. Ils m’enveloppent, me font tourner la tête avec leurs bécots, avec leurs voeux, leur façon de me palper les côtes ou le fessier en me faisant passer de main en main sans cesser de me bousculer. Ils courent en m’entraînant, s’arrêtent net, hilares, devant une “ânesse qui assurera le lait à ma jeunesse”, qui est un âne, auquel se rattache une histoire de naïveté citadine et de malhonnêteté paysanne, et poursuivent jusqu’au tournant du pré en bordure duquel une vache, ma vraie nourrice, rumine paisiblement. Ils s’écroulent, tous en choeur, devant le véritable cadeau : une bicyclette de rêve, rouge vermillon avec des filets bleus et blancs, des chromes rutilants et des pneus demi-ballon roses comme des peaux de bébé. Je bondis sur Pégase, pour me souvenir que je ne sais pas le monter. C’est donc fermement tenue en selle par mes parents adoptifs que je fais mon entrée officielle au châ - teau, les courtisans suivant derrière au petit trot.
Sans me prévenir, Mamitte et Gaby m’arrachent à mes vêtements, me poussent dans une salle de bains immense, toute blanche et, me transformant en paquet de linge sale, me jettent cul par-dessus tête dans une baignoire. Horreur ! Moi, l’eau, j’en ai peur et, sauf les infirmières à l’hôpital et Maurice, personne ne m’a vue nue. Nue ! Aveuglée par le savon, je me raccroche à ce qui me tombe sous la main : le pendentif de Mme Gaby dont la chaîne se casse. Les deux chipies me tabassent en m’étrillant avec un gant de crin. Au secours ! Elles veulent me noyer. Je me débats et cogne comme un chat enragé. Le tumulte fait surgir mes parents adoptifs. M. Zervos expédie dehors les “foutues fumelles”. Mme Zervos me sèche, passe de l’eau oxygénée sur les blessures de mes pieds (les sabots, c’est fini main - tenant ?), étale de la pommade sur mes écorchures, piqûres et égratignures, entre les cuisses et sous les bras. Je l’enlace autant que je peux en m’excusant, en expliquant… Cécile, jadis. Depuis, l’eau, moi, du bout des doigts… Ils me revêtent d’un joli peignoir, de chaus sons à pompon, tout ça beaucoup trop grand. Riant aux éclats, ils me coiffent, me dépeignent, recommencent. C’est le moment. Je me répète la phrase préparée et la jette au rythme de mon coeur battant : “Je voudrais vous appeler papa-maman. Je n’ai pas d’autre cadeau à vous faire.”
Quels mots employèrent-ils pour refuser ce que je leur offrais ? Leurs explications, affirmations et négations n’allégèrent pas le brouillard épais et noir qui envahit mon esprit. Pourquoi “papa-maman”, les qualificatifs les plus beaux de la vie, se trouvaient-ils chez eux nuls et non avenus, privés de valeur, choquants presque. Interdits ! ? Pas possible ! Dépouillée d’un seul coup de ce qui m’avait paru essentiel, secouée jusqu’au tréfonds par l’offense qui m’était faite, je rétorquai, pour me venger : “Eh bien, monsieur-madame, je ne vous tutoierai jamais.” Mme Zervos prononça alors la phrase qui, chaque fois qu’elle la dira, éteindra en moi fureur et rancoeur : “M’Yvette ! M’Yvette, fais-moi un sourire de printemps !” Amadouée en dépit de moi et n’étant pas boudeuse de nature, je la laissai m’entraîner vers la table où s’étalaient les restes du pique-nique. Quoi, pas de soupe, ce manger qui tient l’estomac au chaud jusqu’au milieu de la nuit ? Pour saisir mécaniquement une olive, j’eus à ouvrir mon poing droit. Le crucifix miniature de Mme Gaby s’était incrusté dans ma paume.
(…)
Picasso ! Picasso ! J’en avais les oreilles rebattues. Le roi, le seigneur, le prophète, le grand prêtre, l’oracle de l’Élite ! Chacune de ses phrases brillaient des feux du rubis le plus rare, chacune des lignes qu’il traçait, des points qu’il posait, des formes qu’il modelait, des couleurs qu’il étalait, créait un univers ou le détruisait ou le renouvelait. Ah, glisser dans la conversation : “Picasso me disait, hier, quand j’étais chez lui…” ; les regards, les gestes, les souffles se figeaient ! Tous se tournaient vers l’élu pour recueillir un peu de la manne divine. Tant de combats sournois pour garder sa faveur ou la lui arracher ! Tant de fidélités voraces autour de ce Pan triom - phant ! Tant de vénérations sincères aussi ! Lui seul, cela allait de soi, avait le pouvoir de sceller, de couronner mon entrée dans le monde exquis et exclusif des arts et des lettres.
Comment allais-je m’habiller ? Quoique la directrice de Schiaparelli m’eût dotée d’un fastueux ensemble en velours noir à col, jabot et poignets de dentelle “à la Lord Fauntleroy, ma chère petite”, accompagné d’une adorable redingote d’un rose shocking adouci de mandarine, qui me transformaient en un Chaperon rouge princier, Yvonne décida que, pour cette fois-ci, ma robe de l’Assis tance ferait l’affaire : soudain elle trouvait sa coupe et sa teinte (un violet demi-deuil piss - eux) touchantes par leur air sobre et vieillot. Quant à la pèlerine, ce signe d’infamie qui poursuit les pupilles de l’Assistance jusque dans leurs rêves, elle avait, semble-t-il, un cachet inouï… Au loin, mon lutin Petite-Soeur pouffa : “J’nous r’voilà pour-renfant !”
Une fureur noire me saisit lorsque Picasso, m’installant sur un tabouret de piano, me tira le portrait, sans me prévenir et en cinq exemplaires : un avec l’esthétique capu chon rabattu sur le haut de mon front, un avec l’esthétique capuchon largement étalé sur mes épaules, puis de face, puis de trois quarts, sans capuchon. Je fulminais. Comment ? ! Un artiste me portraitu rait et je n’avais pas revêtu mes plus beaux atours ? Je poussai un juron à faire rougir un charretier. Remar - quant : “C’est pour elle, je les lui signerai quand elle aura vingt et un ans”, Picasso avait tendu les cinq feuilles à Yvonne qui s’en saisit comme s’il s’agissait de lingots d’or. Puis, il se glissa vers moi d’un mouvement félin, tint mon regard prisonnier du sien, me souffla sur le front comme pour en faire partir une poussière et, d’un ton intime, me jeta ce mot prodigieux : “Assassin !”
Ce qualificatif d’assassin décida sur-le-champ de la couleur personnelle de ma relation avec le grand, l’épous - touflant personnage. Pablo Picasso fut, pour moi, dès la première rencontre, l’homme qui avait mis le doigt sur la lie haineuse accumulée “au fond de mon tréfonds” – donc, par déduction logique quand on a treize ans et des poussières, quelqu’un à qui on ne ment pas.