La production littéraire brésilienne dessine une mosaïque saisissante d’une réalité complexe. Il n’y a pas une littérature brésilienne mais des auteurs singuliers. Les 25 écrivains réunis dans ce recueil ont commencé ou consolidé leur carrière à partir des années 90. Ils représentent le Brésil de l’après-dictature, leurs histoires dressent le portrait de l’imaginaire d’un pays contradictoire et paradoxal, au moment où il émerge sur la scène internationale comme puissance politique et économique, et comme synonyme de corruption et de violence urbaine.
Introduction de Luiz Ruffato
CHICO BUARQUE, On devrait interdire – traduit par Jacques Thiériot
RONALDO CORREIA DE BRITO, Un homme traversant des ponts – Traduit par Emilie Audigier
MILTON HATOUM, Barbara en hiver – Traduit par Michel Riaudel
CRISTOVÃO TEZZA, Béatriz et la vieille dame – Traduit par Sébastien Roy
PAULO LINS, Chronique de deux grandes amours – Traduit par Michel Riaudel
CINTIA MOSCOVICH, Le toit et le violoniste – Traduit par Meei-huey Wang
MARÇAL AQUINO, Sept épitaphes pour une dame blanche – Traduit par Danielle Schramm
BERNARDO CARVALHO, C’est juste une répétition – Traduit par Geneviève Leibrich
BEATRIZ BRACHER, Ce qui n’existe pas – Traduit par Danielle Schramm
LUIZ RUFFATO, Milagres – Traduit par Danielle Schramm
PATRÍCIA MELO, Je t’aime – Traduit par Sébastien Roy
ADRIANA LUNARDI, Conditions du temps – Traduit par Meei-huey Wang
PAULO SCOTT, Amorce vers l’abîme – Traduit par Michel Riaudel
ELIANE BRUM, La parasite – Traduit par Meei-huey Wang
ADRIANA LISBOA, Le succès – Traduit par Geneviève Leibrich
JOSÉ LUIZ PASSOS, Les outsiders – Traduit par Danielle Schramm
MICHEL LAUB, Animaux – traduit par Dominique Nedellec
CAROLA SAAVEDRA, Coexistence – Traduit par Geneviève Leibrich
ROGÉRIO PEREIRA, Mains vides – Traduit par Meei-huey Wang
ANDRÉA DEL FUEGO, Francisco n’a pas conscience – Traduit par Meei-huey Wang
PALOMA VIDAL, Ainsi va la vie – Traduit par Geneviève Leibrich
TATIANA SALEM LEVY, Temps perdu – Traduit par Meei-huey Wang
DANIEL GALERA, Laila – Traduit par Emilie Audigier
LUISA GEISLER, Seul requiem pour tant de souvenirs – Traduit par Michel Riaudel
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"Plumes renommées ou gloires montantes, vingt-cinq auteurs brossent le portrait d’une société plurielle." Lire l'article iciLaure Dubesset-ChâtelainFemme actuelle jeux
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"Des histoires urbaines, très construites, confrontant la modernité à des archaïsmes prégnants." Lire l'article iciFrançois MontpezatDernières nouvelles d'Alsace
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"Dans des registres très différents, de brèves fictions intimes dessinent en creux le portrait dense d'un pays." Lire l'article iciRenaud BaronianLe Parisien Magazine
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L'écrivain Luiz Ruffato évoque les caractéristiques de l'écriture de fiction dans son pays, invité d'honneur du Salon du livre de Paris cette année. Interview à lire ici.Muriel SteinmetzL'Humanité
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"Ces histoires se dévorent d'un trait, se lisent dans l'ordre ou au hasard. Pas une ne vous laisse en plan. Elles reflètent une grande diversité d'auteurs, d'écritures. Récits épiques ou réalistes, fantaisistes ou fantastiques, le Brésil est un continent littéraire à lui tout seul." Lire l'article ici.Marie-José SirachL'Humanité
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"Un brillant aperçu de la littérature brésilienne contemporaine." Lire l'article et l'entretien iciStéphane KoechlinA nous Paris
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"Comme avec l'édition collector d'un DVD, la qualité de ce que l'on voit ici nous rend avides de découvrir les coupures qui ont du être laissées par terre dans la salle de montage. " Lire l'article ici et le dossier sur Luiz Ruffato iciSteven SampsonLa Quinzaine littéraire
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"Indispensable : l'anthologie de nouvelles Brésil 25, publiée par Anne-Marie Métailié, la "mamãe" des écrivains lusophones en France." Lire l'article iciJeanne de MénibusElle
Un endroit situé à la périphérie du monde
Lecteur ce que vous tenez dans vos mains est un recueil de textes de fiction qui tente d’esquisser un panorama de la production littéraire brésilienne contemporaine. Même s’il regroupe des écrivains d’âges très différents (le plus vieux, Chico Buarque a 71 ans, tandis que la plus jeune, Luisa Geissler a, à peine, 24 ans), ce qui les réunit c’est le fait qu’ils ont commencé ou consolidé leur carrière à partir des années 1990. Ils représentent donc le Brésil de l’après- dictature, leurs histoires dressent le portrait de l’imaginaire d’un pays contradictoire et paradoxal, qui émerge sur la scène internationale comme puissance politique et économique, et comme synonyme de corruption, violence urbaine et misère – dans cette périphérie du monde le Paradis et l’Enfer occupent le même lieu.
Pour situer cet espace dans le temps, il est important de s’intéresser à l’histoire récente du Brésil. A la fin des années 1970, la dictature militaire, instaurée en 1964, entre en agonie – en 1978, le gouvernement Geisel (1974-1979) décrète la fin de l’état d’exception et l’année suivante les lois qui instituent l’amnistie politique et le pluripartisme sont approuvées. En 1984, sous le gouvernement Figueiredo ( 1979-1985) le pays tout entier se mobilise dans la campagne pour l’élection directe de la Présidence de la République, mais la proposition n’est pas votée par le Congrès National. Tancredo Neves le candidat de l’opposition, remporte l’élection présidentielle indirecte, mais meurt avant son investiture, le Vice Président José Sarney le remplace, il reste en place entre 1985 et 1990.
Les années 80 sont connues comme la « décenie perdue » : inflation incontrolée, chomage élevé, augmentation de la dette extérieure, déficit fiscal. Le mouvement syndical, reapparu dans les années 70, se renforce et donne naissance à un regroupement politique, le Parti des Travailleurs qui sera fondamental dans les orientations que prendra le pays au cours des deux décenies suivantes. Dans le domaine de la littérature, la crise économique rend le marché du livre presque impraticable (de nombreuses maisons d’édition historiques disparaissent) et entraine la stagnation de la scène culturelle.
Personne n’aurait pu imaginer au début des années 90 qu’elle serait une décenie de transition. Un pays ravagé par les crises institutionnelles (le président Fernando Collor, menaçé « d’empeachment » par les dénonciations de corruptions renonce à sa charge en 1992) et financières (hyperinflation, confiscation) allait devenir un pays démocratique, à l’économie stable, diversifiée et dynamique. Avec le départ de Collor, le vice Président, Itamar Franco prend le pouvoir. Pendant son bref mandat, le Brésil entame une longue période de tranquillité politique et économique engagée sous le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso (1995-2002) et couronnée par les élections de Luiz Ignacio Lula da Silva (2003-2010), un ouvrier issu du syndicalisme, et de Dilma Rousseff, économiste, ex-guerillera, première femme présidente du pays en 2011, réelue pour un nouveau mandat de quatre ans.
Le renforcement de la démocratie et la stabilité de l’économie ont consolidé les fondements du marché du livre, en créant pour la première fois un climat propice à la professionnalisation des écrivains. Lentement les éditeurs se remirent à parier sur les auteurs brésiliens, qui attirèrent à nouveau, quoique timidement, la sympathie du public. Une tendance, venue des années 70, s’imposa alors, l’absence de mouvements, courants ou filiations esthétiques : à chacun son école. Le paysage urbain devient hégémonique et embrasse aujourd’hui la presque totalité des régions du pays, même si Rio de Janeiro et São Paolo s’imposent comme scènes privilégiées. On remarque aussi l’élargissement de l’espace occupé par les femmes dans le champ littéraire.
Bien qu’on constate une tendance à la concentration du marché éditorial dans quelques conglomérats peu nombreux, curieusement le nombre des maisons d’édition commerciales petites et moyennes augmente, et le système d’auto publication et de publication coopératif est stimulé. L’intérêt nouveau pour la littérature semble être lié, d’un côté, à l’augmentation générale du pouvoir d’achat de la population et d’un autre côté, au phénomène internet, qui de par ses caractéristiques intrinsèques, exige de ses usagers un minimum de compétences dans la lecture et l’écriture. Ainsi les blogs, apparus au Brésil à partir de la fin du 20eme siècle, révèlent de nouveaux auteurs qui après une sorte de stage dans le monde virtuel, migrent vers les éditions commerciales. Les blogs et les plateformes des réseaux sociaux sont aussi à l’origine du renouveau du genre de la nouvelle (le récit court est le mieux adapté à l’espace cybernétique) qui génère des sous produits comme le mini conte ou le microconte. De plus l’accès à internet a démocratisé la production et la consommation de l’écrit et provoqué l’apparition en force à la périphérie des grandes villes d’auteurs, en général liés au hip hop, et regroupés dans un mouvement qui se désigne lui-même comme « littérature marginale ».
Cependant, dans la société brésilienne les indices de lecture sont très bas – un Brésilien ne lit, en moyenne, que quatre livres par an, et sur l’ensemble du territoire national, il y a qu’ une librairie pour 63.000 habitants, et elles sont concentrées dans les capitales et les grandes villes. Le système d’enseignement, qui est historiquement l’un des mécanismes les plus efficaces du maintien de l’abîme entre riches et pauvres, est tragique : le Brésil occupe l’un des derniers rangs dans le classement qui évalue le développement scolaire dans le monde. Près de 9% de la population reste analphabète et 20% sont répertoriés comme analphabètes fonctionnels- c’est-à-dire qu’un adulte sur 3 est incapable de lire et d’interpréter les textes les plus simples.
C’est ce pays – la septième économie mondiale – de plages paradisiaques, forêts édéniques, Carnaval, capoeira et football, qui occupe la troisième place parmi les pays les plus inégaux du monde, avec la violence, la prostitution enfantine, le manque de respect des droits de l’homme et le mépris pour la nature ; c’est ce pays immense, beau et complexe, injuste, riche, dur, intransigeant , qui transparait dans les récits que voici…