Publication : 01/01/1985
Pages : 420
Grand Format
ISBN : 2-86374-213-2
Couverture HD
Poche
ISBN : 2-86424-539-6
Couverture HD

Chronique de la maison assassinée

Lucio CARDOSO

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18.29 €
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14 €
Titre original : Cronica da casa assassinada
Langue originale : Portugais
Traduit par : Mario Carelli

En coédition avec Mazarine

Diffusé par Hachette

Nina est passée comme une tempête sur la demeure des Meneses. Pour eux, elle fut d’abord cette femme à la beauté insolite que Valdo ramena un jour de Rio, et qu’il venait d’épouser. La suite, vous la connaissez : passions, meurtre, scandale, inceste...


"Du grand feuilleton tumultueusement philosophique façon Autant en emporte le vent faulknérien."

Libération

"Insolite, patriarcal, scintillant (...), Faulkner et Glauber Rocha ne sont pas loin de ce Dallas amazonien."

Le Nouvel Observateur

  • « Du grand feuilleton tumultueusement philosophique façon Autant en emporte le vent faulknérien. »
    Olivier Rolin
    LIBERATION

1. Journal d'André

Le 18... 19... (... Mon Dieu, qu'est-ce que la mort? Puisqu'elle s'est éloignée de moi, que la terre abritera bientôt sa dépouille mortelle, combien de temps devrai-je refaire en ce monde le chemin de son enseignement, de son admirable leçon d'amour? Chez quelles femmes retrouverai-je tantôt le velours d'un baiser - "c'était ainsi qu'elle m'embrassait" - ou une manière de sourire, ou encore le mouvement d'une mèche rebelle, parmi toutes ces femmes que chacun rencontre au long d'une vie et qui m'aideront à recomposer, dans la douleur et la nostalgie, cette image unique disparue pour toujours? Pour toujours, que signifie ce pour toujours, oh! mon Dieu - dans un écho cruel et grandiloquent, ces mots résonnent dans les couloirs dépeuplés de l'âme - en réalité, ce pour toujours ne signifie rien, il est imperceptible à l'instant où nous l'imaginons, et pourtant c'est notre seul bien, la seule chose définitive dans le pauvre vocabulaire de nos possibilités terrestres...

Qu'est-ce que ce pour toujours sinon l'écoulement continu de l'existence, de ce qui est libéré de toute contingence et qui se transforme, évolue et débouche sans arrêt sur des sensations mouvantes? Un instant encore, juste un instant, mais lui aussi échapperait à mon effort pour le saisir, et je coulerais et passerais et, avec moi, comme des épaves, mon amour, mon tourment et jusqu'à ma fidélité. Oui, qu'est-ce que ce pour toujours sinon la dernière image de ce monde, pas de ce monde-ci exclusivement, mais de tout le monde qui s'apparente à une architecture de rêve et de permanence, la représentation de nos jeux et de nos plaisirs, de nos malaises et de nos peurs, de nos amours et de nos trahisons - en somme, la force qui modèle non pas celui que nous sommes tous les jours mais l'autre, le possible, celui que nous n'atteignons jamais, celui que nous poursuivons comme on suit la trace d'un amour inaccessible et qui en fin de compte n'est que le souvenir d'un bien perdu - quand? - dans un lieu que nous ignorons, mais dont la perte nous brise le cœur et nous pousse, tout entier, dans ce rien ou dans ce tout enflammé, juste ou injuste, où nous nous confondons pour toujours avec le général, l'absolu, le parfait dont nous manquons tant.)

... Toute la journée, j'ai erré dans la maison déserte sans même avoir le courage d'entrer dans le salon. Comme je savais déjà qu'elle ne m'appartenait plus, qu'elle n'était qu'une dépouille, manipulée par des étrangers sans tendresse ni compréhension. Loin de moi, très loin maintenant, ils allaient découvrir ses formes vulnérables - et avec l'empressement des indifférents, ils lui feraient sa dernière toilette, sans imaginer que cette chair avait été vivante et qu'elle avait vibré à la naissance de tant d'amours - qu'elle avait été plus jeune et plus éblouissante que toute autre. Ce n'était assurément pas une mort pour elle; du moins, jamais je n'avais pu l'imaginer ainsi, une mort si réelle et brutale, un arrachement tellement injuste, si violent.

Ah! Pourquoi rappeler ce qu'elle avait été et même ce que nous avions été? L'explication se trouvait là: deux êtres attirés par le gouffre d'une dernière étreinte, soudain interrompue - elle, crispée dans un geste d'agonie, moi, debout, Dieu sait pour combien de temps, le corps vibrant encore au dernier écho de cette communion. Plus rien ne m'attirait, j'errais dans les pièces et les couloirs aussi tristes qu'une scène désertée par l'acteur principal et toute la fatigue des derniers jours envahissait mon esprit, une sensation de vide me dominait, un vide absolu qui remplaçait tout ce qui en nous était élan et vibration. Aveugle, gouverné par une volonté qui ne m'appartenait plus, j'ouvrais les portes, je me penchais aux fenêtres, je traversais les chambres: la maison n'existait plus.

Je le savais et toute consolation m'était indifférente, nulle parole d'affection ou de révolte ne pouvait me toucher. Je n'étais plus que le souvenir de cette période que je venais de vivre. Pourtant, comme si j'étais poussé par une force qui venait de surgir en moi, une ou deux fois je me suis approché du salon où elle gisait, j'ai entrouvert la porte et regardé de loin ce qui se passait. but était d'une banalité répugnante: c'étaient les lieux que j'avais l'habitude de voir depuis mon enfance, mais transfigurés par ce souffle surnaturel, invincible, qui traverse tous les endroits où se trouve un cadavre. Ils avaient transformé en catafalque la table de la salle à manger qui avait servi à tant de repas communs, de réunions et de conseils de famille, et où Nina elle-même avait été si souvent jugée et condamnée. Aux quatre coins, comme il se doit à ces moments-là, quatre bougies disposées en hâte. Des bougies quelconques, oubliées sans doute au fond d'un tiroir. Et dire que c'était le décor de son dernier adieu.

J'ai refermé la porte: je n'arrivais pas à l'imaginer morte. Personne ne semblait plus préservé, plus éloigné de la destruction. Même les derniers jours, quand plus rien ne permettait d'entrevoir un autre dénouement, lorsque dans le silence nous avons compris qu'elle était condamnée, même alors, je ne pouvais la concevoir dans l'état où elle se trouvait maintenant, étendue sur la table, enroulée dans un drap, un cordon retenant ses mains, les yeux fermés, le nez tellement aquilin. (Je me suis souvenu de sa voix: "Mon père disait toujours que j'avais un peu de sang juif...") Personne n'était accroché à ce point au dynamisme de la vie, et son rire, comme sa manière de parler et toute sa présence, était un miracle que nous pensions destiné à survivre à tous les désastres.

Je parle, je parle... mais elle n'est plus là. À quoi bon dire ces choses-là ou y penser? Parfois, la conscience de cette disparition me traverse d'une façon fulgurante: enfin, je la vois morte, et la douleur de l'avoir perdue est si grande qu'elle me coupe le souffle. Pourquoi, pourquoi, mon Dieu? Je m'appuie contre le mur, le sang me monte à la tête, mon cœur bat à un rythme forcené. Quelle est donc cette douleur qui m'accable, ce sentiment de profonde insécurité, d'absence de foi et cette indifférence envers ceux qui m'entourent? Tout cela, pourtant, ne dure qu'une seconde. La force de notre existence commune, le fait qu'elle était vivante, hier encore, que ses mains encore chaudes aient touché mon bras, qu'elle m'ait simplement demandé de fermer la fenêtre, tout cela m'apaise en quelque sorte. Alors je me répète lentement certes, mais déjà sans désespérer, qu'elle est morte - et je sens que je n'y crois plus, qu'une dernière espérance survit en moi. Quelque part, malgré moi, j'imagine qu'à son réveil elle me réclamera encore ses fleurs, ces fleurs qui l'entouraient les derniers temps, non pour la parer ou la consoler, mais comme le masque douloureux et désespéré de sa misère. Tout se calme en moi, le mensonge me redonne vie. Je continue à imaginer que, tout à l'heure, je descendrai les marches de la maison et que j'irai cueillir des violettes sur les parterres les plus éloignés, du côté du Pavillon, au milieu des broussailles; je me vois près du potager, faisant un bouquet dans le creux d'une feuille de mauve parfumée et répétant comme si ces paroles pouvaient abolir la réalité: "Ces fleurs sont pour elle." Une sorte d'hallucination me possède; mais j'entends nettement sa voix blanche, lente qui me supplie:

"Mon chéri, mets les fleurs à la fenêtre." Je la vois enfin, parfaite, dans son triomphe et dans son éternité, debout à mes côtés, les violettes contre sa joue.

Mais je regagne peu à peu le monde qui m'entoure. Pas très loin, probablement dans un coin de la véranda, quelqu'un se plaint de la chaleur en s'épongeant le front. J'essaye de renouveler le sortilège; en vain, la voix n'existe plus. Par la verrière, j'entrevois le soleil sur les parterres. Marchant à tâtons dans un monde que je méconnais, je traverse le couloir et j'atteins le salon où le corps est exposé. Dans mon geste, il y a une faim presque criminelle, je le sais, mais qu'importe. Je me précipite sur le cercueil, indifférent à tous ceux qui m'entourent. Je vois Donana de Lara qui recule scandalisée et ma tante Ana qui me regarde avec dégoût. Deux mains pâles modelées par le silence et l'avarice glissent sur le drap, pour le retendre - sans doute celles de mon oncle Demétrio. Mais ils ne comptent plus. Le seul lien qui nous unissait malgré tout, Nina, n'existe plus; pour moi, maintenant, ils se confondent irrémédiablement avec les choses sans nom et sans utilité. Je dévoile le visage adoré et je m'étonne qu'il conserve une telle sérénité, qu'il m'impose une si grande distance, à moi, son fils idolâtré, qui si souvent ai couvert de baisers et de sanglots ses tempes blanchies par la chaleur, à moi qui ai collé mes lèvres sur ses lèvres serrées, qui ai effleuré la courbe fatiguée de son sein, qui ai couvert de baisers son ventre, ses jambes et ses pieds, qui n'ai vécu que pour sa tendresse. Dans ma chair quelque chose est mort lorsqu'elle a consenti à mourir, à mourir sans moi...

... L'avant-dernière nuit, alors que nous attendions la fin, tout d'un coup elle m'a donné l'impression d'aller mieux et elle m'a permis de l'approcher. Je ne la voyais plus depuis plusieurs jours; capricieuse et d'une mauvaise humeur qui faisait peur au médecin lui-même, elle avait demandé qu'on ne laisse entrer personne; elle voulait mourir seule. Malgré la pénombre de la chambre (elle permettait très rarement que l'on ouvrît les fenêtres), j'ai aperçu de loin sa tête renversée sur des oreillers, ses cheveux en désordre. J'ai eu peur de manquer de forces et de ne pouvoir avancer. Mon front s'est couvert d'une sueur froide. Mais je n'ai pas tardé à la reconnaître, car ses premières paroles ont été, comme toujours, de réprobation:

- Ah! C'est toi, André. C'est imprudent, tu ne sais donc pas que le médecin m'a prescrit le repos le plus absolu?

Et, adoucissant un peu la voix:

- Que cherches-tu dans ma chambre?

Malgré ses paroles, elle savait très bien que tout faux-semblant entre nous était absolument inutile. Ce n'était pas moi qui lui avais demandé d'entrer, c'était elle qui m'avait ordonné d'ouvrir la porte - à quelle impulsion cédait-elle, à quel besoin intime de s'accrocher à la vie extérieure? Elle savait peut-être que depuis des jours et des jours, je n'avais pas quitté le pas de sa porte. Le moindre bruit m'alertait - un rai de lumière, une odeur de médicament, un écho - un rien, et mon cœur se mettait à battre. Alors j'ai baissé la tête et je n'ai pas répondu. J'aurais tout accepté, tout, pour qu'elle me permit de rester un peu plus longtemps à ses côtés. Même si elle s'éteignait, même si son souffle devait peu à peu disparaître, je voulais être présent, sentir son corps vibrer jusqu'à ce que la dernière corde se rompît. Devant mon silence, Nina s'est redressée sur ses oreillers, elle a soupiré et m'a demandé de lui apporter un miroir.

- Je voudrais me refaire un visage, m'a-t-elle dit.

Et j'allais sortir lorsqu'elle m'a rappelé. Cette fois-ci, sa voix était différente, presque caressante, très semblable à celle d'autrefois. Je me suis retourné et elle m'a demandé également un peigne, un flacon de lotion, de la poudre de riz. Elle a dit cela sur un ton de plaisanterie mais je ne m'y suis pas trompé et j'ai compris l'agitation sourde et amère qui la travaillait. J'ai couru à la recherche de ses objets et suis revenu m'asseoir à ses côtés, je voulais examiner, jusqu'en ces derniers replis, quelle joie pouvait encore l'animer. Elle a pris d'abord le miroir et, tout doucement, comme si elle voulait éviter un choc, elle a cherché à voir l'image qui s'y réfléchissait, elle s'est regardée pendant un moment, elle a soupiré et haussé les épaules comme pour dire: "Quelle importance! Un jour ou l'autre, il faudra bien que je me résigne à ne plus être belle." Ah! C'était vrai qu'elle était loin de ce qu'elle avait été, mais pourtant il y avait encore en elle la même force secrète d'attraction qui m'avait autrefois captivé. Ce simple geste, ce haussement d'épaules m'ont néanmoins prouvé que l'idée de la mort était plus éloignée d'elle qu'il ne semblait. Cette impression s'est encore accentuée quand, en s'appuyant un peu sur mon bras, elle m'a demandé sur un ton qui se voulait confidentiel mais marqué par une angoisse réservée:

- Dis-moi, André... sait-il que je suis dans cet état, au seuil de la mort? Sait-il que c'est la fin?

Elle me regardait pour me défier et tout son être m'interrogeait anxieusement. "Ne vois-tu pas combien je souffre en vain? Tu peux me dire la vérité, je sais que je ne suis pas en train de mourir, que mon heure n'est pas encore venue." J'ai oublié ce que j'ai répondu (ce il, mon père, ne comptait pas!), je suis retourné à son chevet; je savais que son heure avait sonné, qu'elle ne se relèverait plus de ce lit d'agonie. Nina a compris ce qui se passait en moi et, posant la main sur mon bras, elle a fait un effort pour rire:

- Ah! André, je vais te raconter quelque chose: je me sens bien, je suis presque en forme, je ne souffre plus... Ce n'est pas encore cette fois que vous vous débarrasserez de moi.

J'ai senti son haleine tiède, maladive:

- Je pense déjà à ce qu'il va me dire, quand il me verra debout...

J'en étais presque à croire que sa fabuleuse énergie avait finalement vaincu la mort qui s'insinuait dans sa chair. Appuyée sur les oreillers - elle en réclamait toujours de nouveaux, de coton frais et léger -, le buste légèrement incliné, elle démêlait ses cheveux tandis que je tenais le miroir devant elle. Un feu divin, une présence merveilleuse semblait se réveiller dans ses entrailles.

- Le bon temps reviendra, n'est-ce pas, André? a-t-elle dit tout en peignant ses cheveux raidis par la fièvre. Et tu verras que ce sera aussi bon qu'au début. Je ne peux pas oublier...

(Ce bon temps, comme je voulais m'en délivrer! Pour elle, le temps allait s'arrêter, mais, pauvre de moi, je resterais, et qui donc allait me tenir compagnie durant cet interminable voyage?) Devant mon silence, elle a tourné la tête, m'a fait un clin d'œil pour bien souligner qu'elle conservait le souvenir de ces jours

que j'essayais en vain d'ensevelir dans l'oubli. Et, étrangement, malgré ce mouvement de vivacité, malgré son air qui se voulait enjoué et jeune, il y avait sur son visage quelque chose de pétrifié qui donnait à ce clin d'œil un air de grimace mélancolique.

- Oui, maman, ai-je balbutié en me penchant vers elle.

Elle m'a jeté un regard où brillait encore un peu de sa colère.

- Maman! Tu ne m'as jamais appelée maman... qu'est-ce que c'est que ça, maintenant?

Et moi, bouche bée, incapable d'empêcher le miroir de trembler dans mes mains:

- Oui, Nina, le bon temps reviendra.

Elle a continué à se peigner en s'efforçant de démêler les nœuds, et, de toute sa personne, seule sa chevelure auréolant sa physionomie exsangue semblait encore vivante: un nouveau printemps, mystérieux et transfiguré, commençait à couler dans ses veines.

- Je ne t'ennuierai plus, André, et tu n'auras plus à m'attendre sur le banc du jardin. Soudain, comme si elle cédait à l'impulsion de la scène évoquée, sa voix s'est adoucie avec une mélancolie enfantine où l'on sentait palpiter toute la force de son âme de femme amoureuse. Plus jamais je ne me cacherai comme je l'ai fait un jour, t'en souviens-tu? Plus jamais je ne repartirai seule.

Les larmes, les paysages, les sentiments passés, que valait tout cela maintenant? À mes yeux, elle se dissolvait comme l'écume. Ce n'était ni la trahison ni le mensonge ni même l'oubli qui la faisaient sombrer sans me pousser à son secours, mais la fureur de ce qui avait existé et qui était si cruellement évoqué.

- Pour l'amour de Dieu! me suis-je exclamé.

Alors, toute vibrante, elle m'a dévisagé comme si elle venait de se réveiller. Et brusquement ses yeux se sont assombris.

- Tu ne comprends pas que tu es bête!

Et ses mains cherchaient les miennes, sur le lit, un témoignage oublié, un souvenir de la vie? Je l'ai vue s'incliner et j'ai deviné ses seins amaigris sous sa robe de chambre. Elle a intercepté mon regard et rajusté son peignoir, dans un mouvement de pudeur pour cacher non pas sa nudité mais sa déchéance. Je tournai la tête, en essayant de ne pas montrer mes larmes. Elle qui avait eu un si beau corps. Poussée par une impulsion diabolique, elle s'est à nouveau dénudée brutalement, en me secouant:

- Bêta, pourquoi le bon vieux temps ne reviendrait-il pas? Crois-tu que tout s'achève ainsi? Non, ce n'est pas possible. Je ne suis pas si laide que ça, je n'ai pas tout perdu, regarde... et elle me tirait pendant que je me détournais. Tu peux voir que tout n'est pas encore fini. Si Dieu le veut, nous irons dans une grande ville, où nous pourrons vivre sans que personne fasse attention à nous. (Croyait-elle à ce qu'elle disait? Ses mains ont relâché mon bras, le ton de sa voix s'est altéré.) Ah! André, comme tout passe vite.

Elle s'est tue et j'ai vu qu'elle avait du mal à respirer. Elle semblait moins abattue par notre langage que par le faux paradis qu'il évoquait. Et déjà son visage perdait ses couleurs trompeuses. J'ai cherché à l'encourager en lui disant:

- Nina, tu as raison. Nous irons dans une grande ville, à Rio de Janeiro, par exemple, où personne ne nous dérangera.

Et je me suis dit que je ne pouvais la haïr, que c'était au-dessus de mes forces. Que j'aie été conçu par Dieu ou le diable, ma passion s'élevait au-dessus des contingences terrestres. Je ne connaissais rien d'autre que la sensation de son corps haletant dans mes bras, et il combattait la mort aussi fort qu'il vibrait autrefois aux heures de l'amour. J'étais persuadé que rien ne pouvait plus le sauver, que la partie était perdue. Amour, voyages, que signifiaient encore ces paroles? Notre destin était irrévocable. La solution ne dépendait déjà plus de notre volonté, ni de nos bonnes ou mauvaises actions; la paix, à laquelle nous avions si longtemps aspiré, serait dorénavant un état de renoncement et de deuil.

Lucio CARDOSO

Bibliographie