Publication : 21/01/2010
Pages : 192
Poche
ISBN : 978-2-86424-740-1
Couverture HD

Country blues

Claude BATHANY

ACHETER POCHE
8 €

Dans une ferme isolée des monts d'Arrée où la musique a longtemps tout imprégné ne survivent plus que les enfants Argol : Dany, play-boy rivé à ses vaches, Cécile, lesbienne passionnée d'armes, Jean-Bruno, boxeur agoraphobe, et Lucas, marionnettiste schizophrène – ainsi que leur mère, atteinte de la maladie d'Alzheimer.
Arrive Flora, une jeune et mystérieuse zonarde.
À travers elle, c'est tout le passé d‘une autre famille qui soudain resurgit, où se trouvent entremêlés les agissements d'un serial killer, la passion malheureuse d'une alcoolique, les déboires conjugaux d'un garagiste et les basses œuvres d'un ancien flic.
Au-dessus d’eux oscille l'ombre d'un chanteur honni de tous.
Humour noir, écriture mordante et intrigue au cordeau irriguent ce polar à plusieurs voix dont l'univers grotesque et déjanté nous plonge dans un blues rural dynamitant avec férocité le genre, par l'auteur de Last Exit to Brest.

  • Avec une gouaille et un humour dignes d’un Audiard, l’auteur nous régale de ces ambiances pluvieuses et iodées propres au pays armoricain, et nous offre un roman noir "régional" très maîtrisé et savoureux !
    Caroline Avon
    Librairie Payot (Genève Chantepoulet (Suisse))
  • , interview à 12h le jeudi 18 novembre 2010
    FRANCE 3 BRETAGNE

  • « Un beau texte très noir, des personnages étranges et attachants. »
    LAMERPOURHORIZON.NET

  • « Déjà remarqué à l’occasion de la parution de Last Exit to Brest, Claude Bathany confirme son talent avec ce Country Blues, un roman noir de belle qualité qui, espérons-le, en appellera d’autres. »

    Hoel Maleuvre
    HANNIBAL LE LECTEUR

  • « Humour noir, écriture mordante et intrigue au cordeau irriguent ce polar à plusieurs voix dont l’univers grotesque et déjanté nous plonge dans un blues rural dynamitant avec férocité le genre, par l’auteur de Last Exit to Brest. »

    Bernard Strainchamps
    BIBLIOSURF.COM

  • « Deuxième roman de Claude Bathany qui, on l’a vu, refuse le récit linéaire et joue avec la construction du récit ; ce qu’il fait dans Country Blues avec talent, tout en maîtrisant encore mieux son écriture. Un auteur à suivre, répétons-le. »

    Etienne Borgers
    POLAR NOIR
  • "[...] on se laisse séduire par cet univers original, bien barré et délicieusement amoral."
    Nadine Monfils
    FOCUSVIF
  • « Plume alerte, humour vachard et sens du grotesque sont les qualités premières d’un polar riche en péripéties pittoresques. »

    Roger Gaillard
    LE TEMPS
  • « D’une plume trempée dans l’acide et sous perfusion constante d’humour noir, Bathany livre ici une petite perle de polar. »
    Nicolas Fanuel
    ENCRE NOIRE
  • "Attention à qui on va offrir ce livre mais à lire absolument. Un auteur ! Un vrai !"
    LA TRIBUNE DE VIENNE ET DE L'ISERE
  • Paul Maugendre
  • "Une construction impeccable, qui donne successivement la parole aux différents acteurs du drame, présent et passé ; une intrigue qui se met en place, petit à petit ; une galerie de personnages époustouflante ; une ambiance glauque et boueuse à souhait… On sent la folie, l’ennui, la crasse, l’isolement, les rancœurs. Tout est palpable. [...] Alors, si vous ne craignez pas le noir, chaussez vos bottes, et allez vous vautrer dans la fange de Country Blues."
    Jean-Marc Laherrère
    LA TETE EN NOIR
  • « Claude Bathany fait progresser à son rythme une intrigue captivante. Avec son stylo en guise de caméra, il va explorer les recoins les moins reluisants de l’âme humaine, quitte parfois à y trouver un diamant brut. »

    François Estrada
    L’ECHO
  • "Nulle vérité rédemptrice dans ce roman où les voix se répondent pour mieux se contredire. Un fumet faulknérien."
    Lionel Germain
    SUD OUEST
  • "Ce roman policier hors normes, dérangeant, loin des sentiers battus ne vous décevra pas si vous êtes lassé par le politiquement correct."
    Michel Litout
    CENTRE PRESSE
  • « Un parti pris qui sonne juste, comme ses personnages qu’il fait parler successivement, passant d’une personnalité à l’autre dans une belle fluidité. »

    Karin Soulard
    OUEST FRANCE
  • « Humour noir, écriture et intrigue au cordeau irriguent ce western polyphonique, aussi tortueux que les eaux troubles de la Vologne charriant haines familiales et existences bâclées. »

    Yves Gitton
    X ROADS
  • « Un polar en milieu rural complètement déjanté dans une famille barjot, entre zonarde et ancien gendarme, sur fond de blues campagnard aux notes saignantes. »

    Yonnel Liegeois
    NVO

UNAN

DANY ARGOL

La première fois que j’ai aperçu Flora, elle était sur le ring de la grange et venait de mettre au tapis, à la fin du troisième round, ma frangine, une adversaire pourtant plus traîtresse et vicieuse qu’elle. Qu’une nana pas du tout hommasse comme ma sœur mais gracieuse, féminine, joliment filiforme, puisse pratiquer la boxe et s’y adonner avec autant de ferveur et de ténacité qu’un mec, honnêtement et pour le dire avec simplicité, ça me chauffait comme c’était pas humain. Je me suis fait le pari que cette fille, elle allait sous peu atterrir dans mon pieu ou je m’appelais pas Dany. Là, sous la lumière grêleuse dominant le carré de cordes, sur ce plateau surélevé où se réfugiait en plein été la volaille, elle était parvenue, malgré son protège-dents et son casque, à gravement m’accrocher. Je n’avais vu que le dernier assaut qui se bornait à trois déplacements rapides et décisifs mais cette poignée de secondes pendant laquelle les ahanements de Flora ressemblaient à des gémissements de plaisir avait suffi : j’étais harponné. C’était peut-être aussi son jeu de jambes très volontaire, son énergie sèche, l’art qu’elle avait de se placer en avant pour mieux esquiver qui avaient instillé chez moi ce tempo débridé du palpitant, je n’en sais rien. Ce dont je suis sûr, c’est qu’avec ma manie de me projeter dans un avenir débordant de félicités rurales, je nous voyais déjà, elle et moi, dans le hangar ou carrément sur la paillasse que j’ai installée dans le grenier au-dessus d’une des dépendances, mêlant étroitement et sans discontinuer nos fluides. Avec ma gueule d’amour – certains disent : ma tête à claques – je ne doutais pas un instant de mes chances pour peu que je sache m’entremettre en trouvant le bon angle et la bonne excuse. De fait, ça ne m’était pas trop difficile, j’étais sans doute le seul mec à peu près potable de la région et – ça, toutes mes ex vous le diront – un baiseur d’enfer.
C’est Lucas, mon crétin de frangin, qui m’avait informé, par l’intermédiaire de sa marionnette Olive, de la présence de Flora chez nous. Il me l’avait annoncée dans la cour, de sa voix de ventriloque un peu infantile, paupières battantes et bouche mi-close, en m’invitant à aller assister au combat. J’avais hésité. Je ne voulais pas me mettre en retard avec la traite : on était samedi et il n’était pas question que je fasse de vieux os dans les parages. Une fois que j’en aurais fini avec les bêtes, j’avais encore à m’occuper de maman, l’enfermer pour la nuit, puis me faire propre pour un petit rencard perso. Mais Lucas – enfin pas directement lui mais sa marionnette Olive – m’avait précisé que cette fille était descendue à l’Argoat. Ça m’avait franchement surpris et, imaginant mal que Cécile puisse tenter sa chance avec une cliente de là-bas, j’avais porté mes pas vers la grange. J’étais curieux d’observer comment cette Flora allait s’en sortir. Soit elle était du même genre – et faut pas se voiler la face, en général, elles se reconnaissent –, soit il s’agissait d’une innocente hermine piégée dans les tourbières et ne sachant comment se dépêtrer des avances musclées de ma frangine.
Je suis entré dans le bâtiment avec un air sarcastique bien calibré pour rendre Cécile furax : depuis toujours elle ne supporte pas mon don pour déchiffrer ses ruses. Quand j’ai vu Flora, mon rictus s’est converti en fascination de puceau. Par rapport à ce à quoi je m’attendais, il y avait comme un sacré puisard. Déjà, tout de suite, j’ai pigé que ma sœur ne s’était pas allongée sur le ring exprès, comme je l’avais parfois vue faire pour censément séduire. Elle avait été battue à la loyale par une nana techniquement plus forte qu’elle. Elle était même cruellement ébranlée, la frangine, et prête à fondre sous le charme d’une fille qu’elle sentait à sa hauteur : chez Cécile, séduction et confrontation physique tintinnabulaient de concert. Tout à côté, Jean-Bruno, mon frère aîné, avec cet air buté qu’il a tout le temps et cette façon toute personnelle de se soustraire au monde, placidement lui délaçait les gants. Je le sentais vaguement surpris par l’issue du combat et, même si ça se voyait moins, ému aussi par la nouvelle. Il avait accepté, visiblement à contrecœur, d’arbitrer la rencontre pour rendre service à Cécile mais aurait préféré comme d’hab rester dans l’ombre. Flora, longiligne, droite, le visage soyeux et dur à ce moment-là, ne marchait dans aucune des combines affectives de ma chère fratrie. J’observais son justaucorps plein de sueur, sa poitrine petite et ferme se soulevant au rythme de sa respiration, d’une sensualité qu’on aurait dit à fleur de sel et de peau. Un pansement apparemment récent au bras, elle attendait qu’on lui libère les mains. Elle m’a vu et son regard a glissé sur moi comme si je n’étais qu’une bouse desséchée par un soleil automnal. J’ai sorti une clope afin de lever le malentendu. En entendant grésiller la pierre à briquet, Cécile, qui voyait venir le danger et ne guettait qu’un prétexte pour me renvoyer dans les cordes, s’est mise à gueuler.
– Dany, t’es pas malade, tu veux nous foutre le feu à la grange !
Tout ça à cause d’un peu de fourrage séché entre la voiturette de Lucas et ma mob : manifestement, je perturbais le jeu de l’amour et du hasard. Et c’est là que Flora a lancé d’une voix grave, comme si l’avertissement de ma pauvre sœur ne valait pas plus qu’une noix de beurre rance.
– J’en grillerais bien une aussi.
Les yeux de Flora se sont mis à flamboyer – un feu braisé – et je suis sûr que cette braise était le reflet de mon image dans sa ligne de mire. J’ai levé vers elle ma petite gueule de play-boy rural, esquissant le sourire colle-meuf dont j’ai le secret, celui du beau gosse nourri au grain, et je crois qu’il n’a pas fallu plus d’une seconde pour que l’avenir, tel que je me l’étais figuré plus tôt, soit déjà écrit. J’ai fixé ma sœur. J’ai lu un tel désarroi sur son visage que je l’ai prise en pitié. Elle avait exactement fait ce qu’il ne fallait pas pour attirer l’attention de Flora sur moi. Maintenant, elle allait l’avoir mauvaise. Pourtant, la plupart du temps, pour souffler une fille à Cécile, je n’avais même pas à lever le petit doigt. Souvent, pour être fair-play et lui laisser une chance, je faisais le gars pas intéressé. Eh bien, c’est là que ça marchait le mieux. L’idéal pour Cécile aurait été que je me la joue péquenot bien lourdingue mais à quoi bon, ma sœur, qui avait sur ces questions le raffinement d’une lauréate de comice agricole, n’aurait pas pigé que je travaillais à son bonheur. Je l’ai vue, ultime tentative de combat, pointer vers l’avant ses nibards – sa valeur ajoutée – mais pour le reste, c’était à se demander si les fées armoricaines qui s’étaient penchées sur son berceau ne s’étaient pas un chouïa plantées : une silhouette un peu mastoc et approximative allant s’aggravant vers le bas comme si la gravité terrestre, à gros renfort granitique, avait imprudemment participé au modelage.
Répondant à la demande, je me suis approché tout près du ring et j’ai allumé une clope que j’ai passée à Jean-Bruno qui l’a placée entre les lèvres de Flora encore gantée. Et
là, j’ai fait un geste que je crois magnifique, de la belle ouvrage : j’ai tourné le dos à tout le monde et je suis sorti de la grange sans dire un mot. À partir de ce moment, c’était ferré : pour Flora, je devenais du silence et du mystère. Dehors, je suis tombé sur Lucas qui, avec sa marionnette Olive, était exactement à l’endroit où je m’attendais qu’il soit, c’est-à-dire sur les bûches adossées au mur de la grange. Je n’ai rien dit, jugeant que le frangin avait droit, lui aussi, à une petite ébauche de vie sexuelle, aussi misérable soit-elle. Il ne m’a pas vu. Il y avait là un petit œilleton presque naturel – un nœud de chêne qui avait pourri et était tombé – dans l’une des planches du mur de l’annexe, offrant une vue plongeante sur le vestiaire et la pompe qui sert de douche. Lucas voulait se rincer les mires et, s’il avait de la chance, observer les agissements de Cécile sur la nouvelle. À ce que je pouvais en juger, pour ma frangine, il y avait peu d’espoir mais qu’importe, l’initiative de Lucas me rassurait car sinon, la plupart du temps, il se masturbait sur sa marionnette Olive et, des fois, ça se voyait un peu : des traces cartographiées, blanches et sèches sur les vêtements de la figurine. Mais le crétinos, on ne pouvait pas non plus lui en vouloir, j’étais quasiment le seul à me faire du souci pour lui. Je le laissais parfois s’occuper de quelques vaches réformées avant leur départ vers l’abattoir et j’avais tout mis en œuvre pour qu’il puisse avoir l’impression de gérer le poulailler. À part conduire sa voiturette customisée sur les routes de campagne en klaxonnant pour effrayer les étourneaux, ses compétences se bornaient à faire babiller sa figurine : déjà, c’était énorme.
À l’étable j’ai mené les premières bêtes dans la petite salle de traite que j’ai aménagée moi-même au fond. Je voulais tout expédier rapidos, j’ai allumé la pompe à vide et, après avoir lavé puis excité les trayons de la première bête, j’ai ajusté les manchons de la griffe. Et c’était parti pour un tour. J’avais tout nettoyé le matin et même la fosse et le quai étaient nickel. Je suis vigilant sur l’hygiène, contrairement à Jean-Bruno, et on a souvent des mots à cause de ça. Un jour que je n’étais pas là, il a laissé Lucas le remplacer : une cata. J’ai eu des mammites chez plusieurs vaches. Ç’aurait pu être pire et la coopérative aurait même pu nous refuser notre collecte. C’est qu’ils tiennent à leur qualification. La traite, je l’ai expédiée en moins d’une heure puis je suis allé voir une des génisses qui devait vêler dans les jours prochains. Ça se présentait assez bien. J’ai réparti un peu de fourrage et revu les rations azotées à la hausse.

Claude Bathany est né en 1962 à Brest et vit actuellement à Rennes. Il est gestionnaire administratif au sein du ministère de l’Intérieur. Il est l’auteur des romans Last exit to Brest (Métailié, 2007) et Country blues (Métailié, 2010) ainsi que du recueil de nouvelles Les Âmes déglinguées. Il a aussi écrit pour le théâtre et la jeunesse.

Bibliographie