Certains secrets devraient rester enterrés à tout jamais, se dit Murray Watson, enfoncé jusqu’aux genoux dans la boue du cimetière de Lismore, au nord de l’Écosse, en compagnie d’une femme qui avait toujours refusé de lui parler. Mais pourquoi s’est-il obstiné à chercher la vérité sur ce poète mort noyé à vingt-cinq ans et à peu près inconnu ? Peut-être parce que la vie d’un enseignant à l’Université de Glasgow manque de piment ? Pourtant il avait des relations clandestines et un peu perverses avec la jeune femme de son directeur de thèse, justement un ami d'Archie Lunan, son poète. Pourquoi a-t-il fallu qu’il s’acharne à vouloir dévoiler la vie de ce groupe d’étudiants des années 70, tous
devenus des universitaires respectables et ennuyeux ? Est-ce tellement étonnant qu’ils aient été hippies et qu’ils aient, c’était l’époque, goûté à toutes les substances ?
Mais la vraie recherche n’est-elle pas avant tout celle de la littérature ? On retrouve ici tout ce qui fait la marque de fabrique de Louise Welsh : de l’esprit, de l’intelligence, et un charme tout à fait gothique. Les vies de Murray et d’Archie s’entremêlent dans un thriller palpitant et très maîtrisé.
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« Quelle étrange lecture ! Un début vraiment lent, comme le rythme de vie de Murray, et j'avoue m'être demandé si j'irais jusqu'au bout. Mais la magie de l'écriture de Louise Welsh a opéré et a fait grimpé mon intérêt au fil des pages : même si le rythme de l'histoire reste calme, le roman se transforme en vrai polar ou le personnage principal mène une enquête digne d'un détective privé, pleine de rebondissements, de découvertes, de secrets révélés qu'il aurait été préférable de laisser enfermés. Tout cela dans un décor gris et pluvieux où Murray Watson, tout en cherchant la vérité sur son poète favori, va devoir réfléchir à sa vie personnelle, à son travail et à ce qu'il souhaite devenir. »
Catherine DemontpionLibrairie Pages d’écriture (SAINT-YRIEIX LA PERCHE)
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« Un thriller palpitant et très maîtrisé. »ADDICTION-LE MAG
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« Louise Welsh tient les rênes d’une enquête littéraire parfaitement menée. »LIVRES HEBDO
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Murray Watson fendit le scotch du carton qui se trouvait devant lui et se mit à fouiller dans les vestiges d’une vie. Il prit une poignée de papiers et les étala soigneusement sur le bureau. Des pages de papier ministre, du papier à lettres bleu, des feuilles arrachées à des cahiers d’écolier, du papier à en-tête à l’adresse d’un hôtel londonien. Certaines pages étaient couvertes d’une écriture serrée, comme les lettres d’un détenu à sa famille. D’autres étaient vierges en dehors de quelques mots ou morceaux de phrases.
James Laing sortit de chez lui par une journée ordinaire.
Rien n’aurait pu préparer James à la…
James Laing était un homme ordinaire qui habitait une…
La créature dévisageait James de son effroyable œil unique de poisson. Sa paupière cligna.
Murray rit, un aboiement soudain dans la pièce vide. Merde, il avait intérêt à trouver quelque chose de plus intéressant ou il était dans le pétrin. Il plongea la main dans le tas et en tira une feuille au hasard. C’était une image, un dessin naïf tracé au feutre vert représentant une femme avec une robe triangulaire en guise de corps. Ses bras étaient de longs traits sinueux. Ils montaient dans un ciel parsemé d’étoiles aux angles aigus ; le coin gauche était présidé par un croissant de lune fumant la pipe, le droit par un soleil affichant un large sourire. Pas de signature. Ça ne valait pas un clou, le genre de gribouillis qui méritait d’être froissé et jeté à la poubelle. Mais s’il avait été délibérément conservé, c’est qu’il s’agissait d’un instant, d’un indice éclairant une vie.
Il plongea à nouveau la main dans le carton et en tira une autre liasse de papiers, à la recherche de carnets, de quelque chose de substantiel, refusant de garder le meilleur pour la fin, même s’il avait le temps de se montrer patient.
Des pages de chiffres et de soustractions, de l’argent dû, des échéances de loyers, des sommes promises. Quelques cartes de tarot: le Fou, en équilibre désinvolte au bord d’un précipice, la Mort, triomphante sur son cheval, son crâne souriant derrière sa visière, la Lune, une beauté pâle vêtue de blanc qui tenait un chien à deux têtes au bout d’une laisse argentée. Une serviette prise dans un café, où était imprimé Aida’s en rose sur fond blanc, une tache discrète sur le bord – un café mousseux servi dans une tasse en verre. Une coupure de presse où l’on voyait un homme souriant mais sérieux passer un peigne dans ses cheveux coiffés avec une raie sur le côté, le même homme, chauve comme une boule de billard et pitoyable à gauche de son double ébouriffé. La chute de vos cheveux vous préoccupe ? La solution à la calvitie avait été coupée en deux avec insouciance et de l’autre côté on voyait l’annonce d’un événement à Grassmarket. Pas de photo, seulement les noms, la date et l’heure. Archie Lunan, Bobby Robb et Christie Graves, 19h30, dimanche 25 septembre au Last Drop.
Murray tomba ensuite sur une pépite, un vieux carnet d’adresses en velours côtelé rouge retenu par un élastique flétri et couvert de lignes d’écriture. Il aurait préféré un journal intime, mais Archie n’était pas du genre à en tenir un. Murray ouvrit le carnet et le feuilleta. Initiales, surnoms, prénoms ou noms de famille, personne n’avait droit aux deux. Murray s’assit sur la chaise, en quête d’une date susceptible de l’aider.
Danny
Denny
Bobby Boy
Ruby !
J’ai cru te voir marcher sur la plage
Des listes de prénoms avec parfois un bout de phrase griffonné en dessous. Il n’y avait aucune tentative de classe-ment par ordre alphabétique. Murray commençait déjà à entrevoir des images, une vie ravagée, mais celle-ci avait été plus prolifique que la plupart des hommes qui se présentaient invariablement sobres à leur bureau à neuf heures du matin.
Ramie
Moon
Jessa***
Diane la chasseresse, Perséphone cachée, les noms peuvent être en soi une bénédiction ou une malédiction.
Murray aurait aimé tomber sur des photos. Il en avait déjà vu quelques-unes, bien sûr. Le gros plan orangé d’Archie où il était maigre et échevelé, évoquant vaguement un Jésus à l’esprit dérangé, les poings serrés contre ses joues de façon menaçante, comme s’il s’apprêtait à s’arracher la peau du visage. Très artistique et tout en ombres. Les autres instantanés venaient d’un article du Glasgow Herald sur le groupe du professeur James, que Murray était parvenu à sortir des archives du journal. Archie toujours dans le fond figé en plein rire, les yeux plissés levés vers le ciel ; Archie une main en coupe autour d’une cigarette, le vent rabattant sa frange sur ses yeux. Ce serait bien d’en avoir une de lui enfant, quand ses traits étaient encore délicats.
Murray se releva. Il courait le risque de tomber dans le piège de l’amateur, à chercher ce qu’il souhaitait trouver plutôt que ce qu’il y avait. Il n’avait pas beaucoup dormi la nuit précédente. Son esprit s’était mis à tourner en boucle comme cela lui arrivait parfois, les informations rebondissant dans sa tête à la manière des lignes folles de son économiseur d’écran. Il s’était préparé une tasse de thé à l’aube et l’avait bue devant l’étagère repliable qui lui servait de table dans la cuisine en long de son petit appartement, tentant de se vider l’esprit et de ne penser à rien d’autre qu’à la tasse blanche unie qu’il serrait entre ses mains.
Il allait diviser le contenu de la boîte en trois tas – intéres-sant, possible et rebut – classant au fur et à mesure. Une fois ceci fait, il pourrait se perdre dans les détails, saisir le petit rien susceptible de débrouiller le fil emmêlé de la vie d’Archie.
Murray avait souvent manipulé des originaux. Des docu-ments précieux qu’on vous confiait en échange de votre signature et qu’il fallait consulter avec des gants pour les protéger des graisses et des acides cachés dans les sillons de vos doigts, mais il n’avait jamais été le premier à arriver sur la scène, l’explorateur qui ouvre le mur accédant au tombeau. Il prit une lettre non envoyée dans le carton, stylo à bille noir sur papier blanc.