Publication : 14/02/2002
Pages : 126
Poche
ISBN : 2-86424-417-9

La Mer détraquée

Maurizio BRAUCCI

ACHETER POCHE
7.5 €
Titre original : Il Mare guasto
Langue originale : Italien
Traduit par : Catherine Siné
Prix
  • Prix Arte Mare - 2002

Raffaele et Sergio, deux garçons du Quartiere Santo, au coeur de Naples, ont des destins parallèles. L’un, ébéniste héroïnomane, a trouvé, contre l’horreur quotidienne, un refuge secret au bord du téléphérique. L’autre, étoile montante de son clan, participe à une rencontre entre boss de la camorra, que les vrais chefs et les flics pourris manipulent. Les trajectoires de Raffaele et de Sergio vont croiser celles des personnages colorés du peuple des rues, jusqu’au dénouement, absurde et sanglant, face à la mer détraquée qui baigne le plus beau golfe du monde.

Par son écriture argotique et baroque, Maurizio Braucci donne à cette trame de farts l’ampleur d’une tragédie baignée par la lumière de la Grande Grèce.

  • « Premier roman d'un auteur né en 1966 et qui reconstitue sans sombrer dans le régionalisme le cadre napolitain dans un style constamment surprenant et avec un sens consommé de l'image. »
    LE MONDE DES LIVRES

Heureux les pauvres d'esprit car le royaume des cieux est à eux

C'est la même histoire, que cette planète soit une boule de métal suspendue face au soleil, qui se chauffe à blanc peu à peu pour devenir soleil elle aussi en un battement de cil, en un instant seulement, et que nous nous évaporions tous puis nous condensions jusqu'à ne plus avoir d'endroit où retourner et nous dispersions alors dans l'univers comme un voile de brume parmi les nébuleuses.

Mais sur la terre, pendant ce temps, se passe notre histoire, un frémissement de papillon. Le temps est une fièvre distillée sur nos jours, caravan petrol noire qui avance et nous suit mais, comme tout est rond, si nous accélérons nous trouvons devant nous la même caravane sombre, qui nous attend sur les sables auxquels s'est réduit chaque espace dont l'homme puissant avait auparavant dit: " C'est à moi! Rien qu'à moi ! ".

Donc, ce jour-là, dans le Quartiere Santo, l'air parlait du printemps, un tas de gens dans la rue vaquaient aux affaires de la vie et l'un d'eux, Rodrigo, un gros jeune homme à peau brune, était assis dans une Fiat 127 obsolète dans l'attente de clients pour sa cocaïne de piètre qualité, le regard fixe pour saisir l'allure suspecte d'un assoiffé ou d'un flic. Il pensait qu'il voulait peut-être profiter un peu de la mer, avant la saison, et y amener sa compagne Celeste et la petite, laisser quelque temps la rue à un garçon qui de toute façon rapporterait, mais il devait peut-être attendre le bon mois, mettre de côté et ne pas donner trop souvent, pour se payer une baraque où se vautrer et manger après la plage, Scauri Minturno Agropoli Ischia Calabre, une belle saison.

Il portait un survêtement Fila, bleu et rouge, et par bonheur même pas un revolver, inutile ici, dans le quartier de Celeste, où entre autres accords, il avait le droit de vendre de la coke, s'étant engagé à l'acheter à un ex-chef de bande et à donner quelque chose à deux veuves de la camorra, des cadeaux de temps en temps, qui le faisaient bien voir des juges silencieux du coin, les capitaines des décisions mortelles, ce qui fait qu'il pouvait le faire même si ce n'était pas son quartier et qu'il venait de la Salvezza. Il alluma une cigarette et vit dans le rétroviseur Celeste qui descendait avec la petite dans les bras, il sortit de voiture pour aller à leur rencontre.

- Où vas-tu ? lui demanda-t-il.

- Te voir, répondit Celeste.

- Alors tu pouvais rester à la maison!

Et il lui tendit la Marlboro allumée sur laquelle la fille tira en déplaçant la petite dans ses bras. Elle aussi était brune, avec des cheveux longs, des lèvres roses éthyliques et des yeux qui étaient son nom, profonds et féroces.

- Je veux de l'argent, lui dit-elle. Demain, c'est l'anniversaire de ma nièce Martina et j'ai vu un petit ensemble.

- Ils nous ont fait un cadeau, à nous? Qu'est-ce que ça peut me faire ? se fâcha Rodrigo en reprenant la cigarette.

- Mais tu es vraiment con, c'est ma nièce de sang! dit Celeste en berçant la petite. Alors donne. Allonge un billet!

L'homme se redressa en regardant autour de lui, immense, il la dépassait nettement, puis il attrapa dans ses poches un paquet d'où il tira un billet de cent tout rouge.

- C'est beaucoup, tu m'achèteras une cartouche de Marlboro.

- Ouais, répondit-elle d'un air de défi. Compte là-dessus

Prenant le billet, elle se le passa distraitement sur une mèche de cheveux pour la dompter.

- Et la gamine? demanda Rodrigo.

- Je l'emmène prendre un peu l'air.

Une Vespa bleue arriva avec deux types à bord. C'était Sergio qui conduisait, un débutant dans les affaires du clan qui avait déjà son gars blond derrière lui. Sergio laissa le guidon à l'autre, et se dirigea vers Rodrigo en disant " Ils veulent de la dope, pour une rencontre avec ceux du Quartier. " Celui-ci eut une moue agacée puis dit: " Attends ! " Il fit un baiser à la petite et se pencha un peu plus loin sur la roue de la 127, dépliant une boule jaune de papier alimentaire jetée là par terre. Le gars blond sur la Vespa le regardait mais Rodrigo lui fit un signe de la tête pour qu'il se retourne, puis il se redressa et revint vers Sergio et Celeste qui se parlaient. À ce moment-là, une voiture avec quatre policiers déboucha lentement d'une ruelle sur la place, Rodrigo s'en rendit compte sans même se retourner, il entendit le grésillement de la radio, il eut le temps de demander:

- On a des parents à la réunion?

- Son oncle Michele, répondit Sergio en indiquant la fille. Ils sont chez Guenon!

-Alors, dit Rodrigo à Celeste, amène-leur la petite-nièce.

Et il glissa sous le tricot de la petite, tout en l'embrassant, quatre boulettes de film transparent, de celui pour conserver la nourriture, avec leur contenu blanc de neige. Le temps que la fille s'en aille et trois policiers sortirent de l'auto en demandant leurs papiers aux deux hommes et au gars blond avant de leur faire mettre les mains au mur. Pendant qu'ils les fouillaient, une brise se leva, mais la boule jaune ne bougea pas du sol à cause du plomb de pêche de trois cents grammes qui la maintenait à côté du pneu de la 127, dans le Quartiere Santo.

Maurizio Braucci est né à Naples en 1966, après des études de Sciences Politiques, il travaille comme formateur en utilisation des moyens audio-visuels pour les détenus de la maison d’arrêt de Lauro Avellino et tient un atelier de vidéos documentaires sur des thèmes sociaux (Ronzinante Visioni). En 1995, avec d’autres camarades, il occupe un espace dans le centre de Naples, créant le DAMM (Diego Armando Maradonna Montesanto) espace autogéré et contestataire qui produit des projets sociaux et culturels de jeunes dans un quartier central de Naples et qui fonctionne comme atelier expérimental. Il s’est intéressé aux situationnistes et à la critique radicale et au Théâtre de l’Opprimé (il collabore à divers fanzines et publie des articles), il milite dans la mouvance des centres sociaux et des groupes libertaires. Il a publié des nouvelles dans divers recueils, écrit pour le théâtre, la radio et le cinéma.
Son roman Mare Guasto a remporté plusieurs prix en Italie et doit être adapté au cinéma.

Bibliographie