Publication : 14/04/2011
Pages : 288
Grand Format
ISBN : 978-2-86424-726-5
Couverture HD

Le Livre rouge

Meaghan DELAHUNT

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21 €
Titre original : The red book
Langue originale : Anglais
Traduit par : Céline Schwaller

Trois personnages se croisent en Inde. Françoise, une photographe australienne, est venue à Bhopal dans le cadre d’une recherche sur les suites du drame de cette ville où, vingt ans plus tôt, une fuite de gaz toxique dans l’usine Union Carbide a tué des milliers de gens. Ils se sont croisés sans se connaître des années auparavant, il y a Naga, un réfugié tibétain dont la famille est morte dans la catastrophe et Arkay, un voyageur écossais qui a trouvé un refuge dans le bouddhisme. Ils étaient tous les trois pleins de promesses et d’espoirs. Françoise rassemble des photographies de leurs vies dans ce Livre rouge. Ces photos racontent leurs histoires d’amour, de lutte et de transformation – elles révèlent les gens qu’ils ont été et ce qu’ils vont devenir, les vies qui s’entrelacent et se séparent.
Écrit dans une langue colorée, imaginative et évocatrice, c’est une méditation sur les relations entre l’Orient et l’Occident, la fascination qu’exercent sur les étrangers l’Inde et sa complexité, un regard aigu sur la responsabilité individuelle et collective et les manières d’être dans le monde.

« Un livre saisissant de beauté. Trois voix au-dessus d’un éparpillement de paysages colonisés. La prose incisive rend parfaitement le côté aléatoire de la vie et la véritable nature de ce que nous prenons naïvement pour des choix. »
Janice Galloway

  • « J’ai bien aimé ce monde flottant et coloré, ces errances mystiques entre alcoolisme celtique et détachement oriental. Inattendu, original et réussi. »

    Marie Hirigoyen
    Librairie Le Jardin (Craponne)
  • « Le Livre rouge de Delahunt est tout simplement splendide!! »

    Anne Ploquin
    Librairie Fnac Part-Dieu (Lyon)
  • « Encore un magnifique roman sur l’amour.
    Trois étrangers se rencontrent en Inde et leur vie en est transformée pour toujours. Françoise est australienne, photographe et va à Bhopal pour témoigner des suites de la catastrophe dont cette ville a été victime vingt ans plus tôt, à savoir une fuite de gaz toxique dans l'usine Union Carbide. Elle y rencontre Naga, un réfugié tibétain dont la famille est morte au moment de la catastrophe et Arkay, un voyageur écossais qui cherche, par la voie du bouddhisme, à se libérer de l'alcoolisme et des démons qui le rongent.
    Meaghan Delahunt décrit aussi cette fascination qu'exerce l'Inde sur les étrangers et la complexité de son histoire spirituelle et politique. Ecrit dans une langue colorée, imaginative et évocatrice, c'est une méditation sur les relations entre l'Orient et l'Occident, la responsabilité individuelle et collective et sur les manières d'être dans le monde. »

    Jennifer Le Morvan
    LIBRAIRIE LA SOIF DE LIRE (Strasbourg)
  • « Parce qu’une vie peut changer en un flash, Meaghan Delahunt transforme sa plume en appareil photo, et … loin d’immortaliser le temps, elle le rend encore plus crépitant ! (…) Elle ouate son récit d’une myriade de couleurs et de sons. »

    Nadège Badina
    LIBRAIRIE BIRMANN MAJUSCULE (Thonon-les-Bains)
  • Plus d'infos ici.
    Françoise Loiseau
    LE GOUT DES LIVRES
  • Plus d'infos ici.
    David Assolen
    ECOLES JUIVES.FR
  • « C’est beau, c’est émouvant, c’est une véritable ode à la photographie. »
    Marie-Danièle Racourt
    FOCUS VIF
  • « Magnifique roman au charme crépusculaire, une saisissante illustration de notre acharnement dérisoire à forger nos existences à la force de nos illusions. »
    Yves Gitton
    XROADS
  • « Trois destins croisés, trois parcours de vie, trois bonnes raisons de lire ce roman... »
    VOCABLE
  • « L’écriture de Meaghan Delahunt a la force de la photographie : saisissante, riche de détails finalement indispensables, parfois choquante, mais tellement évocatrice… »
    Florence Dalmas
    LE DAUPHINE LIBERE
  • « Marquées par de nombreux drames, fondateurs et personnels, ou par des tragédies collectives […], les vies parallèles de Françoise, Naga et Arkay se rejoignent en Inde, le pays de tous les possibles, de toutes les quêtes mystiques ou non. Le pays, aussi, face auquel aucun Occidental ne peut tricher. Chacun y connaîtra une étape de son Karma, plus ou moins douloureuse. Mais c’est la vie, à la fin, qui triomphera de bien jolie façon dans ce grand Livre rouge, magistralement conduit, qui se veut avant tout celui de la transmission.
    Jean-Claude Perrier
    LIVRES HEBDO

FRANÇOISE

Tout a commencé par une photographie. Le son et l'atmosphère qui s'en dégageaient. La photo de l'enfant dans la terre prise par Raghu Rai. C'est ce qui m'a amenée en Inde.
Je l'avais vue la première fois dans un journal. Elle avait été prise à Bhopal, en 1984, à peine quelques heures après la catastrophe. Sur d'autres photographies, Rai a pris la pyramide de corps dans les rues et l'air orphelin des survivants. Le réservoir de la Union Carbide où la réaction en chaîne a démarré. Mais c'est cette image qui m'a marquée. J'ai tourné la page et le visage de l'enfant s'est levé – telle une lune pâle enterrée dans la terre –, ses yeux opaques ouverts, la main d'un adulte lui caressant le front. Parfois on voit une image qui vous coupe le souffle, qui crie la terreur, la beauté et la douleur du monde. Parfois on voit une image qui vous montre votre avenir, qui vous met sur votre voie.
Presque vingt ans plus tard, j'étais venue ici pour voir l'exposition de Raghu Rai. J'allais rester quelques semaines puis aller à Bhopal en résidence, afin de travailler sur un projet international.
J'étais venue ici pour prendre mes propres photos.


Je me suis réveillée au moment où l'avion descendait vers l'aéroport Indira Gandhi. Quand j'ai ouvert les yeux, les lumières de Delhi scintillaient en contrebas ; bleues, oranges et vertes, semblables à des bracelets en perles de verre.
Dans le hall des arrivées, les gens tendaient partout des écriteaux et des panneaux avec des noms inscrits dessus, et l'air était écrasant. Les gens se sont rués sur les chariots. Un Américain s'est mis à crier, à pousser, s'est jeté sur un chariot, mais quelqu'un l'a devancé. L'homme a explosé : “Je viens visiter votre pays, nom de Dieu !” Quand d'autres chariots sont arrivés, les familles indiennes les ont accaparés les premières grâce à des membres postés à des endroits stratégiques près des portes et des sorties. “C'est comme ça que vous traitez les touristes ?” L'homme, qui criait encore. À ce moment-là, deux agents d'aéroport m'ont vue, seule dans mon coin. “Bientôt, m'ont-ils crié, ignorant l'homme. Bientôt, madame, préparez-vous !” D'autres chariots sont arrivés et les agents m'ont poussée en avant. L'Américain et moi avons saisi le même. J'ai reculé en trébuchant tandis qu'il donnait des coups de pied dans tous les sens comme un petit garçon, m'atteignant au tibia. “C'est le mien”, a-t-il crié à sa femme, à présent triomphant, se frayant un chemin à travers la foule à coups de coude.
Je l'ai insulté en me frictionnant la jambe. Un des agents d'aéroport a levé les yeux au ciel avec un sourire.
–Vous devez savoir une chose, a-t-il dit en désignant l'homme et sa femme. Madame, il ne tiendra pas une semaine.


C'était la première fois que je venais à Delhi et j'étais écrasée par le poids des couleurs et des sons. Ceci était un soulagement car depuis des mois maintenant, quand j'essayais de travailler, quand je sortais avec mon appareil photo, le monde me semblait décoloré et silencieux, comme si peut-être je ne savais plus écouter.
C'était agréable de quitter la chaleur de l'aéroport, de m'éloigner des gens avec leurs affichettes et leurs écriteaux. De payer le prix établi des taxis officiels et de foncer dans la nuit, vers l'inconnu, loin de moi-même. D'être absorbée par les rues où la membrane entre public et privé se dissolvait. C'était la pleine lune et tout s'éclairait tandis que nous traversions la ville. Enseignes Coca-Cola et panneaux publicitaires style Bollywood. McDonald's et café Barista. Publicités pour téléphones portables. Au-delà, à travers la poussière et les lumières, il y avait cet autre monde. Entre les camions et taxis décorés et les sons discordants des klaxons, je voyais des gens sur les terre-pleins centraux, jetant sur le sol des ombres aux membres semblables à des brindilles. Certains dormaient, d'autres se reposaient dans leur rickshaw . Mais certains ne dormaient pas. Certains gisaient, entièrement recouverts, comme s'ils étaient déjà morts.
Dans ma tête, je cadrais toutes les photos que je ne prenais pas. Toutes les ombres et tous les changements de la ville la nuit.
–Quel numéro ? m'a demandé le chauffeur comme le taxi ralentissait sous un pont de chemin de fer pour s'arrêter en bordure d'un petit parc.
J'ai sorti un bout de papier de ma poche et j'ai regardé à nouveau l'adresse de la pension de famille.
–Quatre.
–Char.
Il a hoché la tête. Puis le chauffeur est sorti de la voiture, il a levé les yeux vers la caméra de surveillance et s'est adressé au gardien posté dans la cabine.
–Char, a-t-il répété. Le gardien a tendu le doigt vers une grande maison blanche à l'angle de la rue et a ouvert le portail.
Il était bien plus de minuit. Un autre gardien a ouvert la grille de l'entrée avant d'actionner une cloche, et un garçon de petite taille, âgé d'une quinzaine d'années, a ouvert la porte-moustiquaire et celle qui se trouvait derrière pour ensuite monter mes bagages à l'étage. Pieds nus, il marchait devant moi à pas feutrés dans la maison silencieuse et tranquille où flottait un air chargé d'encens, et j'ai vu que tous les miroirs étaient couverts.


Le lendemain matin au petit-déjeuner, j'ai rencontré la famille. L'homme de la maison était à table, le Hindustan Times ouvert devant lui. Une femme âgée lisait le Times of India. Une autre femme, belle, la soixantaine, une mèche argentée dans ses cheveux bruns, donnait des ordres au petit domestique. À mon entrée, l'homme s'est levé avec difficulté, s'est appuyé sur sa canne et m'a serré la main. Il s'est présenté sous le nom de Surjit Singh. Il s'est tourné pour présenter sa femme, Aruna, puis sa mère, Mme Singh.
–Elle est sourde, a-t-il précisé en indiquant sa mère. Elle a quatre-vingt-huit ans. Vous devrez parler fort.
Le petit domestique s'appelait Jigme.
Aruna m'a souri et demandé ce que je prenais au petit-déjeuner. Elle m'a passé de la salade de fruits et Jigme a servi le tchaï.
La vieille Mme Singh s'est tournée vers moi et m'a demandé d'une voix forte et enjouée :
–Vous êtes photographe ?
–Oui.
–Vous êtes australienne ?
–C'est exact.
–Oui ?
Elle a mis une main en coupe autour de son oreille droite.
–Oui, c'est ça, ai-je répété.
–C'est merveilleux !
–Oui. – J'ai hoché la tête en souriant. – Sans doute.
–Mais où est votre mari ? Et vos enfants ?
–Pas de mari. – J'ai souri à nouveau et haussé les épaules. – Pas d'enfants.
–Non ?
Elle m'a regardée pour s'assurer qu'elle avait bien entendu.
–Non.
–Mais c'est triste !
–Pas pour moi.
J'ai ri. Ensuite, j'ai vu l'expression sur son visage.
–Maman, a dit Aruna. Vous voudriez peut-être…
Mais la vieille Mme Singh ne s'est pas laissé démonter. Elle m'a dévisagée longuement.
–Mais vous êtes une jolie fille ! Et photographe ? a-t-elle répété, comme si elle avait du mal à le croire.
–C'est ça.
–Mais pas de mari.
Elle a secoué la tête et s'est détournée, me congédiant, avant de prendre un chapati.
–Et qu'allez-vous photographier ? m'a demandé Aruna avec un bref coup d'œil en direction de sa belle-mère. Pendant votre séjour ici ?
–Eh bien… – J'étais heureuse de changer de sujet. – Je vais bientôt me rendre à Bhopal, en résidence…
–Bhopal ? a coupé Surjit.
–Oui. L'année prochaine, c'est le vingtième anniversaire…
–Vous, les étrangers… – Surjit a levé les sourcils. – Vous êtes tellement fascinés par nos catastrophes !
–Pas seulement par les catastrophes, ai-je rétorqué, un peu sur la défensive. Par d'autres choses…
–D'autres choses ?
–Eh bien, l'art… le bouddhisme… l'histoire…
–Le bouddhisme ? a lancé Surjit. Mais c'est un pays hindou !
–Peut-être, mais…
–Ah, ces femmes occidentales ! – Surjit Singh a pris un pilulier en cuir sur la desserte, l'a ouvert puis a demandé de l'eau. Il a glissé quelques comprimés dans sa bouche et a avalé bruyamment. – Elles vont dans l'Himalaya…. laissez-moi vous dire… elles tombent amoureuses de sherpas et de moines. Elles les épousent. Elles les ramènent chez elles. Et puis elles les abandonnent. – Il a déclaré cela d'une voix solennelle et sans appel. – Prenez garde, a-t-il ajouté en agitant un doigt dans ma direction. Vous risquez de ne jamais revenir.
J'ai dit, un peu trop sèchement :
–Je ne cherche pas de sherpa, ni de moine.
–Bien sûr que non, a dit Aruna en jetant un regard à son mari.

Meaghan DELAHUNT est née à Melbourne et vit actuellement à Edimbourg. Elle a été finaliste du Orange Prize, Le Livre rouge est son deuxième roman, et son premier publié en France.

Bibliographie