Publication : 15/01/2003
Pages : 224
Poche
ISBN : 2-86424-452-7

Le Rire d'Olga

Lilian BATHELOT

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12 €

"Tout avait bien commencé, pourtant. Une séance de photos pas trop compliquée, dans un coin formidable. Presque des vacances. Et puis la glissade, et tout qui tombe à l'eau."
Théo est alors loin d'imaginer à quel point ! Une panne de voiture sur l'autoroute et apparaît Olga, la fille qui fait palpiter la vie autour d'elle dans un pétillement de rires, un frère impliqué dans les milieux mafieux, un échange de sac malencontreux et une oreille sans propriétaire... et c'est le début d'un road-movie agité qui emporte au passage l'énigmatique Luc, Carlès et la mère dOlga, aux passés ténébreux. En contre-point, la guerre civile en Espagne, l'engagement anti-franquiste de Carlès faisant pendant au passé révolutionnaire de Luc.
Cavale endiablée, ce roman trépidant de bitume, de sable et de poussière, parle d'engagements sincères, de rencontres et surtout de l'urgence de la vie.

  • « Un récit riche en péripéties, bien mené. »
    LE MONDE
  • « Un jubilatoire «road-story» sous le soleil du Sud [...] où l'on ne se lasse pas de la compagnie de la délicieuse Olga. »
    L'HUMANITE

I

L'homme en uniforme fripé est à bout de souffle lorsqu'il passe l'angle de la rue Canne. Le dos plaqué au mur de briques. le sifflement de sa respiration envahit la pénombre. Un coup d'œil furtif vers le boulevard, puis il s'élance dans la rue, à l'assaut des pavés de la barricade.

Ce n'est qu'en franchissant le sommet qu'il voit le feu de camp, et les deux miliciens. Des débris de huisserie brisée procurent quelques flammes dans un panache de fumée noire et une demi-douzaine d'œufs crépitent dans l'huile d'une vieille poêle posée en équilibre sur des pierres.

Les deux hommes ont laissé tomber au sol les morceaux de pain qu'ils trempaient dans la poêle pour saisir leurs armes. Des fusils de la fin du siècle dernier, note machinalement l'homme qui lève aussitôt le bras dans un signe précipité et pacifique. Les deux gars en pantalon de velours à grosses côtes considèrent l'uniforme de l'armée républicaine.

- Je suis un ami, lance-t-il au milicien qui le premier a saisi son fusil.

Le visage mangé de barbe brune fait une moue dubitative, mais aussitôt le long canon a un vague flottement. il ne braque plus aussi nettement l'homme à bout de souffle.

- Un ami de l'année officielle, c'est rare ces jours-ci. Tu sais où tu te trouves?

L'homme Lève les deux bras maintenant, en scrutant les visages, puis il les redescend lentement, jusqu'aux blocs de calcaire où il prend appui pour poser ses fesses.

- Oui, je sais. Sur la barricade de la rue Carme, tenue par les milices du POUM. Si elle n'est pas tombée depuis la nuit dernière. Il n'y a que vous deux ici?

Maintenant, le second homme dans la lueur du feu se souvient. Il l'a déjà vu, ce type. Une seule fois, en vitesse, au milieu de la nuit dernière. Mais alors il ne portait pas l'uniforme.

- C'est le type de Valence, il dit sans le quitter des yeux. Tu viens pour Carlès, c'est ça?

L'homme sur la barricade hoche la tête.

- Il dort, comme les autres. Le fusil dans les mains. Enfin, ceux qui en ont encore, fait-il en désignant la façade de l'ancien hôtel d'un geste du menton, le local de quartier réquisitionné par le POUM depuis le début de la révolution.

L'homme a retrouvé son souffle. Il se dresse avec une agilité surprenante sur les pavés branlants. Aussitôt, les mires des fusils se recentrent sur lui. lIse rapproche du feu de trois sauts rapides et atterrit souplement sur le lit de sable de la rue.

- Je peux manger?

Sans attendre la réponse, il s'assoit sur le sable et, saisissant la miche de pain, il en arrache un morceau qu'il plonge dans l'huile bouillante.

- Ils te nourrissent pas, dans l'armée régulière? demande le milicien dont le visage marque un étonnement réel.

Le fugitif lève les yeux vers lui. Il cherche des mots. Mais après un court instant, il remue simplement la tête de droite et de gauche dans un geste vague, puis il plonge son regard dans la poêle où il trempe un nouveau morceau de pain.

- Je suis de ceux du café Moka, laisse-t-il tomber.

Les autres hochent vaguement la tête.

- C'est la-bas qu'était Carlès la semaine dernière...

L'homme hoche à son tour la tête:

- Et c'est là-bas que je l'ai rencontré, coupe le soldat.

- Alors comme ça, c'était toi, le chef du groupe du café Moka...

L'autre milicien est rentré du front d'Aragon depuis deux jours à peine. il n'est pas au courant de l'histoire du café Moka.

C'est machinalement qu'il acquiesçait quand l'homme a annoncé qu'il était de ceux-là. Son compagnon hésite, puis renonce à raconter. Il se rend compte qu'il a toujours son fusil dans les mains, retient le percuteur en actionnant la détente, et pose l'arme à portée de sa main.

- Pourquoi vous avez pas tiré sur les nôtres?

La mains du Valencian ont un geste d'impuissance à expliquer.

Sans plus parler les trois hommes plongent leur pain dans les œufs en friture et la danse des flammes anime leurs visages. A quelques rues de là. et dans toute la ville, l'éclat d'un coup de feu, d'une courte rafale émaillent leur silence.

Lilian Bathelot naît en 1959 dans le bassin minier et industriel de Decazeville.

Bibliographie