Simon Saltiel, héros de Petits crimes contre les humanités, est désormais maître de conférences à Paris XV-Val d’Ourcq, une fac en souffrance construite sur le terrain insuffisamment dépollué d’anciens gazomètres de la banlieue Nord. Les raisons de mal y travailler sont innombrables et parfois saugrenues, telle une invasion de bisons… Simon va accepter la proposition d’un éditeur à succès : écrire un ouvrage de commande sur Iouri Zaïtsev, brillant intellectuel post-soviétique, spécialiste de la scénarisation du réel, devenu conseiller pour des régimes en mal de façade démocratique.
À l’issue d’une enquête passant par quelques grandes institutions académiques parisiennes et un tour du monde aussi rapide que décevant, Simon va prendre la mesure de ces légers arrangements qui nourrissent trop souvent le discours moderne : biographies plus ou moins autorisées de people, rumeurs données comme parole d’Évangile, réécritures travestissant les propos jusqu’à en faire leur contraire, jargon pseudo-scientifique du “management” appliqué aux choses de l’esprit… Il saura réagir à un complot intellectuel aux ramifications menaçantes par une machination littéraire avec de vieux amis qui, eux, croient encore que les mots peuvent servir la vérité.
Un roman ironique et drôle sur un sujet sérieux.
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Plus d'infos ici.Brigitte KernelFRANCE INTER « Noctiluque »
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Plus d'infos ici.Jacqueline MalletteSERVICESMONTREAL.COM
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«Sous couvert de polar, Pierre Christin fait l’inventaire des ruines de la culture académique française en nous racontant une histoire passionnante de "scénarisation du réel" dans les nouvelles démocraties de l’est de l’Europe.»Lionel GermainSUD OUEST DIMANCHE
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« … réglé de main de maître par Pierre Christin, le scénariste du bédéiste Bilal. Reste que le ton se révèle ici à la comédie. »Etienne DumontTRIBUNE DE GENEVE
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« … Christin se livre à une petite fantaisie qui vaut moins pour l’intrigue que le portrait, piquant qu’il brosse d’un milieu et d’une société passablement tourmentés. »Daniel MurazLE COURRIER PICARD
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« Il se plaît aussi à évoquer la marchandisation de la pensée et de l’abrutissement des masses, et semble placer dans sa galerie de portraits quelques têtes familières : un animateur télé violent usant de psychotropes, ou une russologue vaniteuse, qui rappelle étrangement une certaine académicienne française. Mais c’est la dérive des universités vers la privatisation et les rivalités entre mandarins qui lui inspirent ses critiques les plus ironiques. »Vincent RaymondTRIBUNE DE LYON
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« Une description sans fard du monde des oligarques, du monde post communiste, du monde où l’on vendà un bon prix du vent – il suffit de le faire avec conviction et une apparente autorité –, du monde de l’argent roi. »Jean BigotGRIFFON
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« A lire absolument. »LANFEUST
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« Pierre Christin montre avec Légers arrangements avec la vérité qu’il n’a rien perdu de sa verve, de son imaginaire et de son phrasé. Une réussite. »Frédéric BosserDBD
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« Connivences, complots, supercheries, sarabande des ego, Christin se promène dans ce cloaque avec l’ironie d’un Cioran. Comme lui, il pense que les mots sauvent de tout. Même du pire. »Serge RaffyLE NOUVEL OBSERVATEUR
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« Juste, féroce, capable de tendresse et irrésistiblement drôle. »Arnaud SchwartzLA CROIX
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« On devrait toujours confier des polars à des non-spécialistes : c’est plus racé, mieux écrit et porté par un humour pince-sans-rire salvateur »Michel PaquotLE GENERALISTE
1. FRAGMENT DE VIE UNIVERSITAIRE
– À propos de l’organisation des examens…
– Flic?!
– Organisation dont… euh… l’organisation doit évi-dem—ment être reconsidérée en interne…
– Kapo?!
– Malgré l’interruption des cours, il est en effet indis-pensable que les épreuves…
– La moyenne pour tout le monde?!
– Égalité partout, pour tous?!
– Jamais le ministère ne laissera notre université…
– À bas la police de la pensée?!
– Gestapistes?!
– Non, attendez, les gens du ministère attendent sim-ple-ment de nous que…
– Les casseurs, c’est pas nous, c’est eux?!
– Nous devons impérativement préciser les délais dans lesquels se tiendront les écrits avant de…
– Les délais, c’est la chosification du savoir?!
– L’écrit, c’est l’instrument de la discrimination?!
– Maintenant que les opinions des uns et des autres se sont exprimées, je vous propose donc de passer au vote sur ce point de l’ordre du jour…
– Élections piège à cons?!
– Afin que seuls les membres élus prennent part au scrutin nous allons faire fermer les portes…
– Et ensuite vous allez nous gazer?!
– Auschwitz?!
C’était Simon qui avait été chargé de mener la réunion, bien qu’il n’eût ni les titres ni la légitimité pour le faire. Mais le président était hospitalisé pour dépression depuis deux semaines dans une clinique de la MGEN?; le premier vice-président se trouvait dans son lit avec une sciatique attrapée en essayant de protéger la salle des actes d’une intrusion de gars armés de battes de baseball surgis de nulle part?; le deuxième vice-président, le plus malin, chargé de l’internatio-nal, était en mission aux Seychelles pour étu-dier l’implantation d’une antenne universitaire là-bas?; et le troi-sième vice-prési-dent avait pété les plombs le matin même malgré les tranquilli-sants dont il s’était bourré avant d’ouvrir le conseil. Il décantait sur un lit de repos installé dans un local très discret de la fac.
Les autres enseignants faisant partie de diverses oppo-sitions opposées entre elles, et donc parfaitement impré-visibles, restait Simon, considéré comme un gentil garçon sans ennemis (sauf un qui ne comptait pas vraiment)…
Le vieux Canterel, agent de service à deux doigts de la retraite ayant connu des mœurs académiques plus cour-toises, amenait l’urne en contreplaqué, pas mal esquin-tée au fil des ans et réparée grossièrement avec du scotch brun. Il eut à peine le temps de la poser sur le bureau, derrière lequel Simon faisait face stoïquement, qu’elle était empoignée par deux gaillards ressemblant plus à des haltérophiles qu’à des bibliophiles. Peut-être ceux qui avaient bousillé la salle des actes et le nerf sciatique du premier V.P.??
En tout cas, un instant plus tard, l’urne vide était balan-cée par l’une des fenêtres ouvertes, ou plus exactement une fenêtre qui ne fermait plus depuis longtemps. Simon entendit un plouf. Les deux balèzes avaient bien visé et la caisse bricolée avait dû tomber dans le canal. Cette fois-ci, la pauvre chose rafistolée avait fait son temps et ne pourrait plus être recyclée par Canterel, qui restait là, les bras ballants.
Il y eut des bravos, deux ou trois applaudissements dis-crets émanant de collègues n’ayant jamais cru à la démocratie représentative et – sembla-t-il à Simon – quelques youyous vite étouffés. Mais il avait peut-être les oreilles qui sifflaient depuis des heures et des heures qu’il menait la réunion, sans être parvenu à aucun consensus sur aucun des sujets abordés. Celui des examens, évidemment le plus chaud, avait été astucieusement gardé pour la fin.
– La séance est levée, dit Simon.
C’était plus une constatation qu’une décision. Car per-sonne n’écoutait plus personne, ce qui de toute façon avait plus ou moins été le cas depuis le début. On se levait, on s’ébrouait, on parlait dans des portables, on se roulait des cigarettes, on avait faim, on avait soif, on s’en allait.
Simon sortit à son tour et se retrouva au pied de l’amphi–théâtre construit le long du canal, sur l’empla-cement d’une ancienne usine à gaz. Il faisait gris et brumeux. L’urne défon-cée flottait encore à quelque distance, dérivant tran-quillement en direction de la frontière belge sans doute, de la Meuse peut-être, et qui sait, sous forme de débris guère plus gros que du plancton, vers la mer du Nord.
Il y eut une course précipitée derrière lui.
– Monsieur Saltiel?!
Il se retourna. C’était Cromelatte, le chargé de com’ de la fac, qui accourait en brandissant un papier.
– J’avais peur de vous avoir raté?!
– Salut, dit Simon. Qu’est-ce que je peux faire pour vous??
– Relire ça, s’il vous plaît.
– C’est quoi?? s’enquit Simon.
– Un communiqué pour l’édition locale du Parisien et pour le Courrier de l’Ourcq.
– Ça s’impose??
– Absolument, monsieur, dit Cromelatte, sérieux comme un pape. C’est une question d’image de la fac.
Chargé de communication, c’était quelque chose de relativement nouveau qu’il fallait peut-être effectivement prendre aussi au sérieux que le prenait le garçon en costume trop serré qui attendait son avis. Simon lut donc?:
UNIVERSITÉ DE PARIS XV (communiqué de presse)
Le calendrier intermédiaire dans le cadre de la semes-trialisation de l’université du Val d’Ourcq est en voie d’élabo-ration définitive. Le CEVU (Conseil des études et de la vie universitaire) qui s’est déroulé aujourd’hui selon les procédures prévues a permis, seules les modalités pratiques des partiels restant désormais à fixer, de dégager des orientations qui débou-cheront rapidement sur des annonces susceptibles de rassurer les étudiants inquiets pour la validation de leur semestre.
– Dites donc, ça ne va pas plaire à la coordination étudiante, ça, fit remarquer Simon.
– Ça correspond à la réalité des débats, monsieur.
– En quelque sorte, oui, si on veut, admit Simon qui n’avait pas l’air de trop y croire. Mais ils vont pondre un contre-communiqué.
– C’est déjà fait, monsieur. Ils l’ont envoyé tout à l’heure par SMS.
– Avant même que le conseil soit fini?? s’étonna Simon, sans plus.
– C’est ce que j’ai fait remarquer aux journalistes qui m’ont appelé. Mais ils vont publier quand même.
– Donc c’est votre truc qui répond au leur, marmonna Simon.
– En quelque sorte, oui, si on veut, répondit Cromelatte, d’un ton parfaitement neutre.
Simon pensa qu’il se payait sa tête, mais dit seulement?:
– Et qu’est-ce qu’ils racontent, ces petits rapides??
– Un ami localier m’a transféré leur texto. Le voici, monsieur. C’est plein de fautes, je vous préviens.
Simon jeta un œil à un autre papier qui sortait du costume trop près du corps du chargé de com’.
OURCQ EN LUTTES (comuniqué de presse)
Nous réaffirmons notre détermination intacte face au mas-sacre organisé par le gouvernement. Simulacrds de concer-ta-tion. Réunions croupions. Négociations bidons. Élections truqués. À cela nous répondons par un seul mot d’ordre?: DESOBEISSANCE CIVILE. Les examens n’auront pas lieu à Paris XV. Les licen-ciements serons proscris dans le Val d’Ourcq. Les violences policières serons contrés. Les collu-sions médiatiques serons dénoncés. Convergence des luttes partout, pour tous?!
– Bon, dit Simon, c’est classique. Il n’y a plus qu’à attendre les réactions côté corps enseignant. Parce que ce brûlot ne va pas plus leur plaire que votre texte à l’eau tiède.
– Ça aussi c’est déjà fait, monsieur, dit Cromelatte, sans relever la critique implicite, mais en exhibant une autre feuille. Parti en fax du secrétariat de psycho.
– Eh bien, personne n’a perdu son temps sauf moi, ce matin, constata Simon en prenant le papier.
Pétition du Collectif des Enseignants-Chercheurs Unis (COLECU)
Le Enseignants-Chercheurs de Paris XV s’étonnent de la stratégie forcenée des mandarins à la solde du ministère dont les manœuvres sont essentiellement dirigées contre la commu-nauté universitaire elle-même et fait preuve du mépris des enseignants, de la démolition de la formation des maîtres, de la marchandisation des programmes, de l’exploitation éhontée des personnels les plus fragiles.
Mais le COLECU ne soutient pas davantage la stratégie aven-turiste de certains mouvements pseudo-estudiantins se pré—sentant abusivement comme compagnons de luttes d’une classe ouvrière n’ayant nullement disparu et restant attachée aux valeurs du travail et de l’ascension sociale.
Oui aux examens avec payemens d’heures supplémentaires pour les Enseignants-Chercheurs. Non à la braderie des connais-sances entérinée par de jeunes intriguants carriéristes non habilités à mener une réunion statutaire.
– Il y a des fautes aussi, commenta Simon, qui avait sa petite idée de la plume ayant rédigé le texte. Et les jeunes intri—gants carriéristes non habilités, je suppose que c’est pour moi.
– Je peux diffuser notre CP?? demanda Cromelatte, tou-jours aussi peu intéressé par les méditations de Simon. Il faut rétablir la vérité.
– Rétablissons, rétablissons, approuva Simon, vague-ment découragé, en rendant les trois feuillets réunis au chargé de communication.
L’autre s’en allait déjà vers le bâtiment central à grandes enjambées qui faisaient remonter son pantalon trop étroit.
Simon commença à s’éloigner le long du canal après avoir allumé une cigarette. La grève qui paralysait l’université depuis plusieurs semaines commençait à se déliter. La biblio—thèque avait rouvert, quelques cours étaient assurés, d’autres étaient plus ou moins mis en ligne. Et une petite assistance laborieuse circulait au milieu des arbustes malades, disait-on, d’une dépollution insuffisante du sol sur l’empla-ce-ment des anciens gazomètres.
Le campus de Paris XV ressemblait à une sorte de gigan-tesque préfourrière avec des dizaines de petites voitures parais-sant y effectuer leur ultime arrêt avant la casse défini-tive. Les constructions des années?70 illustraient le goût de l’époque pour des espèces d’alvéoles de ruche tenant lieu de fenêtres. Les tours grisâtres et les barres dégradées aux noms de fleurettes, les entrepôts désaffectés, les voies de chemin de fer rectilignes et les rocades routières serpentines complétaient le paysage articulé autour du canal censé lui donner un petit côté balnéaire.
Des garçons en treillis, jeans baggy, capuches, baskets ou rangers se dirigeaient très lentement vers la bibliothèque à partir de l’arrêt de bus jonché de papiers et cartons gras. Il y avait des grandes noires qui, dès le matin, superbement pei-gnées, maquillées, attifées, avaient toutes l’air de se rendre à des castings plutôt qu’à des cours. Les mêmes qui, mainte-nant, semblaient toutes en partance pour de mystérieuses fêtes nocturnes. Des petites blanches aux petites voitures et aux petites lunettes qui elles, incontestablement, sortaient des travaux dirigés de ressources culturelles et intervention sociale venant d’être rétablis. Des voilées aussi, marchant yeux baissés, oui, des voilées toujours plus nombreuses aux-quelles les salons de coiffure du voisinage réservaient leurs arrière-salles cachées aux regards.
Simon dépassa le dernier terrain agricole résistant der-rière sa clôture, par on ne savait quel miracle, à l’urbanisation désor-donnée. Il sentit l’odeur étrange qui se dégageait d’un bâti-ment aveugle situé sur son emprise, près de l’ancienne natio-nale toujours dépourvue de trottoirs, en dépit de la file indienne ininterrompue des usagers se dirigeant vers la station du RER D.
Bientôt, ce fut la gare SNCF, sévèrement taguée.
Et puis la rame à deux étages, qui sentait le kebab et le pétard.
Simon se dit qu’il en avait marre.
Il se dit aussi que ce serait bien s’il lui arrivait quelque chose.
Mais quoi??