En 2002, à la sortie d’un hôtel à Karachi, un attentat à la bombe a coûté la vie à 14 personnes, dont 11 ingénieurs français travaillant à la mise au point d’un sous-marin acheté par le gouvernement pakistanais. Toutes les victimes venaient de la base navale de Cherbourg.
Vingt ans après, un jeune journaliste localier proche de l’un des ingénieurs rescapés de l’attentat décide de mener une véritable investigation sur les coupables. Une enquête menée par les Français a certes révélé les probables pots-de-vin ayant servi au financement de la campagne de Balladur, mais tout s’est arrêté là. Les victimes ont été abandonnées.
Le journaliste trouve à Karachi de l’aide auprès d’une jeune lieutenante pakistanaise et d’un homme droit, fidèle aux valeurs du travail bien fait et de la loyauté. Mais il progresse dans une jungle de mensonges politiques avant de s’apercevoir que la vérité de Karachi ne se trouve pas dans les journaux mais peut-être dans les poèmes que tous récitent.
Des personnages attachants et une enquête rigoureuse nous plongent dans les mystères de la ville de Karachi, mais nous dévoilent aussi les luttes de pouvoir régionales et syndicales en France. Un thriller remarquable, furieusement décoiffant, au rythme addictif.
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"Le plus profond de ses romans, où il creuse vraiment le rôle du reporter de guerre. Et on est complètement transportés dans ce pays de violence et de poussière, saisissant !"Marie Hirigoyen
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De Cherbourg à Karachi, ce captivant thriller géopolitique savamment orchestré conduit hors des sentiers battus sur le chemin d'une vérité par trop étouffée. Rythmé, inventif, original, le dépaysement est absolu. Jeune journaliste local du Cotentin, Jef Kerral est marqué depuis l'enfance par l'attentat de Karachi qui, en 2002, a coûté la vie à quatorze personnes dont onze techniciens français de la Direction des constructions navales qui travaillaient à la mise au point d'un sous-marin acheté par le gouvernement pakistanais. Ce terrible événement a provoqué une brouille incompréhensible entre son père Claude, collègue de ces victimes, et son meilleur ami Marc, rescapé de l'attentat et que Jef admire. Alors que les commémorations des 20 ans du drame se profilent avec leur cortège d'officiels et d'hypocrisies, Jef est lassé de couvrir les fêtes locales du cidre et plus encore de l'étouffement de la vérité qui asphyxie les victimes et empoisonne les vies de tous. Il se rend à Karachi, sur la piste pakistanaise étonnamment négligée par les enquêteurs, à la recherche de Shaheen Ghazali, un officier ingénieur de la Marine pakistanaise, homme loyal et droit qui se bat depuis vingt ans pour que la vérité éclate mais qui ne donne plus signe de vie. Dans l'effervescence et le labyrinthe de Karachi où le danger guette et menace à chaque coin de rue, Jef trouve le soutien de Sara, jeune lieutenante de la Marine pakistanaise. Mais le chemin de la vérité peut-il sortir des sentiers obscurs de Karachi ? Olivier Truc mène un thriller géopolitique haletant aux personnages attachants. Comme Jef, ce localier devenant grand reporter, il va là où les autres ne vont pas, déplace le regard, ouvre les yeux sur un système infernal de pressions et de corruptions face auquel des hommes et des femmes courageuses n'ont parfois, entre révolte et résignation, d'autre refuge que la poésie pour résister et pour échappatoire que les corridors et arrière-cours d'improbables et fascinantes boutiques de livres, lieux de scènes fascinantes.Manuel Hirbec
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"Un excellent polar sur les traces de l'attentat de Karachi en 2002. C'est un roman noir politique qui interroge les liens entre la DCN et l'armée pakistanaise mais c'est surtout un regard sur le Pakistan d'aujourd'hui loin des sentiers battus, une découverte de la poésie ourdoue aussi. Et on s'attache à Jeff, Sarah et les autres ..."Julie Duquesne
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En 2002, à la sortie d'un hôtel à Karachi, un attentat à la bombe a coûté la vie à 14 personnes, dont 11 ingénieurs français travaillant à la mise au point d'un sous-marin acheté par le gouvernement pakistanais. Toutes les victimes venaient de la base nautique de Cherbourg. Vingt ans après un jeune journaliste localier, fils de l'un des ingénieurs rescapés de l'attentat, décide de mener une véritable enquête sur les coupables : les poseurs de cette bombe et leurs commanditaires. Une enquête menée par les Français a certes mis à jour les pots-de-vin ayant servis au financement de la campagne de Balladur, mais tout s'est arrêté là. Les morts et les blessés ont été abandonnés. Le jeune homme trouve à Karachi une aide auprès d'un homme droit qui a connu son père, et fidèle aux valeurs du travail bien fait et de la loyauté, mais il progresse dans une jungle de mensonges politiques avant de découvrir que la vérité de Karachi ne se trouve pas dans les journaux mais dans les poèmes que tous récitent. A l'instar de son personnage, Olivier Truc a repris l'enquête sur place et son recours à la fiction l'aide à comprendre les raisons et les coupables. Des personnages attachants et une enquête rigoureuse apportent des réponses sur les événements de Karachi, mais aussi sur les luttes de pouvoir régionales et syndicales en France. Un roman remarquable au rythme addictif.
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"Olivier Truc s’adosse aux horribles et aveugles faits réels du terrorisme ordinaire pour en tirer un adroit bouquet de sentiments humanistes en contrepoint."Jean-Luc ManetLivres Hebdo
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"Du vrai bon polar en immersion."Hubert ArtusLire Magazine Littéraire
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"Un polar sous forme d’enquête sur les failles pakistanaises et françaises. Instructif."Alexandra SchwartzbrodLibéPolar
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"Olivier Truc a repris tous les documents concernant cette affaire, les enquêtes judiciaires et journalistiques. Il s’est rendu sur place, s’est entretenu avec des survivants de l’attentat, des personnes impliquées de près ou de loin dans les événements. Son livre propose des pistes d’explication sur ce qui a pu se passer. Et c’est passionnant. D’autant plus passionnant que son roman ne sacrifie pas la fiction. L’intrigue est bien vissée, le rythme rapide, le style fluide, les personnages vivants. [..] Le romancier prolonge ainsi le travail du journaliste, prend le relais quand le second ne peut apporter les preuves de ce qu’il avance, il remplit les blancs, nourrit les silences, incarne les douleurs, donne la parole aux victimes. Passionnant, on vous dit." Lire l'article iciMichel AbescatTelerama
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"Un thriller politique haletant, où réalité et fiction se confondent."Laurence PéanLa Croix
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"Au-delà des possibles clés d’interprétation de l’attentat que le livre finit par dévoiler, c’est bien là que réside la force de ce roman noir, nous faire toucher du doigt la complexité de l’âme pakistanaise, entre poésie résistante et luttes de pouvoir."Lionel DestremeauLe Matricule des anges
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Ecouter le podcast de l'émission iciSébastien JédorRFI
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"L’histoire est forte, prenante, dans la narration des évènements comme dans la description des caractères, des situations, et même dans une forme de suspense présente en filigrane ! Et puis, l’on retrouve aussi toute la finesse, avec ses nuances et ses complexités, de la pensée de l’auteur, qui continue de nous faire apprécier les facettes de son talent d’écrivain, et de narrateur."Anne-Marie BoissonSite Encres vagabondes
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"Un thriller richement documenté, qui donne une autre vision, loin de la tambouille politique française."Fabien JouatelOuest France
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"Olivier Truc est de retour, pour notre plus grand bonheur. […] Son expérience de journaliste sert ici la plume de l'écrivain qu'il est devenu, pour mieux mener ses lecteurs à travers les chemins tortueux de la vérité, contournant les obstacles des mensonges et des manipulations, sur fond de poésie pakistanaise. Une réussite."Marc FernandezAlibi
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Lire l'article iciSite ActuaLitté
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Ecouter le podcast iciManuel Hirbec de la librairie La Buissonnière à YvetotFrance bleu Normandie - Le livre du jour
Avertissement
Ce livre est un roman librement inspiré de faits réels qui gravitent autour de l’attentat du 8 mai 2002 à Karachi, au Pakistan.
Au cours de cet attentat, onze techniciens français de la dcn (Direction des constructions navales) ont été tués, quatorze autres blessés, tandis que trois Pakistanais ont également trouvé la mort et six autres ont été blessés. L’attentat a été provoqué par l’explosion devant l’hôtel Sheraton d’une voiture piégée garée le long du bus Marco Polo de la marine pakistanaise qui effectuait tous les jours le ramassage des techniciens et ingénieurs français.
Avec le temps, cet attentat s’est transformé en scandale franco-français, sur fond de commissions et rétrocommissions destinées à financer la campagne électorale d’Édouard Balladur en 1995, évinçant petit à petit l’aspect pakistanais de l’affaire.
Ce livre repose en partie sur des documents, enquêtes judiciaires ou journalistiques, et des entretiens avec des survivants de l’attentat ou des personnes impliquées de près ou de loin dans les événements, de manière à “mentir en connaissance de cause”, pour paraphraser Mario Vargas Llosa.
Ce qui veut dire que l’intrigue et les personnages sont fictifs, et que des libertés ont été prises.
Par exemple, des officiers enrôlés à titre civil (Sara et Nazia) ne sauraient évidemment défiler en grand uniforme, privilège réservé aux cadets diplômés de l’académie navale.
Ou encore, dans les mushairas, ce sont les poètes eux-mêmes qui récitent leurs poèmes (c’est dans les récitals de poésie que d’autres personnes déclament les poèmes de poètes connus). Il est par ailleurs peu vraisemblable que les Karachi Kings jouent un match de cricket en mai, période la plus chaude de l’année.
Et l’Eid-ul-Fitr, qui marque la fin du ramadan, tombant le 3 mai 2022 au Pakistan, les rideaux du Urdu Bazar auraient dû être baissés.
Lorsque ce roman débute, un certain nombre d’événements factuels sont connus.
Ainsi, en 2001 et 2002, on compte une soixantaine d’attentats majeurs par an au Pakistan, pays à majorité sunnite d’alors 150 millions d’habitants (230 millions en 2022). Attentats antichiites pour la plupart, parfois antichrétiens, suivis à l’occasion de vengeances antisunnites. En 2022, on ne ramasse plus une dizaine de cadavres tous les matins dans les ruelles de Karachi comme dix ans plus tôt, et les paramilitaires, les Rangers, sont bien plus discrets au bord des routes que lors de mon premier séjour en 2016.
Karachi, ville portuaire de quelques centaines de milliers d’habitants à l’époque coloniale britannique, a été submergée par les migrants à partir de la partition des Indes en 1947. En un rien de temps, des centaines de milliers de musulmans fuyant l’Inde hindoue ont rejoint Karachi, eldorado du Pakistan musulman naissant. Aujourd’hui, près de 17 millions d’habitants s’y entassent (10 millions au moment de l’attentat de 2002), sans plan d’urbanisme. Capitale économique du pays, principal port du Pakistan, porte d’entrée du commerce avec l’Afghanistan, groupes islamistes, gangs criminels et tueurs à gages des partis politiques s’y croisent aux côtés de personnes étonnantes, femmes et hommes lumineux, qui par millions vivent avec un euro par jour ou qui pour certains contestent au péril de leur vie l’écrasante mainmise de ce qu’ils appellent “un État prédateur” dont les autorités françaises semblent avoir accepté – au grand dam des survivants, des parents de victimes et des orphelins – qu’elles n’en obtiendraient rien.
Quelques repères sur “l’affaire Karachi”, connue au Pakistan comme “le scandale des sous-marins” :
– Le contrat d’acquisition par le Pakistan de trois sous-marins Agosta 90b de la dcn a été signé le 21 septembre 1994. Benazir Bhutto (assassinée en 2007) est alors Première ministre. La dcn, dont le siège est à Cherbourg, est quant à elle sous tutelle du ministère français de la Défense. En France, Édouard Balladur est Premier ministre, François Léotard ministre de la Défense et Nicolas Sarkozy ministre du Budget.
– Des commissions sont versées à des intermédiaires. Une partie de cet argent, les rétrocommissions, revient en France et aurait servi à financer la campagne présidentielle d’Édouard Balladur, en 1995.
– Dans les années qui suivent, de nombreux officiers de la marine pakistanaise sont arrêtés pour avoir touché des pots-de-vin de la part des Français.
– Le 8 mai 2002, l’attentat de l’hôtel Sheraton fait 14 morts (dont 11 Français) et 18 blessés (dont 12 Français). L’explosion fut aussitôt qualifiée d’attentat-suicide et attribuée très vite à Al-Qaida. Les autorités pakistanaises et françaises mirent en avant le corps du soi-disant kamikaze pour étayer leur thèse. L’autopsie de cet homme, pourtant, montrera clairement qu’il ne pouvait s’agir du conducteur, mais plus vraisemblablement d’un passant soufflé par l’explosion, déclenchée à distance.
– Le 5 mai 2009, plus de six ans après leur arrestation, deux des islamistes pakistanais condamnés à mort sont acquittés par la Haute Cour de la province du Sindh, dont Karachi est la capitale. Un troisième accusé, condamné par contumace, est acquitté un peu plus tard.
– En juin 2020, Nicolas Bazire, ancien directeur de cabinet d’Édouard Balladur, et Renaud Donnedieu de Vabres, ancien directeur de cabinet de François Léotard, ont été condamnés en première instance par le tribunal correctionnel de Paris pour complicité et recel d’abus de biens sociaux à des peines de cinq ans de prison dont trois fermes et 300 000 euros d’amende dans l’affaire des rétrocommissions. Thierry Gaubert, ancien collaborateur et ami de Nicolas Sarkozy, a été condamné à quatre ans de prison dont deux avec sursis. Dominique Castellan, ancien pdg de la branche internationale de la dcn, a été condamné à trois ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis. Ziad Takieddine et Abdul-Rahman El-Assir, les fameux intermédiaires dans l’affaire des rétrocommissions, ont tous deux été condamnés à cinq ans de prison ferme. Le procès en appel devrait se tenir en 2023.
– En mars 2021, la Cour de justice de la République condamne François Léotard, ex-ministre de la Défense entre 1993 et 1995, à deux ans de prison avec sursis et 100 000 euros d’amende pour “complicité d’abus de biens sociaux” dans l’affaire Karachi, sur des accusations de financement occulte de la campagne présidentielle en 1995 de l’ex-Premier ministre Édouard Balladur qui, poursuivi pour “complicité” et “recel” d’abus de biens sociaux, a quant à lui été relaxé.
– En dépit de nombreuses spéculations, rien dans le dossier d’instruction n’établit de lien formel entre le scandale des rétrocommissions et l’attentat lui-même.
– D’autres ont évoqué des dissensions au sein de l’armée pakistanaise, partagée entre une mouvance traditionnelle et religieuse très importante dans l’armée de terre et une frange plus favorable à l’Occident dans la marine ou l’aviation. Ou encore la vente par la France de sous-marins à l’Inde, ennemi juré du Pakistan.
– Le 8 mai 2022, vingt ans après l’attentat, deux commémorations se sont tenues à Cherbourg. Plusieurs blessés et proches de victimes ont boycotté la cérémonie organisée par Naval Group (ex-dcn), convaincus que la compagnie et l’État mettent des “bâtons dans les roues” à cette enquête.
Dans leur livre On nous appelle “les Karachi”, publié en 2010 (Éditions Fleuve noir), Magali Drouet et Sandrine Leclerc, filles de victimes de l’attentat, réclament de connaître le nom des terroristes et des commanditaires, ainsi que ceux de tous les responsables pakistanais et/ou français qui, de près ou de loin, sont à l’origine, de par leurs activités, de l’attentat.
Un constat : dix ans après leur livre, vingt ans après l’attentat, les coupables au Pakistan n’ont été ni identifiés ni arrêtés. Le temps, peut-être, de relancer l’enquête.
PRINCIPAUX PERSONNAGES
Au Pakistan
(Les grades entre parenthèses sont les équivalents français de ceux de la marine pakistanaise.)
Shaheen Ghazali, lieutenant commander (capitaine de corvette), officier ingénieur dans la marine pakistanaise, ami et collègue de Marc Dacian
Sara Zafar, lieutenant (lieutenante de vaisseau), interprète dans la marine pakistanaise, fille du docteur Firaq Zafar
Firaq Zafar, surgeon captain (capitaine de vaisseau), médecin de la marine pakistanaise au pns Shifa Hospital
Pervez Mansur, captain (capitaine de vaisseau, puis colonel), officier des services secrets pakistanais
Abdul Sattar, lieutenant commander sd (capitaine de corvette), officier marinier, sorti du rang, de la marine pakistanaise
Nazia Sattar, lieutenant (lieutenante de vaisseau), service informatique dans la marine pakistanaise, amie de Sara et fille d’Abdul Sattar
Gulzar Umrani, pêcheur et tenancier d’échoppe à Mubarak village
En France
(La dcn, Direction des constructions navales, est devenue Naval Group en 2017. Par commodité, nous avons conservé l’appellation dcn tout au long du roman.)
Jef Kerral, journaliste à Cherbourg
Marc Dacian, technicien de la dcn, survivant de l’attentat de Karachi, ami et collègue de Shaheen Ghazali
Greg Dacian, ami d’enfance de Jef et fils de Marc
Claude Kerral, père de Jef, technicien à la dcn
Alex Poinvot, cadre dirigeant de la dcn
Nous qui fûmes exécutés sur des sentiers obscurs
Hum Jo Tārik Rāhoñ Meiñ Māre Gaye
(Titre d’un poème de Faiz Ahmed Faiz,
traduit de l’ourdou par Hidayat Hussain)
To my comrade A
PROLOGUE
Karachi, Pakistan.
8 mai 2002. 7 h 45.
La chaleur l’avait pris de court, son intensité, ce qui était absurde, une boule de feu, ça ne pouvait être que ça, une chaleur intense. La douleur était arrivée, il ne savait plus quand. Avant que la boule de feu le frappe peut-être, savoir que ça allait faire mal, la trouille de voir la mort le viser tel un cavalier de l’apocalypse, ou quand, sournoise, alors qu’il l’attendait en pleine figure, elle s’était glissée sous les sièges, l’attrapant par les pieds, lui dévorant les chevilles, les jambes. Ou après, les secondes après, ou quand il s’était réveillé, quoi, quelques secondes, ou peut-être des minutes, après le passage de la boule de feu. Ses yeux brûlés, il ne voyait rien, non pas brûlés, pas la boule de feu, les yeux, c’était quoi, l’onde de choc, souffle coupé, poumons enfoncés. Est-ce qu’il respirait encore ? Ou plutôt il voyait la boule de feu qui lui arrivait dessus, de l’avant du bus, qui ravageait tout sur son passage. Il ne comprenait rien. Il ne la voyait pas, elle passait en dessous, sournoise, sous les sièges. Il criait, se débattait sans bouger, hurlait, mais aucun son ne sortait, ou peut-être c’était qu’il ne s’entendait pas. Les paupières brûlées, non pas brûlées, mais tout comme, corps de douleur, il essaya d’ouvrir les yeux, un mince filet de lumière, la boule de feu avait disparu. Pas la douleur. Comme si la boule de feu avait pénétré son corps et le dévorait. La violence de l’explosion l’avait paralysé. Il n’osait plus bouger. Ne savait plus s’il était toujours évanoui ou conscient. Conscient de quoi ? La chaleur écrasante de Karachi, elle paraissait douce après le passage de la boule de feu. Il avait peur, maintenant. Sortir de la douleur. Il essaya de s’extraire du siège du bus, il devrait ramper, son regard s’arrêta sur un bras arraché, là, à côté, sur son chemin pour s’extraire de ce tas de ferraille jonché de sang et de chair. Ce n’est que plus tard qu’il se demanderait à qui était ce bras. Pour le moment, seule certitude, il était incapable de toucher à ce bras, et ça le condamnait à rester bloqué dans le bus qui allait peut-être se mettre à brûler, la boule de feu, elle traînait encore si ça se trouve, elle allait revenir, se nourrir, finir les restes, le finir. Il essaya de se retourner. Voir si la boule de feu était là, quelque part. Sur le siège d’à côté, un copain. Une moitié de copain. Visage à moitié arraché. Il voyait tout ce qu’il n’aurait jamais voulu voir de l’intérieur de cette moitié restante. Le gars bougeait. Des soubresauts. Des choses bougeaient dans sa tête ouverte, prise de sursauts, des petits sursauts. Un mort qui bougeait. Qui protestait. Bordanier ? Ou Bertrand ? Il se rappelait des noms, ne savait plus y associer de visage, moitié de visage. Il tendit la main vers lui, vers son bras qui pendait, vers sa main qui semblait tendue vers la sienne. Retint son geste, il n’arrivait pas, des douleurs dans le dos. Il n’entendait toujours rien, mais il voyait maintenant des types en civil et en uniforme s’approcher. Il n’avait qu’un œil qui voyait, un entrefilet de vision. La tête du copain ne bougeait plus. Est-ce que j’aurais dû lui tenir la main ? Son corps le brûlait, la douleur enflait, il n’entendait rien, ou juste un filet, des visages, entiers, se penchaient vers lui, il montra le bras arraché qui le tétanisait, on le prit par les épaules, par les jambes, il hurla, à travers son œil à moitié fermé, il capta un flash de la scène, pas de boule de feu, le bus tordu, la foule autour, les copains, autour, carbonisés, déchiquetés, il essayait de ne pas voir, que ça se plante pas dans son crâne pour le restant de ses jours. Ses poumons le brûlaient, ses pieds étaient en bouillie, ne pas voir, ne pas voir, ne pas voir.
Il pleura. Il vivait.
1
Cherbourg, France.
13 avril 2022. Quatre semaines avant la commémoration des vingt ans de l’attentat.
Les années passaient et Jef Kerral se sentait toujours emprunté au moment d’appuyer sur la sonnette de chez Marc. Il jeta un œil sur la une de l’exemplaire du jour de La Presse de la Manche. Les élections présidentielles, avec l’interview de l’ex-candidat écologiste, de nouvelles révélations sur des fosses communes découvertes à Butcha, l’ouverture d’une entreprise britannique à capitaux chinois de semi-conducteurs, celle qui avait tant fait polémique depuis deux ans, la grève de la faim de demandeurs d’asile afghans, un reportage sur l’entraînement de l’as Cherbourg avant la rencontre en Coupe de France du week-end contre le psg. Rien sur la sixième vague et le nouveau variant upsilon signalé en Suède. Trois semaines sans Covid en première page, un record. L’invasion de l’Ukraine par la Russie écrasait tout.
Jef replia le journal. Toujours cette appréhension. Qu’en penserait-il ? Jef savait comment Marc réagirait, avec un mot sympa sans doute. Mais qu’en penserait-il vraiment ?
Grégoire ouvrit la porte. Son ami d’enfance attrapa le journal.
– Vingt-deux, v’là le fouille-merde du quartier !
Grégoire déplia le journal.
– Laisse-moi deviner… Ah, donne-moi un indice quand même. Est-ce que tu as un article de une ?
– Gagné, bourricot.
– Évidemment, sinon tu n’aurais pas osé te montrer… Alors voyons… Tu es nul en sport, tes interviews politiques sont chiantes, l’économie, t’y piges rien. Allez, je mise un apéro sur les Afghans, vu que là, y a rien à comprendre.
– Pour une fois, tu me dois l’apéro.
– Oh, sérieux ? Ne me dis pas que c’est toi, le sujet foot ?
– Les Chinois.
– Oh là là ! Un sujet éco ! Et tu ne m’as pas demandé conseil ? Je te rappelle, c’est moi qui ai fait une école de commerce ici.
– On n’avait pas besoin de l’avis d’un marchand d’aspirateurs qui se prend pour Jeff Bezos.
– Avec un f qui fait toute la différence avec toi, mon pote !
– Tu peux te le garder, ton f comme fric.
Jef écarta son ami et rentra dans le salon. Marc était assis à sa place habituelle, face à la baie vitrée qui donnait sur le jardin. Le père de Grégoire leva la main en le voyant venir. Il sourit au jeune journaliste.
– Salut, Jef, tu supportes encore les sarcasmes de Greg ? C’est beau, l’amitié…
– C’est mon côté samaritain. Je sais bien que personne d’autre ne le supporte… Greg, amène le journal.
Grégoire tendit le quotidien à son père en se bouchant le nez. Comme à chaque fois. De toute façon, Greg n’était pas du genre à se renouveler. Ils avaient vingt-sept ans, se connaissaient depuis toujours, et Greg avait toujours été… le même. Claude, le père de Jef, travaillait aussi à la dcn, la Direction des constructions navales, comme Marc l’avait fait jusqu’à l’attentat. Les familles avaient grandi ensemble, comme tous les ouvriers et techniciens de Cherbourg qui vivaient pour l’arsenal. Greg et Jef se fréquentaient par habitude. De l’amitié ? Jef n’en était pas sûr. Une forme d’amitié sans doute. De tendresse. C’était pareil, paraît-il, dans les histoires d’amour, ça pouvait virer à la tendresse.
Marc se souleva sur les accoudoirs avec une grimace. Furtive, mais elle n’échappa pas à Jef.
– Ça va ?
Marc lui répondit d’un sourire fatigué. Il souleva sa jambe gauche et la déplaça de côté, il se massa un peu la cuisse. Il respirait profondément. La douleur sembla s’estomper. Il prit enfin le journal et s’attarda sur la première page.
– Alors, ça dit quoi aujourd’hui ? Le papier sur la boîte chinoise, tu disais ?
– Oui, c’était intéressant en fait, il y a des implications qui changent un peu de ce qu’on a souvent dans le coin.
– Ah les Chinois, ça, ouais…
– Les gars minimisent le fait que c’est une boîte chinoise la principale actionnaire, mais quand tu regardes leur site Internet, les communiqués de presse, en anglais ou en chinois, ça ne dit pas la même chose.
– Tu parles chinois, toi, maintenant ?
– Logiciel de traduction en ligne, ça fonctionne très bien. Les communiqués en anglais de la boîte chinoise ne parlent que du côté business. Mais on trouve deux ou trois fois plus de documents sur la version chinoise du site, et ça parle des efforts à faire pour appliquer les objectifs de la politique de Xi Jinping, tu as les comptes rendus des réunions de la cellule du parti communiste au sein de la boîte et tout ça.
Marc déplia le journal.
– Dis donc, tu t’attaques à du gros…
– Si on veut. Ça reste une petite boîte du coin, même avec des investisseurs chinois. On ne m’a pas vraiment envoyé en Chine pour enquêter. Mon chef n’était pas très chaud d’ailleurs, ça risque de nous mettre la société à dos, mais le projet est soutenu par un type de l’agglo que le chef des pages région a dans le nez, alors… Mais, demain, je dois faire un papier pour annoncer la programmation du festival du cidre, tu vois le genre…
Jef s’assit sur le canapé. Greg, dans l’entrebâillement de la porte du salon, lui fit signe.
– Allez, magne, on a pas que ça à foutre, si on veut s’échauffer un peu.
– J’arrive, c’est bon, on a cinq minutes quand même…
Greg soupira et disparut.
– Vous jouez contre qui ?
Jef haussa les épaules.
– Aucune idée.
Marc reposa le journal.
– Et toi, ça va ?
Ce fut à Jef de sourire, avec un rictus. Il écarta les mains.
– Le festival du cidre…
– Tu t’emmerdes ?
Jef évita le regard de Marc. La fixité de son œil de verre le mettait mal à l’aise. Seul souvenir vraiment visible des dégâts que l’explosion avait infligés à son visage. La chirurgie esthétique avait permis des miracles. Jef savait aussi que, derrière la façade, Marc ne s’était jamais remis de l’attentat.
Oui, Jef s’emmerdait. Mais que pouvait-il dire ? Pouvait-il avouer aussi que son amitié avec Grégoire n’en était plus une ? Jef rêvait d’en découdre dans des reportages à l’étranger et se morfondait dans un journal local, brandissant comme un trophée un sujet sur une boîte à capitaux chinois avant de retomber dans le cidre, quand Grégoire ne pensait qu’à se faire du fric en se servant sans scrupules – il le savait – du statut de victime héroïque de son père. Il restait le foot. Et Marc. Si Jef se l’avouait, il venait, depuis des années déjà, bien plus pour Marc que pour Grégoire. Ce n’était pas facile à expliquer. Marc et le Pakistan, cette histoire d’attentat dont il avait été victime, son courage au retour, quand il avait voulu obtenir des explications de la dcn, les pressions qu’il avait subies, alors que son propre père, loyal employé, était partisan de ne pas faire de vagues. Il trouvait son père veule, soumis. Ne lui avait jamais dit. Drôle de journaliste, qui s’évertuait à vouloir faire parler les autres mais s’avérait incapable de parler lui-même.
Auprès de Marc, Jef respirait cet air dramatique qu’il aspirait de ses vœux. Marc parlait peu, et cette réserve attisait plus encore l’envie de Jef. Le Pakistan concentrait tous les interdits et défis qui le brûlaient. Peut-être parce qu’il avait beaucoup lu sur ce pays qui n’intéressait personne et qu’il en connaissait les aspects délirants, aller sur place ne le tentait pas. D’autres pays, oui, le Pakistan, non. Pas ce pays vicieux et sournois qui avait ravagé l’homme qu’il admirait en secret. S’il était silencieux à propos de l’attentat, Marc ne pouvait dissimuler le lien de haine et d’amour qui le liait au Pakistan. Il ne tirait aucune gloire d’avoir été victime d’un attentat commis à des milliers de kilomètres de là par des hommes invisibles dans un combat qui n’était pas le sien. Mais la dcn et certaines autorités, pour des raisons obscures, avaient bâti un récit qui, Jef le voyait bien, mettait Marc mal à l’aise.
– Bah, ça passera. On a un nouveau chef de service, j’essayerai de lui proposer des sujets un peu différents. Je pensais à une série sur les émigrés célèbres partis de Cherbourg pour les Amériques il y a un siècle.
Grégoire revint, sac de sport en bandoulière.
– Tiens, c’est vrai, tu pourrais écrire sur le festival du calva à la place…
– T’es con. Prête-moi une gourde plutôt, j’ai oublié la mienne.
Il suivit Grégoire à la cuisine.
Son ami profita du bruit de l’eau qui coulait pour se pencher vers Jef.
– La commémoration approche, tu sais dans quel état ça le met, évite de lui en parler, d’accord ?
Jef ne répondit pas. Ils repassèrent par le salon. Le journal était replié. Pas sûr que Marc ait lu l’article.
Son téléphone sonna. Greg s’impatienta. Jef écoutait. Son chef de service. Il hochait la tête.
– Entendu, j’arrive tout de suite, je suis au journal dans vingt minutes.
– Quoi au journal ? Dans vingt minutes, t’es sur le terrain, mon pote.
– C’est l’attaque au couteau dans un supermarché de Heidelberg, ce matin.
Jef regarda Marc. Pourquoi fallait-il qu’il ramène tout ce que le monde réservait d’extraordinaire à l’ami de son père ? Peut-être, derrière ce que Marc avait enduré, soupçonnait-il une porte vers ces récits humains, ces combats perdus qui le fascinaient depuis l’adolescence.
– Apparemment, un des blessés est de Cherbourg, il faut que je fasse un papier sur lui. Tu courras pour deux, ça te changera.