Publication : 01/01/1995
Pages : 440
Grand Format
ISBN : 2-86424-204-4
Couverture HD
Poche
ISBN : 978-2-86424-682-4
Couverture HD

Maria Moura

Rachel de QUEIROZ

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Titre original : Memorial de Maria Moura
Langue originale : Portugais
Traduit par : Cécile Tricoire

Tout destinait la jeune Maria Moura à devenir la maîtresse d'un grand domaine. Pourtant, à la tête d'une bande d'hommes armés elle rançonne les voyageurs sur les routes du Sertão brésilien et utilise tous les moyens que lui offre la société rude et violente pour prendre le pouvoir et assurer sa liberté.


"Avec juste ce qu'il faut de cruauté, de machiavélisme et d'égocentrisme, cette héroïne nous entraîne dans une aventure galopante conjugant avec habileté action et psychologie. Un livre qui fouette le sang et redonne des couleurs."

Alexie Lorca, Lire

  • « Avec juste ce qu'il faut de cruauté, de machiavélisme et d'égocentrisme, [?] une aventure galopante conjuguant avec habileté action et psychologie. Un livre qui fouette le sang et redonne des couleurs. »
    Alexis Lorca
    LIRE

Le prêtre

En entendant le coup de feu, je descendis de cheval. C’était donc bien là. Je m’écartai du chemin, tirant Venin par la bride, et m’enfonçai dans les bois déjà desséchés à cette époque de juillet.
Autre coup de feu. Cela n’avait pas l’air de me concerner – enfin, je veux dire, de me viser. Ils devaient être en plein exercice de tir. Au loin, j’entendis un chien aboyer. A bout de fatigue, je m’assis sous un buisson et m’allongeai sur l’herbe sèche.
Si j’arrive devant la maison, à découvert, ils sont capables de m’accueillir à coup de chevrotines, en croyant à une attaque. Si je ne bouge pas, ils vont finir par me trouver et vont m’emmener vivant. Fatalement, ils vont m’interroger sur ce que je suis venu faire ici.
Alors, je leur demande de me conduire chez leur Maîtresse. Je dis que nous sommes, elle et moi, de vieilles connaissances… Et n’est-ce pas un peu le cas ?
Elle doit bien se souvenir de sa confession. Ce n’est pas tous les jours qu’on fait une telle confession. Bien sûr qu’elle s’en souvient !

Au petit matin, dans l’église encore sombre. La jeune fille agenouillée parlant d’une voix rauque :
– Mon Père, je me confesse parce que j’ai péché… J’ai commis un grand péché… le péché de chair… avec un homme… Mon beau-père ! Et le pire c’est que maintenant il faut que je le fasse tuer…
A travers la grille du confessionnal on arrivait à distinguer sa silhouette. Elle semblait très jeune, peut-être même jolie. Elle parlait froidement, sans colère apparente, mais certainement
avec une haine très grande au cœur. Je me sentis tout remué – troublé ? – en tous cas effrayé. Mais je parvins à dire :
– Ôter la vie à quelqu’un est un crime beaucoup plus grave que le péché de chair, ma fille. Qui est cet homme ?
Elle avala d’abord sa salive, puis prononça le nom. Mais comme s’il lui avait échappé, car entendant ce qu’elle venait de dire, elle cria presque de rage :
– Vous m’avez fait dire ce que je ne voulais pas dire. Son nom ! Vous m’avez abusée ! Et à présent, vous allez me dénoncer !
Je baissai la voix un peu plus.
– Calmez-vous ma fille, calmez-vous. Rappelez-vous que vous êtes protégée par le secret de la confession.
Elle se leva d’un bond, se couvrit le visage de sa mantille, et dit seulement :
– J’espère.
Comme si c’était une menace. Elle sortit toute raide, marte­lant les dalles de l’église de ses talons.
Je ne me suis pas levé, je me souviens, je n’ai eu aucune réaction. Le visage enfoui dans les mains, j’ai seulement gémi : “Mon Dieu, mon Dieu ! Comment un pécheur peut-il donner l’absolution à un autre pécheur ?”

Et aujourd’hui, après tant et tant d’années… L’homme, le fameux beau-père, est bien mort, il est tombé dans une embus-cade. Quant à moi, je ne suis pas mort comme je le pensais. J’ai souffert, peiné, fui. J’ai tellement parcouru de chemin. Et me voilà maintenant ici, épuisé d’avoir tant fui, d’avoir tant couru désespérément.
Je me suis regardé, assis par terre, avec mes habits de toile grisâtre, mes grosses bottes d’enfant de troupe, mon mouchoir autour du cou. Tout râpé, dégoûtant. J’ai passé la main sur ma barbe, mes moustaches tombantes, mes cheveux qui m’arrivaient presque aux épaules.
Sans soutane, avec cette tête-là, c’est sûr, elle ne me recon­naîtra pas. Mais mon nom, elle le sait. Tout le monde savait mon nom dans le pays. D’ailleurs dans la pénombre du confessionnal, elle a très bien pu ne pas me voir. Ce qui me rassure c’est que les gars ne vont pas tuer quelqu’un, comme ça, sans le connaître. D’abord ils vont vouloir savoir qui je suis. Et ce que je suis venu faire dans ce bout du monde. Dans cette Serra dos Padres, rendez-vous compte !
Sous les taillis, perdu dans mes lointains souvenirs, la bride du cheval qui broutait l’herbe sèche alentour passée autour du bras, je ne vis même pas les deux hommes approcher : un caboclo* foncé et un blanc jaunâtre avec une moustache rousse.
– Eh, vous ! Qu’est-ce que vous faites ici ?
Et l’autre :
– C’est un traquenard ? Qui c’est que vous attendez ?
Le caboclo me prit la bride des mains, le rouquin fit passer la bretelle de ma vieille carabine par-dessus ma tête. Puis il me retira mon couteau de la ceinture.
S’ils ne m’ont pas frappé c’est parce qu’ils ont vu que je n’étais pas un vagabond, j’avais des chaussures, des habits usés jusqu’à la corde, mais corrects. Je me suis levé lentement et j’ai ouvert les bras pour bien montrer que je n’avais pas d’arme cachée.
– Je veux parler à Dona Moura.
Les hommes se regardèrent, le rouquin se mit à rire :
– Ça va pas ! Qui vous êtes ?
– Je veux lui parler. Je ne le dirai qu’à elle.
Ils passèrent derrière moi et l’un d’eux me cogna l’épaule un peu brutalement avec la crosse de l’arme.
– Allons-y. Et t’avances, hein, situ veux pas qu’on te casse l
es os.

Sortant des bois, nous reprîmes l’étroit sentier par lequel j’étais venu, après avoir quitté la route. Nous marchâmes encore un peu, jusqu’à l’endroit que j’avais déjà entrevu de loin. Au fond d’une cour dégagée, la maison trapue se dressait devant une sorte de barrière rocheuse formée par deux monts d’inégale hauteur : c’étaient les contreforts de la Serra dos Padres qui s’élevaient juste derrière. Une palissade de rondins haute de huit palmes, hérissée de pieux comme dans les villages indigènes, clôturait le grand terre-plein en isolant la maison.
La barrière, équipée d’une chaîne et d’un cadenas, était restée entrouverte, sans doute pour laisser passer les deux hommes qui me ramenaient.
A l’intérieur, la maison, ou plutôt “les maisons” : il n’y en avait pas qu’une. Au premier plan la véranda de ce qui devait être la maison de maître. Et tout autour, qui en partaient, des toits et des murs de formes variées, devant certainement servir d’habita­tion pour les hommes, de cellier pour les réserves, d’écuries, de remises.
Au-delà de la palissade, le corral pour le bétail, le poulailler.
Tout en ordre et bien tenu, on aurait dit une fazenda comme les autres, si ce n’est cet aspect un peu de caserne.
Le caboclo emmena le cheval sellé, mon maigre bagage encore accroché à la croupe. Le rouquin me conseilla de me tenir tranquille, le dos au mur. Il s’appuya lui-même contre un poteau et attendit en me surveillant du coin de l’œil.
C’est alors qu’apparut la dame. Chaussée de bottes à courtes tiges, elle portait des pantalons d’homme et une chemise à carreaux aux manches retroussées. Ses cheveux coupés courts lui tombaient à l’oreille.
Grande et mince, elle aurait pu passer pour un garçon, vue de loin. Son visage fin eût été gracieux sans cette expression un peu revêche, cette bouche sans sourire.
Je fis un effort pour retrouver dans cette étrange créature la jeune pénitente en colère d’autrefois.
– Qui êtes-vous, demanda-t-elle sèchement. Que me voulez-vous ?
– J’ai dit que je désirais vous parler, mais j’aimerais que ce soit en particulier.

 

Rachel DE QUEIROZ est née en 1910 dans le Nord-Est du Brésil et décédée à Rio de Janeiro en 2003. Romancière populaire, elle siégea à l’Académie brésilienne des lettres et reçut le grand prix Camões de la langue portugaise. Elle a tenu une chronique dans un grand quotidien de Rio.
Elle a traduit Dostoïevski, Tolstoï et Emily Brontë. Maria Moura, écrit en 1991, a été adapté pour la télévision.

Bibliographie