Une voix forte, vibrante et pleine de vie porte ce roman : celle d’Ai Guo, une jeune Shanghaienne prête à tout pour se frayer un chemin au milieu des bouleversements de la société chinoise. Issue d’un milieu prolétaire, Ai Guo vend ses charmes au plus offrant. Qu’importent les moyens : devenir riche est glorieux. Ses clients, qu’elle appelle ses "patients", sont des expatriés occidentaux. A Shanghai, puis à Pékin, elle amasse une petite fortune et se fait une jolie réputation. L’argent, le luxe, les satisfactions ne manquent pas à cette femme d’affaires avisée, que les scrupules n’étouffent guère.
Derrière les paillettes, le vide se profile. Celui de ses "patients", lancés sans bouée dans un pays qu’ils ne comprennent pas. Celui, surtout, d’un monde chinois sans repères, consumé par l’avidité. Un univers cynique et brutal où chacun navigue à vue entre des injonctions contradictoires. Les certitudes d’Ai Guo se fissurent. Peut-on se contenter de la réussite financière quand on est jeune et pas tout à fait aussi insouciant qu’on aimerait le croire ? Il faudra qu’un voisin très inattendu s’installe en face de chez elle pour que son existence change de direction.
A travers Ai Guo, ce sont les ambivalences de la Chine contemporaine qui s’expriment, mais aussi les élans de la jeunesse, et l’amour de la vie. Tour à tour drôle ou cruel, sensible ou choquant, méditatif ou enlevé, ce roman fait entendre une voix singulière et inoubliable.
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« C'est très cynique, parfois un peu choquant ; je ne l'ai pas encore terminé mais j'aime beaucoup. »
Noéllie Taxu -
« Stéphane Fière publie son quatrième roman, Une chinoise ordinaire. Là aussi, à travers une histoire passionnante (et iconoclaste, et rigolote aussi), celle d’une jeune chinoise contemporaine qui vend ses charmes sans scrupules (et qui en parle avec une crudité réjouissante et une insouciance de façade), le travail sur l’écriture est remarquable. Traité en partie comme une sorte de journal parlé ou raconté, fait de longues périodes tour à tour drôles, cruelles, choquantes, sensibles, méditatives même, la langue mise en œuvre fait en quelque sorte écho à toutes les ambivalences de la Chine moderne et de la jeunesse moderne. C’est le roman idéal pour découvrir cette nouvelle voix de la littérature française, dont nous sommes persuadés qu’elle va compter de plus en plus dans les prochaines années. »
Librairie Labyrinthes (Rambouillet)
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« Sans jamais tomber dans la vulgarité gratuite, malgré des descriptions crues et réalistes, totalement nécessaires au vu du sujet, Stéphane Fière nous plonge dans un roman sensible et intéressant, et nous fait voyager loin, très loin, grâce à une maîtrise totale de la culture chinoise. » Plus d'infos ici.BLOG Café Powell
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« […] Par la voix de sa narratrice, Stéphane Fière nous fait découvrir toutes les ambivalences de la Chine moderne. On y rencontre des expatriés, des hommes d’affaires, des prostituées, le luxe et la grande pauvreté. Un roman singulier et attachant. » Lire l'article entier ici.Marie TorresSITE MIC MAG
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« Le quatrième livre de Stéphane Fière se distingue des précédents. Car si l’auteur ne rompt pas avec ses thèmes chinois, il change de voix. Et celle qu’il adopte emporte le roman dans sa fièvre. […] L’héroïne de Stéphane Fière est, de fait, une jeune femme comme une autre qui tente de survivre du mieux possible. Dans une Chine sans boussole, elle est à la dérive entre des draps de satin. "Belle et hideuse à la fois", et pourtant vide, perdue, inconsistante. Fantomatique. Et fascinante pour le lecteur. » Lire l'article entier ici.Nils C. AhlLE MONDE DES LIVRES
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Entretien entre Stéphane Fière et Philippe Vallet. Plus d'infos ici.Le livre du jourFRANCE INFO
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«Dans Une Chinoise ordinaire, Stéphane Fière dresse le portrait d’un pays déboussolé. […] Dans un style vif comme la femme pressée qu’est Ai Guo, le récit à la première personne révèle un quotidien que l’on a bien du mal à qualifier d’ordinaire. » Lire l'article entier ici.Anaïs HeluinRevue Politis
I
première journée
Moi j’aime l’amour.
Enfin, entendons-nous, pas les sentiments – confusion de l’esprit, égarement du bon sens – ni les maux qui les accompagnent?: inquiétude permanente, désarroi, absence insoutenable et raison qui chancelle, non, rien d’aussi fade, ces âneries je peux les lire sur mon iPad 5 (3?688 renminbi) ou ma liseuse Hanvon (Wisesmart m10690, 2?999 renminbi), dans nos romans gluants de mièvrerie, de regards fondants, de mains qui tremblent et de cœurs qui battent sans comprendre, non, non, non, trois fois non?: moi, j’aime le sexe.
En plein milieu de l’enfer, seule dans la lutte pour n’être pas dévorée, face au grand traquenard de la vie, chacune se défend avec les armes dont elle dispose?: les bras ou la tête.
Mon arme à moi, c’est ma beauté, évidemment.
Évidemment.
Ah ma beauté, mon capital le plus précieux, un don de la nature, mes clients le disaient – le disent toujours –, qui les attire, qui les fascine j’oserais dire si j’étais moins modeste, une nouvelle Yang Guifei, “la beauté chinoise classique, cheveux de jais, taille flexible, œil de biche, féminité, féminité, si féminine”, ça c’est Lucien Gardenne qui parle, ha ha, j’étouffe un gloussement, je ne vais pas le désapprouver ce cher Lao Lu, mais il n’y connaît rien, pas plus lui que tous mes autres clients, la beauté chinoise classique elle est menue, plate et sans fesses, quasi poitrinaire, fragile et délicate, un souffle, une expiration, un soupir de femme, avec le visage triste, enduit de poudre blanche et, sur les lèvres, presque obscène, une touche de vermillon, grimage sur un être qui n’était déjà plus, ou n’avait jamais été, évanescent, comme cette chèvre de Lin Daiyu dans Le Rêve dans le pavillon rouge, quel plaisir aurait-elle pu donner, une véritable imposture et moi son exact contraire qui suis grande, spontanée, éclatante, toute de courbes, pleine de vie.
Mes clients, non, le mot est mal choisi, je devrais plutôt parler de mes patients, ces grands malades de la Chine, je les soigne en quelque sorte et leur procure de la joie avant les derniers soubresauts. Je suis l’infirmière des ultimes besoins, la thérapeute des corps qui cherchent à vibrer avant l’arrêt définitif, le terminus, le temps qui passe et ne reviendra plus.
Où en étais-je, oui, donc, la beauté classique?: mensonge, supercherie, fraude à la marchandise, une irritation dans la journée, un désastre pendant la nuit?; rien à voir avec la mienne, et heureusement que mes patients ne comprennent rien aux femmes chinoises, ni à la Chine d’ailleurs sinon j’en perdrais jusqu’à ma valeur liquidative?! Ha ha je plaisante, je plaisante. Pour l’instant ma beauté est toujours là, qui maintient ma cote et mes prix, pas comme cette pauvre Liang Duoduo qui doit se soumettre aux dernières bassesses pour se nourrir, déjà au collège numéro?7 et dans notre quartier, on la montrait du doigt, Ciel qu’elle était moche, toute grêlée et les cheveux gras, une vraie piste d’atterrissage en plus et maintenant un autobus depuis que le sort s’acharne?: dans son salon de coiffure elle est obligée de prendre ce qui monte – et qui monte demanderez-vous – mais les masses grouillantes des culs-terreux des échafaudages environnants, ma ville, la Perle de l’Orient, ou la Pute de l’Asie, un chantier perpétuellement à ciel ouvert, et ces mingong hideux qui rappliquent en flots ininterrompus du fond de leurs campagnes pourries, pas fameux comme gagne-pain pour assurer le loyer et le repas du soir, grosses mains gros pieds, c’est sale, ça empeste et ça ne se lave que la veille du retour au village natal pour la fête du Printemps, et mon tout pour quarante renminbi le tourniquet, quarante renminbi, renminbi, renminbi, la Monnaie du Peuple, renmin de bi, le Vagin du Peuple, oui?! Je ne la vois plus depuis longtemps la femme de tout le monde, mais j’ai de ses nouvelles quand Wang Li-Mei ou Shuang Lang redescendent à Shanghai une semaine par mois pour jouer les numéros deux et justifier auprès de leurs papas en sucre les appartements dans la résidence Upper Luxury Magnificence et les MiniCar dont l’utilité principale consiste à se garer sur une place en vue à l’entrée du Posh Posh, la boîte de nuit des happy few?: elles passent exprès devant le bouge de Duoduo et si elle est inoccupée, elles la prennent en photo derrière sa vitrine, épandue sur son fauteuil, le sourire racoleur pour amorcer le pouilleux n’ayant rien d’autre que cet aspirateur-éponge pour se soulager, ses lingettes qui pendent à sécher entre deux arbres sur le trottoir, ses rideaux dépenaillés, son enseigne qui ne clignote même plus, et la tête qu’elle fait, hilarant, on y lit toute la détresse et l’humiliation de la terre, et moi quand je reçois les images sur mon iPad, ça me rend heureuse, et plus sucrée encore et savoureuse l’intensité de ma réussite.
Liang elle nous fait bien de la peine cette nullité, un corps sans prix, avant même de partir on savait qu’elle n’arriverait jamais.
Gardons-nous cependant d’un trop-plein d’optimisme car la beauté se fane, et plus vite qu’on imagine. La seule stratégie pour prévenir l’érosion inévitable, c’est d’en profiter pendant qu’elle est là. Hâtons-nous d’en jouir et d’en prendre les bénéfices avant la date de péremption, de quoi demain sera fait, fortunée celle qui le saura.
Ma beauté?: un produit d’appel – et ne nous leurrons pas, sur mon créneau on ne va pas à la pêche aux carpes centenaires avec des grenouilles en plastique?; ensuite, moi, je ne fais plus travailler mes bras, dagongmei j’ai déjà donné, il y a mille ans quand j’en avais quinze, ni ma tête, comment aurais-je pu poursuivre des études secondaires alors que nous n’avions pas d’argent, surtout depuis la mort de mon père, une histoire tragique de conduite en état d’ébriété et d’accident malencontreux, et ma mère qui trimait du matin au soir sur les trottoirs de Xintiandi avec sa cuisine ambulante et moi finalement à ses côtés pour servir les soupes de nouilles ou le riz-poulet.
Dagongmei?: à quinze ans, juste après l’obtention du brevet nous avons quitté Shanghai moi, Wang Li-Mei et Shuang Lang – toutes les trois inséparables depuis nos premières couettes –, et nous sommes allées travailler dans la société d’un oncle lointain, on devait apprendre un métier, commencer à gagner notre vie pour ne plus être un boulet pour les familles. À l’époque le paradis des ouvrières il était à Shenzhen. Dans l’immense usine de l’oncle Wei, on vissait sans interruption 7?heures-midi, 13?heures-17?heures, 18?heures-21?heures, parfois 23?heures ou minuit quand il fallait répondre à des commandes urgentes, avec les heures supplémentaires payées au taux horaire normal malgré la législation, six jours sur sept, clouées sur une ligne de montage, à la merci du convoyeur, machine sans âme et qui ne faiblissait jamais, quatre pièces par minute, la plaque lcd pour les téléphones portables d’une entreprise occidentale, surtout pas moins sinon le chef de ligne ou son assistant venait nous crier dessus en nous menaçant d’une amende, et les amendes elles pleuvaient presque d’office, trois minutes de retard au pointage, une pause sans avoir demandé la permission au contremaître et pan une heure décomptée deux heures de salaire en moins, des allers-retours entre le poste de travail et les w-c dépassant le nombre autorisé et c’était le bureau de la responsable du personnel vous avez lu le règlement, retournez donc faire la queue à l’Agence du travail, alors on apprenait la sagesse, punitions/récompenses, la prime de rendement on savait qu’elle existait mais on ne la touchait jamais, après le déjeuner la sieste ne pouvait durer plus de vingt minutes, comment se reposer dans ces conditions, d’autant que la nuit à peine cinq heures de sommeil et déjà l’horloge sonnait, on se précipitait qui sous les douches qui aux toilettes, heureusement dans nos chambrées (dix-huit lits), comprimées, entassées, sans espace pour bouger, on convenait des codes pour éviter de se trouver ensemble au même moment au même endroit, et c’était la course sans fin qui démarrait, dix minutes pour atteindre les cantines, quinze minutes pour le petit-déjeuner et on repartait au triple galop pour pointer à temps, on vendait notre force de travail, notre force de travail, quelle blague, nous vendions notre jeunesse, et à vil tarif, on avait étrenné l’uniforme du royaume idyllique des sous-payées, blouse bleue, filet pour les cheveux, casquette à longue visière afin de rester concentrées sur notre minuscule carré de table, on ressemblait à des pingouins, gants de protection en latex (pas pour nos doigts, soyons sérieuses, mais pour éviter de poisser la marchandise), chaussons plastifiés, interdiction absolue de parler, de se peigner, de se moucher ou de cracher afin de ne pas contaminer notre “environnement professionnel” et les composants électroniques sur lesquels nous nous échinions sans trêve, le soir après le repas on prenait des douches chaudes, on faisait notre lessive – les sous-vêtements et les t-shirts pendaient à sécher partout, comme des guirlandes multicolores pour le festival des Lanternes – et dans les dortoirs on écoutait la radio, on plaisantait, on discutait du tout et du rien, commérages et chuchotis, les filles plus âgées que nous elles parlaient du sexe et des moyens de promotion, la petite Yang qui couchait avec Wu le superviseur, elle avait vite été mutée à la planification, Mlle?Zhu qui retrouvait l’ingénieur Du le soir dans les cuisines de la cafétéria, elle visait un poste au contrôle de qualité ou à la gestion des stocks c’est sûr, et la vieille Mao, à trente ans elle partageait son lit entre Gao, Li et Tang, trois agents à la sécurité et pourtant elle était encore affectée à la purge des cuves, tant d’incompétence c’est criminel, et on essayait de rire et d’oublier, pas facile pas facile, le dimanche matin on sortait des usines par milliers et on se précipitait dans les bus pour Shenzhen?; là-bas on se promenait des heures dans les centres commerciaux à faire les vitrines ou à rêver des produits pour embellir et séduire, parures et ornements, mais séduire qui, le fiancé promis au village, celui imposé par les parents, il n’y avait que les filles du Dongbei qui en trouvaient des hommes, seulement c’était une autre partie de leur corps qu’elles mettaient en vente, nous on n’avait que nos bras et nos mains agiles et il fallait les avoir agiles les mains pour saisir les petites vis, toutes de tailles différentes, et manier habilement le tournevis électrique qui pendait au-dessus de nos têtes, attention ni trop fort ni pas assez?; nos camarades de chaînes, des campagnardes pur jus, les xiangxiamei qui pleuraient pour un oui, qui riaient pour un non, elles n’avaient jamais rien vu, les cafés, les magasins de cosmétiques, de vêtements ou d’accessoires de mode, mais les prix, un tube de rouges à lèvres pour seize yuans, le salaire quotidien, une crème de nuit, une bouteille de parfum, une semaine de travail, alors la jupe, le shampoing, le soutien-gorge en dentelle et le chemisier étrangers il fallait les acheter avec les yeux, et comment effacer les odeurs rurales?? Pendant le trajet du retour nous devions rester sur nos gardes, les plus anciennes nous avaient prévenues, prudence, vigilance, les hommes rôdaient et dans les autocars bondés se collaient tout contre nous, mais à qui se plaindre alors qu’il n’y avait même pas de place pour remuer?; s’indigner, crier et ils prenaient l’air absent alors il fallait faire comme si de rien n’était, conserver son calme, penser à autre chose, apprendre à ne rien voir, à ne rien ressentir?; aux arrêts ils ferraient les ambitieuses, les frivoles, les écervelées et les moins aguerries et on ne les revoyait plus, compliments d’une triade, elles devenaient shampouineuses et les aînées nous disaient que c’était fini pour elles?: les massages d’abord et puis très vite la grande braderie de la chair dans les arrière-boutiques, du matin au soir, la paie du premier mois pour acheter les faux certificats de travail et de résidence, l’employé qui les enregistre et le policier qui les vise, les séjours en prison après les rafles, le salaire de la semaine pour rétribuer la sentinelle qui leur ouvrira subrepticement les grilles, les files d’attente dans les cliniques clandestines pour les antibiotiques et les traitements locaux, dans les hôpitaux publics pour les avortements de masse, les stérilisations forcées et les suicides parfois, interminable descente aux enfers, le grand cycle de la perversion, du désespoir et des lendemains qui ne chantent pas, n’ont jamais chanté, ne chanteront jamais. Plus tard, bien plus tard, ou bien assez tôt pour les plus douées, ou les plus chanceuses, le retour au village natal, maquillées, vieillies, vidées, avilies, les familles atterrées, les voisins aux ragots mais les sacs gonflés de billets, rédemption, rédemption, ô rédemption, les revenus du sexe, du sperme, du sang et de la merde qui pardonnent tout, et justifient Shenzhen, Shenzhen, Shenzhen et la Chine du Sud, implacables mères maquerelles, et le vice qui corrompt inlassablement les corps et les têtes, et les cœurs aussi bien, l’argent, l’argent et des vies qui n’attendent plus que la mort.
Moi et mes copines nous ne sommes jamais tombées dans ces pièges. On était toujours ensemble et on présentait un front uni devant l’adversité. Nous étions des waishengmei au sens propre du terme, mais on venait de Shanghai, les hommes ça les tenait à distance notre dialecte qui n’était pas commun, nous ne débarquions pas des provinces arriérées du Guizhou, du Guangxi ou du Hunan, alors on n’était pas méprisées, des Shanghaiennes, voyez-moi ça, c’est comme si nous étions les porte-étendards du socialisme aux spécificités chinoises, oui mais que faisait-on alors sur les chaînes de montage à nous ruiner lentement?? Moi, à ce rythme-là je n’ai tenu que huit mois (Wang Li-Mei était partie au bout de six et Shuang Lang allait démissionner une semaine après mon départ), je ne me figurais pas assise sur un tabouret à river, assembler, coller, souder jusqu’à la fin de mes jours. Sans compter qu’entre les odeurs des produits chimiques utilisés pour le nettoyage des circuits imprimés et des semi-conducteurs, le bruit incessant des machines, la fatigue chronique, le manque de sommeil, on souffrait de maux de tête, de douleurs dans le dos, les yeux rouges ou qui se brouillent, les vomissements, les règles incohérentes et tout ça pour trois cents renminbi par mois, après déduction des repas et du logement?? Au moins nous apprenions le cantonais, ça pourrait toujours servir. Mais l’apprentissage de la vie j’ai finalement décidé que je devrais le faire ailleurs, bien mieux et plus vite.
J’avais les ambitions de mon âge.
Quoiqu’à seize ans, que connaît-on??
Les jeunes de mon âge justement?: aujourd’hui on nous appelle “la génération post-80”, celle des fraises et des noix de coco avec, on le sent bien, une certaine condescendance, peut-être du mépris, mal placé pourtant, comme si nous étions si différents de ceux de la Libération ou de la grande Révolution culturelle?; et les post-90 alors, encore pire, Monsieur Raisin Vert et Mademoiselle Lingerie Brodée, des mous, des faibles, sans idées ni culture, tout juste bons à payer les faux diplômes, les repas de luxe et les vêtements de grandes marques avec les cartes de crédit de papa-maman, à conduire la Porsche ou l’une des bmw familiales et renverser les piétons en brûlant les feux avant de s’enfuir en riant parce que cette maladresse s’excusera d’une simple enveloppe rouge, des trop gâtés donc, des obèses à face de porc incapables de manger de l’amertume, dépourvus de la moindre aptitude pour affronter les difficultés, uniquement mus par l’esprit de lucre, le consumérisme sans nuances et un irrespect total à l’égard du Parti. Des ingrats, oui, des monstres d’égoïsme, personne ne peut ignorer que “sans le pc pas de Chine nouvelle” mais les calamités de la société féodale?; qu’avons-nous à craindre dans un pays socialiste à caractéristiques capitalistes?? Absolument rien, tout le contraire même, le meilleur des deux mondes.
Mais ces arguties n’ont aucun sens, c’est seulement pour nous mettre dans une case, qu’on fasse moins peur?; notre génération nous ne l’avons pas choisie, non bien sûr, et on en bave autant que les précédentes, sinon davantage, certes nous ne mangeons plus des herbes sauvages, des crêpes de terre, l’écorce des arbres nus ou des racines dont les cochons n’auraient pas voulu mais les temps sont toujours aussi violents, même s’ils ont changé un peu, beaucoup, pas forcément.
Les bras, la tête, non, il fallait trouver autre chose, et quel atout possédais-je pour m’extraire de la fange et me lancer dans la course au bonheur prospère comme toutes les autres??
Ma beauté.
Je n’invente rien et quand j’y pense, qu’une fleur comme moi ait pu pousser sur le tas de boue dont je sortais, quelle générosité du Ciel, dix mille années de bonheur aux dix-huit générations qui me suivront.
J’en avais pris conscience assez tôt en croisant les regards et tout ce pouvoir que je possédais sur eux, les hommes?: un capital à faire fructifier.
Comment le rentabiliser?? Je n’avais pas hésité trop longuement, il fallait s’engager sans attendre.
D’abord j’avais appris à compter, sur mes mains, puis sur ma langue, pour les travaux d’approche, ensuite c’est en bas qu’il pouvait y avoir affaire avec mon vagin, et la boîte à caca aussi quand ils voulaient passer par là?; la boîte à caca, quel terme ridicule, pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom, j’éclate de rire?: au karaoké Belles Érudites, les filles, des vraies gamines, effarouchées par trois fois trois font rien, terrorisées par l’inconnu, elles disaient non non pas dans la boîte à caca jamais par là jamais par là mais c’est comme le reste, ça ne fait mal que la première fois, après la force de l’habitude endort les sensations, il suffit de fermer les yeux et de penser à autre chose.
J’avais également compris que ce capital pouvait s’épuiser, comme une mine d’or qui a cessé de rendre, et la concurrence est effrénée, de plus en plus juvénile, avide, déloyale et pour éviter de se battre sur les prix, d’être reléguée balayée envoyée au rebut et de fondre dans la masse, il fallait se distinguer, se différencier, se dé-mar-quer, conserver plusieurs longueurs d’avance, sinon la faillite, le retour sur le dernier barreau, la mort lente?; ma recette infaillible j’avais fini par la trouver en réfléchissant sur les conditions du marché et mon positionnement?: ne pas se donner au tout-venant car elle est chère celle qui est rare, et garder la tête froide pour faire monter les enchères et ma réputation, sur mon segment, mon cœur de cible il est étroit, mais juteux j’en reparlerai plus – ah mais voilà mon iPhone (6g, 64 gb, 4?888 renminbi) qui glibotte?: qui me veut??
±?Meinu, ma belle, tu me manques, mon amour, tu me manques.
±?Oui oui c’est ça, tu me manques aussi, mais attends une seconde – je suis désolée, je dois répondre à cet appel?; le temps de me débarrasser de ce fâcheux et je vous reprends ensuite, le haut-parleur, je le laisse, je n’ai rien à cacher, pardon, comment s’appelle-t-il, ça n’a strictement aucun intérêt, il est incorporé dans mon iPhone, ah non, lui, lui c’est Guillaume Pomona, l’ancien pdg Asie d’une grande compagnie de transport – oui Lao Gui comment vas-tu, régal de mes sens, tu as mangé??
±?Non, pas encore, je voulais t’inviter à déjeuner au Fusion and What not, tu te rappelles le restaurant où je t’ai emmenée il y a quinze jours, tu avais bien aimé, tu es libre??
±?Pour toi, toujours, mais après??
±?Après j’ai réservé au Heavenly Palace, la chambre 318 comme d’habitude, pour treize heures, ça te conviendra??
±?Parfait, on se retrouve au Fusion et n’arrive pas en retard.
Et hop rentrée d’argent frais, et inattendue, je n’avais rien de palpable avant 18?heures. – Sorry pour l’interruption mais money money no money no honey bizness is bizness.
Lao Gui je l’aime bien, il est mignon, et tout tendre, comme un vieux lapin, à son âge il y arrive encore, avec juste l’aide d’un demi-Xiali, mais ça ne dure pas, il est tellement pressé, le temps d’enfiler son capuchon huilé et c’est déjà presque terminé, il me pénètre et l’éjaculation survient alors que je suis encore en train de me contorsionner pour enlever mon soutien-gorge – comment, non, bonnet b, b comme la marque, Breastaking, “pour toutes les femmes qui aiment”, ha ha. Après l’échange de bons procédés, je le prends dans mes bras, je le console, je le flatte, je le caresse et il oublie ses malheurs – il est grand-père depuis quelques semaines – et sa femme, cette harpie usée dont il ne peut pas divorcer parce qu’elle lui coûterait une nouvelle pension alimentaire et l’autre quart de ses biens en France, surtout qu’elle avait insisté pour le suivre jusqu’ici, à Pékin, alors la culpabilité le ronge et il se persuade qu’il ne doit pas la laisser tomber, comme il le devrait pourtant et jouir pleinement de ses derniers hivers avant le coup de sifflet de la fin.
C’est ainsi que je leur présente mon programme d’action?: jouissez pendant qu’il en est encore temps. Sur le plan de mon marketing personnel comment concevoir plus rusé?? Ils mordent facilement à mes appâts et je les fais vite bouillir d’amour pour moi. Ensuite ils réclament leur but, leur dû, leur rut, leur pus, leur jus qui coule dans ma main ou dans ma bouche, ha ha, à la laiterie, non à la literie, ah mais à la loterie du bonheur je suis leur gros lot. Après, sous la douche ou dans la baignoire, je suis rassurée, ils en ont eu pour leur argent et mon temps est plus précieux que le leur.
La femme de Lao Gui elle m’avait téléphoné un jour, je ne sais pas comment elle avait eu mon numéro, elle avait dû espionner sur son portable ou noter en douce tous ses appels, quelle vilenie, un couple qui se surveille, confiance et respect mutuel, brrr j’en ai froid dans le dos, et elle m’avait menacée dans un anglais de pacotille, je sais bien qui vous êtes et ce que vous faites vous devriez avoir honte et lalala chante toujours pantoufle usagée je lui avais répondu avant de raccrocher.
Lao Gui n’était pas fier d’avoir été découvert la main dans le tofu frais et pendant un mois je n’ai plus eu de ses nouvelles, il courbait le dos et moi je perdais un pourcentage de mon chiffre d’affaires, mais sur mon marché la demande reste constante et mon offre unique, aussi avais-je rapidement pu faire face à cette baisse soudaine?; depuis il m’est revenu, comment pourrait-il en être autrement, il a appris la prudence et mis en place les mesures de simple bon sens qu’il avait négligées auparavant?: un deuxième téléphone, des codes secrets, différentes cartes sim et sa Mère Gui ne voit plus rien venir.
Le sexe.
J’y excelle, dit-on.
Le bouche à oreille.
Vous me connaissez.
Je suis Ai Guo.
À mon retour de Shenzhen c’était comme si je n’avais rien assimilé de cette expérience en milieu hostile, j’étais encore candide, et du haut de mes seize ans je croyais que la vie allait me sourire?!
Jeune on croit que tout est possible, permis, excusé d’avance et que la seule vertu de notre âge nous place spontanément au-dessus des contingences et des molles platitudes du monde qui nous entoure?: la vie va obligeamment nous ouvrir grandes ses portes, l’avenir nous appartient et nous allons le plier à nos exigences. Bien sûr il s’agit plus d’une intuition que d’une certitude, car la vie pouvait éclater de rire en nous claquant la porte au nez et moi avec un pedigree comme le mien que pouvais-je en escompter, pas grand-chose, et même moins, mais j’étais née battante, pas question de me laisser couler ni de faire la planche en regardant le ciel et les nuages qui fuient.
Pourtant à mes débuts je n’ai pas fait preuve de la plus grande subtilité, une véritable bécasse, larmoyante, vulnérable, désarmée, au point de devenir, entre ma seizième et ma dix-huitième année, la petite amie du gentil Fu Zhanxin. J’avais oublié de manger mes médicaments en sortant de la maison ou c’est l’eau qui s’était infiltrée dans mon cerveau?! En y repensant j’aurais envie de me flanquer une paire de gifles mais je me pardonne et classe cette démence passagère dans une pochette “Erreurs de jeunesse”.
On m’a fait, plus tard, et bien à tort, une réputation exécrable, les gens aiment calomnier, c’est d’ailleurs ce qui les motive dans la vie, la nature humaine, ah la nature humaine, et moi j’étais l’impitoyable, l’infidèle, l’ignoble traîtresse qui ne croit en rien et grimpe à la force du, à la force du – enfin vous savez à quoi je fais allusion – mais pas du tout, croyez-moi, l’héroïne de notre histoire c’était moi, pas lui?; la personnalité la plus trempée, le caractère le plus complet, ou le rôle le plus riche, c’est moi qui le jouais. Ai Guo la Shanghaienne qui n’a pas froid aux yeux et s’éveille au monde avec un prodigieux sens de l’adaptation.
Au commencement, oui, on s’aimait, je le reconnais volontiers?; on était jeunes et moi sans malice, on débutait dans l’existence et on n’avait jamais rien vu, ou guère plus, mais il fallait apprendre, et vite, pour avoir une chance de survivre?; Zhanxin a été le premier à s’intéresser à moi sans arrière-pensées ni regards torves, il était bon, complaisant, attentionné (parfaitement inadapté donc aux conditions shanghaiennes) et il en imposait du haut de son mètre quatre-vingts et des poussières?; on riait en se racontant nos histoires de pauvres maintenus à l’écart du système et des perspectives d’enrichissement accessibles au reste de la population.
Matin, midi et soir il venait manger notre tambouille, celle que moi et ma mère préparions pour les mingong qui bâtissaient Xintiandi, et après le travail la nuit on se promenait bras dessus bras dessous, on allait boire des bières dans le parc public Fuxing ou s’embrasser derrière les platanes de la rue Sinan.
Pourtant ce n’est pas lui qui m’a fendu le melon, c’est son copain Guo Tai. Zhanxin il était encore trop emprunté – j’allais dire empoté – pour ça, et Guo Tai il m’avait un peu priée pour que je le fasse avec lui, sans me bousculer certes, mais enfin je me souviens qu’il avait été assez pressant?: ça m’a fait mal, j’ai crié de douleur, et puis ce fut si rapide. Moi j’aurais bien aimé qu’il le fasse lentement et doucement et que cela se déroule naturellement, comme une respiration d’enfant endormie. Après, en nettoyant les draps, j’étais pantoise, et chagrine?: pas de révélation, hélas, seulement le sentiment étrange, presque désorientant, et peu honorable en fin de compte, d’un certain soulagement?: je m’étais débarrassée d’une formalité, un cap avait été franchi, une hypothèque avait été levée?; je pouvais désormais moi aussi m’élancer pour de bon sur l’autoroute de la vie?: j’étais devenue adulte.
C’est-à-dire qu’on ne doit jamais compter que sur soi-même.
De cette épreuve j’allais tirer la leçon et réaliser l’importance primordiale du corps dans notre société en plein bouleversement, chair fraîche et viande à gogo, avec les valeurs traditionnelles qui n’avaient plus cours du tout et les règles, les normes, les préceptes à revoir de fond en comble, “Devenir riche est glorieux”, la phrase magique que nous entendions à longueur de journée depuis le voyage dans le Sud de la Petite Bouteille, c’était ça la véritable révolution, et elle n’était pas culturelle?: pour moi ce sera “Pas d’argent (et le plus possible), pas de sexe”, contrairement à toutes les autres qui souscrivaient bêtement au “Pas de sexe, pas d’argent à envoyer pour faire vivre la famille-restée-plantée-dans-la-misère-au-village-natal”.
On disait que je couchais facilement mais non ce n’est pas vrai je sélectionnais et attention – ne me méjugez pas – je n’ai jamais été un produit de consommation courante, un corps à déguster sans modération ni Allô 110 Urgences Dépannage Maîtresse 24/24 pour déséquilibrés immatures.
Pour donner de la joie j’étais dans mon élément naturel, comme sur la chaîne de montage?: célérité, tour de main, efficacité. L’usine et l’amour, des compétences de bonne femme. Le temps de proposer ma formule Plaisir et Savoir-faire pour deux, ha ha, et les réservations affluaient?; j’allumais mes outils de travail, mon Huawei 1g ou mon Lenovo 15 et je consultais mes e-mails, je notais les rendez-vous, c’était simple et rapide, la modernité sans entraves, et j’étais échauffée soulevée emportée par, par, par la rémunération?; ensuite je m’envoyais en l’air comme on dit chez vous, moi j’adore cette expression, c’est romantique, et la double pénétration, vous l’avez déjà expérimentée j’espère, moi je la conseille, mais pas avec n’importe qui?; j’avais même essayé les strap-on dildos et les autres ustensiles de rigueur avec des camarades lala – non des clientes, que croyez-vous –, j’avais bien joui mais sans être franchement convaincue, je préfère le sexe de l’homme, ça a plus d’allure et de consistance?; le bdsm me tentait parfois, je l’avoue, quand les conditions financières étaient réunies, les suspensions, les sangles, le face-sitting, les coups de baguette sur les seins, les lavements, les corps écartelés, les sacs plastique sur la tête, les bâillons, les brosses à dents électriques autour du clitoris, les vibromasseurs dans tous les orifices, ça vous dit aussi, si vous le souhaitez je peux vous envoyer le lien avec un site très vivant, sans simulation et jamais censuré, ça me donnait des frémissements dans le bas des fesses, mais je ne suis toujours pas passée à l’acte, ou peut-être que si, je suis sans doute un peu trop timorée, hei hei.
Guo Tai ensuite ne voulait plus en parler, pour lui c’était seulement l’affaire d’une soirée, il disait que j’étais mûre pour rester avec Zhanxin et il ne désirait pas s’interposer entre nous. Quand j’ai réalisé qu’il avait juste eu besoin de dégourdir sa tige je me suis dit que les hommes finalement – ah, un nouvel sms sur mon iPhone, une seconde, je le, je le… Mademoiselle Guo votre dernier bulletin médical est excellent, ne soyez pas inquiète, tout est parfait, rassurez-vous, pas de problème, portez-vous bien, docteur Lin. … regarde et, et, et tout va bien, que disais-je??
Moi et Zhanxin on émergeait du même fumier, lui de son village terreux du Shaanxi, moi du lilong “L’Orient est rouge pour toujours”, difforme et sous-prolétarien, et nous avons débuté professionnellement sur le même barreau de l’échelle, le plus bas, celui que, normalement, nous n’étions pas censés franchir et ce jusqu’à ce que mort s’ensuive. Des invisibles, des vivants déjà dans le caveau, solitaires et perdus en pleine fatalité, noyés dans le milliard.
Mais l’évolution de l’histoire en a décidé autrement.
Ensemble nous nous sommes entraidés pour nous hisser sur l’échelon supérieur malgré le poids de nos origines sociales, et de casseur de briques il est devenu barman et gardien d’immeuble, moi du trottoir à servir la soupe je suis passée aux karaokés de luxe et aux soirées privées, quand on s’est déjà donnée à l’un pourquoi ne pas se vendre aux autres, et j’ai tout verrouillé en rentrant dans la restauration, un carrefour stratégique, mais Zhanxin il n’a jamais voulu le voir, ou le comprendre, quel naïf, l’incurable optimiste qui essaye de progresser en suivant des principes moraux totalement dépassés par notre époque. Il lui manquait l’intelligence de la situation.
Mais ta ma de qu’est-ce qu’il croyait, que les sanpei xiaojie des karaokés ne faisaient que boire ou pousser la chansonnette?? Il aurait dû venir les voir les demoiselles des Trois-Accompagnements, quand elles sortaient des salons privés pour foncer vers les toilettes, la bouche ou la main encore gluante du sperme fraîchement trait.
Dans la boutique de mode Génération 2000 je m’exerçais à filouter les clientes étrangères et au karaoké des Taïwanais, Le Monde de la Fête, je découvrais les rudiments, en quelque sorte, des exercices d’échauffement avant d’entrer sur la scène, et à Belles Érudites, où j’avais véritablement entamé ma formation, à dix-sept ans, c’était l’école de la vie et l’apprentissage des compétences indispensables pour réussir en société?: on nous enseignait à lire les sous-titrages sur les écrans de 220 centimètres, à suivre les mélodies et à chanter juste, à lever les toasts pour encourager la consommation (on touchait un petit pourcentage sur les ventes), à faire semblant de boire le Maotai ou le cognac, à nous protéger avec les précautions d’hygiène élémentaire et à simuler le désir avec les onguents ancestraux et, en fin de mois, à utiliser les techniques de base pour éviter les pertes en chiffre d’affaires. Au fur et à mesure nous élargissions le champ de nos qualifications et peler une banane, jouer de la flûte ou avec le petit dernier n’eurent bientôt plus de secrets pour nous?; parfois on était invitées à des pique-niques et on disait souvent oui – nous triplions nos appointements – mais il ne fallait pas en abuser, les patrons de Belles Érudites essayaient de s’y opposer parce que cela sortait du cadre de nos attributions, selon eux. En réalité les commissions leur passaient sous le nez et ils fulminaient.
Mais je m’égare je m’égare. Aussi Zhanxin, le jour où la réalité lui a sauté à la gorge, le pauvre diable, il n’a pas pu supporter et il s’est effondré, mais ce n’était pas de ma faute, c’était celle de ces années-là, les débuts du vingt et unième sexe, pardon, siècle, et les transformations de Shanghai qui hypnotisaient de plus en plus d’amis étrangers à presser sans vergogne.
Un aveuglement à exploiter avec doigté.
Quand nous avons commencé à sortir la tête du crottin je le lui avais dit à Zhanxin, qu’il fallait bouger encore, qu’on ne pouvait demeurer figés à nous contenter du léger mieux, mais il hésitait oui oui mais comment pourquoi on n’y arrivera jamais, et de fait c’est moi qui tirais l’attelage?: parmi les décisions que j’ai prises alors il y eut celle d’étudier l’anglais?; j’avais emprunté un livre dans la bibliothèque du quartier et je me le récitais par cœur. Un soir, comme Zhanxin m’avait demandé ce que j’ânonnais, j’avais pensé que le travailler à deux serait plus amusant?; j’avais volé des livres de conversation, un vieux dictionnaire et un lecteur de k7 de seconde main et on s’entraînait dans son dortoir ou sur les bancs de Fuxing?; il renâclait, pour lui c’était du temps perdu, en réalité en fin de soirée il était crevé, je pouvais l’admettre, abattre des murs, en construire d’autres, quinze heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, c’était pas une vie, mais moi je lui disais non non fais un effort fais un effort si tu ne veux pas qu’on retombe en bas, je le soutenais et puis finalement ça nous a bien servi, en tout cas moi je ne l’ai pas regretté, notamment lorsque j’ai été embauchée par Xiang Lian, le patron de À Table?!, au guichet Vestiaires et Objets perdus trouvés?: pour amorcer les conversations avec les clients étrangers du restaurant et leur donner une première impression de moi favorable, outre ma beauté, dont j’ai déjà parlé, les phrases que je pouvais aligner en anglais ça les amollissait encore un peu plus. Chez Belles Érudites je n’avais pas vraiment d’utilité pour cette nouvelle compétence, chanter, boire, négocier les prix, la bouche et les mains suffisaient amplement.
Mais moi j’ai toujours été perfectionniste?: il faut s’en sortir, il faut s’en sortir, il faut s’en sortir.
N’importe comment et à n’importe quel coût.
Parce que la mort, la mort, la mort et la honte frappent celles qui n’osent pas, tergiversent, restent esclaves et courbées et moi je voulais vivre, vivre, vivre. Les obstacles je devais tous les balayer, mieux, les écraser, et j’allais me libérer des sangles de mon destin?: la peau du dos comme seule litière et celle du ventre pour couette, non, merci, au revoir et à jamais plus, vous saisissez??
Ainsi lorsque nous avons décidé d’habiter ensemble et de louer une chambre dans un vieux shikumen rue Nanchang il m’avait semblé naturel de la rentabiliser pendant la journée. Zhanxin bossait encore, je crois, comme agent sécuritaire dans une résidence dont je ne me souviens plus le nom, et il émargeait aussi au bar de À Table?!, mais il n’était jamais là, et l’argent, l’argent, l’argent ne tombait pas du Ciel et je n’ai jamais aimé l’idée de ne se satisfaire que de l’existant.
Un jour j’avais réalisé la faible valeur ajoutée que m’apportait finalement ma connaissance de l’anglais, d’autant que je me concentrais de plus en plus sur une clientèle de Français?: dès lors la maîtrise de leur langue devenait plus urgente et, surtout, plus utile, à la fois pour nouer les contacts et les fidéliser, mais aussi pour ajouter une nouvelle corde à mon arc dans ma stratégie de différenciation de la concurrence?; sur le plan commercial et des relations humaines l’évidence s’imposa d’elle – ah, encore un appel sur mon iPhone, je coupe le haut-parleur, sorry?; hello, yes, this is she, comment, Lao Bei c’est toi, petit farceur, avec un numéro caché, oups Lao Bei tu m’entends, je n’ai plus de réseau, allô Lao Bei, Lao Bei, allô allô, vite, juste un mot, là maintenant c’est Lao Bei, ou si vous préférez Bernard Donnelle, le sinologue, ce nom vous est familier j’en suis sûre, pardon, complètement inconnu, vous vous moquez de moi j’espère, Donnelle, Bernard Donnelle, enfin, le spécialiste de la dynastie des Song du Nord, non, rien du tout, ça par exemple, allô Lao Bei, oui, excuse-moi, le taxi est passé sous un tunnel je ne te recevais plus, non non bien sûr que tu ne me déranges pas, jamais, mais là je suis occupée, je te rappelle au plus vite d’accord, oui oui moi aussi, où, arrête de faire l’enfant, eh bien c’est moi qui vais raccrocher Lao Bei, sur la bouche ça te va, non pas au téléphone on nous écoute, sois sage, je te rappelle tout à l’heure, promis, je raccroche, bisou bisou – mille excuses, même chez soi on n’est jamais tranquille. Je continue.
J’avais testé leur Association de Propagation de la Langue Française, quatre heures de cours le dimanche de 9?heures à 13?heures, mais on était entassés comme dans une bétaillère avec un professeur d’un ennui tel que la moitié de la classe s’endormait et les ronflements couvraient le bruit de sa voix. Je m’étais alors attaché, pendant plus de deux ans, les services de Jacques, l’interprète du consulat, et il me donnait des cours particuliers, à ma convenance. Avec lui je progressais très rapidement et parfois même ça ne me coûtait rien qu’une flatterie personnalisée?; sauf qu’un soir à la fin d’une session nous avons été pris sur le vif par Ming Mei, sa copine, une de mes collègues chez À Table?! qui lui a ordonné de mettre un terme à nos leçons. Il était déçu, moi de même, j’avais tenté de négocier avec Ming Mei, elle avait été intraitable, je n’avais pas vraiment compris pourquoi, surtout que quand il n’était pas là, elle non plus ne faisait pas que regarder la télé, mais bon elle devait y tenir à son petit Jacques, elle avait sans doute le passeport dans son collimateur. Tant pis pour lui, tant pis pour moi, quoique j’en savais suffisamment pour lancer sans me perdre les conversations de bon goût qui mettent en valeur. Par la suite je me suis améliorée en apprenant sur l’oreiller et en pratiquant dès que l’occasion se présentait. Aujourd’hui je le parle très correctement, et je l’écris aussi bien, sinon mieux.
Une fois Zhanxin sorti de la pièce, je n’étais plus la même. Arrivés ensemble jusque-là il n’a pas su, ou pu, résister à la pression pour aller de l’avant et moi je n’avais aucune envie de m’arrêter en cours de chemin, tous mes efforts auraient été en vain si je décidais de ne pas poursuivre mon ascension?!
Je considère cette période de ma vie, que je ne regrette nullement, n’allez pas croire, comme une simple étape dans ma course vers le bonheur prospère et la satisfaction de mes besoins mat… Ayi, ta ma de je t’ai déjà dit que je ne voulais pas être dérangée, je ne vais pas te le rappeler toutes les cinq minutes, tu viendras nettoyer plus tard – excusez mais mon ayi, une gourde premier choix, aucun sens commun ces bouseux du Dongbei, il faut leur répéter les choses cent fois avant qu’elles comprennent?; reprenons…
Pour conserver mes avantages concurrentiels je savais que tôt ou tard il ne suffirait plus de présenter ma beauté dans son écrin originel, elle devait s’accompagner des parements et des décorations qui amplifient le pouvoir de séduction?: pour préserver l’écart avec la compétition il me manquait l’alibi d’un vernis culturel?; ça aussi je l’ai compris, capacités d’analyse, adéquation aux évolutions du marché, clairvoyance et sagacité, mais comment faire pour l’acquérir quand le malheur vous a interdit l’accès aux universités qui vomissaient des demoiselles dring-dring par classes entières?? Depuis quand les étudiantes paient-elles les frais d’études et les dépenses de la vie quotidienne avec l’argent des emplois temporaires chez Kendeji, Maidanglao, Xingbake, Niuroumiandawang, comment, de quoi je parle, mais de kfc, MacDo, Starbucks et du Roi de la nouille au bœuf?!
En régalant proprement les personnes concernées, j’étais parvenue à m’inscrire dans une université (un véritable exploit, surtout sans diplôme de fin d’études secondaires), pas la meilleure certes mais là n’était pas l’objectif et je ne voulais pas d’une fausse licence, pourtant si facile à obtenir, mais sans gloire ni panache – non, non, ni gestion ni comptabilité, j’ai toujours été très forte en calcul, j’ai étudié l’histoire de l’art, mais chinois, bien sûr, y en aurait-il une autre, et la littérature contemporaine, de Lao Tao à Zhu Liu et Xia Xié, en cours intensifs le samedi, pour celles qui travaillaient le soir ou à mi-temps.
Malgré les difficultés – je jonglais avec les horaires et n’avais pas toujours l’énergie pour les lectures ou les exposés à préparer –?t même si dans la vie professionnelle l’art et la littérature ne servent à rien, j’ai tenu bon, lâcher eût été perdre la face et ça, jamais, j’avais un but, j’irais jusqu’au bout, sacrifices ou pas?; et puis c’était pour une bonne cause.
La mienne.
J’étais officiellement devenue une étudiante, une vraie, et dans mes rapports avec la clientèle je n’oubliais jamais de le préciser afin d’agrémenter mon offre d’un fin badigeon de fraîcheur et de spontanéité, une étudiante, pensez donc, il faut encourager les vocations.
Attendez, je consulte ma montre (Patek Philippe, modèle Calatrava, or rose – un cadeau d’anniversaire), il est bientôt l’heure, je dois me préparer pour le déjeuner avec Lao Gui, ce sera vite expédié et je serai de retour vers 14?heures, vous pouvez manger chez moi si vous le souhaitez, non, non, aucun problème, ça me fait plaisir, Ayi va vous cuisiner un petit quelque chose, je ne la paie pas pour qu’elle se prélasse dans mes fauteuils, Ayi, Ayi, Ayi?! Viens ici, tu vas préparer une soupe douce-amère, une assiette de concombres vinaigrés, des brocolis au gingembre, une omelette poireaux-tomates, du tofu farci, il te reste encore de la viande, oui, très bien, avec des champignons noirs, et n’oublie pas le riz. Bon, je vous laisse, je vais me changer, à plus tard.
Me revoilà, vous voyez, ça n’a pas été long, je ne vous racontais pas d’histoire, vous avez bien mangé, oui, c’est Ayi qu’il faut remercier, moi, non rien de sensationnel, très chichiteux ce restaurant, d’ailleurs je n’y mets jamais les pieds si je ne suis pas invitée, mais parce qu’ils préfèrent se réfugier dans des endroits qui les rassurent et vous savez, de toute façon les laowai, pardon les amis étrangers, on ne les voit jamais dans les restaurants chinois, ils ne sauraient pas quoi commander, il en a eu pour mille deux cent soixante renminbi avec le vin, tenez, regardez, il m’a offert un livre de photos, La Jordanie carrefour des civilisations, en France, non, qu’est-ce que j’irais faire là-bas, et après, mais comme d’habitude, avec lui, c’est réglé comme la course du soleil, bang bang qui est là, ah c’est toi mon chéri, rentre vite tu vas prendre froid et boum cadeau final, quelle euphorie, j’en suis encore toute pantelante, ha ha, mais laissons de côté ces péripéties sans intérêt et concentrons-nous sur notre tâche.
Nous évoquions Shanghai, précédemment, si je me souviens bien, oui, Shanghai.
Le temps passait et je ne travaillais plus qu’un week-end sur deux à Belles Érudites, ou dans les cas d’urgence lorsqu’il fallait prendre en charge une délégation étrangère haut de gamme, parce que du vestiaire de À Table?! j’avais été promue responsable des relations publiques du cabaret que Xiang Lian avait ouvert au-dessus de son restaurant, avec un spectacle de danseuses nues qui chaque soir garantissait salle comble. Il avait pensé, non sans raison, que j’y déploierais plus efficacement toute l’étendue de mon talent, il m’était en effet plus commode d’y proposer la gamme de mes services que dans mon cagibi des objets perdus trouvés et c’est à partir de ce moment-là que ma réussite a vraiment pris forme, mais parce que les tarifs avaient bondi, ma notoriété n’était pas un mot creux, et je suis restée deux ans à ce poste, je crois, avant de démissionner pour travailler en indépendante, je m’étais constitué un solide fichier-clients, sur mes seules compétences, et je souhaitais l’exploiter sans être obligée de reverser les commissions qu’exigeait Xiang Lian, le spectacle, oui, superbe, captivant, du moins pour le public, des riches Chinois, des hauts fonctionnaires, des laowai d’origines diverses, oh moi vous savez les corps nus, non, non, que des filles au striptease, six en tout, deux Russes, Yilina et une immense avec des seins énormes, comment s’appelait-elle déjà, deux Françaises dont je n’ai pas le moindre souvenir, Ming Mei bien sûr, et Xin Qin que Xiang Lian réservait exclusivement aux hommes politiques de votre pays en visite à Shanghai, il les filmait à leur insu et il a très bien monnayé son stock de cassettes quand il est rentré en France après avoir vendu le restaurant et le cabaret, il regardait loin devant lui, Xiang Lian, pas juste à ses pieds, j’ai su tout cela par Ming Mei lors de son banquet de mariage avec Jacques, oui, elle avait fini par l’obtenir son passeport, mais je suis méchante langue, elle l’aimait vraiment, elle l’aime d’ailleurs toujours, je la rencontre souvent à des réceptions ou à des galas, oui, oui, ils habitent Pékin maintenant, d’ailleurs Ming Mei était d’origine pékinoise avant de descendre à Shanghai pour tenter sa chance, mais parce que Jacques a été nommé interprète principal à l’ambassade, et ils ont une petite fille, Amandine, oui très belle, naturellement une hunxué, comment, une honte, quoi donc, quelle honte y a-t-il à filmer les gens en pleins ébats, ouvrez les yeux, ne me faites pas croire que vous ignorez cette évidence, l’installation de caméras vidéo dans toutes les chambres des hôtels internationaux, vous ne saviez pas, allons, vous me faites marcher, du voyeurisme, amusant, très amusant, non il s’agit seulement de pouvoir faire chanter au cas où la chose présenterait une utilité, je vous le dis parce que je le sais, l’une de nos amies travaille comme interprète au ministère des Affaires étrangères et elle nous l’a confirmé?; remarquez, on s’en doutait un peu, et j’espère de tout cœur avoir moi aussi pu dignement servir mon pays.
Il ne faudrait cependant pas enjoliver le tableau, la vie n’avait rien d’une promenade de santé, contrairement à ce que vous pourriez penser à première vue, et l’argent ne pousse pas sous les pierres sinon ça se saurait et j’aurais disparu du circuit depuis belle lurette, comment, ah ça non, il n’a jamais été question de m’attacher, ni là-bas ni maintenant, tomber amoureuse, il ne manquerait plus que ça, la proie de mes sentiments, non, non, non et non, un embarras à éviter à tout prix, l’exaltation, le saisissement, l’ivresse, le début de la fin, le bizness et les émotions ne font pas bon ménage.
Moi je ne creuse pas de puits sans aller jusqu’à la source, je ne travaille pas pour rien, money up front, et les aiguilles qui tournent, di da, di da, di da, time’s up buddy?; quant à perdre mon indépendance en devenant numéro deux, trois, quatre ou plus d’un arbre à sous ou d’un dirigeant local, merci bien, une non-proposition, une activité beaucoup trop incertaine et qui peut se terminer sur un claquement de doigts, aujourd’hui je te veux demain tu dégages j’en ai trouvé une autre et comment je fais pour m’assurer contre un tel sinistre et rééquilibrer cette défaillance??
Le joujou, la femme d’un seul, non merci, moi j’ai choisi de porter un fusil étranger à l’épaule ça rapporte dix mille fois plus, et pourquoi ça me gênerait de le dire, je n’ai, aïe désolée, une seconde, mon application weigan carillonne, voyons, ah très bien, je vais l’appeler tout de suite, Lao Kou je vois que tu es dans mon périmètre, dans un rayon de trois cents mètres, c’est ça, que fais-tu si près de chez moi, au Bon Coin, qu’est-ce que quelqu’un comme toi peut bien faire dans un endroit pareil, la terre tournerait-elle autour de la lune aujourd’hui, tu dédicaces ton livre, mais il fallait me le dire, je serais venue te soutenir gros malin, attends Lao Kou, une seconde, j’ai un autre appel, je te reprends immédiatement – écoutez je vais rebrancher le haut-parleur, vous allez rire, si-si, nous les Chinois on rit tout le temps, non ce n’est pas méchant, ni à ses dépens, Lao Kou j’ai beaucoup d’estime pour lui, il est séduisant et il a beaucoup de talent, le seul livre que j’aie jamais lu en français, c’est l’un des siens et j’ai été transportée, aussi je fais de mon mieux pour l’aider à oublier ses déboires et son trouble social, comment, Lao Kou c’est Claude Gersaint, Lao Kouchi, je suis bien certaine que ce nom va faire tilt même si vous n’avez lu aucun de ses romans, je ne me trompe pas, si, non pas possible, je n’en crois pas mes oreilles, vous sortez de chez vous pour la première fois ou quoi, oui Lao Kou, Aline de nouveau, dis-moi ton éditeur est un imbécile à t’envoyer signer dans ce cloaque, non non ce n… n… n’est pas ce que j’ai v… v… voulu dire, mais tu as pourtant accepté tu écris de la littérature pas de la merde c’est certainement pas au Bon Coin que tu aurais dû signer mais aux Cinq Vertus, p… pou… pour c… ce… cette fois j… j… j’ai dit je passe l… l’é… l’éponge et suis r… ra… ravi de faire une e… ex… exception, tu es trop gentil Lao Kou des comme toi on en fait plus, A… Al… Aline tu me m… man… manques b… beau… beaucoup, toi aussi mon poussin tu me manques on se voit vendredi tu te souviens, A… Al… Aline tu t’es t… tr… trompée c… c’est au… au… aujourd’hui, non Lao Kou je ne me trompe jamais c’est toi ton cer--veau élève des poissons, tu as s… s… sans doute r… rai… raison, bien sûr que j’ai raison Lao Kou toujours et je regarde mon agenda Lao Kou vendredi?11 heures tu vois pas d’erreur, t… tr… très bien je s… su… suivrai ton in… ins… inspiration, ne t’inquiète donc pas pour mon inspiration je sais comment te satisfaire moi, c… c… c’est vrai a… a… avec toi on cr… cr… croirait qu’il est v… vi… vivant, ah… ah… Lao Kou tu es trop mignon je t’adore dis-moi mon chou je vais être obligée de te laisser je suis hyper occupée je te souhaite de bonnes ventes et à vendredi kisskiss – bien, écoutez je suis navrée mais nous allons en rester là, j’ai un programme très chargé aujourd’hui et je ne veux pas me disperser, j’ai également une leçon de qi gong dans un quart d’heure, mon coach va arriver et je préfère être seule avec lui, ça ne vous dérange pas, impeccable, on se voit demain matin alors, je vous raccompagne jusqu’à l’entrée du hutong principal, si, si, c’est la moindre des choses, Ayi, Ayi, Ayi?! La porte.