Publication : 17/10/2003
Pages : 112
Poche
ISBN : 2-86424-483-7

Apologie de mon âme basse

Jacques SCHLANGER

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10 €

La philosophie de chambre est à la philosophie symphonique ce qu'est la musique de chambre à la musique symphonique - une manière privée, intime, personnelle de réfléchir de se réfléchir

Ces deux essais de philosophie de chambre s'adressent à chacun de nous, dans notre corps, dans notre mort. Faire l'apologie de son âme basse, c'est se reconnaître et se plaire dans son corps : faire l'éloge de sa mort, c'est ne pas oublier qu'elle est inéluctable, et apprendre à bien vivre avec elle.

Comment parler avec simplicité de ce que d'ordinaire on passe sous silence ?

  • " Dès l'abord, je tiens à souligner : je ne suis ni épicurien, ni disciple d'Epicure, je suis un ami d'Epicure. Epicure a trop rarement la réputation qu'il mérite. On méprise un Epicure des pourceaux qui se vautrent dans la fange des plus grossiers plaisirs. Moi, j'aime l'Epicure du petit fromage frais. A la fin d'une épître savante à l'un de ses disciples, il lui demande de lui faire envoyer un petit fromage frais, dont il veut faire ses délices. Voilà l'Epicure que j'aime. Dans le monde de la consommation effrénée dans lequel nous vivons, Epicure, l'hédoniste nous donne là une leçon toujours actuelle. Se satisfaire de ce que l'on a , ne pas chercher à dépasser les besoins les plus nécessaires, qui sont à la fois les plus simples et les plus agréables à satisfaire. En cas de besoin, dit-il, le pain et l'eau sont ce qu'il y a de meilleur. On parle beaucoup des plaisirs d'Epicure, et Epicure lui-même en parle longuement. Mais derrière les plaisirs, il y a la joie : les plaisirs sont de l'ordre de l'avoir, la joie est de l'ordre de l'être. Etre dans la joie, voilà ce que veut profondément Epicure, et les plaisirs ne sont qu'une des voies vers cette joie profonde, sévère, entière, qu'au fond nous désirons tous. Dans le monde d'Epicure qui est un monde issu du hasard du choc des atomes, et en cela il ressemble fort au nôtre, le fait même d'être est un miracle, une chance qui nous tombe dessus, chance qu'il faut savoir saisir, chance dont il nous faut apprendre à faire bon usage. Dans ce monde du hasard, les êtres humains sont en charge d'eux-mêmes, ils ne peuvent s'en prendre qu'au sort et à eux-mêmes - et avec le sort, on ne discute pas. Reste ce que chacun de nous peut faire, pour soi, pour ses proches, pour ses amis, pour l'humanité entière. Ce volontarisme d'Epicure me plaît beaucoup. Je pense comme lui que ce sont les êtres humains, au long du développement de l'humanité qui, en t?tonnant, ont fondé, formé, élaboré, affiné les normes selon lesquelles nous vivons, selon lesquelles nous devrions vivre - avec des à-coups, avec des hauts et des bas, mais tout de même en avant. Ni Dieu, ni dieux, juste nous et le sort auquel nous ne pouvons rien. S'accepter pour ce qu'on est, se vouloir pour ce qu'on peut être, être responsable de soi, se soumettre librement aux valeurs qu'on s'est librement choisies, voilà un aspect fondamental de l'enseignement d'Epicure, aspect qui me paraît toujours essentiel de nos jours. Voilà pourquoi je suis l'ami d'Epicure. "
    la joie " par Jacques Schlanger*
    Derrière les plaisirs
  • Propos recueillis par Juliette Cerf
    LE MAGAZINE LITTERAIRE
  • Qu'on ne se dépêche pas de sourire et de passer. C'est à une véritable aventure de la conscience que Schlanger invite, et s'il y invite c'est parce qu'il croit qu'elle conduit simplement au bonheur d'une réconciliation. [...] Apologie de mon âme basse est une merveille de tendresse et de simplicité. Il est des vins si bien décantés que l'amateur ne croit plus nécessaire, pour en louer la saveur, d'évoquer des propriétés qui lui sont extérieures, le goût de la noisette et de la prune. Il en va de même de ce chef d'œuvre de la philosophie en chambre, où passent les ombres amicales d'Epicure et de Montaigne, comme un encouragement.
    François Sureau
    LE FIGARO LITTÉRAIRE
  • « Ce texte est émouvant, prenant, admirable même, par moments, dans sa franchise totale, fragile. Le miracle de cette mélodie si simple transforme en héros de sincérité le penseur qui expose sans vergogne ses doutes et sa perplexité. »
    Roger-Pol Droit
    LE MONDE

Ce livre est composé de deux essais de philosophie de chambre. Qu'est-ce que la philosophie de chambre ? La philosophie de chambre est à la philosophie symphonique ce qu'est la musique de chambre à la musique symphonique : une manière privée, personnelle, intime, de philosopher, une philosophie de petite envergure, de petit format, face à une manière de philosopher publique, impersonnelle, une philosophie de grande envergure et de grand format. Epictète dans ses Entretiens, Marc Aurèle dans ses Pensées pour soi-même, Montaigne dans ses Essais, Kierkegaard font de la philosophie de chambre, chacun à leur manière. C'est à moi que ces philosophes de chambre s'adressent, c'est avec chacun de nous en particulier qu'ils veulent partager ce qu'ils ont à dire, de bouche à oreille, de corps à corps, de vie à vie. Alors que Platon, Aristote, Descartes, Spinoza, Kant, Hegel, Husserl, ces virtuoses de la philosophie symphonique, nous parlent d'esprit à esprit, d'intellect à intellect, et s'adressent à nous.

A la manière du musicien de chambre qui joue sa musique dans un espace restreint et qui adapte cette musique à cet espace, le philosophe de chambre observe son monde de l'intimité de sa chambre, point de vue à la fois fragile et néanmoins suffisamment stable. Ce qui ne veut pas dire qu'un philosophe de chambre n'a pas des idées sur l'ensemble de ce qui est et sur ce qui doit être, sur ce qu'on fait et sur ce qu'on doit faire, mais il les exprime autrement que ne le fait le philosophe symphonique, sur un ton plus privé, plus personnel, moins sûr de lui et de la vérité de ce qu'il affirme, avec moins d'assurance et plus de modestie.

Le philosophe de chambre découvre très tôt que c'est encore dans sa chambre qu'il se sent le plus à l'aise pour philosopher - sa chambre, c'est-à-dire soi-même dans son intimité. Une chambre d'idées peut être aussi confortable qu'une chambre bien chauffée en hiver et bien aérée en été, une chambre dans laquelle on se sent bien. On a trop souvent l'impression que la vie des idées est une vie difficile, ardue et même ascétique. On oublie combien la vie des idées peut être plaisante, satisfaisante et surtout passionnante ; on oublie combien on peut se plaire et bien s'amuser dans une bonne chambre à idées.

Une fois qu'il s'est imprégné de tous les savoirs de la philosophie, une fois qu'il s'est engagé dans tous les jeux de la philosophie, une fois qu'il s'est dégagé de toutes les batailles de la philosophie, le philosophe de chambre s'aperçoit qu'il subsiste en lui une petite plage où il se trouve seul avec lui-même, où il joue pour lui-même sur son petit pipeau l'air qui lui convient le mieux, des notes fluettes, claires et parfois même profondes. Attentif au son de sa propre voix, il s'y laisse aller, car il lui semble qu'il a quelque chose à (se) dire avant de prendre congé. Il se parle à voix mi-basse, et cette voix mi-basse porte souvent plus loin qu'on ne le pense, et il arrive même qu'on l'écoute avec beaucoup d'attention.

En effet, une philosophie de petit format n'est pas nécessairement une philosophie de petite portée. Au contraire, une voix qui ne force pas pour s'imposer, un ton retenu, une expression intime pénètrent souvent mieux, à cause justement de leur moindre assurance et de leur plus grande ouverture ; ils vont souvent plus au fond des choses, et plus encore au fond des personnes. Le lecteur critique, celui qui n'est pas à la recherche d'un maître à penser à suivre aveuglément mais d'un interlocuteur qui puisse lui ouvrir de nouveaux horizons d'idées, se reconnaît mieux dans ce genre de philosophie, qui ne lui dicte pas ce qu'il doit penser mais le laisse décider par lui-même.

Le philosophe de chambre est souvent, si ce n'est toujours, un moraliste. Non pas un prêcheur de la bonne morale, mais quelqu'un qui réfléchit sur la nature humaine, sur les mœurs, sur la condition humaine. Et le premier matériau de sa réflexion, le plus proche et celui dont il s'occupe le plus, c'est avant tout lui-même. En ce sens, la plupart des philosophes de chambre sont des philosophes en chambre.

En effet, leur chambre n'est pas uniquement le lieu à partir duquel ils parlent, elle est avant tout le lieu dont ils parlent, le lieu qui les intéresse, le lieu qu'ils explorent. Ils font le tour de leur propre chambre, ils observent ce qui se passe en elle, et c'est dans ce spectacle si proche d'eux qu'ils découvrent ce qu'ils ont à dire. Et surtout c'est eux-mêmes, au centre de leur chambre, qu'ils observent au plus près, c'est surtout eux-mêmes qu'ils cherchent à connaître et à comprendre, et c'est d'eux-mêmes qu'ils parlent le plus, même s'ils ne le font pas toujours directement ni expressément.

Si le philosophe en chambre s'intéresse à soi et est même son principal sujet de réflexion, ce n'est pas parce qu'il se considère comme meilleur ou comme supérieur, ce n'est pas par narcissisme égotiste, mais parce que le fait même d'exister, d'être ce qu'il est, de faire ce qu'il est capable de faire, de savoir ce qu'il est capable de savoir, de ressentir ce qu'il est capable de ressentir, ce fait même le passionne et le remplit d'étonnement et d'émerveillement.

Le philosophe en chambre, moi-même en l'occurrence, est un philosophe de l'intime. Est intime ce qui est contenu au plus profond d'un être, ce qui est le plus intérieur : c'est ainsi qu'on parle du fond intime d'une personne, de la structure intime des choses, du sens intime. Est intime aussi ce qui est étroitement lié, ce qui ne peut être séparé : c'est ainsi qu'on parle d'une relation intime. Est intime enfin ce qui est tout à fait privé et généralement tenu caché, ce dont on ne parle généralement pas : c'est ainsi qu'on parle des parties intimes, des actes intimes. C'est de mon intime que je veux parler ici, dans ces trois sens, et plus particulièrement dans cette troisième acception du terme "intime - ce dont on ne parle généralement pas, soit par manque d'intérêt, soit parce qu'on est gêné. Ce que d'ordinaire on passe sous silence, c'est ce dont je vais m'occuper ici.

Jacques Schlanger (israëlien) est né à Francfort/Main, en Allemagne, en 1930. Il enseigne actuellement la philosophie à l’Université hébraïque de Jérusalem.

Bibliographie