Publication : 21/04/2011
Pages : 204
Grand Format
ISBN : 978-2-86424-770-8
Couverture HD

Carte du labyrinthe

Alberto TORRES BLANDINA

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18 €
Titre original : Mapa desplagable del laberinto
Langue originale : Espagnol
Traduit par : Myriam Chirousse

Trois personnages se croisent, s’aiment, se quittent et se fuient.
Bon mari et bon père, Jaime mène une vie rangée dont il ne cesse de vouloir s’échapper. Il collectionne en cachette les photos de nus qu’il développe pour ses clients, en particulier celles que lui apporte Alberto.
Elisa est amoureuse d’Alberto. Tout va bien jusqu’au jour où elle se réveille dans une zone industrielle, à moitié nue. Elle ne se souvient de rien. Chacun cherche sa voie et tous cherchent l’amour dans un chassé-croisé mélancolique. Perdus dans un labyrinthe sans issue qui mélange à loisir les histoires vécues, les vies fantasmées, les mensonges, les trois personnages racontent tour à tour leur existence dans une langue limpide et pleine de vitalité.
Ce qui avait commencé comme une lecture amusante et brillante devient une histoire profonde et émouvante sur l’identité, le bien et le mal. Peu à peu on se prend de tendresse pour les personnages, on les suit dans leur labyrinthe, on plonge avec eux dans l’urgence de vivre, le désir de changement, le besoin d’amour… Une histoire qui ne vous quitte plus.

  • « L'auteur du Japon n'existe pas nous provoque avec son dernier roman, Carte du labyrinthe. Loin de l'optimisme délirant de son premier récit, Alberto Torres-Blandina dessine avec maestria un sombre chassé-croisé entre trois personnages profonds et tenaces. Une œuvre particulièrement dure, tranchante et, surtout, bouleversante. »

    Géraldine
    LIBRAIRIE LA PLUME ET L’ECRAN (Bussy-Saint-Georges)
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    entretien avec Greg Amaro
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  • « Un roman déconcertant par sa structure, auquel on s’attache d’autant plus… »
    Pierre Maury
    LE SOIR
  • « Le roman est ainsi une variation sur l’amour. Sorte de marivaudage actuel sur les thématiques éternelles : la vérité des sentiments, la pudeur, la quête du plaisir, mais encore du cru, du sexe et des audaces promises sur tous les écrans. »
    Daniel Martin
    CENTRE FRANCE
  • « Ce deuxième roman d’Alberto Torres-Blandina, ambitieux, éclaté dans sa forme, maîtrisé de bout en bout, lance un chant profond, désespéré. De toute éternité ! "Je t’ai trahie, je n’ai pas eu le courage de m’arracher les yeux." »
    Dominique Aussenac
    LE MATRICULE DES ANGES
  • « … Alberto Torres-Blandina signe avec cette Carte du labyrinthe un roman anamorphose qui le fait entrer de plain-pied dans le cercle (plutôt fermé) des grands auteurs hispanophones. »
    Gladys Marivat
    TECHNIKART
  • « Ludique dans sa construction (trois personnages prennent tour à tour la parole), désespéré par son thème (traumatisme d’un viol et déchirements amoureux)… »
    Minh Tran Huy
    LA TRIBUNE
  • « Perdus dans les méandres de leurs consciences, les protagonistes incarnent profondément les doutes qui torturent l’humanité. »
    TEMOIGNAGE CHRETIEN
  • « Une nouvelle forme de narration, digitale, va surgir »
    Greg Amaro

catalogue illustré de chattes et de cœurs

[jaime]

Ils s'étaient rencontrés par hasard. Vers la fin des années 80. Il était punk et elle travaillait dans une animalerie.
–Je cherche un collier pour chien.
–Pour quel genre de chien ?
–C'est pas pour un chien. C'est pour moi.
Elle avait souri. Elle avait approché ses yeux myopes du cou du client et, une fois sûre du diamètre, elle avait acquiescé.
–Ah-ah. Une seconde, s'il vous plaît.
Elle lui avait sorti quelques colliers. Également un miroir pour qu'il voie comment ils lui allaient. Enfin elle l'avait aidé à en choisir un.
Qu'il lui avait tapé dans l'œil, le punk l'avait compris à la ristourne. Personne ne fait une ristourne aussi importante à un inconnu. Il l'avait deviné à quelque chose d'aussi simple que ça, et c'est ce qui lui avait donné le courage de l'inviter à un concert ce soir-là.
–C'est des amis qui jouent. Ils sont pas très bons, mais si ça te dit de venir…
Elle lui avait dit oui avant qu'il n'ait achevé sa phrase.
Ils avaient fini par faire ça dans les toilettes d'un bar glauque. Je suis désolé, s'était-il excusé quand ils s'étaient retrouvés dans les bras l'un de l'autre contre la vasque du lavabo. Il avait imaginé un endroit plus beau, mais l'excitation l'avait emporté sur le romantisme et ils avaient donc fini dans les toilettes, complètement bourrés, à faire ça avec la minijupe en ceinture, une jambe du pantalon mise et l'autre non. Même si, en faveur du romantisme, je dois dire qu'ils ont dormi ensemble cette nuit-là dans l'appartement du punk. Et dans les bras l'un de l'autre. Presque tous les jours depuis ce jour-là. Je ne sais pas très bien ce qu'ils sont devenus maintenant, s'ils ont des enfants ou des chiens ou s'ils se sont séparés. Ça remonte à quinze ans, cette histoire. Ses protagonistes me l'ont racontée quand ils sont venus chercher leurs photos au magasin.
Quinze ans, merde, comme le temps passe.


C'était ma première semaine à vendre des albums, faire des photos d'identité – souriez, s'il vous plaît – et manipuler la machine à développer. La semaine 1 d'à peu près 780 semaines. Toutes identiques. Est-ce qu'il imaginait, ce Jaime plus jeune, que chaque mot, chaque geste, chaque action qu'il allait faire pendant ces premières heures se multiplierait à l'infini ? Qu'il était condamné à répéter jusqu'aux moindres détails : l'inflexion de la voix en saluant le premier client du matin ou la manière de placer la monnaie dans la caisse enregistreuse ? En réalité, non. À ce moment-là, je croyais juste prendre enfin ma vie en main, choisir mon destin en montant une affaire à moi. Je ne soupçonnais même pas que nos choix nous cloîtrent peu à peu dans une prison d'habitudes et de cohérences, jusqu'à ce qu'on finisse enfermé dans sa propre définition. Un lieu minuscule, où l'air fait toujours défaut mais qui ne nous étouffe jamais tout à fait, qui nous engourdit mais ne nous tue pas.
Quinze ans. Facile à dire.


Ce sont les premiers clients que j'ai vus nus. Le punk et la fille de l'animalerie. C'est pour ça que je m'en souviens. Pour ça et pour leur curieuse histoire d'amour. Mais plus pour la première chose. Après, vous prenez l'habitude : vous accueillez les clients avec le sourire, comme si vous ne vous étiez pas masturbé la veille au soir avec leurs photos de sexe amateur. Mais la première fois a été assez embarrassante. J'ai rougi quand ils ont ouvert la porte du magasin et qu'ils sont entrés ensemble pour reprendre leur pellicule. J'ai eu du mal à m'adresser à eux avec naturel après les avoir vus nus dans différentes positions sexuelles. J'ai cru qu'ils le remarqueraient sur mon visage. Bien évidemment ils ne l'ont pas remarqué. Nous avons bavardé un bon bout de temps. L'histoire du collier de chien est venue sans qu'on sache très bien comment. Ils étaient franchement sympathiques. Je leur ai offert un album. Ils sont finalement repartis et je n'ai pas pu résister à la tentation de courir dans la pièce du fond, où j'avais conservé une copie de leurs photos : elle à genoux en train de le sucer, elle allongée sur le lit les jambes écartées, un gros plan de leurs sexes en train de baiser, etc.
Avec le temps, j'ai vu les mêmes photos calquées encore et encore. Des copies parfaites d'un unique patron. Autour de nous toujours des copies. Et s'il n'existait qu'une centaine de moments réels, de faits véritables, de paroles significatives, et que le reste n'était qu'imitation ? Le monde comme répétition, comme falsification, comme labyrinthe de miroirs.
Apparemment complexe et profond.
Dans le fond si simple que nous ne sommes pas capables de l'accepter.
J'ai vu les mêmes photos chez des centaines d'inconnus. Des corps différents, les mêmes positions. Même pour le sexe nous n'avons pas d'imagination. Il y a plus de cinquante albums pour le démontrer. Dans mon arrière-boutique, dans une armoire fermée à clef.


Les photos du punk et de la fille de l'animalerie sont les premières de ma collection privée. Je les ai intitulées comme ça : Le punk et la fille de l'animalerie, dans une débauche d'originalité. La qualité des couleurs était assez mauvaise. Les couleurs ont changé ces vingt dernières années. Les chattes aussi. Les chattes, tout comme les petites culottes – c'est logique –, ont peu à peu rapetissé, pour dire ça comme ça. Sur la première photo de ma collection, on voit la fille de l'animalerie allongée sur le lit, avec les jambes écartées et un regard lascif vers l'appareil. Attendrissant, comme le sont toujours les tentatives de regard vicieux des non-professionnelles qui se confrontent à un appareil photo, entre la honte et l'excitation, imitant des moues vues chez les actrices des films porno.
Sans grand succès la plupart du temps.
Le sexe de la fille de l'animalerie était noir et touffu. Il montait sur son ventre et sur ses aines comme une sombre plante grimpante. La dernière photo que j'ai copiée pour mon album remonte à une semaine. Je l'ai intitulée Fille 46. On y voit une adolescente d'environ quinze ou seize ans. Je l'ai choisie parmi douze photos prises au retardateur devant un miroir, presque identiques les douze. De petits seins, un regard timide et l'éclat du flash reflété sur la vitre qui gâchait l'image. La chatte rasée à zéro. Du poil naturel à l'absence de poil. Et entre ces deux chattes, quinze années de photos. Un matériel parfait pour une étude sociologique. Pour une possible thèse de doctorat que personne ne fera jamais.


Pendant tout ce temps, et même si ça paraît bizarre, j'ai fini par voir presque tout le quartier dévêtu. Il me manque quelques vieux et quelques niais, mais je ne suis pas sûr non plus de vouloir voir leurs photos. Si je n'étais pas d'une discrétion aussi absolue, mon quotidien pourrait ressembler à ça : –Bonjour, madame la fruitière. J'ai appris pour votre nouveau piercing. C'est très sexy.
–Comment allez-vous, monsieur Velázquez ? Vous croyez pas que vous êtes un peu vieux pour utiliser tous ces petits jouets ?
–Ça va, Teresa ? Voilà les photos de l'anniversaire de ton neveu… et permets-moi de te donner un conseil : ne laisse pas le rideau de ta chambre entrouvert quand tu te changes. Un pervers de l'immeuble d'en face a acheté un superzoom rien que pour te traquer toute nue…
Il y a deux ou trois ans, un habitant du quartier avait pris l'habitude de m'apporter, tous les lundis sans faute, une pellicule à développer. Je le connaissais, ce vieux, pour l'avoir croisé au supermarché de la rue Alboraya et parce que j'avais moi-même développé les photos de mariage de ses enfants et quelques autres de voyages à travers l'Espagne avec sa femme. Mais celles-là étaient très différentes. Nu dans l'austérité de sa chambre. Une chambre dont, sans y être jamais allé, je peux assurer qu'elle sentait le rance : un lit deux places avec une courtepointe jaunâtre en tricot, une armoire démodée en bois sombre, un crucifix au-dessus du chevet, des photos anciennes sur la table de nuit et, au milieu de la pièce, un vieillard complètement nu, regardant l'appareil avec une expression difficile à démêler. Mais qui ressemblait davantage à de la tristesse qu'à toute autre émotion qu'il aurait voulu feindre. Des photos pathétiques où il essayait vainement de paraître attirant, en dépit des années et de sa peau crevassée et jaunâtre, comme d'un poulet déplumé. Tous les lundis pendant deux mois, il m'a apporté une nouvelle pellicule. Et moi, je lui rendais ses photos deux jours plus tard, avec le sourire, en lui demandant des nouvelles de ses enfants, comme si je n'avais pas vu ce que contenait l'enveloppe fermée que je lui donnais avec un BON POUR UN AGRANDISSEMENT. Je ne comprenais pas ce vieux, jusqu'au jour où, en reprenant les tirages, il m'a laissé entendre que ces photos étaient pour moi. J'ai fait mine de ne pas avoir saisi le double sens de ses paroles : une invitation confuse à nous voir en tête-à-tête dans un sauna appelé Le Sparte. J'ai joué les imbéciles, j'ai souri et je lui ai rendu sa monnaie sans le regarder dans les yeux. Des yeux qui étaient probablement implorants.
Je ne sais pas quoi en penser. Une ultime tentative désespérée de ce malheureux pour échapper à une vie qui n'aurait jamais dû être la sienne, dirais-je.
Une vie tissée de petits mensonges, de petites privations, de petits renoncements qui finalement n'étaient pas si petits. Qui l'avaient conduit vers on ne sait trop quelle région inconnue, à cet homme inconnu qu'il ne reconnaissait même pas lorsqu'il tombait sur son visage sur sa carte d'identité.
Un parfait étranger avec son nom, sa date de naissance, ses cheveux blancs et un regard résigné qu'il n'identifiait pas comme le sien.
Ou peut-être que c'était un client habituel du Sparte et qu'il cherchait juste un nouveau flirt, encore que j'en doute fort, à cause du tremblement de sa voix et de ses mains quand il reprenait les photos.
Depuis, je me demande combien des photos que je développe me sont délibérément destinées. Cela peut paraître une question stupide, complètement égocentrique. Mais ça ne l'est pas. Non, monsieur, ça ne l'est pas.
Je me demande aussi pourquoi il a pensé que j'étais homosexuel. Et pourquoi, en supposant que je l'étais, il a supposé que j'allais être attiré par quelqu'un de trente ans de plus que moi. Il y a quelque chose qui m'échappe dans la pensée humaine. Une logique absolument démente régit nos cerveaux.

Alberto Torres Blandina est né à Valence en 1975. Il est écrivain, musicien, auteur de théâtre et meme journaliste, bien que sa principale activité soit d’enseigner l’espagnol et la littérature. Il a reçu le prix international de la nouvelle en 2007 pour « Le Japon n’existe pas ». il était aussi finaliste pour le prix Azorin en 2008 pour son recueil de quatre nouvelles « hotel postmoderne », ainsi que finaliste en 2008 pour le prix café Gijon avec « kids ….. »

Bibliographie