Publication : 07/05/2009
Pages : 160
Grand Format
ISBN : 978-2-86424-686-2
Couverture HD
Poche
ISBN :
Couverture HD

Le Japon n'existe pas

Alberto TORRES BLANDINA

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17 €
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9 €
Titre original : Cosas que nunca ocurrirían en Tokio
Langue originale : Espagnol (espagne)
Traduit par : François Gaudry

Ce livre a reçu le Prix Las Dos Orillas qui consiste en la publication simultanée en Italie, Grèce, Espagne, Portugal et France.

Voyageurs qui n’aimez pas les longues attentes dans les aéroports, ce livre est pour vous.
Dans un terminal, un balayeur affable et disert bavarde avec les passagers en attente, devine leur destination, leur donne des conseils, raconte des histoires passionnantes sur ses voisins, flirte avec la vendeuse de journaux. Il propose même à ses interlocuteurs en partance pour Tokyo une théorie originale : « Le Japon n’est qu’une façade. Une opération marketing comme une autre. On l’a inventé pour vendre de la technologie et ça a marché. Made in Japan est aujourd’hui le meilleur label pour vendre une voiture ou un téléviseur. »
D’histoire en histoire cet étrange balayeur nous surprend avec humour et bonheur.

Le premier roman plein d’ironie et d’énergie d’un jeune homme prometteur.

  • Un voyage dans l’imaginaire poétique et farfelu d’un balayeur-conteur qui vide son sac à histoires pour notre plus grand plaisir. Mais où est la vérité ? Le Japon existe-t-il vraiment ? (Page des libraires)

    Véronique Bagarry
    Librairie Points commun (Villejuif)
  • Rires et dépaysement garantis ! (La Tribune de Genève)

    Laura Sanchez
  • Voici un premier roman très réussi.

  • "Un balayeur dans un aéroport raconte ses histoires à tous les gens qui passent. Histoires loufoques, surprenantes, drôles et donc totalement indispensables. Une découverte à lire d'urgence."

    Vincent
    Librairie Cart (Besançon)
  • « Ce roman n'existe pas. C'est une invention. Il n'est pas réel. Comme ne peuvent l'être aucune des histoires racontées par le personnage principal, Salvador Fuensanta, balayeur bavard dans un aéroport espagnol. Et pourtant, ce roman, on peut le lire, comme on peut écouter des récits qui, sans exister, nous touchent par leur sincérité. Entre la réalité et l'imagination, voici une œuvre d'un style percutant et d'une lucidité brillante sur le monde qui nous entoure. »

    Librairie La Plume et l'Ecran (Bussy-St-Georges)

  • « Un vrai bonheur d’intelligence et de finesse humoristique. »
    Michel Paquot
    BLOG A PART

  • « Ce livre, premier roman de l’auteur est un véritable régal. »


    Françoise Bachelet
    LIVRES-A-LIRE.NET

  • « […] formidable petit roman »


    Yves Mabon
    LE BLOG D’YV

  • « Volubile, parsemant ses monologues de commentaires avisés sur des pays où il n’a jamais mis les pieds, ce personnage attachant fait souffler une brise d’humanité dans un microcosme confiné, métaphore d’un monde globalisé au bord de l’asphyxie. Sans quitter le plancher des vaches, cet homme-là nous emmène en voyage…. »
    Laurent Raphaël
    VIF/L’EXPRESS

  • « Que dissimule le titre du roman de Torres Blandina, Le Japon n’existe pas ? Sans exagérer : une merveille. […] Un vrai bonheur d’intelligence et de finesse humoristique.»  
    Michel Paquot
    LE GENERALISTE

  • « Tout aéroport est, selon Torres-Blandina, une zone franche, un espace de liberté "où personne ne vous connaît ni ne va vous juger. Où vous n’avez pas d’autre passé que celui que vous vous inventez ni d’autre présent que l’attente…". »
    Corina Ciocârlie

    JEUDI

  • « Un grand bain de jouvance et d’intelligence. »

    Michel Paquot

    VERS L’AVENIR

  • « Histoire d’un balayeur d’aéroport qui est aussi fabuleux conteur. Au point de persuader ceux qui l’écoutent que le Japon n’existe pas. […] C’est un orfèvre magicien, je vous garantis qu’il existe, et son roman encore plus, si c’est un roman, au point qu’il ne nous quittera plus, voyageur ou non. »



    LE REPUBLICAIN LORRAIN Pierre Pelot

  • « Dans ces contes version aviation, les toilettes remplacent le château comme centre de l’action, les histoires d’amour se vivent déguisés et les bonnes fées ouvrent la porte du Club des désirs impossibles. »
    MUTEEN

  • « […] ce premier roman a la fraîcheur d’un bonbon à la menthe et la grâce d’un livre pour enfant. »


    Nathalie Six
    FEMMES

  • « Pour ce premier roman, l’espagnol Alberto Torres Blandina crée un personnage singulier : celui d’un homme de ménage dans un aéroport anonyme, quelque part en Espagne, qui entre deux coups de balai accoste les voyageurs à qui il conte d’étranges récits… La forme tient autant du monologue que du texte déclamatoire, l’homme est un acteur sur sa scène quotidienne, et les récits se suivent au gré des rencontres. Farfelues, décalées, absurdes, ses histoires sont l’occasion d’un moment de communication au cours des interminables attentes sans les terminaux d’aérogares. »


    Julie Coutu

    CHRONIC’ART

  • « En résulte un petit texte ludique et plein d’esprit, qui peut se lire aussi comme une ode aux voyages immobiles et à l’imagination. »

    Bernard Quiriny

    LE MAGAZINE LITTERAIRE

  • « Le Japon n’existe pas, l’histoire d’un balayeur dans un aéroport. […] L’ensemble est rafraîchissant, original. Et nous fait considérer ces lieux de transit d’un autre œil. »

    Agnès Noël

    TEMOIGNAGE CHRETIEN

  • «Vous prenez l’avion ? Emportez ce délicieux petit livre. »

    Alexis Liebaert

    MARIANNE

  • « Un beau décollage pour cet écrivain bourré de talent. »

    Laurent Péricone
    LA TRIBUNE

1

Vous pourriez lever les pieds pour que je passe le balai ? Comme ça, très bien, merci. Vous allez en Inde, non ?
C’est très simple. Les destinations, c’est comme les coupes de cheveux, les chaussures… ou le conjoint. On les choisit s’ils nous vont bien.
Ma nièce a des mèches blondes, elle adore les chaus­sures à talons hauts et elle s’est mariée l’an dernier avec un informaticien. Elle a invité quatre cents personnes au mariage. Où croyez-vous qu’ils sont allés en voyage de noces ? Exactement ! C’était Cancún ou une croisière. Donc, Cancún. Son mari a le mal de mer.
En effet, il porte des lunettes. Fine mouche ! Vous voyez ? Ce n’est pas si difficile. Au début, on dirait le hasard, mais plus vous connaissez les gens, plus vous vous rendez compte que dans les clichés tout n’est pas faux… Vous, par exemple, vous partez en Inde pour vous trouver vous-même. Je me trompe ? Non, je n’ai pas l’impression que vous soyez perdu. Mais vous êtes typique de ceux qui partent en Inde. Ne le prenez pas mal, vous avez dit que les informaticiens portaient des lunettes et moi je vous dis maintenant que sur votre front est écrit : Destination New Delhi. En Inde, on y va seul – et vous êtes seul – et au moins pour un mois, si j’en crois ce gros sac à dos. Mais je vous préviens, même ainsi il y en a qui sont restés trois mois et qui vous diront que pour trente jours à peine on ne va pas en Inde. Et d’autres qui y sont restés six mois et qui en plus ont attrapé des amibes ou une maladie bizarre… alors là, c’est trop…
Vous êtes rasé de frais. Et vous l’avez fait pour pouvoir vous laisser pousser la barbe à partir d’aujourd’hui, n’est-ce pas ? Vous partez avec une peau de bébé et vous reviendrez barbu. Au retour, vous attendrez quelques jours avant de vous raser, après que tout le monde vous aura vu.
Excusez-moi d’être aussi franc… Si on pouvait entrer dans la tête des autres, on serait surpris de voir à quel point rien n’a changé. Connais-toi toi-même et tu connaîtras les autres. Je ne me moque pas de vous, je me moque du genre humain, de ce que nous sommes… Ma nièce a choisi Cancún pour des raisons similaires aux vôtres…
Vous ne le croyez pas ?
Vous reviendrez avec une barbe comme elle est revenue avec un petit bracelet. Elle parlait des daïquiris et du soleil. Vous parlerez de spiritualité et de karma. Elle montrera des photos de son mari en maillot de bain et vous des photos de beaux enfants aux yeux maquillés… au kajal, c’est un produit aromatique qui fortifie la vue des petits…
Vous me demandez ça à moi ? Je ne suis qu’un balayeur. En plus, c’est difficile de parler de l’Inde. En réalité, on ne peut la décrire qu’avec les phrases habituelles : c’est une autre planète, il faut y aller pour comprendre, on en est tout remué, les Indiens sont dingues, ce genre de choses… rien de bien nouveau.
On dit que c’est un voyage intérieur. D’après moi, ça dépend. Si vous y allez avec l’idée de trouver quelque chose, eh bien, vous trouverez quelque chose. Et puis en Inde on peut farfouiller. Plus qu’un pays, on dirait un débarras, les gens et les coutumes les plus étranges, les objets les plus bizarres s’y entassent sans rime ni raison.
Il y a des années de cela, j’ai eu un ami qui est parti là-bas. Il est parti parce qu’il ne supportait plus sa vie. D’autres vous diraient autre chose, mais croyez-moi, je le connaissais bien. Il est parti en Inde comme on se pointe un pistolet sur la tempe, excusez pour l’image. Il est parti pour en finir avec tout, définitivement. C’était il y a quinze ans. A cette époque, les gens ne partaient pas en Inde comme ça. Maintenant, c’est banal. Et très moderne. Un voyage dans un pays exotique, ça va bien avec certains pantalons, vous ne trouvez pas ?

Il s’appelait Eduardo Juesas et il était la discrétion même. Très correct et sérieux… trop, je dirais. Même quand il souriait, c’était une sorte de grimace et on ne savait pas très bien ce qu’il fallait comprendre. Je ne sais pas ce que vous auriez pensé de lui si vous l’aviez connu ici, à l’aéroport. Comme tout le monde, je suppose : que c’était un type bizarre et que sa réserve frôlait toujours la mufle­rie. Mais moi je l’ai connu petit, Eduardo, et je sais que c’était un type fascinant.
Il avait déménagé avec sa mère dans l’appartement voisin du nôtre. Il a toujours été un solitaire. Il avait très peu d’amis et en vérité ça ne semblait pas beaucoup le préoccuper. Il lisait énormément… Voilà un autre cliché : ceux qui lisent beaucoup finissent un peu tourneboulés. Comme le Quichotte et cette Madame Bovary qui ont fini par croire que la réalité ressemblait à ces livres qui les remuaient tant. Mais la réalité c’est autre chose, vous
ne croyez pas ? Ni meilleure ni pire, mais autre chose. Eduardo, il lui est arrivé quelque chose de semblable. Même s’il n’a jamais insinué que c’était la faute des livres, comme certains l’ont affirmé. Eduardo n’est pas devenu un garçon sauvage à cause des livres. Ni lui ni personne. Au contraire, c’est plutôt sa nature farouche qui l’a conduit à voir dans les livres un allié.
L’influence de sa mère ne l’a pas non plus beaucoup aidé, il faut dire la vérité. C’était une femme charmante, toujours souriante, mais comme mère, je ne sais pas trop. Les enfants doivent jouer aux billes, à la toupie… aux jeux vidéo ? En tout cas, les enfants doivent jouer à des jeux d’enfants. Mais la mère d’Eduardo le traitait toujours comme un petit homme. Elle l’emmenait au musée, dans les bars, à la campagne pour méditer… Il faut que vous sachiez qu’elle était photographe… et célibataire, pour que vous vous fassiez une idée de ce que je vous raconte. Le gamin n’avait pas de père. Si on lui posait la question, il haussait les épaules, sa mère ne lui avait même pas dit le nom de son géniteur. “Le Saint-Esprit”, elle m’a répondu la seule fois où j’ai abordé le sujet. En plaisantant, bien sûr, mais je n’ai pas trouvé ça très drôle. Pourtant elle riait de si bon cœur…

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais ce n’est pas un bon exemple pour un mineur. Et je ne vous raconte pas ce qu’elle fumait et les amis bizarres qu’elle ramenait à la mai­son. Chaque jour un nouveau… je ne dis pas que c’est bien ou mal, ça ne me regarde pas… je suis d’une autre géné­ra­tion et on ne va sûrement pas se comprendre… Mais quand on a un gosse, ça ne me paraît pas un bon exemple…
Bref, ne tournons pas autour du pot… Eduardo était un gamin étrange. Il faisait un peu peine à ma femme Leonor, qu’elle repose en paix. Elle disait qu’il avait besoin de plus de chaleur familiale. Sa mère était très affectueuse avec lui, c’est vrai, mais grandir sans père, sans frères, sans grands-parents… Parfois, Leonor lui apportait des gâteaux ou l’invitait à venir à la maison pour regarder la télévi­sion… Bizarrement ils ne l’avaient pas. Mais le gosse n’avait pas très envie de se laisser aimer. Je me rappelle une des rares fois où il est venu à la maison. Il s’est assis sur le tapis, devant la télé, hypnotisé. Leonor était très contente, elle préparait du chocolat dans la cuisine. “Ce petit a besoin d’une tante”, disait-elle souvent.
Nous, on n’avait pas d’enfant. Pauvre Leonor, elle qui les aimait tant. Je me rappelle bien la scène. Assis sur le tapis, Eduardo regardait la télévision, et moi, sur le canapé, je le regardais lui. Il ne bronchait pas. On lui posait une question, il ne répondait pas. “Tu veux un peu plus de chocolat ?” Le gamin : hébété. Nous ne savions plus quoi faire pour qu’il réagisse, jusqu’à ce que sa mère arrive :
– Viens, Eduardo, on va dîner.
Et sans un mot il s’est levé et il est parti. Le lendemain je me suis retrouvé avec lui dans l’ascenseur :
– Don Salvador, me demande-t-il, tout ce qu’il y avait dans votre télé, c’est vrai ?
Certaines choses oui, d’autres non, j’ai répondu. Il a fallu que je lui explique, émission par émission, ce qui était vrai et ce qui ne l’était pas. Puis il est rentré chez lui, tout pensif. Quand Leonor l’a de nouveau invité, il s’est contenté de dire :
– Je l’aime pas, votre télévision. Après, je ne peux pas dormir à force de penser.
– De penser à quoi, mon chéri ?
– Je ne sais pas. Penser. Aux choses qui se passent dans le monde.
Drôle de gosse, non ? En grandissant, il n’a pas beau­coup changé. Un peu plus grand, avec un peu plus de poils au menton, mais toujours aussi réservé. Ma femme s’était faite à l’idée qu’elle ne serait pas sa tatie Leo, mais je sais que le gamin me considérait comme son ami, et ça je n’ai pas voulu le dire à ma femme. Parfois il me racontait des choses, les bêtises qu’il faisait en classe. Mais de sa part c’était énorme, même sa mère me le disait : “Don Salvador, il est plus loquace avec vous qu’avec moi.”
Et Leonor me regardait, un peu envieuse.
Des trucs de gosse, je répondais.
Mais ce que je voulais vous raconter, c’est une anecdote, quand il avait onze ans. Si je suis trop bavard, arrêtez-moi…
A l’époque il y a eu un incident dans le quartier, même les journaux en ont parlé. Quelqu’un avait tiré au fusil de chasse sur un groupe de jeunes. L’un d’eux avait été atteint au ventre, un autre à l’épaule. Heureusement sans gravité. Mais la peur et l’impact avaient dû leur faire mal. On n’a jamais su qui c’était, car le coupable avait tiré d’une ter­rasse et s’était rapidement éclipsé.
Eduardo ? Eh oui, c’était Eduardo, mais ne le jugez pas trop vite. Vous avez deviné parce qu’on parlait de lui. C’était un garçon normal, ne croyez pas qu’il avait un regard de fou ou qu’il parlait avec des gens invisibles, comme dans les films. Si un journaliste de la télévision était venu me poser des questions, je lui aurais dit : “Qui pouvait imaginer ça ? C’est un enfant bien élevé qui m’ouvre toujours la porte de la cour, même qu’une fois il a aidé ma femme à monter les sacs des commissions.”
Comme si aider à monter les sacs et tirer des coups de fusil de la terrasse étaient incompatibles. Et pourtant, l’esprit se nourrit de contradictions. Nous simplifions tout jusqu’au ridicule.
J’ai appris son secret par hasard. En revenant du tra­vail… à l’époque je ne travaillais pas ici, mais dans un atelier… j’ai croisé des adolescents du quartier qui chu­chotaient, l’air énervé. J’ai entendu le nom d’Eduardo et j’ai tendu l’oreille. Ils disaient que c’était lui qui avait tiré. J’ai tourné au coin de la rue et je me suis arrêté pour écouter. Imaginez la honte s’ils m’avaient découvert.
– Il a fait ça à cause des chats…
– C’étaient les siens ?
– Impossible, c’étaient des chats de gouttière. Il est dingue.
Je n’en ai pas entendu davantage. Mais j’ai décidé d’enquê­ter de mon côté, comme Jessica Fletcher, hé ! hé !, vous la connaissez ? Le problème c’est que je ne savais pas par où commencer et le temps passait, alors le jour où je l’ai croisé dans la cour, ça m’a échappé et je lui ai posé la question entre quat’z’yeux :
– Eduardo, c’est toi qui as tiré sur ces gars ?
Il est devenu tout pâle.
– Non, don Salvador.
Rien de ce qu’il a dit après avoir eu cet air paniqué ne m’a convaincu. Sur son front était marqué au fer rouge : coupable.
– Allez, je te promets que je ne dirai rien à personne. Je sais que c’était toi. (Le gamin s’est mis à pleurer. Il me répétait en bre­douillant de ne pas le dire à sa mère.) Je ne lui dirai pas. Mais je veux que tu m’expliques pourquoi tu as fait ça. Tu trouves normal d’aller sur la terrasse et de tirer sur les passants ?
– Je ne tirais pas sur les passants. Je tirais sur eux.
Il m’a raconté son histoire. Il voulait punir des élèves de son collège qui, quelques jours avant, s’étaient amusés à arroser un chat d’essence et à lui mettre le feu. Les enfants ont de drôles d’idées ! Brûler un chat pour rigoler !
J’ai essayé de lui expliquer qu’il aurait pu les tuer. Il m’a parlé de Superman. Apparemment sa mère lui avait acheté des illustrés. Alors j’ai compris que ce n’était qu’un enfant avec un raisonnement d’enfant même si parfois il avait l’air d’un petit homme. Il s’était érigé en vengeur, en défenseur des faibles. Et, bien sûr, comme il n’avait pas de superpouvoirs, il a pris un vieux fusil de chasse que sa mère avait à la maison, allez savoir pourquoi…
Ça, je ne lui ai pas demandé… Vous croyez qu’il s’est donné un nom de superhéros ? Le Canardeur ? Allez, ne vous moquez pas. Imaginez la situation. Je ne savais pas quoi lui dire. Alors j’ai dit ce qu’il attendait. C’est ce que nous faisons dans ces cas-là : débiter des évidences. Surtout quand nous autres, adultes, parlons aux enfants. Parce que les enfants attendent certaines réactions des adultes. C’est nécessaire pour leur éducation. Même si en nous-mêmes nous n’y croyons pas… je ne sais pas si vous me compre­nez… Je l’ai grondé et je lui ai fait promettre de ne jamais recommencer.
– Si j’apprends que tu as recommencé, je dis tout à ta mère. Pour le moment, ce sera notre secret.
Nous nous sommes serré la main et nous avons scellé une espèce de pacte. Il ne ferait plus de folies et je ne dirais rien de ce que je savais.
J’ai tenu parole. Pas lui. Quelques mois après, il est arrivé avec un bras cassé. Sa mère avait acheté un appareil photo défectueux dans un bazar et la patronne avait refusé de la rembourser. Le lendemain, Eduardo est entré dans
le magasin et, devant tout le monde, il a renversé des télévi­seurs. Il n’avait pas à se cacher. Ce n’était pas un
acte de vandalisme. Il ne faisait que rétablir l’équilibre
uni­versel. Mais les enfants de la patronne se sont chargés de lui apprendre pourquoi les superhéros portent un masque.

L’Inde ? Ah oui, je savais bien que je vous parlais d’Eduardo pour quelque chose. Mais ce sera pour un autre jour, parce qu’on vient d’ouvrir votre porte d’embarque­ment… Avec vous ? D’accord, je vous accompagne pour faire la queue, mais je n’ai pas beaucoup de temps. Je vais essayer d’être bref.
Eh bien, Eduardo, ça ne lui a pas passé d’être… com­ment avez-vous dit ? Le Canardeur ? Il ne m’a pas écouté et a continué à vouloir changer le monde pour en faire un endroit plus agréable. Au début, il semblait s’être assagi : il a remplacé les plombs par les mots… quelle jolie phrase, il a remplacé les plombs par les mots… Il s’est mis a écrire dans le journal de son lycée, et à l’université il a lancé une revue qui s’appelait Utopies, pas très original le titre, mais c’est comme ça, les jeunes, ils croient inventer la poudre et ils attendent de pied ferme ceux qui diront qu’elle est déjà inventée… A l’université ? Il étudiait la philosophie… Vous vous rendez compte, avec toutes ces choses qu’il y a à étudier…
Je lui ai proposé de mettre des exemplaires de sa revue à l’aéroport… J’y travaillais déjà… En fait, c’est un ami de sa mère qui m’avait obtenu ce travail. Ma proposition lui a fait plaisir. C’est bien que des gens d’autres pays puissent vous lire. Qu’importe d’où ils sont, pourvu qu’ils vous lisent. C’était une revue sympathique, pleine d’idéalisme et de bonnes intentions pour changer le monde. Un peu naïve…
J’ai dû apporter cinq numéros à l’aéroport. Les seuls qui sont sortis. Un jour je lui ai demandé :
– Eduardo, tu ne me donnes pas d’autres numéros d’Utopies pour l’aéroport ?
– Il n’y en aura pas d’autres.
Il m’a dit ça l’air grave. Il avait cessé de croire au pouvoir des mots pour changer le monde. Il pensait que sa voie était différente.

Et voilà, on se rapproche de la porte d’embarquement et je ne suis pas capable d’aller à l’essentiel. C’est toujours pareil avec moi. Leonor me le disait : “Salvador, tu fais de l’incontinence verbale.” Je n’aurais pas dû m’attarder autant sur l’enfance, mais je voulais que vous compreniez pour­quoi il est parti en Inde.
Encore une anecdote et vous allez saisir. Les voisins du quatrième ont eu des jumeaux. C’était un couple très jeune qui était arrivé dans l’immeuble moins de deux ans aupara­vant. Je ne les ai jamais très bien connus. Un jour, ils ont convoqué une réunion pour discuter si on faisait installer ou non l’ascenseur. Ils avaient même apporté un devis d’une entreprise.
– Imaginez ce que c’est pour moi de descendre tous les jours avec deux enfants et la poussette. Mon mari a une longue journée de travail et ma famille n’habite pas en ville. Que voulez-vous que je fasse ? On n’a pas envie de changer de domicile, ici nous sommes très bien, mais l’absence d’ascenseur est un problème. En plus, ce serait bien pour tout le monde. Pour monter les courses, la bonbonne de gaz…
C’était très cher, mais la plupart d’entre nous ont compris qu’il fallait le faire. Et pourtant, le président du comité a refusé catégoriquement :
– Moi, je continuerai à monter les courses et le gaz par l’escalier.
– Et les enfants ?
– Mes enfants sont déjà grands.
– Je parle des miens.
– Je ne vais pas dépenser tout cet argent pour vos enfants. Dépensez-le vous-même. Achetez-vous un ascenseur si vous en avez tellement envie.
Ainsi s’est terminée la réunion. A l’époque, ce n’était pas comme maintenant. Nous étions douze dans l’immeuble et nous devions nous mettre d’accord avant de faire quoi que ce soit. Si quelqu’un refusait de payer, il n’y avait pas moyen de l’y contraindre. D’autres voisins soutenaient le président. L’affaire de l’ascenseur était tranchée.
Deux semaines plus tard, une voiture fauchait le pré­sident et s’enfuyait à toute vitesse. Pas de témoins. Le chauffard avait pris soin de choisir une rue solitaire et sombre. C’était la leçon que lui avaient apprise les fils de la patronne du magasin.
Le président s’est retrouvé paralysé des membres infé­­rieurs. Et reclus dans son deuxième étage sans ascenseur.
Il l’avait mérité ? Vous le croyez vraiment ? Vous le voyez comme un personnage de fable. Mais moi je le connaissais. Ce n’était pas un mauvais bougre. Après tout, vous ne savez de lui que son refus de faire installer un ascenseur dans l’immeuble. On ne peut pas juger quelqu’un sur un seul acte. Et je vais vous dire : il avait travaillé toute sa vie pour payer l’éducation de son petit frère. Vous ne trouvez pas que c’est une bonne action ?
On n’a jamais su qui avait renversé cet homme. Mais vous et moi avons une petite idée sur son identité, non ? Après, il s’est passé des choses étranges, mais pourquoi m’étendre davantage. Eduardo était devenu un jeune homme très triste. Quand on ne croit pas à l’humanité, on est forcément très triste. Eduardo pensait que l’être humain était un monstre horrible, il disait même un “prédateur raffiné”.
L’ami de sa mère lui a trouvé une place ici, à l’aéroport. Il avait fait des études, parlait plusieurs langues et savait se servir d’un ordinateur, ce qui à l’époque n’était pas le cas de tout le monde. On ne lui a donc pas mis un balai entre les mains. Le balai c’est pour des gens comme moi, pas pour Eduardo…
“Vous avez lu les journaux, don Salvador ?”, il me posait toujours la question. Puis il me mettait au courant : une bombe explose dans un supermarché, cinq jeunes tabassent un immigré, deux hommes violent et torturent une mineure, un vieillard se fait égorger pour sa montre, des centaines d’oiseaux meurent à cause de produits polluants déversés dans une rivière, découverte d’un réseau de trafic de mineurs…
– Comment je pourrais avoir des enfants dans un monde pareil ? me disait-il. Quelle sorte de père je serais de les précipiter dans cet endroit horrible ?
Je lui répétais ce que disait ma grand-mère, qu’elle repose en paix : l’homme est un être surprenant, mi-ange mi-démon, capable des plus horribles et des plus grandes choses…
– Tu n’as pas entendu, Eduardo ? Un adolescent a sauvé des flammes une femme enceinte. Il a risqué sa vie pour elle.
Mais il avait toujours une réplique :
– Des adolescents ont battu à mort un camarade de classe. Comme ils ne savaient pas quoi faire du cadavre, pour que personne ne le retrouve, ils l’ont découpé en morceaux et donné à manger aux chiens.
Ce n’était pas un mauvais garçon, mais il avait trop de haine en lui. Je me dis parfois qu’il était trop sensible. Même si ça paraît contradictoire. Tout l’affectait à l’excès. Nous nous habituons à voir des atrocités, mais lui ne pouvait pas. Il n’en était pas capable. Et cela lui empoison­nait le sang.
C’est ça, l’histoire d’Eduardo. Il est parti en Inde en pensant qu’il trouverait là-bas un monde différent, avec des valeurs plus humaines. C’était une autre époque. L’Inde se dessinait dans l’esprit des gens comme une terre vierge où la civilisation moderne n’avait pas pénétré. Une terre de solidarité loin de la société capitaliste et de la vie moutonnière qu’il critiquait tant dans sa revue Utopies…

Bonjour, mademoiselle Lidia, votre congé maternité est ter­miné ? Que le temps passe vite… Comment va la petite ? Je m’en réjouis. J’étais en train de parler avec un ami qui part en Inde…
N’est-ce pas qu’elle est belle ? Vous allez voyager avec notre plus belle hôtesse de l’air…
On n’a qu’à se mettre ici, un peu de côté pour ne pas gêner, et quand la queue sera finie, vous y allez, mon ami, d’accord ?
Il nous reste un peu de temps. Je finis l’histoire… encore qu’elle commence réellement là, mais ce serait trop long…
Un jour il vient me voir et me dit : “Une cigarette, don Salvador ?” Je ne fume pas, mais de temps en temps… Alors j’ai accepté et nous sommes allés dans la salle fumeurs. Il m’a dit qu’il quittait son travail et partait en Inde. La semaine précédente, on avait trouvé un homme inconscient dans les toilettes du terminal. D’après des témoins, le type, complètement bourré, avait insulté et molesté sa femme devant tout le monde. Mais quand il est allé aux toilettes, il est tombé sur quelqu’un qui lui a expliqué qu’on ne devait pas traiter une femme comme ça. La raclée qu’il lui a administrée a failli le tuer. Une de ses côtes lui a perforé le poumon. Je suppose qu’Eduardo s’est rendu compte qu’il ne pouvait plus continuer ainsi.
Il a acheté un billet, dit adieu à son travail et est parti en Inde.
Voilà donc Eduardo, l’homme le plus solitaire que j’aie connu, sac au dos et me disant au revoir ici même. “Sois prudent, Eduardo, je lui ai dit. Ne mange pas d’épinards, la mousson est en avance cette année et tu risques d’attra­per des amibes.”
Fin de l’histoire.
Bon, mademoiselle Lidia, je vous le laisse. Prenez soin de lui.
Est-ce qu’il a trouvé ce qu’il cherchait en Inde ? Je ne sais pas trop quoi vous dire. En tout cas il a trouvé quelque chose. Mais ça, c’est une autre histoire… une histoire que je préfère ne pas me rappeler.
L’an prochain, quand vous repartirez en vacances ? Je regrette, mais ce ne sera pas possible. Je prends ma retraite dans très peu de temps. Trente-trois jours pour être exact.
Bon voyage… Au revoir, mademoiselle Lidia. Et bon voyage à vous aussi.

Alberto Torres Blandina est né à Valence en 1975. Il est écrivain, musicien, auteur de théâtre et meme journaliste, bien que sa principale activité soit d’enseigner l’espagnol et la littérature. Il a reçu le prix international de la nouvelle en 2007 pour « Le Japon n’existe pas ». il était aussi finaliste pour le prix Azorin en 2008 pour son recueil de quatre nouvelles « hotel postmoderne », ainsi que finaliste en 2008 pour le prix café Gijon avec « kids ….. »

Bibliographie