Publication : 19/03/2020
Pages : 336
Grand Format
ISBN : 979-10-226-1030-8
Couverture HD
Numérique
EAN : 9791022608848

Feu pour feu

Leye ADENLE

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20 €
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12.99 €
Titre original : When trouble sleeps
Langue originale : Anglais (Nigeria)
Traduit par : David Fauquemberg

À Lagos, paradis des embouteillages, un jet privé s’écrase sur une résidence dans le quartier des vieilles fortunes avec à son bord le principal candidat au poste de gouverneur. Aussitôt, on lui trouve un remplaçant, assuré d’être élu : chief Ojo.

La séduisante Amaka, l’avocate des femmes, se révolte : chief Ojo est son ennemi juré, un salaud fini, avec un goût prononcé pour les très jeunes filles et quelques cadavres dans le placard. Elle a les moyens de le faire tomber. Et assez d’astuce pour jouer avec des filous et, malgré les pièges mortels, retourner contre eux leurs propres stratagèmes.

De l’action, de la rouerie, du suspense. Des descriptions impressionnantes des marchés de Lagos, des élections truquées, des chantages, des lyncheurs et des voleurs, mais aussi des gens honnêtes qui ne se laissent pas faire. Une intrigue menée à bride abattue, entre ethnologie et polar, qui vient fouiller les dessous peu reluisants de la société nigériane sans jamais perdre le sens de l’humour.

  • "Pimenté d'un humour cynique, ce polar survitaminé se double ainsi d'un vivifiant plaidoyer pour la cause féminine en Afrique."
    Serge Breton
    813
  • "Leye Adenle nous passionne dans ce roman noir." Lire la chronique ici
    Site Boojum
  • "Le résultat est captivant, haletant avec aucun risque d’un bâillement en cours de lecture." Lire la chronique ici
    Blog Le domaine de Squirelito
  • "Leye Adenle prend le temps pour tisser son intrigue et dévoiler sa galerie de personnages, du faiseur de roi machiavélique aux politiciens arrivistes, en passant par des policiers corrompus et d'autres qui résistent. Dans un habile suspense, l’auteur décrit un pays aux mains d’une caste, où la démocratie n’a plus sa place et où les élections sont devenues une vraie farce."
    Fabien Jouatel
    Ouest France
  • "Rythme d'enfer, scènes qui claquent, écriture au cordeau, avec des personnages énormes et une héroïne inoubliable : le deuxième polar de Leye Adenle frappe très fort."
    Hubert Artus
    Causette
  • " Leye Adenle apporte un sacré vent de fraîcheur sur le genre, qui trouve décidément en Afrique (on pense entre autres à Deon Meyer) de nouveaux terrains de jeux bien excitants."
    Focus Vif (Belgique)
  • Lire la chronique ici
    Blog Des livres et Sharon
  • "Si vous voulez de l’action, une trame qui repose sur du concret, des personnages intéressants et une intrigue rythmée, c’est celui-ci que vous devez choisir." Lire la chronique ici
    Blog Évadez-moi
  • "Un deuxième roman tout aussi percutant que le précédent." Lire la chronique ici
    Site Zibeline
  • « Férocement débridé mais ultra-maîtrise, le nouveau roman de Leye Adenleest un portrait ravageur du Nigeria. Et un génial petit manuel de politique crapuleuse… »
    Damien Aubel
    Transfuge
  • " On tremble au côté d'Amaka jusqu'à un rebondissement final spectaculaire, que nous n’avions pas imaginé, avouons-le, et qui nous laisse ravi d’être tombé dans le piège."
    Agnès Laurent
    L'Express
  • "Leye Adenle conforte son titre de maître du polar nigérian."
    Macha Séry
    Le Monde
  • "L’effroi, la qualité d’écriture, le rythme infernal, l’exotisme, l’humour très noir sont toujours bien au rendez-vous. Percutant !" Lire la chronique ici
    Nyctalopes
  • Jean-Marie Wynants
    Le Soir

PROLOGUE

– T’as déjà voyagé en jet privé ?
Chief Adio Douglas déploya sa main sur l’épaule de Titi, à l’arrière de la Mercedes Classe S. Titi fit non de la tête.
– Tu vas en faire l’expérience aujourd’hui, dit Douglas. Titi replia ses pieds sous elle, en faisant attention de ne pas érafler le cuir noir de la banquette avec les talons de ses nu-pieds Manolo Blahnik, et se recroquevilla entre les bras de l’homme. Elle leva les yeux vers son visage.
– C’est ça, la surprise ?
– Non. J’ai une surprise encore plus grande pour toi.
– On va où ? J’aurais dû apporter mon passeport ?
– Nous allons à Abuja. À la Villa. Titi se redressa.
– À Aso Rock ?
– Oui. J’ai rendez-vous avec le président en personne.
– Waouh. Je vais rencontrer le président ? Douglas éclata de rire.
– Non, ma chère, c’est moi qui vais rencontrer le président. Toi, tu m’attendras dans la suite présidentielle du Transcorp Hilton.
– C’est donc ça, la surprise ?
– Non, baby. – Il la ramena contre son torse et lui caressa le bras. – C’est une surprise plus grande encore.
Les policiers en faction devant la barrière firent un pas de côté et se fendirent d’un salut militaire quand la limousine passa devant eux pour emprunter la discrète rampe d’accès Execujet jouxtant l’aile privée de l’aéroport international de Lagos.
Des agents du DSS, le service de la sécurité d’État, qui avaient roulé devant à bord d’un 4 × 4 Ford Explorer, se mirent à trottiner à côté de la Mercedes en tenant à deux mains leurs fusils d’assaut israéliens Tavor TAR-21, crosse calée contre l’épaule et canon basculé vers le sol. La limousine s’immobilisa devant un Embraer Phenom 300, à proximité du bout retroussé de l’aile. Un agent balaya du regard le tarmac scintillant couvert de jets privés avant d’ouvrir la portière du chief.
L’agbada blanche de Douglas se gonfla dans la brise chargée de kérosène quand il la fit passer par-dessus sa tête. Titi, dans sa tunique noire, contourna la voiture blindée pour venir le rejoindre. Le coffre de la Mercedes s’ouvrit et des agents du DSS en sortirent l’attaché-case de Douglas et le petit sac de voyage de Titi.
La porte de l’avion, située juste derrière le cockpit, s’abaissa lentement. À travers ses lunettes noires, Titi la regarda s’arrêter à quelques centimètres du sol. Elle se tourna vers Douglas.
– Je peux faire une photo ? Il sourit.
– Bien sûr. Tant que je ne suis pas dessus…
Elle tourna le dos à l’avion, leva son téléphone bien haut devant elle et prit la pose. Sur l’écran, elle vit le pilote qui descendait les marches.
– Tu ne m’as pas dit que ton ex-petit copain était pilote ? interrogea Douglas.
Le jeune homme était planté près de la passerelle, mains dans le dos, les yeux dissimulés derrière ses lunettes de soleil Aviator, le visage légèrement tourné vers le haut. Il se tenait parfaitement immobile, comme un soldat.
Douglas posa la main sur le dos de Titi. “Allons-y”, dit-il.
Le corps de Titi résista à sa poussée.
– Quelque chose ne va pas ? demanda-t-il.
Titi détourna les yeux du pilote pour regarder Douglas.
– Il y a un problème ? insista celui-ci. Elle secoua la tête, lentement.
– Bon, alors allons-y. Je ne voudrais pas faire attendre le président.

Ils attendirent que l’agent du DSS qui avait monté leurs bagages à bord de l’avion redescende les marches, puis, la main toujours au creux de ses reins, Douglas poussa Titi devant lui. Le pilote resta de marbre.
– Attends, ordonna Douglas.
Titi se figea, la main posée sur le métal froid de la rampe.
– Titi, je te présente notre pilote du jour : le capitaine Olusegun Majekodunmi. C’est bien cela ?
Le pilote opina du chef.
– Olusegun, je te présente ma petite amie, Titi.
Titi ne regarda pas le pilote. Celui-ci hocha la tête mais ne la regarda pas non plus.
Ils s’assirent au milieu de l’étroite cabine, sur deux sièges de cuir beige qui se faisaient face. Ils restèrent silencieux pendant le décollage et la brève ascension de l’appareil. Titi avait gardé ses lunettes de soleil, elle regardait par le hublot.
– Tout va bien ? lui demanda Douglas quand le jet se retrouva à l’horizontale.
– Vous saviez ? demanda Titi. Une larme apparut sous ses lunettes noires, et tomba sur sa main.
Douglas déverrouilla sa ceinture et se pencha vers elle.
– Dans deux mois, je serai le gouverneur de l’État de Lagos. Tu viendras vivre avec moi dans la résidence officielle.
– Vous êtes marié.
D’autres larmes coulèrent sur ses joues.
– Oui. Et alors ?
– Lui, c’est mon fiancé.
– Et moi, je suis quoi pour toi ? Un sugar daddy ?
– Vous êtes marié, chief. Vous êtes marié.
– Tu m’as menti, Titi. Mais je te pardonne. Titi enfouit son visage dans ses mains.
Douglas prit sa main dans la sienne, mais elle la retira.
– Pourquoi ? dit-elle en relevant les yeux sur lui, son mascara coulant sur son fond de teint, juste en dessous des yeux.

– Je vais devenir gouverneur ; lui, ce n’est qu’un pilote. Un chauffeur, en plus glamour. Je veux que tu choisisses maintenant. Veux-tu venir avec moi, ou bien rester là où tu es ?
Elle secoua la tête et se tourna vers le hublot, et le soleil éblouissant lui fit fermer les yeux ; elle chercha à tâtons le store.
Douglas se leva, s’inclina au-dessus d’elle et tendit la main vers le store. Il regarda dehors et fit une grimace.
– C’est bizarre, grommela-t-il.
Elle se tourna vers le hublot, puis vers lui.
À cet instant, les moteurs de l’appareil rugirent, les lunettes de Titi décollèrent de ses genoux et elle se détacha de son siège, son corps n’étant plus retenu que par la ceinture autour de sa taille.
Douglas, qui était debout, perdit l’équilibre, son crâne heurta la paroi de la cabine et il s’effondra sur le plancher.
Titi fut prise d’un vertige. Des magazines, des gobelets et un plateau en argent volèrent à travers la cabine, tandis que le jet descendait en piqué, et elle perdit connaissance.

1

– Il m’a retrouvée.
– Qui t’a retrouvée ?
– Malik.
– Comment ça, il t’a retrouvée ? Qu’est-ce qui se passe, Amaka ?
– Ce salopard m’a appelée, et il m’a menacée. Tu lui as dit que je le cherchais ?
Un homme passa en courant devant la portière d’Amaka, posa la main sur le capot pour ne pas tomber, puis poursuivit sa course au milieu des voitures. Son crâne rasé, couvert de transpiration, avait quelque chose de bizarre : une grosse bosse sur le côté.
– Je dois te laisser, Gabriel. Je serai bientôt chez toi. Amaka posa son téléphone, se pencha pour tenter d’apercevoir l’homme qui venait de passer en courant, mais il avait disparu. Un autre homme passa à toute vitesse devant sa vitre. Elle se retourna. Un tas de gens se ruaient vers sa voiture, avec des bâtons, des planches à la main, et au moins l’un d’entre eux une machette. Elle se tourna de nouveau vers l’avant, agrippant son volant et s’inclinant vers le pare-brise pour mieux voir. La chair nue d’un torse s’écrasa contre la fenêtre, côté passager, la faisant sursauter. L’homme se repoussa des deux mains, laissant sur la vitre l’empreinte de sa poitrine moite. Il donna un coup sur le toit de la voiture et se remit à courir sur la route avec les autres, agitant une planche au-dessus de sa tête. Un jeune homme tenait un pneu à bout de bras ; la gomme lissée par l’usure laissait entrevoir les fils de l’armature. Un autre portait un jerrican de cinq litres rempli d’un liquide qu’il s’efforçait de ne pas renverser.
D’autres hommes passèrent sur la chaussée, glissant sur les capots des voitures et menaçant du poing les conducteurs qui protestaient. Amaka jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et vit que la foule continuait à affluer. Elle téléphona à l’inspecteur de police Ibrahim.
– Bonjour, Amaka. J’arrive bientôt, dit Ibrahim.
– Vous arrivez où ?
– Sur le lieu du crash.
– Quel crash ?
– L’avion qui s’est écrasé près de chez vous.
– Un avion s’est écrasé près de chez moi ?
– Oui. Un petit avion. Vous n’avez pas entendu l’explosion ? Je l’ai entendue depuis le commissariat…
– Non. Je ne suis pas chez moi.
– Où êtes-vous ?
– À Oshodi.
– Qu’est-ce que vous faites là-bas ? Vous devriez être au lit, Amaka.
– Je vais bien, ne vous en faites pas. Écoutez, il se passe quelque chose, ici.
– Amaka, vous avez compris ce que je viens de vous dire ? Un avion s’est écrasé sur une villa tout près de chez vous.
– J’ai bien entendu, mais ils sont en train de pourchasser quelqu’un, ici, et je crois qu’ils vont le tuer.
– Qui poursuit quelqu’un ?
– La foule. Ils vont le lyncher. Il faut que vous veniez, et vite.
Amaka ouvrit sa portière et se mit debout à côté de la voiture pour tâcher d’apercevoir ce qui se passait. Les hommes étaient à présent rassemblés sur le bas-côté. Ils l’avaient attrapé.
– Où êtes-vous, exactement ? demanda Ibrahim.
– Au marché d’Oshodi. Ils sont en train de s’en prendre à lui, maintenant. Venez vite !
– Restez dans votre voiture, Amaka. Quoi qu’il arrive, n’intervenez pas. Ne quittez pas votre véhicule. Amaka… Amaka ?

Elle raccrocha et avança sur la chaussée. L’homme était allongé sur le sol, maintenant, et la foule le frappait avec des armes improvisées sous les acclamations des badauds ameutés, dont certains filmaient la scène avec leur portable. Amaka referma sa portière derrière elle et alluma la caméra de son téléphone, tout en se dirigeant vers l’attroupement.

Alfred Rewane Road était bloquée. Sur le pont, au niveau du rond-point de Falomo, les gens étaient descendus de voiture et restaient plantés sur le bas-côté, certains pointant du doigt le panache de fumée qui s’élevait derrière les villas d’Oyinkan Abayomi Drive, d’autres enregistrant tout avec leur téléphone. Bon nombre d’entre eux avaient les deux mains sur la tête ou restaient figés, bouche bée, d’autres parlaient au téléphone, répandant la nouvelle du crash.
L’inspecteur Ibrahim dit au sergent Bakare d’éteindre la sirène. Elle l’empêchait de réfléchir. Le message envoyé par le centre de commandement de Panti avait ordonné à tous les agents disponibles de se rendre sur place. Absolument tous les agents. Aussi bien les agents de la circulation que les policiers affectés à des tâches administratives, et même les inspecteurs qui s’occupaient d’affaires en cours. Un accident d’avion dans une zone résidentielle était déjà en soi un sacré désastre, mais celui-ci ne concernait pas n’importe quel quartier : il s’agissait d’Ikoyi, le vieux quartier où vivaient les vieilles fortunes.
La fumée semblait s’échapper d’une cheminée d’usine puis, soudain, il y eut un éclair de lumière et elle vira à l’orange. Une fraction de seconde plus tard, le son de l’explosion se répercuta jusqu’au pont. Une femme implora Jésus de sauver ces malheureux, mais il était trop tard pour sauver qui que ce soit, là-dessous. Quelle ironie, songea Ibrahim. Il connaissait ces gens – ceux-là même qui, d’un simple appel téléphonique, pouvaient réquisitionner les services de l’État pour sécuriser leur domicile ; des gens qui avaient le pouvoir de faire muter un officier supérieur dans les régions contrôlées par Boko Haram s’il ne comprenait pas que la mission de la police était de protéger les riches. On lui avait trop souvent demandé de “fournir des agents”
pour escorter de sales gosses de riches qui partaient faire la fête avec leurs semblables – des agents de police qui, au lieu de faire leur travail de policier, se retrouvaient à porter les sacs de shopping de maîtresses à la peau blanchie. Il les connaissait comme seul un policier de haut rang pouvait les connaître. De riches criminels, voilà ce qu’ils étaient. Synonymes d’affaires rondement étouffées, d’enquêtes interrompues, d’assassinats, de racket, de vols. Ces gens n’avaient pas besoin de protection ; c’étaient les Nigérians ordinaires qui avaient besoin qu’on les protège d’eux.
Ibrahim descendit par la portière avant du fourgon de police. Ses hommes sortirent par l’arrière et rejoignirent les badauds devant le parapet du pont. Tout près d’eux, un jeune homme vêtu d’un short en jean crasseux et d’un débardeur marron était la seule personne qui tournait le dos au spectacle. Un sac de voyage élimé était posé entre ses jambes, grand ouvert. À l’intérieur, protégés par des films plastiques, se trouvaient les livres de développement personnel qu’il était en train de vendre quand l’accident avait eu lieu. Il reproduisait de la main le moment de l’impact.
– Il était incliné vers le bas, comme ça. Il est tombé, whouiiiiiiii, puis il a explosé, boulah !
Un petit groupe se forma autour de lui, et il répéta ce qu’il venait de dire, ses souvenirs de l’impact se faisant plus imagés et l’explosion plus impressionnante encore. Tandis qu’il poursuivait son exposé, tout le monde sur le pont se retourna et leva les yeux vers le ciel. Un hélicoptère gris volant à basse altitude s’approchait à vive allure, il traversa le lagon en l’espace de quelques secondes. L’engin survola le lieu du crash puis il pivota sur lui-même en se balançant légèrement, et s’immobilisa en vol stationnaire dans un vacarme assourdissant, éparpillant la fumée sous ses pales.
– La marine nationale, grommela Ibrahim entre ses dents. Les premiers rapports avaient localisé le crash au niveau de Magbon Close ; un autre témoignage évoquait Ilabere Avenue – deux sites assez proches l’un de l’autre où des milliardaires s’étaient fait construire des villas modernes à plusieurs millions de dollars sur des parcelles de terrain où se dressaient jadis les demeures des administrateurs coloniaux. La plupart de ces propriétés appartenaient aux mêmes familles depuis plusieurs générations : les grandes dynasties de Lagos. Tout à fait le genre de Nigérians qui voyageaient en jet privé. Ironie du destin. Il se tourna vers l’agent le plus proche – un homme à la peau sombre, long et élancé, avec des scarifications tribales qui se déployaient en éventail depuis les commissures des lèvres.
– Hot-Temper, prends Moses et Salem avec toi, et filez au marché d’Oshodi. Tu as ton téléphone ?
Hot-Temper portait l’uniforme de combat de type militaire de la brigade spéciale anti-braqueurs, Fire-for-Fire – la brigade “Feu pour feu”. Il sortit son téléphone portable, un vieux Nokia gris à écran monochrome, dont les touches en plastique étaient effacées par l’usure.
– Enregistre ce numéro. C’est celui d’Amaka. Elle dit qu’ils vont lyncher quelqu’un.
– Du côté du marché d’Oshodi ? Et elle, elle fait quoi là-bas ?
– Comment savoir ? Vous n’arriverez jamais à temps, avec tous ces bouchons. Prenez une okada.
Hot-Temper gratifia son boss d’un salut militaire et se tourna pour évaluer la circulation. Une file de motos-taxis était garée entre les voitures à l’arrêt, et leurs propriétaires se tenaient debout juste à côté, contemplant l’hélicoptère qui survolait le lieu du crash.
– Ne traînez pas, insista Ibrahim tandis que HotTemper se dirigeait vers une moto. Les trois agents étaient déjà en train de réquisitionner les engins de trois jeunes motards qui ne possédaient pas le permis de conduire, et qui n’étaient pas assez bêtes pour protester avec trop de virulence face à des policiers. – Et suivez-la après, où qu’elle aille.
Hot-Temper attendit qu’un jeune fasse reculer sa moto rangée entre deux voitures, et fit basculer sa kalachnikov dans son dos pour enfourcher l’okada. Le jeune agrippa d’une main le guidon et Hot-Temper leva la main comme pour le gifler.
– Passe au commissariat de Bar Beach demain matin pour récupérer ta moto, cria Ibrahim à l’intention du jeune. Hot-Temper, appelle-moi dès que tu la vois, OK ?
D’un coup de talon sur le starter, Hot-Temper fit rugir le moteur.
L’hélicoptère repartit d’où il était venu. Tous les gens sur le pont se baissèrent quand il passa au-dessus d’eux, puis tendirent le cou pour le suivre des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse.
– On descend à pied, annonça Ibrahim aux deux hommes qui restaient. Il donna un petit coup sur le capot du fourgon. Le sergent Bakare ouvrit sa portière, prêt à descendre, mais Ibrahim lui fit signe de rester au volant.
– Retrouve-nous en bas, dit-il, et il se lança dans la descente avec ses deux agents.

Quelqu’un vida un jerrican d’essence sur l’homme, qui gisait à présent immobile et ensanglanté sur la route. Un autre enflamma une allumette.
Un panache de fumée noire s’éleva soudain dans un bruissement d’air et une flamme orangée lécha le corps de l’homme, pris au piège dans le pneumatique en feu enfoncé autour de sa taille, qui lui coinçait les bras. Il se leva d’un bond tandis que le feu se propageait. La foule s’écarta de sa masse en flammes, le rouant de coups de pied et brisant des planches de bois sur son dos. Il retomba sur la chaussée, puis cessa de bouger et le feu s’empara de lui jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une silhouette noire ardente, allongée sur l’asphalte.
Tenant son portable devant elle, Amaka se fraya un chemin à travers les hommes qui encerclaient leur victime. Les émanations du pneu brûlé lui piquaient les yeux, l’odeur de chair grillée lui donnait la nausée, mais elle continua d’avancer. Les assassins et les badauds tardaient à s’écarter, malgré les coups d’épaule qu’elle leur donnait pour avancer, jusqu’à ce qu’ils remarquent ses habits propres et chic, sa coiffure impeccable et son beau visage grave, son indifférence à leur égard, alors ils reculaient pour la laisser passer, car elle n’était pas de leur monde. Elle les déconcertait, les troublait, les fascinait, et ôtait toute force à leur énergie meurtrière.
Les tueurs avaient formé un cercle autour de leur victime. Amaka se planta devant le mort, dos à ces hommes, et elle enregistra leurs visages à travers l’écran de fumée, en faisant semblant de filmer le corps sans vie.
Une femme jouait des coudes dans la foule, hurlant, pleurant, griffant, poussant et empoignant les corps qui lui faisaient obstacle, esquivant un coude ou absorbant un coup destiné à la repousser. Elle devait avoir la vingtaine.

Elle était grande et mince, sa peau chocolat noir était lisse et brillante, ses cheveux courts entortillés viraient au brun clair à leur extrémité. Elle portait une jupe en flanelle blanche avec une grosse rose brodée sur le devant, un bustier sans manches, des ballerines rouges, un foulard rouge au cou et des boucles d’oreilles en corail de la même couleur.
Elle parvint à se faufiler et se précipita vers le corps qui ne pouvait plus être sauvé. Amaka l’observa sur l’écran de son téléphone. Des hommes empoignèrent la femme pour l’empêcher de s’approcher des flammes, mais un autre groupe, qui semblait vouloir l’entraîner vers le brasier, tenta de l’arracher à ceux qui voulaient la sauver.
Un type dégingandé hissa un pneumatique au-dessus de sa tête et voulut l’enfoncer sur le corps de la femme, mais d’autres mains l’en empêchèrent.
Amaka coinça son portable sous sa jupe, longea le feu en courant, sentant au passage la chaleur des flammes sur sa joue, et attrapa par la ceinture le type qui essayait de passer le pneumatique autour de la femme. Elle tira dessus jusqu’à ce que l’homme bascule en arrière. Il lâcha son pneu, qui roula vers le corps calciné.
Un autre homme brandissait un tube en métal et s’apprêtait à le lancer vers la tête de la fille. Amaka agrippa sa main et il fit volte-face, poing serré, mais elle lui assena un coup de genou dans le bas-ventre avant qu’il ait pu la frapper. L’homme s’effondra par terre, et les regards d’Amaka et de la jeune femme se croisèrent. Traînée de force vers la foule, la fille tendit ses mains vers Amaka, les yeux écarquillés, sans un battement de paupières, bouche bée. Les doigts tendus comme s’ils avaient pu, par miracle, combler la distance qui la séparait d’Amaka ; comme s’il suffisait qu’elle touche Amaka pour s’en sortir ; comme si cette dernière était la seule personne qui pouvait la sauver, elle, et même son ami mort. Amaka tendit le bras vers elle, mais des éclats de bois volèrent devant ses yeux, et un ballet d’étincelles l’aveugla. Ses jambes cédèrent sous son poids. Elle perdit connaissance.

Leye Adenle est né au Nigéria en 1975. Il est considéré par sa famille comme la réincarnation du roi des habitants d'Osogbo. Il vit désormais à Londres où il travaille comme chef de projet et, à l’occasion, acteur. Lagos lady est son premier roman.  

Bibliographie