Automne 1919. Trois figures légendaires de la littérature anglophone, C. S. Lewis, futur auteur des Chroniques de Narnia, J. R. R. Tolkien, futur auteur du Seigneur des Anneaux, Robert Graves, poète et futur auteur de grands romans historiques, font connaissance à l’université d’Oxford avec le déjà mythique T. E. Lawrence dit “Lawrence d’Arabie” et futur auteur des Sept Piliers de la sagesse. Chacun à leur façon, ces hommes s’efforcent de surmonter le traumatisme de la Première Guerre mondiale. Tandis que les hante le souvenir de ses charniers, la rencontre du flux de récits et de civilisations qu’incarne
Lawrence, ce vent du désert qu’il porte avec lui, va les acheminer vers la réalisation de leurs œuvres, sous le regard critique et tendre de la féministe Nancy, épouse de Graves.Ce roman où tout est vrai et tout est inventé alterne avec grâce épisodes cocasses (Lawrence sur les toits de la faculté) et moments bouleversants (Graves cauchemardant les tranchées) en s’appuyant sur une langue à la fois efficace et poétique. À travers la description humoristique des mœurs oxfordiennes et une galerie de personnages
pittoresques, cheminant avec nous dans la forêt des légendes d’Occident et d’Orient, guidés par l’étoile du matin qui mène les bédouins au puits mais qui est aussi celle de Lucifer, l’un des membres du collectif Wu Ming repose à sa manière méditative la question que les quatre de Bologne ne cessent de creuser, celle du travail des mythes. Ou comment transformer le monde en le racontant.
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« Wu Ming 4 parvient mieux que jamais dans ce nouveau roman, à la fois épique, intime, littéraire et politique, à jouer sur différents plans narratifs. »
Marie MichaudLibrairie Gibert Joseph (Poitiers)
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« Imaginez la rencontre entre J.R.R Tolkien, C.S.Lewis (le géniteur de Narnia) et le poète Robert Graves avec Lawrence d’Arabie. Tel est le postulat de départ de L’Etoile du matin, curieux et réjouissant roman de Wu Ming 4 – qui n’est pas chinois, mais le membre d’un collectif littéraire branché…italien ! »Estelle LenartowiczTECHNIKART
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« Wu Ming sont quatre ritals qui travaillent sur leurs mythes. Les mythes, en voilà avec Lewis, Tolkien et Graves, qui après 14, rencontrent Lawrence d’Arabie. Rigolo. »Bernard MorlinoSERVICE LITTERAIRE
La ligne d’horizon, nette comme l’entaille d’une épée, sépare la terre du bleu visqueux qui la surplombe. À perte de vue, pure absence. De choses, de plantes, d’animaux. Un néant uniforme, sans obstacle pour le regard. Être mouvant ou immobile ne semble pas faire de différence. Pourtant les ombres très courtes précèdent les dromadaires dont le pas foule inexorablement la surface lactée. Les êtres humains se balancent, ils flottent, leurs visages sont bandés pour que la réverbération ne brûle pas leurs yeux. Ils avancent en file indienne, muets et aveugles, se fiant à l’instinct de la route, le même depuis mille ans, depuis que le premier pèlerin traversa cette étendue, en découvrant ses propres limites et la souffrance physique qui le rapprochait de Dieu, clément et miséricordieux.
Quand le soleil quitte le zénith, alors le profil des collines apparaît et les distances recouvrent leur proportion. Les monts ondulent sur un lac d’eau qui se dissout à mesure qu’ils passent, un jeu de réfraction et de chaleur pour tenter l’esprit des hommes, qui ne peuvent qu’implorer un coucher de soleil rapide.
La première étoile est déjà au-dessus d’eux quand la marche s’arrête aux abords d’un puits. Après l’isolement imposé par la peine de la journée, un semblant de vie commune s’allume sur le sol froid et inhospitalier. Quelqu’un entonne une prière, les hommes découvrent leurs visages et s’agenouillent sur les nattes, longtemps, presque trop fatigués pour se relever et se plier encore, boire, se nourrir, et même trop fatigués pour dormir. Tandis que les dernières boulettes de farine rôtissent sur le feu, on peut encore interpeller quelqu’un, demander le réconfort d’une histoire. Les yeux se tournent vers le plus ancien, la barbe striée de gris, le visage rougi par le soleil. Sa voix vibre au rythme d’une litanie. Il raconte la guerre sainte des Arabes contre leurs maîtres turcs, sous la conduite lumineuse de l’émir Fayçal, que Dieu le bénisse, lui et ceux qu’il commande. Des combattants légendaires dont les noms font trembler l’ennemi. Le chérif Ali Ibn el-Hussein. Le chérif Nasir. L’émir Nuri Shaalan. Auda Abu Tayi, le plus grand guerrier d’Arabie. El Urens, qui a apporté aux Arabes le Don de Nobel, une arme qui rend invincible, dont la puissance fait ployer le fer et peut broyer la roche. Les Turcs ne connaissent pas de trêve, leurs trains blindés, chargés de canons et mitraillettes, ne peuvent rien contre cette force qui les éventre et les décapite, les transforme en amas de ferrailles dans lesquels les chacals vont faire leurs tanières.
Les flammes du feu prennent la forme de cavaliers lancés au galop, enveloppés dans un nuage de poussière et de fumée. Les hommes sondent l’obscurité qui les entoure, ils tendent l’oreille comme pour cueillir l’écho des explosions dans le désert.
Quand ils se retournent vers lui, le vieux s’est déjà couché sur un côté, les laissant en proie à ces visions de victoire. Ils se résignent à l’imiter, l’un après l’autre, conscients que leur sommeil sera léger sous les étoiles.
Parnasus
Automne 1919
1. Le spectacle
Les odalisques avaient des taches de rousseur.
Elles se déhanchaient au son strident de la flûte, se découpant sur la toile de fond?: le Nil, les pyramides, un croissant de lune argentée. Le chant de ténor du muezzin suivait la mélodie.
Un coup de grosse caisse et l’homme en queue-de-pie bondit hors d’un nuage de fumée. Une odeur d’encens envahit les premiers rangs, quelqu’un toussa. L’homme esquissa une révérence et effleura le pupitre avec la grâce d’un chef d’orchestre qui contrôle la partition.
– Suivez-moi, mesdames et messieurs, dans les mystérieuses terres d’Orient riches d’histoire et d’aventures, là où le Jourdain traîne ses eaux sacrées jusqu’à la mer Morte et au-delà, au milieu des oasis et des dunes du désert.
Le génie de la lampe avait de fines moustaches, des cheveux noirs divisés en deux vagues par la brillantine, un fort accent américain. Il retardait ses mots, les retenant dans sa bouche comme pour savourer leur effet avant de faire mouche.
L’orchestre militaire attaqua avec Haendel, tandis qu’un rayon de lumière survolait la foule de têtes avant de s’arrêter sur l’écran. Des hordes de cavaliers se déversèrent dans le Royal Opera House. Des visages âpres, des yeux froids de pillards, vieux comme les feux de la Bible.
– Voici le décor de l’histoire que nous allons vous conter. L’exploit du général Allenby, le libérateur de Jérusalem, et celui du Roi Sans Couronne d’Arabie. L’homme qui aurait pu s’emparer du sceptre de La?Mecque et de Damas mais qui le céda aux héritiers légitimes du prophète Mahomet.
Un Occidental vêtu en Arabe, avec un éclatant poignard incurvé à la ceinture, apparut à l’image. Il souriait à l’objectif depuis le sommet d’une dune. Un émerveillement contagieux se propagea dans l’assistance d’un coude à l’autre.
Le thème musical reprit, une octave en dessous.
– Turcs et Allemands avaient mis la tête de ce jeune archéologue à prix, cinquante mille livres sterling, mort ou vif. Mais moi qui ai eu l’honneur de le connaître, je peux vous assurer que les Arabes ne l’auraient pas livré, même pour un demi-million de livres sterling, car ils savaient que la possibilité de briser le joug ottoman dépendait en grande partie de l’habileté de ce jeune homme timide.