Publication : 03/06/2021
Pages : 144
Grand Format
ISBN : 979-10-226-1132-9
Couverture HD
Numérique
EAN : 9791022611398

Nourrir la bête

Al ALVAREZ

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18 €
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9.99 €
Titre original : Feeding the Rat
Langue originale : Anglais
Traduit par : Anatole Pons-Reumaux

Durant presque trente ans, Mo Anthoine a grimpé les sommets mythiques du monde entier – des Alpes à l’Everest, de l’Argentine à l’Écosse –, mais n’a jamais voulu devenir professionnel : pour lui, boire des pintes avec ses potes était plus important que faire la une des journaux. Avec lui nous découvrons un adolescent parti de chez lui en stop vers la Nouvelle-Zélande avec seulement 12 £ en poche, un grimpeur chevronné participant aux expéditions les plus difficiles, un type qui a été la doublure de Sylvester Stallone dans Rambo III et un homme qui sent et qui décrit l’escalade comme « l’art de jouer aux échecs avec son propre corps ».

Al Alvarez, écrivain et poète admiré par des auteurs comme Philip Roth, Sylvia Plath, John Le Carré et J. M. Coetzee, et grimpeur lui-même, nous livre ici les coulisses et le vertige des grandes et petites expéditions – dont certaines dignes d’un blockbuster –, tout en nous montrant comment les grands aventuriers cherchent leurs limites, mentales et physiques, en s’appliquant à « nourrir la bête ».

Un livre culte sur l’escalade, la montagne, l’évasion et l’amitié, traduit pour la première fois en français. Une prose étincelante au service du goût de l’aventure, du risque et de la camaraderie.

  • Vous aimez l'aventure, le grand frisson et l'escalade ? Ou rien de tout ça mais adorez qu'on vous raconte des histoires ? Ce livre est fait pour vous ! Tout y est, des ascensions cataclysmiques à la beauté des paysages en passant par l'amitié et l'espoir, Alvarez nous gâte d'anecdotes et de récits des exploits de son ami Mo Anthoine, un des grands de l'alpinisme britannique. C'est si savoureux !
    Léna Humbert
  • "Une lecture au sommet ! Les éditions Métailié ont l’excellente idée d’avoir fait traduire en français ce texte d’Al Alvarez écrit en 2001, Feeding the Rat : Nourrir la bête – portrait d’un grimpeur ! Dans ce texte épatant, Alvarez nous emmène aux côtés de Mo Anthoine, le célèbre grimpeur britannique qui titilla à plusieurs reprises, dans les années 70-80, les sommets himalayens, entre autres… Son nom ne vous dit peut-être rien, mais son dos si : c’est celui que vous pouvez voir dans le film Mission, en doublure de Jeremy Irons dans les scènes d’escalade sous les chutes d’eau ; c’est également ce dos que l’on voit sur les parois verticales de Rambo III, doublure de Silvester Stalone… Mo Anthoine, 1m85, haut du corps hyper entraîné, survivant de nombreuses expéditions incroyables mais jamais la grosse tête ! Al Alvarez, qui a bien connu Mo, lui rend ici un magnifique hommage : le ton alerte, le sens de la scène, l’humour, la tension dramatique des situations extrêmes sont la réussite de ce récit et de ce portrait d’un homme hyper attachant et d’une immense humilité face aux exploits accomplis. « Une expédition, c’est censé être un bon moment. Certes, c’est sacrément exigeant et il peut t’arriver d’avoir peur, mais avant tout ça doit être marrant. […] Moi, je ne trouve pas qu’arriver au sommet soit si important. Tu peux toujours avoir une deuxième chance. Ce dont tu te souviens après une expédition, ce n’est pas le moment où tu es debout au sommet, mais ce que tu as traversé pour y parvenir. Le sentiment le plus agréable est de savoir que tu comptes sur quelqu’un d’autre et qu’il compte entièrement sur toi. » un très grand plaisir de lecture – même si comme moi vous avez le vertige !"
  • "Une pépite d’ascensions épiques, d’effort mais surtout de réconfort et d’humour ! Al Alvarez conte les aventures de son ami de toujours, le grimpeur Mo Anthoine, d’entrainements en expéditions, sur les voies d’escalade et sommets du monde. Mais lire la vie de Mo Anthoine c’est aussi découvrir le quotidien d’un homme dévoué à l’escalade et à ses amis, un homme passionné qui sait ce qu’il veut : profiter de sa vie de grimpeur amateur de haut niveau comme il l’entend. Action, doute, éclat, montagnes éblouissantes : une lecture prenante."
  • "Coup de ❤ récit de voyage Dans ce récit écrit en 1989 et publié en France pour la première fois, l'écrivain Al Alvarez retrace la vie de l'alpiniste britannique Mo Anthoine, grande figure du monde de l'escalade, pionnier de nombreuses ascensions, notamment dans l'Himalaya. Bien loin de chercher la gloire ou la compétition, ce dernier a toujours défendu le plaisir de la grimpe entre copains. Et ça donne envie d'en être, malgré les risques et les galères ! Amateurs-trices d'aventure ou simplement de moments de camaraderie partagés, lisez Al Alvarez et vous aussi tomberez sous le charme de l'incroyable Mo Anthoine."
    Sixtine de Beaufort
  • "De sa plus tendre enfance jusqu'à sa mort en 1989, Mo Anthoine a toujours répondu présent à l'appel de la montagne. Dans ce récit qui lui est dédié, Al Alvarez rend hommage à ce grimpeur amateur chevronné, qui a fait de sa vie une perpétuelle aventure et a toujours privilégié l'esprit de camaraderie à celui de compétition."
    Christophe Gilquin
  • "Deux livres, une passion: l’escalade. Ou devrais-je dire une même obsession tant leur point commun est d’arriver à expliquer ce besoin d’y retourner, de se confronter à la paroi, tester ses limites et sa capacité à résoudre l’énigme rocheuse. L’autre (point commun) est le lien qui soude ces obsessionnels, qu’il soit amical chez Alvarez (brillant critique littéraire et grimpeur invétéré) ou filial chez William Finnegan (auteur du merveilleux Jours Barbares) qui a été initié par sa fille Mollie. Peut-être parce qu’ils partagent cette exposition au danger, à la chute, qui n’est finalement qu’une métaphore de la vie car tomber c’est être humain..."
  • "Comme "l’art de jouer aux échecs avec son propre corps". Al Alvarez, écrivain et poète admiré par des auteurs comme P Roth, S Plath, Le Carré et Coetzee, et grimpeur lui-même, nous livre ici les coulisses et le vertige des grandes et petites expéditions – dont certaines dignes d’un blockbuster –, tout en nous montrant comment les grands aventuriers cherchent leurs limites."
    Michel
  • "Règle n°1 : Aimer la vie, la joie, le partage, plus que la performance et la gloire. Règle n°2 : aller au pub, faire des mots-croisés, fumer des clopes &... escalader l'Everest. Règle n°3 : s'engager, en amour, en amitié, en montagne, sans réserve. Règle n°4 : partir à l'aventure, pour l'amour de l'aventure. Vous tenez là le petit traité pour une vie simple et entière, selon Mo Anthoine. De quoi prendre de l'altitude en gardant les pieds sur terre !"
    Alexandra et Camille
  • "Véritable histoire d’amitié et d’aventure, Nourri la bête est une expédition aussi romanesque qu’épique."
    Christelle
  • "Connaissez-vous Al Alvarez ? Poète et critique littéraire, ce professeur d'université décide un jour de tout plaquer pour s'adonner à sa passion : l'escalade. […] Il fallait la verve d'un homme de lettres pour faire vibrer l'ivresse des cimes avec une telle intensité. Sans romantisme forcé ou minimisation du risque constant, Al Alvarez retrace une vie faite de surplombs, d'arêtes, de vides, de galères et d'amitié. Et cette lecture qui parlera même aux plus néophytes prendra l'éclat d'une grande claque de rire et d'adrénaline !"
  • "Cet homme-là n’était pas un grimpeur comme les autres ! Ni les performances, ni les titres ne poussaient Mo Anthoine à escalader des sommets de plus en plus difficiles aux quatre coins du monde. Et pourtant, dans les années 1970-80, c’était un des plus grands ! Il privilégiait l’aventure, la camaraderie, l’entraide et la sécurité : « Aucune montagne ne vaut un ami », disait-il. Le portrait d’un homme sensible et chaleureux, parti sept fois escalader l’Everest, et qui revenait toujours boire des pintes avec ses potes dans son village gallois. Une vie extraordinaire racontée par son ami poète, Al Alvarez, qui nous fait vibrer dans des paysages époustouflants, et nous laisse orphelins, la larme à l’œil…"
  • "A la fois écrivain, poète et passionné de montagne, Al Alvarez (1929-2019) nous entraîne dans les folles épopées de Mo Anthoine qui durant plus de trente années a grimpé les sommets les plus fous du monde entier. Il nous livre le portrait d'un homme passionné, passionnant avec une grande générosité tout simplement. Al Alvarez rend hommage à chaque petit moment de la vie de ce grimpeur hors du commun dans une langue teintée d’humour, infiniment belle et poétique. Plus qu'un livre, une leçon de vie, une ode à la nature, à l'amitié, au dépassement de soi, à l'aventure. Une merveilleuse prose. Sensible, drôle, passionnant et profondément émouvant. J'ai adoré !!!"
  • "[Un] livre court et bourré d’humanité. Le regard complice que porte l’auteur sur le grimpeur et l’immense respect qu’il ressent pour lui m’a beaucoup touchée […]. Je l’ai surtout aimé pour son enthousiasme, son goût pour l’amitié, son esprit d’équipe et son humilité."
    Véronique
  • "n entre ici dans un univers singulier, inédit : celui de la vie d’un Britannique, brillant alpiniste, qui n’eut de cesse de mettre le plaisir de grimper entre amis avant tout, pratiquant avec la plus grande finesse un art magnifique de l’autodérision […] On se régale donc, car il n’y a que peu de traces d’ego dans ces histoires écrites avec une si belle douceur : le mouvement et l’énergie de la vie y sont dessinés."
    Luc Jourjon
    La Montagne et alpinisme
  • "Le ton, loyal, chaleureux, assorti à la précision intellectuelle de l’écriture, fait de ce livre un refuge accueillant propre à l’élévation. Il en résulte une capsule d’énergie qui se libère à la façon d’un alcool fort, et vous assaille de sensations."
    Virginie Troussier
    Montagnes magazine
  • "Ne passez pas à côté de ce livre." Lire la chronique ici
    Site Kimamori
  • "Al Alvarez écrit haut, intense, avec un style qui m’a fait penser au grand écrivain des mers de Patagonie, Francisco Coloane." Lire la chronique ici
    Site Abordages
  • "Nourrir la bête est un ensemble de pitons accrochés pour chaque lecteur, sportif ou simplement fasciné par cette vaillance de la conquête des cimes, et, qui permet de mettre en lumière ces héros qui refusent de l’être." Lire la chronique ici
    Blog Le domaine de Squirelito
  • "Que vous ayez ou non un baudrier dans votre placard, ne manquez pas ce récit passionnant et lumineux, véritable ode au dépassement de soi, à la nature et à l’amitié."
    Bernard Quiriny
    Lire Magazine Littéraire
  • "Faire entrer en ce monde le lecteur, même ignorant tout, est tout l’intérêt du livre d’Al Alvarez. Au-delà des exploits légendaires des « conquérants de l’inutile » ou des performances sidérantes des futurs champions Olympiques, c’est une société méconnue que nous invite à découvrir ce poète, critique littéraire et universitaire, mort en 1989. Mo Anthoine a quelque chose des « clochards célestes » de Kerouac, pour qui l’amitié, la liberté seraient les valeurs suprêmes, n’était le plaisir de laisser son corps échapper à la pesanteur. Sans chercher à s’enraciner, hommes à semelles de vent, ils ont néanmoins créé dans les districts reculés un microcosme où il n’est pas besoin de rouler des mécaniques. Il suffît d’aimer. Le rocher, la bière et les bonnes histoires."
    Alain Nicolas
    L'Humanité
  • "«Les grimpeurs, et les Britanniques en particulier, n’aiment pas montrer leurs émotions.» Nous voilà bien. Pourtant Al Alvarez, l’auteur de cette phrase et du livre dont elle est extraite, lui-même «grimpeur» occasionnel, dresse un portrait très tendre de Mo Anthoine." "Al Alvarez, poète et professeur d’université britannique décédé en 2019, est lui aussi attachant. La douceur de son jugement signale son intelligence."
    Virginie Bloch-Lainé
    Libération
  • "Ce récit touchant de l’amitié entre un trompe-la-mort et un écrivain shooté à l’adrénaline est aussi une expérience littéraire troublante, tant Al Alvarez parvient à nous faire ressentir le grand frisson des hauteurs."
    Léonard Desbrières
    Le Parisien week-end
  • "Quand un poète féru d’escalade rencontre un alpiniste, que peut-il bien se passer ? Une belle histoire d’amitié et surtout un livre magnifique."
    Frédéric Laharie
    Sud Ouest
  • "Seul un homme de lettres fort talentueux pouvait transcrire cette « science » en un récit à la portée universelle, accessible à tous les niveaux de compétences." "Al Alvarez est peu connu en France et il est heureux que les éditions Métailié aient eu l’excellente idée de publier ce récit."
    Florence Noiville
    Le Monde des Livres
  • Lire la chronique ici
    Elisabeth Miso et Corinne Amar
    Site Fondation La Poste
  • "Il faut le talent d’écriture d’Al Alvarez pour traduire cette passion hallucinatoire et son quotient de souffrances. […] Il était grand temps de traduire son texte cultissime, au service de l’aventure et de la générosité."
    Christine Ferniot
    Télérama
  • "Ceux qui disent qu’il n’est plus possible de vivre aujourd’hui comme un aventurier se trompent. Il suffit de lire ce livre et quelques autres (ceux par exemple de Walter Bonatti, de Reinhold Messner et d’autres plus récents) pour s’en convaincre : des hommes et des femmes vivent des expériences en haute montagne qui n’ont rien à envier aux explorateurs du XIXe siècle. Alvarez vous raconte la vie de cet aventurier de la fin du XXe siècle, et enchante son lecteur."
    Vincent Jaury
    Transfuge
  • "Avec une poésie presque incantatoire, Al Alvarez interroge les mécanismes à l'œuvre dans les esprits foutraques de ces trompe-la-mort et nous donne un incroyable shoot d'adrénaline."
    Léonard Desbrières
    Technikart
  • "Ce petit livre, fort bien traduit, est beau, élégant, drôle et émouvant, même si on ne s’intéresse pas à l’alpinisme."
    Jean-Claude Perrier
    Livres Hebdo
  • "Lecture faite, on aurait presque envie, à notre tour, de s’équiper en pitons, sangles et mousquetons. C’est dire si l’enthousiasme de l’auteur est communicatif !"
    Anthony Dufraisse
    Le Matricule des anges
  • Ecouter le podcast de l'émission ici (à partir de 53'10")
    Mathieu Garrigou-Lagrange
    France Culture - Sans oser le demander

1. Llanberis

Llanberis est une petite ville froide et humide coincée entre les eaux inhospitalières du Llyn Padarn et les basses pentes herbeuses du Snowdon, la plus haute montagne du Pays de Galles. Tout à l’est de la ville, en face du majestueux Royal Victoria Hotel, la gare est le point de départ des petits trains qui conduisent cahin-caha les touristes au sommet du Snowdon, où les attendent un café lugubre et une vue fantastique. Le Snowdon et son train expliquent la demi-douzaine d’hôtels et le double de maisons d’hôtes que compte Llanberis, ainsi que sa boutique d’artisanat gallois – principalement de la laine et de la peau de mouton – et son élégant restaurant appelé Y Bistro, au chef ambitieux et au menu bilingue, anglais et gallois.

Mais il n’y a pas grand-chose d’autre pour attirer le touriste, surtout pas la météo, généralement affreuse. Sur la sinueuse rue principale, les maisons mitoyennes défraîchies à pignon surpassent en nombre les boutiques mitoyennes défraîchies à pignon, et les pubs sont glauques et désœuvrés. On compte deux fish and chips, un traiteur chinois et un café aux fenêtres perpétuellement embuées du nom de Pete’s Eats, où l’on sert de bons sandwichs au bacon et des tasses d’un demi-litre de thé fort.

Les maisons de Llanberis ont un autre point commun que leur aspect maussade et larmoyant dû aux interminables mois de pluie: par arrêté municipal, elles arborent toutes de jolies tuiles d’ardoise. Aujourd’hui, l’essentiel de ces tuiles sont importées, mais pendant des années les vastes carrières d’ardoise qui découpent les collines de la rive opposée du Llyn Padarn ont fourni du travail aux gens du coin. Et puis les carrières ont fermé en 1969, le lac a été pourvu d’un barrage et une centrale hydroélectrique a été construite au bas des collines dont on extrayait l’ardoise. La nuit, le tunnel qui conduit aux générateurs est vivement éclairé et, lorsqu’on roule vers la ville, il baigne le lac d’une lueur menaçante, comme dans la scène d’ouverture d’un film catastrophe. Après la fermeture des carrières, Llanberis est devenu une zone sinistrée au taux de chômage exceptionnel, même pour le Pays de Galles. En été, le premier employeur est désormais le train du Snowdon; le reste de l’année, la principale source de travail à Llanberis est une entreprise du nom de Snowdon Mouldings, qui compte actuellement vingt-trois salariés.

Snowdon Mouldings appartient à Mo Anthoine et à sa femme Jackie, et grandit régulièrement depuis 1968, date à laquelle Mo et Joe Brown, le plus grand de tous les grimpeurs britanniques, ont commencé à produire les casques de sécurité Joe Brown dans la cave de Joe, à Llanberis. L’entreprise s’est d’abord installée dans un cottage des environs, puis une filiale a ouvert dans une chapelle reconvertie des Highlands écossais, où Mo s’est diversifié en produisant des piolets. Elle est aujourd’hui revenue à Llanberis, dans une nouvelle chapelle reconvertie, bien plus grande cette fois, afin d’accueillir une gamme de produits qui inclut désormais des tentes et toutes sortes de vêtements d’extérieur.

À part Y Bistro et sa proximité avec Snowdon, Llanberis compte une autre attraction touristique: la boutique de Joe Brown. Elle n’est pas grande, mais, avec son carrelage en ardoise et ses raccords en pin massif, elle paraît démesurément chic pour son emplacement. Il en va de même de son contenu: des rangées de doudounes, des étagères remplies de sacs de couchage et de pulls très chers, une pièce tapissée de chaussures de montagne, des cordes multicolores enroulées au plafond, un mur décoré de mousquetons, de coinceurs, de pitons, de sangles et de sacs à magnésie, des rayons entiers de guides d’escalade et une sélection de littérature d’alpinisme. Une sorte de caverne d’Ali Baba pour alpinistes. Le week-end, surtout quand il fait moche, l’endroit est bondé de jeunes aspirants qui caressent avidement la marchandise et échangent des ragots sur le ton laconique et rugueux caractéristique du monde de l’escalade.

Si Llanberis n’est plus la principale source d’ardoise des îles Britanniques, elle demeure le centre de l’escalade britannique. Au fil des années, la population galloise autochtone a été peu à peu complétée par un afflux de jeunes Anglais – la majorité issus du Nord et tous exilés intérieurs volontaires, comme des dissidents russes – qui sont venus pour l’escalade et sont restés ensuite, gagnant leur vie en bricolant à droite et à gauche. Les grimpeurs formant un groupe de gens compétents, surmotivés et indépendants (sans quoi ils ne survivraient pas en montagne), ils sont souvent doués dans tous les chantiers qu’ils entreprennent. En conséquence, les travaux de plomberie, de menuiserie, de maçonnerie et de peinture sont sans doute meilleurs, et certainement meilleur marché, à Llanberis que n’importe où ailleurs en Grande-Bretagne. À un détail près: l’escalade passe avant l’argent. Alors, en cas de beau temps, les chantiers sont reportés.

Depuis 1966, Mo Anthoine habite le village de Nant Peris – une église, un pub, une épicerie et quelques maisons éparses –, à quelques kilomètres à l’est de Llanberis. Il a aujourd’hui quarante-huit ans et une tignasse hirsute qui grisonne sur les bords. Il est petit – un mètre soixante-dix –, avec un physique légèrement disproportionné: un buste imposant, des rondins en guise de bras, des jambes étonnamment grêles. Les muscles de ses épaules – les deltoïdes et les grands dorsaux – sont si développés qu’il semble sur le point de s’envoler quand il met les bras en croix. Avec ses quarante-trois centimètres de tour de cou, il ne porte jamais de cravate, convaincu qu’une chemise qui irait à son cou ne lui irait nulle part ailleurs. Sa tête est grande, carrée et intelligente, son menton court, et sa lèvre supérieure semble équipée de muscles supplémentaires qui lui permettent de s’agiter et de se retrousser à la façon d’un masque d’Halloween – apparemment de son propre chef. Il a des yeux bleus avec un éclat marron à l’œil gauche qui présente une ressemblance troublante avec une tache de sang. Il y a quelques années, il a eu de tels problèmes de dos qu’il a fini, avec force appréhension, par prendre rendez-vous à l’hôpital pour une opération de la colonne; heureusement pour lui, ses disques se sont soudés quelques jours avant l’opération et la douleur a disparu. Mais depuis, il marche comme un marin, avec son pas chaloupé et son absence de mouvement en bas de la colonne. Il porte un jean, un t-shirt et des tennis par tous les temps et ne possède qu’un seul costume, qu’il partage avec son ami Joe Brown. Ce qui signifie qu’ils ne peuvent jamais aller au même enterrement ou au même mariage: un arrangement qui leur convient à tous les deux.

Mo a été baptisé Julian et a reçu son surnom à l’âge de quatre ans. Moe était un des Trois Stooges, la troupe comique américaine – le méchant avec la coupe au bol –, et c’est resté. Comme il dit: Avec un nom comme Julian, on a envie que ça reste, non? Il est né à Kidderminster en 1939 et, en un sens, il enchaîne les expéditions depuis ses onze ans. Sa mère est morte quand il avait quatre ans et sa belle-mère était une marâtre à la Dickens. À l’âge de dix ans, je faisais toute la poussière, l’aspirateur et le repassage, raconte-t-il. Je m’occupais du ramonage, du cirage des chaussures et de la pluche. Alors, dès qu’une occasion de quitter la maison se présentait, je sautais dessus. Je suis allé chez les scouts et ils m’ont emmené camper. Ça a été une révélation: je pouvais sortir de chez moi et prendre du bon temps. Pour quelques shillings, je me suis payé une tente de bivouac des surplus américains. Je m’en allais tous les week-ends: je remplissais un sac à dos, je partais seul le samedi matin et je ne revenais pas avant le dimanche soir. À cette époque, en dix minutes de marche, tu étais en dehors de Kidderminster, en pleine nature. Je campais au bord de la Severn, ce genre de choses. Et, va savoir pourquoi, Win, ma belle-mère, n’a jamais rien trouvé à y redire. Aujourd’hui, bien sûr, jamais on ne laisserait un gamin de onze ans vadrouiller tout seul, mais il y a trente-cinq ans ça n’avait pas l’air de poser problème.

Comme beaucoup d’enfants opprimés à la maison, Mo était dissipé à l’école et il délaissa les bancs juste avant de passer les examens qui lui auraient permis d’entrer à l’université. Son père était un petit homme vif, un peintre amateur qui fumait comme un pompier et qui avait une passion pour la musique et les échecs. Il était fabricant de tapis de son état et Mo, après quelques mois au sein d’une entreprise de génie civil à Birmingham, le rejoignit comme apprenti-gérant dans l’industrie du tapis. Il avait dix-sept ans. Deux ans plus tard, il découvrait l’escalade.

Dans le cadre de la formation, on t’envoyait suivre un programme d’activités en plein air, dit-il. C’est le truc le plus bête qu’ils aient fait avec moi. Pour certaines personnes, l’escalade peut être une addiction qui altère la chimie de la psyché aussi sûrement que l’héroïne affecte celle du corps. Au bout d’un mois à l’école de plein air d’Aberdovey, Mo était accro. Il se mit à grimper tous les week-ends. Il partait au Pays de Galles en stop le vendredi soir et revenait le dimanche soir. Peu à peu, les week-ends s’allongèrent, commençant le jeudi soir pour finir le lundi soir. Ses employeurs ne bronchaient pas, peut-être même qu’ils ne remarquaient rien. Malgré cela, lorsque Mo se rendit pour la première fois dans les Alpes aux vacances d’été, ce fut la fin de sa carrière dans les tapis.

Il avait aussi décidé qu’il en avait assez de Win et qu’il était temps de quitter le nid. Il laissa un message sur la table de la cuisine pour dire qu’il ne reviendrait pas et, quand les amis avec qui il était parti dans les Alpes revinrent en Angleterre, il partit en stop, avec 12livres sterling en poche, vers la Nouvelle-Zélande, pour voir à quoi ressemblait l’escalade sur glace. À partir d’un atlas de la bibliothèque de Kidderminster, il avait établi une liste des villes de la côte ouest africaine pour savoir où aller en stop, explique-t-il. Je me disais que si je parvenais à rejoindre Le Cap, je pourrais trouver du travail, vu qu’on y parlait anglais, et de là je pourrais traverser jusqu’à l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

Finalement, il n’alla pas plus loin que Casablanca, où il se fit voler tout ce qu’il avait, sauf son passeport. L’acariâtre consul britannique ayant refusé de l’aider, il regagna l’Angleterre, criant famine, en tendant le pouce.

Il passa le reste de l’été à grimper au nord du Pays de Galles, avant de s’engager chez les Royal Marines. (Ils m’ont fait passer un test de qi qu’un singe aurait réussi, et ils m’ont dit de demander un poste d’officier.) Mais quand il reçut l’ordre de se présenter à l’instruction, il s’amusait trop dans les montagnes. Il appela la garnison depuis un téléphone public de Nant Peris pour prévenir qu’il ne venait plus.

– Vous avez signé les papiers, lui répondit-on. Ils vous engagent juridiquement.

– Sans blague.

– Où êtes-vous?

– Ça, vous aimeriez bien le savoir, dit-il avant de raccrocher.

Il devint moniteur à Ogwen Cottage, une école d’escalade située en bas du Tryfan, une montagne proche du Snowdon. La paie était de dix shillings par semaine, plus la nourriture et de l’escalade à volonté, et il l’accepta à titre strictement temporaire. Je me disais que dès que j’en viendrais à voir le monitorat comme un simple job, je mettrais les voiles, dit-il. Je ne voulais pas perdre mon goût pour l’escalade – je ne voulais pas gâcher ça.

De fait, deux ans plus tard, en 1961, il décida qu’il s’ennuyait et repartit en stop vers la Nouvelle-Zélande, cette fois avec trente-cinq livres en poche et une corde d’escalade dans son sac à dos. Il était accompagné de son ami Ian Cartledge, alias Fox, le renard, en raison de ses cheveux roux, et l’aller-retour leur prit deux ans. Ils parcoururent en stop l’Europe, la Turquie et l’Iran, puis le Baloutchistan, le Pakistan et l’Inde, avant de remonter au Népal, de descendre en Birmanie, en Malaisie et en Thaïlande, puis d’embarquer pour l’Australie et de gagner enfin l’île du Sud en Nouvelle-Zélande pour de l’escalade sur glace. Ils vivaient de trois fois rien (en Inde, ils s’en sortaient avec un shilling par jour), refusaient par principe de payer le moindre transport à l’exception des bateaux et prenaient du travail là où ils en trouvaient: un Iranien les paya pour faire rentrer des turquoises en douce au Pakistan; ils passèrent quatre mois à creuser des tranchées pour un nouveau chemin de fer au nord de Queensland; ils travaillèrent dans une mine d’amiante bleue à Wittenoom Gorge, dans l’Ouest de l’Australie. (De cette expérience potentiellement mortelle, Mo dit aujourd’hui avec philosophie: Dieu merci, il y a une longue période d’incubation. À peu près vingt-six ans. Donc j’ai encore une ou deux années devant moi!) Pour rentrer chez eux, ils rejoignirent l’équipage d’un yacht traversant l’océan Indien, changèrent de bateau à Aden, gagnèrent Djibouti en face, remontèrent l’Afrique de l’Est en stop jusqu’à l’Égypte et rallièrent la Grèce via Chypre. La dernière étape du périple, depuis Athènes jusqu’à Ripley, dans le Derbyshire, ne leur prit que trois jours et demi – ce qui n’était pas plus mal car le printemps était inhabituellement froid et que la garde-robe de Mo se réduisait alors à une chemise, un short et une paire de mocassins en peau de léopard qu’il avait fait faire à Khartoum pour dix shillings.

Al Alvarez (1929-2019) était un poète, critique littéraire (The Observer, The New Yorker) et professeur d’université anglais qui décide de tout quitter pour écrire des essais sur les sujets qui le passionnent et qui l’obsèdent : l’escalade, le poker, le suicide, le divorce, la poésie, la nage quotidienne dans un lac... Ses livres ont reçu de nombreux éloges et eu un excellent accueil critique et public dans le monde anglophone.

Bibliographie