Publication : 21/02/2013
Pages : 192
Grand Format
ISBN : 978-2-86424-904-7
Couverture HD
Numerique
ISBN : 978-2-86424-978-8
Couverture HD

A la fin d'un jour ennuyeux

Massimo CARLOTTO

ACHETER GRAND FORMAT
18 €
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9,99 €
Titre original : Alla fine di un giorno noioso
Langue originale : Italien
Traduit par : Serge Quadruppani

Giorgio Pellegrini, l’antihéros de Arrivederci amore, ancien combattant des luttes sociales des années 70 devenu impitoyable criminel, possède désormais tout ce dont il avait rêvé : une épouse qu’il manipule au gré de ses caprices sadiques et un luxueux restaurant, rendez-vous de tous ceux qui comptent dans sa cité du Nord-Est italien.Il gère aussi, avec l’aide de son avocat, le député Brianese, un réseau d’escort-girls pour les politiciens affairistes qui mettent la région en coupe réglée. Mais découvrant que
l’avocat l’a grugé, il retrouve ses instincts de voyou brutal pour tenter d’obtenir réparation. Mal lui en prend : l’avocat le fait placer sous la domination de la ’ndrangheta, la mafia calabraise. Pour lui échapper, ses instincts de grand fauve calculateur, même avec l’aide de trafiquants maltais et d’un malfrat russe, suffiront-ils ?Écriture sobre, ironie froide, précision documentaire : avec son talent si singulier, Carlotto réussit une fois encore à nous passionner pour le destin de personnages très peu recommandables
tout en nous plongeant au cœur des trafics politico-mafieux de l’industrieuse Vénétie, ce monde pourri qui ressemble tant au nôtre.

  • « A la tête d'un restaurant chic en Vénétie, l'ancien criminel Giorgio Pellegrini est désormais un homme honnête qui côtoie tout le gratin politique local.... En fait d'honnête homme Giorgio est une crapule de la pire espèce, manipulant sa femme et arrondissant ses fins de mois avec un réseau de prostitution de luxe. Aussi, lorsque son « ami », l'avocat et politicien Santo Brianese, lui fait une entourloupe Giorgio retrouve vite ses mauvaises habitudes... Massimo Carlotto dresse un portrait impitoyable d'une Italie aux mains d'affairistes, de politiciens véreux (qui sont souvent les mêmes) et gangrenée par les maffias. A la fin d'un jour ennuyeux se lit d'une traite et laisse un goût amer dans la bouche. »

    Arnaud
  • « Le grand retour de Giorgio Pellegrini, le parfait salaud de Arrivederci amore (Métailié, 2003)!
    Massimo Carlotto avait construit là le formidable portrait d'un homme qui, traître à toutes les causes, essayait par tous les moyens criminels de se racheter une place au soleil dans une société du nord-est de l'Italie corrompue jusqu'à l'os.
    Dans A la fin d'un jour ennuyeux, nous retrouvons donc Giorgio Pellegrini, marié, propriétaire d'un restaurant fréquenté par tous les notables et politiques de ce coin de Vénétie toujours aussi corrompue -- la place au soleil enfin gagnée.
    Quelques soucis avec un placement financier et Pellegrini verra débarquer illico dans son restaurant des membres de la mafia calabraise, la 'Ndrangheta, obscurcissant quelque peu son horizon. Il n'aura d'autres solutions que de remettre le pied à l'étrier et de pratiquer de haute volée ce qu'il nomme le "crime créatif" -- très créatif...
    L'art de Carlotto consiste, une fois de plus, à renverser la donne : réussir à créer une certaine empathie avec un personnage qui, sans aucune conscience morale, politique, éthique, ne devrait évidemment pas le mériter -- plutôt déstabilisant pour le lecteur, mais quel plaisir ! »

    Dominique Minard
  • « Escort-girls, mafia calabraise et notables corrompus sont au menu de ce très noir roman du maestro Carlotto, fin observateur de la politique et de la société italienne d’aujourd’hui. Une vision terrible et radicale, une histoire sans concession où Carlotto réussit à nous passionner pour un personnage sans morale, capable des pires horreurs pour sauver sa peau.
    Tout le contraire d’un jour ennuyeux, ce livre est plutôt une course contre la montre et un jeu de massacre machiavélique entre une ordure et une autre. Âmes sensibles s’abstenir. »

    Grégoire Courtois
  • « Sous des dehors de restaurateur débonnaire, Giogio Pellegrini est loin d’être un personnage recommandable. Ancien délinquant, il utilise son établissement la Nena comme couverture au réseau de prostituées qu’il propose aux hommes politiques corrompus qui s’y réunissent. Pervers manipulateur, il assouvit ses besoins de domination et d’humiliation sur son épouse, lui faisant croire qu’il l’aime éperdument. Mais lorsqu’il apprend que son protecteur, l’avocat Brianese l’escroque, son sang ne fait qu’un tour et ses penchants la violence, longtemps contenus, refont surface quitte à se mettre à dos l’impitoyable mafia calabraise, dont Brianese n’est que l’homme de paille. Maniant l’ironie acerbe, dans un style épuré, Massimo Carlotto réussit à nous fasciner en nous plongeant au fond de la psyché d’un criminel cynique et froid, un monstre somme toute ordinaire tapis sous des apparences de Monsieur Tout le Monde. Qui sait, peut-être ce genre de sinistre personnage est-il tapi dans notre entourage ? »

    Marc Rauscher
    Librairie Birmann (Thonon les Bains)
  • Perversion mafieuse... Un jeune loup, aux mœurs maniaques, s'en prend à de hauts dignitaires locaux. Une lecture saisissante qui horrifie autant qu'elle séduit. C'est sale, retors et sulfureux. Carlotto est au sommet de son art et on en redemande.

  • Plus d'infos ici.
    Blog Le Moine bleu
  • « La littérature a déjà accouché de monstres remarquables, mais avec Giorgio Pellegrini, Massimo Carlotto atteint un sommet. » Plus d'infos ici.
    BLOG LE LITTERAIRE
  • « Traduit par Serge Quadruppani, ce roman affiche une noirceur redoutable.» Plus d'infos ici.
    Claude Le Nocher
    BLOG Action-Suspense
  • « Une vraie raclure, un vrai plaisir de lecture. » Plus d'infos ici.
    Jean-Marc Laherrère
    BLOG Actu du noir
  • « Massimo Carlotto nous délivre ici un superbe court roman acéré et nerveux comme son personnage principal. Du bon, du costaud, du subversif, de l’immoral, un vrai plaisir de lecture. » Plus d'infos ici.
    BLOG UNWALKERS
  • « Ecriture sobre, ironie froide, précision documentaire : Massimo Carlotto retrace avec brio la trajectoire chaotique de personnages corrompus et violents tout en nous plongeant au cœur des trafics politico-mafieux de l’industrieuse Vénétie. »
    Patrick Beaumont
    LA GAZETTE NORD PAS DE CALAIS
  • chroniqué dans l’émission « C’est à lire » par Bernard Poirette
    RTL
  • « Plus noir que noir ? Misez sur Massimo Carlotto, le maître du polar désenchanté dont chaque livre enrichit le précis de décomposition de la société italienne et renvoie l’écho d’une expérience personnelle, indissolublement liée à l’univers du polar. » Plus d'infos ici.
    Alain Léauthier
    Blog Marianne « Boulevard du crime »
  • « Pour ceux qui ont eu le plaisir de lire Arrivederci amore, ils retrouveront sans doute avec bonheur ce salopard immoral qu’ils avaient découvert, et qui n’avait pas manqué de leur montrer au fil de ses aventures d’alors, toute l’étendue de sa malfaisance. » Plus d'infos ici.
    Blog « Passion Polar »

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À la fin d’un jour ennuyeux

À la fin d’un jour ennuyeux, l’avocat Sante Brianese, par ailleurs député de la République, fit son entrée à la Nena de son pas décidé habituel. Un instant après apparurent sur le seuil sa secrétaire et son factotum. Ylenia et Nicola. Beaux, élégants, jeunes, souriants. On les aurait dits sortis d’une série télévisée américaine.
C’était l’heure de l’apéritif, un va-et-vient continu de gens, de verres et d’amuse-gueules. À l’extérieur, des poêles en forme de champignon réchauffaient une nombreuse compagnie de fumeurs. Je connaissais presque tout le monde. Au fil des ans, j’avais sélectionné la clientèle avec une patience de bénédictin. Dans mon établissement ne circulaient ni coke, ni putes, ni connards, et je payais un type, qui s’était foutu la cervelle en l’air à force d’anabolisants, pour rester discrètement à la porte et bloquer l’entrée aux vendeurs de fleurs, de briquets et de pacotille variée. À la Nena, on n’entrait que si on avait envie de dépenser ce qu’il fallait pour jouir d’une atmosphère tranquille, raffinée mais en même temps “piquante et amusante”. Le matin, de 8h à 10h, nous offrions des thés de grande qualité, des croissants odorants et des cappuccinos dont le lait arrivait directement d’un village des Dolomites. De 12h30 à 13h, le déjeuner : léger et tonique pour les employés et les professions libérales, minimaliste et végétarien pour les gros tas éternellement au régime ou bien somptueux, quoique respectueux des traditions vénètes, pour les représentants et les clients qui n’étaient pas obsédés par leur ligne. L’apéritif vespéral commençait à 18h45 et le dîner à 19h30. Pour le commun des mortels, la cuisine fermait à 22h30. Pour des gens comme Brianese, l’établissement était toujours ouvert.

L’avocat s’assit à sa table habituelle et sa serveuse préférée s’empressa de lui apporter l’habituel verre de bulles précieuses que depuis onze ans je lui servais gratuitement. Puis, comme toujours, les clients firent la queue pour présenter leurs hommages rituels à leur élu. Pas tous. Autrefois, il n’y aurait pas eu d’exceptions, mais son parti risquait sérieusement de perdre les élections régionales en faveur des “padanos”, c’est comme ça que leurs alliés les appelaient affectueusement, et certains annonçaient déjà discrètement qu’ils passaient du côté des futurs maîtres. Brianese, avec son habituel sourire imprimé sur le visage, accueillit les manifestations de fidélité et prit note des défections. À la fin, ce fut mon tour. Je me versai un prosecco, sortis de derrière le comptoir et m’assis à ses côtés.
-Toujours aussi dur, à Rome ? demandai-je.

Il haussa les épaules.

-Pas plus que d’habitude. Le vrai bordel, maintenant, c’est ici, répondit-il en observant ses collaborateurs en train de bavarder avec diverses personnes.

Entre une plaisanterie et un ragot, ils tentaient de récupérer les déçus. C’était leur travail et ils le faisaient bien, mais l’issue était de toute façon évidente. Il fallait attendre le scrutin pour évaluer exactement la portée de la défaite et les dégâts collatéraux dans le secteur des affaires. Puis il se tourna vers moi et me fixa droit dans les yeux.

-Je dois te parler.

-Quand vous voudrez, maître.

-Pas maintenant, j’attends des invités. Nous serons quatre et nous avons besoin du “petit salon”.

C’était le carré VIP de la Nena, à la disposition totale de Brianese et des comités d’affaires ou des cliques qu’il contrôlait. Du menton, je montrai Ylenia et Nicola.
Brianese secoua la tête.

-Non, eux, ils rentrent chez eux. Je dois rencontrer trois constructeurs.

-J’avertis Nicoletta ?

-Je suis certain que ces messieurs apprécieront.

Je retournai derrière le comptoir et pris dans un tiroir le mobile que j’utilisais exclusivement pour communiquer avec elle.

Nicoletta Rizzardi était une vieille amie. Une des premières personnes que j’avais connues quand j’étais venu m’installer en Vénétie. Pendant une brève période, nous avions même été amants. Un superbe morceau, mince, grande, et avec deux gros nichons blancs comme le lait. Seule depuis de nombreuses années, fumeuse acharnée et adepte des foulards excentriques et coûteux qu’elle portait avec une grande désinvolture, à l’époque elle s’occupait de grandes griffes. Rigoureusement contrefaites. Puis était arrivée la concurrence des noirs qui vendaient les mêmes pièces qu’elle dans la rue et elle avait dû changer de secteur pour se contenter d’une franchise de lingerie moyenne gamme. Les revenus n’étaient pas les mêmes et elle avait tenté d’en vivre jusqu’à ce que je lui offre d’être mon associée dans une certaine affaire qui, dès le début, s’était révélée géniale et profitable pour nous deux.

L’idée m’était venue en bavardant avec Brianese. L’avocat se plaignait que désormais, dans ce pays, les personnages publics ne jouissaient plus ni de liberté ni de vie privée. Le ragot était devenu le sport national et aucun homme politique ne pouvait plus s’amuser sans risquer de se voir traîné dans la boue par les journaux. Une innocente transgression pouvait devenir la pierre tombale d’une carrière. Peut-être pas en Lombardie ou à Rome, où les députés qui se retrouvaient impliqués dans des affaires de sexe et de cocaïne étaient dédouanés par leurs collègues de parti, qui invoquaient l’“éloignement forcé de leurs familles”, mais en Vénétie, la règle, c’était : “Tu peux faire ce que tu veux, mais il ne faut pas te faire choper, sinon tu es fini.” Le vrai problème, c’était les escort-girls, devenues partie intégrante des affaires mais dont la fiabilité n’était pas garantie. Désormais, il était impensable de conclure un marché public, fût-ce la construction d’un misérable rond-point, sans un pourcentage payé en nature, la corruption avait changé et ceux qui se contentaient d’argent étaient considérés comme des minables. Femmes et enfants, s’ils le pouvaient, essayaient eux aussi de rafler quelque chose : la nouvelle tapisserie de la villa ou le mini coupé japonais. Tout le monde voulait un petit cadeau en plus pour se consoler d’être corrompu. Sauf que les call-girls étaient devenues terrain de chasse des juges et des journalistes et que ces poules ne réussissaient pas à garder bouche cousue, elles n’avaient pas encore compris que les téléphones peuvent être écoutés, et si l’occasion se présentait, elles se précipitaient dans les talk-shows pour aggraver la situation.

Brianese avait parfaitement raison. J’avais travaillé un moment dans une boîte de lap-dance et je connaissais bien la mentalité des filles qui se mettaient sur le marché.

J’avais donc mis à profit mon expérience en organisant un petit mais très sûr réseau de putains déguisées en escort à disposition de Brianese et de ses amis.

Jamais plus de quatre à la fois, toujours des étrangères privées de contacts locaux, invariablement remplacées au bout de six mois. Des Vénézuéliennes, des Argentines, des Brésiliennes aux traits européens et de préférence issues de l’immigration italienne. Et enfin une Chinoise pour la touche exotique.

En trouver une correcte était la partie la plus difficile. J’avais un contact à Prato qui, pour le choix, me mettait à disposition celles destinées à travailler en appartement. Sauf que les Chinois mettaient sur le trottoir les femmes qui n’étaient plus rentables dans les ateliers, celles qui ne réussissaient pas à tenir les rythmes de production, et je me retrouvais avec des filles de vingt-deux ans aux mains détruites et tellement épuisées qu’il leur aurait fallu au moins deux mois de soins et de repos pour les mettre en état d’ouvrir les jambes avec une ombre de sourire sur les lèvres. Je devais toujours faire un effort pour réussir à les imaginer maquillées, les cheveux arrangés par un vrai coiffeur et bien habillées. Bref, je ramais dur mais d’un autre côté on ne pouvait plus gérer un réseau de ce niveau sans une Chinoise. Elles mettaient à leur aise les clients les plus exigeants et ceux qui avaient les plus grandes difficultés à exprimer leurs goûts. Nicoletta les avait définies comme “les poupées avec qui nos mecs n’ont jamais joué”. Mais ce n’était vrai qu’en partie. En réalité, ce n’était que des esclaves habituées à satisfaire au mieux les demandes de leurs patrons. Les Sud-Américaines, elles, je les faisais venir par l’intermédiaire de Mikhaïl, un quadragénaire russe, grand, gros et rusé comme le diable, homme à tout faire d’une organisation gérée par deux ex-professionnelles napolitaines, liées et protégées par un flic qui avait beaucoup de poids en ville. Mikhaïl me faisait choisir les filles sur catalogue et, quand il planifiait les arrivées, il ajoutait les miennes et gardait tout l’argent. Il m’avait déconseillé les Russes, qu’il aurait pu me procurer avec facilité, parce que dans son pays la prostitution était devenue un phénomène incontrôlable. À part les professionnelles, il y avait une armée de femmes de tous âges qui avaient l’habitude de concéder leurs faveurs en échange de petits privilèges, surtout sur les lieux de travail. Une fois insérées dans mon réseau, elles auraient commencé à tenter de travailler à leur compte pour se trouver une position ou un homme disposé à les entretenir.

-Les Sud-Américaines, c’est mieux, avait-il dit. Elles sont moins pénibles. Les putains, tu sais, il faut bien les choisir parce c’est vraiment un tas d’emmerdes.
Le Russe me plaisait, il était correct et prudent. Nous nous donnions rendez-vous sur une grande aire de stationnement du côté de Bologne. Il y avait toujours un tas de gens qui allaient et venaient. Je me garais dans une zone sans télésurveillance, il se glissait dans ma voiture, l’ordinateur sous le bras, et commençait un long monologue sur son nom qui, selon toute probabilité, était faux.

Il prétendait s’appeler Mikhaïl Alexandrovitch Cholokhov, comme l’écrivain qui avait remporté le Nobel en 1965.

-Pourquoi les Suédois ont-ils récompensé un communiste ? se demandait-il chaque fois avec une emphase exagérée. Un dissident, je comprendrais, mais récompenser quelqu’un qui a été deux fois Héros de l’Union soviétique, quel sens ça a ?

-Personne ne se souvient plus de lui, commentais-je.

-Heureusement. Je serais vraiment gêné si quelqu’un s’apercevait que je m’appelle comme ce type. Tu sais que je suis allé en librairie demander son livre le plus célèbre, Le Don paisible ?

-Il doit être épuisé, répétais-je comme un disque rayé.

-Une autre chance. Tu penses qu’ils vont le réimprimer ?

-Non. Qui veux-tu qui s’intéresse à un écrivain de l’ère soviétique ? Maintenant, il y a Poutine, d’ailleurs il est très ami avec notre premier ministre.

-Eh bien, il devrait apprendre de Poutine comment on élimine le danger des scandales, rétorquait-il. “Éliminer”… je ne sais pas si tu as compris le jeu de mots…

Il rigolait un bon coup puis allumait enfin l’ordinateur portable qui contenait son catalogue.

-Bien, maintenant, parlons de femmes et d’argent, les uniques merveilles de notre existence.

Je m’étais toujours prêté au jeu parce que Mikhaïl jouait cette saynète pour avoir le temps de vérifier qu’il n’y avait pas de flics en planque.

Chaque fille était photographiée nue dans six poses différentes pour mettre en évidence ses qualités et défauts. Celles qui venaient travailler pour nous avaient de la chance. Elles allaient habiter une confortable maison de campagne et Nicoletta prenait soin d’elles, leur enseignait tout ce qu’elles devaient savoir en fait de tenues, de maquillage, de parfum et de bonnes manières. Quand elles n’étaient pas occupées avec les clients, pour se créer un minimum de couverture, elle les utilisait comme modèles pour son catalogue de lingerie. C’était aussi une manière de faire en sorte qu’elles se sentent différentes et de leur éviter l’ennui qui pouvait les déprimer et leur mettre en tête des pensées préjudiciables aux affaires. Aucune des filles, en fait, n’avait jamais créé de problème et il n’avait jamais été nécessaire de lever la main. Quand mon associée et moi accueillions le nouveau groupe, je faisais en sorte qu’elles remarquent un poing américain en cuivre brillant apparemment oublié sur la table basse. Même les occasionnelles savaient que c’était le pire ennemi des putains.

Les nôtres n’étaient pas bon marché. Cinq minutes ou une nuit, le prix était toujours le même : 2 500 euros dont bien 200 finissaient dans les poches des filles. Mais personne ne s’était jamais plaint, la garantie de confidentialité avait son prix et cet argent, ce n’était pas le client qui le sortait de son portefeuille, cela faisait partie des cadeaux liés aux affaires.

Les règles de sécurité étaient implacables. Pas de drogue, que du champagne. Les mobiles restaient dans les voitures pour éviter qu’un imbécile prenne des photos ou tourne des vidéos embarrassantes. Les rencontres se déroulaient dans diverses villas, réparties dans différentes régions, louées pour de brèves périodes par l’intermédiaire d’une agence immobilière dans laquelle travaillait le frère de Nicoletta. Rarement dans un hôtel. Quand les jeunes femmes n’étaient pas occupées avec les politiciens et leurs amis, elles étaient mises à la disposition de riches industriels étrangers. La logique de l’entreprise était : une seule passe par jour mais sept jours par semaine.

Les filles se berçaient de l’illusion d’être devenues des princesses jusqu’au matin où je les faisais monter en voiture en prétendant les accompagner à une fête en dehors de la ville et, une fois arrivé à Gênes, je les vendais à des truands maltais le double de ce que je les avais payées. Je n’avais jamais demandé ce qu’elles devenaient. Je savais seulement que quelques heures plus tard elles étaient déjà à bord d’un cargo en route pour le Maghreb ou l’Espagne et c’était la seule chose qui m’intéressait.

Dès que les filles, descendues de voiture, se retrouvaient au milieu de ces types louches, dans cet entrepôt crasseux qui abritait le siège de la bande, elles comprenaient tout de suite de quel genre d’arnaque elles avaient été victimes et elles commençaient à se désespérer. Un spectacle vraiment déchirant, qui réjouissait surtout les acheteurs, lesquels souriaient d’aise et tendaient la main en goûtant à l’avance le plaisir du viol. En outre, ils étaient de la vieille école, fermement convaincus qu’une fois qu’elle avait essayé l’enfer, une putain prenait ses clients pour des anges du paradis. À ce moment-là, je faisais remarquer qu’il s’agissait d’une marchandise délicate et précieuse, je comptais vite l’argent et je rentrais chez moi.

Et chaque fois, les Maltais me demandaient quelle était la meilleure, celle avec qui, d’après eux, j’avais passé le plus de temps au lit. J’en indiquais une au hasard parce que je m’étais toujours bien gardé de me les baiser vu que j’étais le chef et que je ne voulais pas que des dynamiques négatives se développent dans le groupe. Le risque était que l’une d’entre elles se persuade d’être la favorite. En revanche, justement parce que j’étais le chef et bien que nous soyons associés à égalité, le jour où nous partagions l’argent du mois, je me faisais tailler une pipe par Nicoletta. Juste pour lui rappeler que c’était moi qui avais eu l’idée. L’affaire était d’un bon rendement, tout compte fait, une fois les frais déduits, j’arrivais à me mettre en poche environ cent mille euros par an, mais j’étais obligé d’investir une bonne moitié dans le restau, qui était devenu un puits sans fond. La crise, bien que la Vénétie se défende bien, se faisait sentir, et maintenir un haut niveau de qualité, avec tout ce personnel, me coûtait les yeux de la tête. Pour ne rien dire de la cave. À une époque où même ceux qui pouvaient se le permettre regardaient le prix des bouteilles, seuls les corrupteurs et les corrompus ne regardaient pas à la dépense quand il s’agissait de fêter le bon résultat d’une négociation. Et ils étaient exigeants. Surtout ceux qui, jusqu’à ce moment-là, n’avaient pas réussi à se retrouver à la bonne table et à se gagner le droit à une part de gâteau et qui étaient toujours les mieux renseignés sur le dernier vin à la mode. Je n’en étais jamais dépourvu.

Pour rien au monde, je n’aurais renoncé à la Nena. C’était la preuve que ma vie avait changé pour toujours, la carte de visite pour occuper une place respectée dans la société. Grâce à Brianese et à un bon paquet d’argent pour payer ses honoraires, en 2000, j’avais obtenu ma réhabilitation et mon passé d’ex-terroriste condamné à la perpétuité avait été effacé. À la fin d’une longue histoire tourmentée, au cours de laquelle j’avais dû me démener beaucoup, j’étais devenu un honnête citoyen propriétaire d’un établissement à la mode dans le centre d’une ville vénète. Je votais et je payais mes impôts. Et à force de sourires, de cirage de pompe et de beaucoup de labeur, j’avais été accepté. J’étais l’un d’“eux”. Mais pas un parmi tant d’autres. J’étais un gagnant. Un de ceux qu’on ne pouvait feindre de ne pas voir ou oublier de saluer.

Nicoletta répondit à la troisième sonnerie. Avec cette voix cassée par l’abus de cigarette, on avait toujours l’impression qu’elle venait à peine de se réveiller.

-Quand et où ? demanda-t-elle.

-Toutes les quatre et ce soir, pas besoin de se déplacer.

-D’accord. Je vais les préparer.

J’allai prendre la commande. Brianese avait déjà mis ses invités à leur aise et il était en train d’expliquer comment il pouvait intervenir et faire remporter quelques appels d’offre pour la réfection d’écoles et de casernes dans une région voisine. Quand je revins avec le vin, ils s’étaient déjà mis d’accord sur un pourcentage de trois pour cent et étaient en train de discuter des cadeaux aux fonctionnaires. Le directeur du service de l’immobilier avait fait savoir qu’il réclamait aussi l’entretien de son jardin pendant un an.

Au bar, je trouvai ma femme, Martina, qui m’attendait en faisant tourner son verre d’apéritif entre ses mains. Je lui souris et posai un baiser sur ses lèvres qui sentaient le Campari.

-Bonsoir, ma chérie.

Puis je saluai Gemma, l’amie qui l’accompagnait, et montrai une table où un monsieur élégant et austère était en train de dîner seul.

-Ça vous ennuie de tenir compagnie au professeur Salvini ? C’est le nouveau patron du département de pédiatrie, il vient juste d’arriver en ville et ne connaît personne.

Le médecin fut bien content de les accueillir à sa table. Connaissant Gemma, je savais qu’en cinq minutes, elle serait renseignée sur la vie privée du professeur. Elle était en quête d’une relation fixe depuis que son mari l’avait quittée pour déménager à Salerne, où il vivait avec sa nouvelle compagne. Heureusement, Martina était là, qui l’empêchait d’exagérer. Nous étions mariés depuis neuf ans et, tous les jours, elle venait au restaurant déjeuner et dîner. Chez nous, la cuisine n’était utilisée que pour le petit-déjeuner et quelques rares tisanes nocturnes. Elle aurait bien voulu cuisiner et organiser des déjeuners et des dîners pour les amis et parents, mais je m’y étais toujours opposé. Cela n’avait aucun sens de se mettre à salir des casseroles quand on avait un excellent restaurant à sa disposition. La serveuse vint me demander ce qu’allait manger ma femme. C’était moi qui commandais pour elle. J’essayais de prendre soin de chaque aspect de sa vie, c’était ma manière de lui manifester mon amour. Et ma reconnaissance. Elle avait été à mes côtés dans un des moments les plus difficiles, quand Roberta, la femme que j’étais sur le point de conduire à l’autel, était morte. Un tragique accident me l’avait arrachée. Allergique à l’aspirine, elle en avait absorbé par erreur une grande quantité et cela lui avait été fatal. À cause de mon passé, et des soupçons infondés de ses parents et du curé que Roberta considérait comme son guide spirituel, j’avais été mis en examen pour homicide et persécuté par deux sous-officiers zélés des carabiniers. Par chance, l’avocat Brianese était intervenu pour régler la question. C’était justement ma fiancée qui m’avait présenté Martina. À l’époque, elle était avec un type à l’air mou, et bien que nous ayons été l’un et l’autre engagés ailleurs, quelque chose se déclencha et nous avons eu une petite histoire sans importance qui me permit quand même de découvrir que, à la différence de ma future épouse, Martina était une maîtresse passionnée. Je la revis aux funérailles où elle fut très proche de moi, me tenant la main tout au long de la cérémonie.

Quelques mois plus tard, quand la douleur de la disparition de Roberta avait été remplacée par un grand vide, nous avons commencé à nous fréquenter avec régularité et un soir, je l’ai demandée en mariage.

En réalité, j’avais pensé à un simple concubinage mais Brianese avait insisté pour le mariage. Ainsi les gens allaient oublier plus vite mon passé et Roberta. J’avais confié à Nicoletta l’entière organisation du jour le plus heureux de notre vie et tout s’était passé au mieux. Raffiné, un peu ennuyeux pour la plus grande partie des invités et fatigant pour les mariés. L’avocat avait été mon témoin et Gemma celui de Martina.

Au retour du voyage de noces en Polynésie, nous avions déménagé dans la nouvelle maison proche de la Nena et, comme nous nous l’étions solennellement juré, nous avions commencé à prendre soin l’un de l’autre.

En premier lieu, j’avais conseillé à Martina de quitter son travail. Son salaire de 1 500 euros ne nous changeait pas la vie et son emploi l’aurait tenue loin de moi. Elle n’était pas d’accord mais elle s’était convaincue que c’était la meilleure décision. Elle avait surtout peur de s’ennuyer.

-Ça, ça n’arrivera jamais, mon amour.

Comme dans tous les couples, faire connaissance et accepter les défauts du conjoint n’avait pas été facile, mais nous étions amoureux et, à la fin, nous avions surmonté toutes les difficultés. Gemma avait été un obstacle majeur et j’avais dû faire preuve d’astuce pour neutraliser son influence négative sur ma femme. Martina m’avait toujours tout raconté sur sa meilleure amie et je savais que, durant cette période, entre elle et son mari, ça n’allait pas bien. C’est pourquoi, avec une grande générosité, je l’avais aidée à trouver une maison, un travail, un avocat, et quand elle était venue me remercier, je lui avais fait comprendre que le moment était venu pour qu’elle devienne amie de nous deux parce que j’avais besoin d’une alliée pour maintenir l’équilibre et le bonheur dans notre vie de couple.

-Je n’aime pas ce discours, avait-elle dit. Je fréquente Martina depuis l’école primaire. C’est ma meilleure amie, toi, tu n’es pour moi qu’une connaissance…

J’avais levé les mains pour l’interrompre.

-Si je lui demande de ne plus te voir, elle s’exécutera. Et tu n’as pas d’autres amies de cœur, et encore moins un homme, en ce moment.

-Martina non plus n’a pas d’autres grandes amies, avait-elle rétorqué, piquée au vif.

-Mais moi, je peux lui en acheter autant que je veux alors que toi, je peux tout t’enlever.

Gemma avait pâli et elle s’était mordu les lèvres pour ne pas pleurer mais je m’étais empressé d’ajouter :

-Je n’ai pas envie d’arriver jusqu’à une rupture. Mais tu sais bien que Martina a une personnalité complexe et qu’elle a besoin de temps pour assimiler certains concepts.

-En somme, je dois la convaincre que tu as toujours raison.

-Mais j’ai toujours raison, Gemma. Je travaille toute la journée et, toute l’année, j’ai besoin que quelqu’un l’accompagne pour les vacances… L’hiver, l’été, le week-end… tous frais payés, évidemment.

-J’aimerais bien t’envoyer chier, avait-elle murmuré.

Je lui avais donné une petite tape sur la joue.

-Mais tu ne le feras pas parce que je te rends la vie plus confortable et plus facile. Regarde-toi : tu fumes, tu es en surpoids, tu bois toujours un spritz de trop, il est évident que tu es malheureuse et, sans Martina et son adorable mari, tu ne peux qu’empirer.

À ce point, comme prévu, elle avait tenté de trouver la justification pour continuer à se regarder sans honte dans la glace :

-Mais tu l’aimes, au moins ?

-Beaucoup, beaucoup. Pourquoi crois-tu que je me comporte de manière si odieuse ? Parce que je ne peux pas me permettre de la perdre.

Et pour une fois, je lui avais dit la vérité, même si je lui avais sorti la réplique d’un vieux film. Vivre avec Martina, m’occuper d’elle avait apporté de la sérénité dans ma vie, mais surtout cela avait satisfait les pulsions que je n’avais pas réussi à dominer dans le passé et qui de temps en temps affleuraient, même si je n’avais plus besoin de m’enivrer de violence et de cruauté pour me sentir vivre.

Le portable sonna. C’était Nicoletta.

-Tout est prêt.

-Je vais prévenir les clients.

J’allai dans le salon et adressai un signe à Brianese qui abreuvait ses nouveaux associés de ragots sur les aventures des padanos à Rome. Il se leva et avec une grande solennité, comme s’il entamait un discours devant le Parlement, il annonça :

-Et maintenant, messieurs, je vais avoir le plaisir de vous présenter quelques gracieuses demoiselles qui ont hâte de prendre soin de nos insatiables zizis.

Les constructeurs éclatèrent d’un grand rire vulgaire, excités par une blague si facile. L’avocat les conduisit hors de la pièce puis se tourna vers moi. Le sourire disparut de ses lèvres.

-Je reviens demain soir. Comme je t’ai dit, je dois te parler.

-Mais il s’est passé quelque chose ?

Il eut une grimace amère déguisée en sourire :

-Il se passe toujours quelque chose.

En sortant, il s’arrêta pour dire bonsoir à Martina et faire la connaissance du professeur Salvini, dont la sympathie pour le centre gauche était connue, et Brianese fut courtois mais expéditif parce que le temps qu’il allait passer avec la putain qui l’attendait était sûrement plus intéressant que celui qu’il perdait avec un type qui ne voterait jamais pour lui.

Mon épouse me rejoignit peu après à la caisse pendant que je préparais l’addition. Elle me montra un CD.

-Je voudrais le faire écouter à Gemma.

Un instant, je prêtai attention à la musique qui sortait des haut-parleurs. Une version instrumentale de Mio canto libero, de Battisti.

-Il n’y a rien de “bizarre”, n’est-ce pas ? demandai-je à mi-voix. Genre chanteurs à texte engagés ou jérémiades jazz ou ethniques.

Elle sourit.

-Sois tranquille. C’est un groupe français, je ne vais pas faire fuir tes clients.

Je tendis la main et la regardai. Pas un cheveu – couleur miel – dépeigné, maquillage parfait, un collier de perles, le chemisier rempli par des seins à peine retouchés par le chirurgien. Les cicatrices étaient encore visibles et j’adorais en suivre les contours avec la langue. Martina était belle, d’une beauté sobre, presque parfaite.
Je donnai un rapide coup d’œil à la pendule au mur. Ce soir-là, j’aurais aimé rentrer vite à la maison pour être avec elle.

Comme je l’avais soupçonné, la musique des Français n’était pas adaptée au style et à la clientèle de la Nena, un salmigondis de chanson française , de swing et de world music. Martina était adorable mais en matière de musique elle comprenait que dalle. Au troisième morceau, quand le plus important producteur de pollen de la province me fit signe de changer la musique, j’appuyai sur le bouton “off” et remplaçai le CD par le dernier opus de Giusy Ferreri.

À 23 heures pile, mon épouse se leva, serra la main de Salvini et vint me dire au revoir avec Gemma.

-Ne rentre pas tard, me murmura-t-elle à l’oreille.

-Demain, on change le menu du dîner et je dois parler avec le cuisinier, mais je vais essayer de me dépêcher.

Gemma l’aida à passer une doudoune qui lui tombait jusqu’aux pieds :

-Tu as envie de faire quelques pas ?

-Oui, répondis-je à sa place. Martina doit faire passer deux ou trois verres d’Amarone.

Le médecin me fit signe de lui préparer l’addition. Je la lui apportai moi-même avec un cognac de ma réserve personnelle.

Il plongea le nez dans le ballon*.

-Quel parfum ! J’ai assez bu pour ce soir, mais il y a des délices auxquels on ne peut pas renoncer.

Il le goûta avec des airs de connaisseur.

-Excellent !

Je souris et fis mine de me retirer.

-Peut-être que ça va m’aider à prendre une décision que je ne peux plus renvoyer, maintenant.

-Vous avez décidé d’accepter le poste de chef de service ?

Il secoua la tête.

-Je bouche juste un trou en attendant que les francs-maçons et les bigots trouvent un accord satisfaisant. Non, la décision concerne un petit patient…

-Ce cognac est infaillible, coupai-je avec une brusquerie due au malaise provoqué par la confidence.

Salvini s’en aperçut. Il me jeta un coup d’œil oblique et posa le verre sur la table.

-Je paie avec la carte de crédit. Ajoutez dix euros pour la serveuse.

Je venais de perdre un client. Bon, ce n’était pas si grave. À l’évidence, il n’avait pas compris que les services que j’offrais ne comprenaient pas d’affectueuses tapes sur l’épaule.

L’appartement, à peine éclairé par les lumières tamisées disséminées entre l’entrée et le couloir, était enveloppé de silence. On aurait dit qu’il n’y avait personne mais je savais exactement où était Martina. J’entrai dans la garde-robe, retirai mes chaussures et les mis parmi celles à nettoyer. Mon épouse s’en occuperait. Tout ce qui me concernait entrait dans ses devoirs. Je n’aurais jamais permis que la femme de ménage touche à mes affaires. Puis la veste, la cravate et le pantalon finirent accrochés à un valet qui, vu ce qu’il m’avait coûté, méritait de figurer au salon. Slip et chaussettes dans le panier à linge sale. Nu, je me dirigeai vers la chambre à coucher et m’installai sur un fauteuil disposé de manière à avoir une vision complète de la salle de bains, qui au même moment s’illumina a giorno. On eût dit un décor de film. Martina aussi était nue, debout à côté du lavabo. Sur une étagère de cristal, elle prit différents petits pots de crème, les ouvrit et les disposa suivant un ordre précis. Elle glissa les doigts dans le premier et se passa la main sur le visage avec de lents mouvements circulaires. Une autre crème se retrouva sur son cou et ses mains ne cessèrent de bouger, descendant peu à peu jusqu’aux pieds. Elle remit les pots en place. Puis, d’un mouvement gracieux, elle leva la jambe gauche et appuya le pied sur le bord du lavabo. Son médium suivit les bords de la toison pubienne ciselée au rasoir par l’esthéticienne pour mettre en évidence l’initiale de mon prénom. Puis il disparut entre les grandes lèvres, à la recherche du clitoris. J’attendis qu’elle ferme les yeux et que son souffle se fasse court et haletant.

-Ça suffit.

Martina continua à se toucher.

-S’il te plaît, j’y suis presque.

-J’ai dit ça suffit.

Elle retira sa main.

-Pourquoi ?

-Le CD était à chier. Tu m’as manqué de respect.

J’allais ajouter quelque chose mais je changeai d’idée. Du pied, je fermai la porte, en la faisant légèrement claquer.

Je passai le pyjama de soie et me glissai entre les draps. Au bout de quelques minutes, Martina arriva. Je l’enveloppai de mes bras.

-Bonne nuit, mon amour.

Massimo Carlotto est né à Padoue en 1956.
Découvert par le critique et écrivain Grazia Cherchi, il a fait son entrée sur la scène littéraire en 1995 avec le roman Il fuggiasco (Le Fugitif, non traduit en français), publié par les éditions E/O, qui a obtenu le prix Giovedì en 1996. Depuis, il a écrit quinze autres romans, des livres pour enfants, des romans graphiques et des nouvelles publiées dans des anthologies.
Ses romans sont traduits dans de nombreux pays; certains ont été adaptés au cinéma. Massimo Carlotto est aussi auteur de pièces de théâtre, scénariste pour le cinéma et la télévision, et il collabore avec des quotidiens, des magazines et des musiciens.
En 2007, il est lauréat du prix Grinzane Cavour - Piémont Noir.

Bibliographie