Comment Christophe Leibowitz, avocat revenu de tout, loin des belles affaires d’Assises dont tout le monde parle, éternel commis d’office à la défense de délits minables, est-il enfin parvenu à être satisfait de son
sort ?
Est-ce parce qu’il occupe ses journées à convertir avec une patience extrême un proxénète albanais à la lecture de L’Éducation sentimentale derrière les barreaux de la prison de Fresnes ? Ou est-ce parce que son nom s’étale en première page aux côtés de celui de l’ennemi public numéro un
?
La justice au quotidien, des personnages surprenants, une intrigue solide, des situations cocasses pour un premier roman qui s’impose immédiatement par son rythme et un ton original et rapide.
Commis d’office a reçu le « Prix Polar derrière les murs » décerné par les détenus des maisons d’arrêt de la région Rhône-Alpes, organisé en collaboration avec l’ A.R.A.L.D., Biblio-Savoie, la librairie Urubu, et l’association « Ocre bleu » lors du Festival
La Cambuse du noir, à Valence, en mars 2005.
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"C’est drôle. C’est méchant. C’est aussi bien écrit que La daronne et Christophe Leibowitz pourrait bien être l’égal du personnage de Prudence." Lire l'article ici
Site Addict Culture -
"L'auteur fait avancer son récit avec efficacité, joue des changements de rythme, ménage les surprises qu'il faut pour que le lecteur se laisse conduire jusqu'au bout de cette histoire sinistre et pourtant drôle. C'est qu'Hannelore Cayre a le don rare d'évoluer dans un univers glauque et calamiteux avec la même pêche que son personnage qui a " la niaque d'un chien qui crève de faim ". Une énergie qui empêche le récit de tomber dans la déploration, et qui le hisse au niveau de certains grands cogneurs d'outre-Atlantique. Une énergie qui ne tient pas à la seule astuce dans l'art des nœuds scénaristiques. C'est dans la langue que ça se passe : faire voir en peu de mots, manier l'argot avec le juste dosage de brutalité et de finesse, ne pas mépriser l'adjectif, s'autoriser quelques disgressions histoire de réfléchir ou de rêver un peu. Voilà de la bonne littérature. Il serait dommage d'attendre pour la lire qu'Hannelore Cayre soit placée, après deux ou trois romans de cet acabit, parmi les écrivains qui comptent. Il est vrai que cela ne saurait tarder.Alain NicolasL'HUMANITE
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"Ce n'est pas le roman noir le plus sombre que nous ayons lu de l'année, mais c'est le plus drôle. Une histoire abracadabrante, cousue de combines et de cabrioles, où l'on découvre comment Christophe Leibowitz, avocat pénaliste spécialisé dans les délits minables, a pu se retrouver derrière les barreaux à Fresnes. La peinture du monde carcéral et du milieu judiciaire est à se tordre de rire. " J'étais parvenu à atteindre une vitesse de croisière qui ne laissait présager en rien avec ma situation actuelle : une vie à deux avec un type de 130 kilos qui ronfle au-dessus de mon oreille, dans une studette de neuf mètres carrés avec barreau, exposée plein sud avec vue sur promenade- à Fresnes. " Dans la caricature, il ne faut jamais hésiter à forcer le trait, l'auteur l'a bien compris. Le comble est qu'au fond de ce roman sans façons brille une lueur de tendresse pour les petits, les obscurs, les sans-grade, éternels justiciables d'un monde où, " Selon que vous serez puissant ou misérable."Sébastien LapaqueLE FIGARO
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« Le narrateur de Commis d'office est avocat [...], il défend au pied levé des types indéfendables, truands du dimanche ou proxénètes romantiques. Lassé de son labeur, il lorgne côté fric, côté trafic? Commis d'office est une perle pour son humour, cet art de dégommer en un rien de mots le quotidien du Palais comme les grandes absurdités de notre monde. Cette cocasserie-là, stylisée, déjantée, est un genre assez nouveau dans notre paysage littéraire. Presque un remède à l'air du temps. »Martine LavalTELERAMA
–Frédéric Moreau, nouvellement reçu bachelier, s’en retournait à Nogent. où il devait languir pendant deux mois avant d’aller faire son droit.
-Raconte-moi.
J’essaye de faire comprendre à mon ami le proxo que mon albanais est trop rudimentaire pour lui raconter un livre dans lequel il ne se passe rien.
-C’est en 1840.
-Et alors? fait-il, vexé.
Il croit que je le snobe et il boude.
Je me lance dans une traduction libre à partir de la centaine de mots qu’il m’a appris depuis que je partage sa cellule. De toute façon, il n’y a rien de mieux à faire. Aujourd’hui, il pleut si fort dehors qu’il est impossible de sortir en promenade.
-Un homme voit un jour femme qui est mariée et il aime femme qui est mariée et il attend toute sa vie femme.
-Elle s’appelle comment?
-Mme Arnoux.
Ilréfléchit et digère l’information en dodelinant de la tête.
-Et qu’est-ce qui se passe?
-Rien. il a mal pendant sa vie qui passe. Il ne fait rien.
Je suis spectateur d’une rencontre du troisième type: Dragan Dostom, proxénète du boulevard Serrurier à qui il est reproché, entre autres, d’avoir cogné et vendu des filles qui tapinaient comme des feignasses, tente un mouvement d’empathie envers les souffrances de Frédéric Moreau.
-Et le mari?
-Il est vieux pas beau. Il va dormir avec autres femmes. Il a argent, mais il perd argent.
-Alors pourquoi il prend pas la femme du vieux?
-Parce qu’il préfère avoir mal!
Ilme regarde avec une gueule confite d’incompréhension.
-Pourquoi tu lis ça?
-Parce qu’il n’y avait que ça dans le chariot de la bibliothèque.
J’ai dit cette dernière phrase en français, mais il a compris.
-Lis, je vais dormir.
Alors je me mets à lire à haute voix pour bercer le gros Dostom qui, dans le lit au-dessus du mien, dans un grincement infernal de vieux ressorts, se blottit dans sa couverture pour s’endormir.
Il embrassa dans un dernier coup d’œil l’île Saint-Louis, la Cité, Notre-Dame; et bientôt Paris disparaissant, il poussa un grand soupir…
Iln’est que quatre heures de l’après-midi, mais comme l’hiver approche et qu’il fait un temps pourri, il fait presque nuit dehors.
Frédéric Moreau, nouvellement reçu bachelier, s’en retournait à Nogent où il devait languir pendant deux mois avant d’aller faire son droit.
Il ronfle.
Moi aussi, je me mets à flotter.
J’ai dix-huit ans.
Il pensait à la chambre qu’il occuperait à Paris, au plan d’un drame, à des sujets de tableaux, à des passions futures. Il trouvait que le bonheur mérité par l’excellence de son âme tardait à venir.
Fier comme Artaban, mon bac en poche, je lis l’Éducation cation sentimentale, crânement vautré sur la banquette du RER – ligne A – direction Boissy-Saint-Léger. Je vais moi aussi à Nogent pour annoncer à mes parents que j’ai trouvé une piaule à Paris et que je vais partir.
Je m’émerveille du fait que, depuis 1840, rien n’ait à ce point changé.
Comme Frédéric Moreau, je veux bouffer le monde et les demi-mondaines me font fantasmer. Je rêve à mon petit appart douillet, aux filles que je m’y taperai, au fric que je vais gagner, à la caisse que je me paierai.
Mais par-dessus tout, je suis convaincu que le bonheur mérité par l’excellence de mon âme est à la fois immense et imminent.
J’ai dix-huit ans, j’entre en fac, je suis un cador.
J’aurais dû me méfier de l’engouement que j’avais pour ce roman. Je le relis aujourd’hui avec un œil neuf et je m’aperçois qu’il s’agit avant tout de l’histoire d’un échec, de la faillite d’une vie: une fade succession d’avortements et d’impasses.
Est-ce le contexte de la prison qui me rend clairvoyant?
Ma vie commençait mal car elle commençait sans passion.
Doué en rien et bon à tout, je m’étais inscrit après le bac sur les conseils de mon père dans ce qui était d’abord une fac de droite avant d’être une fac de droit.
– Tu verras, il n’y a rien de mieux que de fréquenter les fachos pour qu’on oublie d’où vient ton père.
État des choses qu’il n’était jamais parvenu à faire oublier, le pauvre, même après trente ans à singer la France réelle au Cercle Interallié, entouré de bourgeois qui l’ont toujours méprisé.
Les Juifs, c’est pas qu’on les aime pas mais… disait la chanson.
Et puis, ce fut le premier jour de cours.
J’étais trop jeune pour le formuler avec précision, mais je peux dire qu’à l’époque j’avais déjà flairé comme une arnaque, un mauvais présage.
Un gros thésard joufflu et vieille France répondant au nom de Jean-Marie Guillemet fit l’appel.
– Brunois. …. Cela a-t-il un rapport avec monsieur le Bâtonnier Brunois? Ah, c’est votre grand-père! Ah…! Rippert. Ah… Le doyen Rippert est votre oncle! Ah…!
Et ainsi de suite.
Sacré Guillemet! Je le voyais comme si c’était hier énumérer des noms de sénateurs, de conseillers à la Cour de cassation, de parlementaires. On aurait dit un Biafrais devant une pâtisserie… Millefeuilles, saint-honoré, paris-brest… Il en avait plein la bouche, le Guillemet…
Ça fleurait bon la pierre de taille avenue Duquesne, la chasse en Sologne, les vacances sous la pluie à lire Balzac, le bridge et les jésuites.
Ce jour-là, j’ai compris pourquoi mon père était à côté de la plaque.
Le vrai bourgeois ne cherche pas le soleil sur la Côte d’Azur. Il vit à Paris sous les moulures avec un caveau dans une province pluvieuse. Il appartient à la classe dirigeante depuis au moins cinq générations et ne considère mon existence que parce qu’il a les idées larges.
Il ne s’appelle définitivement pas Christophe Leibowitz.
Guillemet, ce premier jour de cours, n’a même pas prononcé mon nom.
Je crois que c’était simplement par humanisme car il m’a très bien noté toute l’année.
Et puis, j’ai fait mon droit comme disait Flaubert et je suis devenu avocat mais le bonheur mérité par l’excellence de mon âme s’éloignait pas à pas jusqu’à en devenir inaccessible. Je n’avais toujours ni fric, ni caisse, ni gonzesse, mais surtout j’avais perdu l’espoir. Mes études m’avaient fait prendre conscience d’un signe que je n’avais jamais remarqué: la marque de la petite bourgeoisie parvenue qui était là, bien en évidence sur mon front, depuis le premier jour de ma vie.
J’ai choisi comme maître de stage un type à la mesure de mon désenchantement: un pénaliste juif, criblé de dettes, menteur, coureur de jupon, pervers polymorphe mais avec un cœur d’or.
Je l’adorais.
Il faisait penser aux caricatures des journaux d’avant-guerre comme Candide ou Gringoire: le Juif vous ment, le Juif vous spolie; tuons le Juif!
Petit, le nez crochu, de gros yeux globuleux, il ressemblait au Ioda de La Guerre des étoiles: ses vêtements n’étaient jamais nets et il agrippait toujours les gens quand il leur parlait.
Je crois qu’il m’a pris en pitié.
Ma mère portant un nom bien français, je m’appelais par-dessus tout Christophe Leibowitz-Berthier.
En fait, je n’étais même pas juif. Je n’étais tout simplement rien. Ou plutôt, si: une espèce de mutation grotesque d’après-guerre.
Je crois que c’est pour cela qu’il m’a embauché. Parce qu’il a rarement autant ri de sa vie. Parce que, savoir que dans ce monde – où on s’était pourtant acharné à faire disparaître les handicapés, les Juifs, les pédés et les gitans – il était né un Christophe Leibowitz-Berthier, prouvait à ses yeux que la vie arrivait toujours à faire son chemin.
Faute de m’enseigner le droit, qu’il connaissait seulement de manière intuitive, il m’a appris qui j’étais ou plutôt qui je n’étais pas:
– Tu perds ton temps à écouter les grands-bourgeois français qui plaident au subjonctif et qui comparent leurs chevalières à celles des présidents de chambre; ce n’est pas là qu’un Christophe Leibowitz-Berthier doit chercher son style. Si tu veux gagner plein d’argent, il faut que tu sois un gros métèque méchant qui plaide avec la même niaque qu’un chien qui crève de faim. Tu verras, ça vient tout seul. A force d’être plus pauvre que tes truands. A force de vivre comme un minable alors que tu es accusé d’imposture sociale. Le luxe de t’enrichir comme avocat tout en restant un type classe n’est pas pour toi, à moins évidemment d’épouser une fille de Bâtonnier très laide, disait le Ioda.
Et il terminait toujours par:
– Moi aussi, je suis un métèque qui grogne, mais comme je ne suis pas méchant, eh bien j’ai trois millions de dettes, mais je m’en fous parce que je baise mes clientes et qu’elles sont toutes très jolies.
Et il rajoutait:
– Et puis, tout le monde ne peut pas se targuer d’avoir trois millions de dettes!
Tout cela était vrai!
Il avait beau être petit avec des yeux globuleux, en effet il baisait toutes ses clientes mais aussi ses collaboratrices, ses secrétaires, les standardistes, les greffières… et si cela n’avait pas été considéré comme un accouplement contre-nature, il y aurait même eu quelques juges d’instruction qui se seraient laissées tenter. Il baisait également les inspectrices des impôts et de l’URSSAF qui croisaient sa route. C’était là qu’il fallait chercher sa source de jouvence professionnelle, la raison pour laquelle il survivait sans être radié pour dettes. Toutes ces femmes, autant qu’elles étaient, furent ses obligées et contribuèrent, chacune dans leur domaine, à le sauver de la faillite personnelle.
Il est mort d’une attaque un 16 février comme le Président Félix Faure, dans les bras d’une pute. Si ce n’est pas un destin, ça! Surtout pour un Juif, quand on sait que c’est Félix Faure qui s’est opposé à la révision du procès de Dreyfus.
Alors, je me suis installé à mon compte et j’ai repris sa clientèle de femmes en larmes, de tapins et de proxos. Comme je ne savais pas y faire, les femmes m’ont largué aussitôt. Les tapins et les proxos au fil du temps se sont embourgeoisés ou sont morts du SIDA. Et puis, je me suis adapté à mon temps; j’ai été l’un des premiers à faire dans le Russe, le Letton et l’Albanais. Maintenant, d’aucuns diront que je vis même avec. C’est curieux quand on y pense, ces similitudes: comme Frédéric Moreau, toute ma vie a tourné autour des putes et cela faute de mieux.