Publication : 03/05/2024
Pages : 384
Grand Format
ISBN : 979-10-226-1363-7
Couverture HD
Numérique
EAN : 9791022613835

La Maison sur la falaise

Chris BROOKMYRE

ACHETER GRAND FORMAT
22,50 €
ACHETER NUMÉRIQUE
12,99 €
Titre original : The Cliff House
Langue originale : Anglais (Écosse)
Traduit par : Céline Schwaller

« Elles étaient sur l’île depuis moins de cinq heures et déjà tout partait en vrille. »

C’était déjà une drôle d’idée de se marier pour la deuxième fois avec un homme en lequel on n’a pas confiance et d’aller enterrer la vie de jeune fille d’une femme de 35 ans, mais choisir une île, où la seule maison ouverte était la résidence qui les accueillait, était aussi très bizarre, malgré le luxe. Mais elles étaient toutes là, des amies de la mariée qui ne se connaissaient pas, ou peu, entre elles. Arrivées en hélicoptère ou en bateau, pour tout dire elles étaient coincées, d’autant plus que la tempête se levait.

« Elle tendait la main vers la poignée de la porte lorsqu’elle entendit le hurlement. » Elles venaient de découvrir un cadavre dans la cuisine !

Mais nous ne sommes pas chez Agatha Christie, Chris Brookmyre est un virtuose du retournement, du détournement. Pas de justicier brutal, mais une remise en cause de chacune des héroïnes, un jeu diabolique avec le lecteur, ou la reconnaissance d’une amitié venue de l’enfance et de la musique.

Un auteur qui nous tient toujours en haleine jusqu’à la dernière page.

  • Chris Brookmyre réitère et signe avec Une maison sur la falaise un thriller de haute voltige ! Il nous cueille une fois de plus avec ce huis-clos sur une petite île écossaise autour d’un enterrement de vie de jeune fille entre adultes qui prend vite des airs de cauchemar absolu. En plus d’un suspense à couper le souffle, d’une ambiance parfaite et de coups de théâtre inattendus, l’auteur, comme toujours, aborde des thématiques plurielles : les amitiés et leurs trahisons, la musique et les feux du succès, ses revers de fortune, les choix de vie et les vilains petits secrets que chacune aimerait garder cachés à jamais. Encore un sans-faute !
    Anne-Sophie Poinsu
  • Voir la vidéo ici (à partir de 48:05)
    Julie Malaure
    Le Club Le Figaro Culture
  • "Un roman à suspense bien ficelé et réjouissant."
    Béatrice Sarrot
    L'Amateur de cigare
  • "Un polar puissant."
    Yves Quitté
    France dimanche
  • "Chris Brookmyre a plus d’un tour dans son sac pour tenir le lecteur en haleine !"
    Florence Dalmas
    Le Dauphiné Libéré / Vaucluse Matin / Le Bien public / Le Progrès / Le Journal de Saône et Loire
  • "Dangereux cache-cache avec un mystérieux meurtrier et chasse aux fantômes du passé : chapitre après chapitre, chaque personnage confie ses craintes, ses rancœurs et ses crimes. Le machiavélique Chris Brookmyre distille le doute. De révélations en incertitudes, de rebondissements en twists, il construit une intrigue aussi ambiguë qu’oppressante. Huit captives et huit secrets pour un huis clos diabolique."
    Marie Rogatien
    Le Figaro Magazine
  • "Au fil des pages, c’est toute une toile com­plexe qui émerge jusqu’à un final d’une grande force. Avec ce thril­ler psy­cho­lo­gique, Chris Brook­myre offre un grand moment de lec­ture avec une belle étude sur la psy­cho­lo­gie humaine." Lire la chronique ici
    Site Le Littéraire
  • "Un huis clos à dévorer."
    Jérôme Carron
    Point de vue
  • "Grand nom du polar écossais, Chris Brookmyre verse ici dans le thriller psychologique, comme pour L’Ange déchu (2021). La Maison sur la falaise se distingue par le machiavélisme de son intrigue, les inévitables fausses pistes et l’absence (presque) totale de personnages masculins. Culpabilité, remords mais aussi violences conjugales, rêves envolés, habitent ce manoir de luxe devenu sordide l’espace d’un week-end."
    Christophe Laurent
    Corse matin
  • "Un huis clos à dévorer."
    Jérôme Carron
    Point de vue
  • "Grand nom du polar écossais, Chris Brookmyre verse ici dans le thriller psychologique, comme pour L’Ange déchu (2021). La Maison sur la falaise se distingue par le machiavélisme de son intrigue, les inévitables fausses pistes et l’absence (presque) totale de personnages masculins. Culpabilité, remords mais aussi violences conjugales, rêves envolés, habitent ce manoir de luxe devenu sordide l’espace d’un week-end."
    Christophe Laurent
    Corse matin
  • "Un thriller addictif."
    Isabelle Bourgeois
    Avantages
  • "Chris Brookmyre réussit à garder le lecteur en haleine tout en déliant les secrets, les frustrations, les mesquineries ou les vengeances, imbriqués serrés dans une histoire dont la source se trouve sur les bancs du lycée. […] Chris Brookmyre s'intéresse plus à la psychologie de ses héroïnes, qu'à la vraisemblance de certains retournements. II s'amuse visiblement beaucoup à les malmener, à tester leur moralité, leur courage, leur loyauté ou leur lâcheté. Et pour peu que l'on joue le jeu, la surprise finale est au rendez-vous."
    Béatrice Arvet
    La Semaine de Nancy
  • "Terriblement efficace."
    Robert Martin
    Keltia
  • "Le plot twist final est étonnant et rebat les cartes mais chut, pas de divulgâchis !" Lire la chronique ici
    Blog En lisant en écrivant

JEN

Elles étaient sur l’île depuis moins de cinq heures et déjà tout partait en vrille.
Une brise pénétrante soufflait alors que Jen se trouvait devant la maison, ce qui lui rappela que même si le calendrier indiquait fin juin, c’était encore l’hiver sur cette île écossaise perdue à la limite de l’Atlantique.
Elle ne vit aucun signe de Samira. Celle-ci avait dit qu’elle sortait prendre l’air mais, vu son état, il était plus probable qu’elle soit partie vomir. Il s’avérait que sa future belle-sœur était une grande gueule acariâtre qui ne tenait pas l’alcool, mais c’était le cadet de ses soucis.
Jen jeta un coup d’œil en direction de la maison où elle voyait les autres à travers les immenses fenêtres du salon. Aucune ne parlait. Tout ce bazar avait été une idée stupide, et elle avait été idiote de s’être laissé embarquer là-dedans.
Le fait que Zaki, son fiancé, l’ait vivement encouragée dans cette voie n’avait pas aidé. Elle s’était demandé si c’était parce qu’il avait de grands projets pour son enterrement de vie de garçon durant ce week-end. Dans ce cas, ceux-ci ne s’étaient pas concrétisés.
Elle l’imaginait chez eux, en train de s’ouvrir une canette et de s’installer confortablement devant la télé. Elle aurait préféré être là-bas. Tout à coup, elle avait juste envie d’être avec Zaki, et rien que Zaki. C’était bon signe, non ?
Puis elle se rappela où ils en étaient restés.
Elle lui avait pour ainsi dire avoué qu’elle ne lui faisait pas confiance. Ce n’était pas sorti de nulle part ; cette méfiance formait un bruit de fond dans leur relation depuis le début. Mais le fait qu’elle le lui ait dit ouvertement le matin où elle partait pour son week-end d’enterrement de vie de jeune fille était un sacré signal d’alarme.
Il s’était montré secret ces derniers temps, fuyant et évasif. Quelques semaines plus tôt, elle l’avait soupçonné d’avoir fouillé dans le tiroir de sa table de nuit. Il ne manquait rien, mais elle avait eu cette impression que les choses qui s’y trouvaient n’étaient plus tout à fait à leur place. Et puis, la semaine précédente, dans le dossier Mes Documents de l’ordinateur de Zaki, elle avait trouvé un scan de son passeport. Zaki n’avait pas de mot de passe pour son ordinateur, chose qu’il avait présentée comme un signe d’ouverture, mais elle s’était dit que cela lui garantissait également qu’elle croyait avoir accès à tout.
Et, la veille au soir, il avait refermé son ordinateur juste au moment où elle entrait dans la cuisine, tentant de paraître désinvolte mais obtenant seulement l’effet inverse. Elle avait aperçu ce qui était à l’écran. Zaki répondait à un mail provenant d’un compte identifié uniquement sous le nom de grimpox02@vapourmail.com. Jen avait cherché le nom du domaine et découvert que celui-ci était spécialisé dans les adresses électroniques à usage unique. Mais, plus troublant encore, elle s’était connectée ce matin pendant qu’il était sous la douche et n’avait pu retrouver le mail reçu ni la réponse qu’il avait rédigée. Elle avait vérifié la boîte de réception, les archives et les dossiers envoyés. Il n’y avait rien. Il avait effacé toute trace.
C’est pourquoi, lorsqu’il avait émergé de la salle de bains, elle lui avait posé directement la question.
– À qui est-ce que tu écrivais hier soir ? C’est qui, grimpox02 ?
– Tu n’as pas à t’en faire pour ça.
Il avait tenté de pendre un ton dégagé, même s’il savait sans doute que c’était inutile.
– Si ce n’est rien, pourquoi tu l’as effacé ? Oui, j’ai regardé. Tu as aussi vidé la corbeille. Ça fait beaucoup de manipulations pour rien.
Cela avait semblé le mettre en colère, même s’il avait tenté de le cacher en prenant un air blessé.
– Pour l’amour du ciel, Jen, il faut que tu te détendes. Tout le monde ne joue pas un rôle tout le temps.
– Alors pourquoi est-ce que tu ne me le dis pas ?
– Peut-être parce que je préférerais que tu me croies sur parole. Je pourrais te prouver que tu n’as pas à t’en faire pour ça, mais on ne serait pas plus avancés pour autant, si ?
– Je saurais la vérité. Ce serait déjà ça.
Il avait semblé exaspéré.
– Tu saurais la vérité, mais tu ne me ferais toujours pas confiance. C’est ça le problème, pas le fait que j’efface des mails ou qui est grimpox02.
C’est le moment où elle aurait dû dire qu’elle lui faisait confiance, même s’ils savaient tous les deux que ce n’étaient que des paroles en l’air. Mais elle avait compris qu’ils avaient dépassé le stade des faux-semblants, et Zaki avait mis le doigt sur le problème.
Il avait fixé le plafond, comme pour y chercher de la force, et quand il l’avait regardée à nouveau elle avait vu de la frustration dans ses yeux.
– J’aimerais pouvoir dire que je ne peux pas épouser quelqu’un qui ne me fait pas confiance, mais la triste réalité, c’est que je t’épouserai quand même. Mais toi, tu ne devrais pas épouser quelqu’un en qui tu n’as pas confiance. Et tu n’as jamais eu confiance en moi.
Cela lui avait fait mal de l’entendre dire ça, car c’était la vérité, et il était encore plus douloureux d’en envisager les conséquences.
Elle avait fini par dire quelque chose de conciliant.
– On devrait prendre le week-end pour en parler. Je vais annuler le voyage.
– Non, avait répondu Zaki. Tu devrais profiter de ce week-end pour prendre du recul, t’amuser. Ça te permettra peut-être de voir les choses sous un autre angle.
– Je n’ai pas besoin de voir les choses sous un autre angle en ce qui nous concerne. Je trouve qu’on forme un super couple. C’est juste que…
– Pas en ce qui nous concerne, Jen. En ce qui te concerne.
Il avait raison. C’était son problème à elle. Elle ne lui avait jamais fait entièrement confiance, et cela découlait de sa peur insurmontable qu’il soit trop bien pour être vrai.
Tout le monde ne joue pas un rôle tout le temps, lui avait dit Zaki. Mais c’était justement ce qu’aurait dit un homme qui jouait un rôle, et elle s’était déjà fait avoir par un tel homme.
Mais Zaki était différent. Elle devait l’accepter. Il tenait à payer leur lune de miel, ce qui, elle le savait, était sa façon à lui de lui montrer qu’il n’avait pas l’intention de profiter d’elle. Malheureusement, cela signifiait qu’ils ne passeraient que quelques jours sur l’île de Skye au lieu de s’offrir le voyage de luxe qu’elle aurait volontiers financé, mais il était important de lui laisser ce plaisir.
Elle avait envie de lui faire confiance. Là, debout devant la maison de Clachan Geal, elle aurait voulu pouvoir lui dire ce qu’elle ressentait, lui confier ses idées et ses opinions sur tout et tout le monde. N’était-ce pas là le but du mariage, du couple : d’avoir quelqu’un à qui on pouvait tout dire en sachant qu’il le garderait pour lui ?
Mais il s’agissait pour l’instant d’un débat stérile car on était vendredi soir et l’hélicoptère ne devait pas revenir avant le lundi. Avant cela, le seul autre moyen de quitter l’île était le bateau de leur hôte, Lauren. Jen devrait faire contre mauvaise fortune bon cœur. L’alcool et ce déferlement d’agressivité avaient peut-être évacué certaines des tensions sous-jacentes, et tout n’était peut-être pas perdu pour ce week-end.
Quant au mariage auquel il devait servir de prélude, c’était une autre affaire.
Jen prit une autre bouffée d’air frais, l’aspirant comme si celui-ci avait miraculeusement pu la dégriser, puis elle monta les marches du perron. Elle tendait la main vers la poignée de la porte lorsqu’elle entendit le hurlement.

DIX HEURES PLUS TÔT

JEN

– Alors, ce voyage ? Affaires ou loisirs ?
Le chauffeur de taxi paraissait enjoué. Jen prit cela pour un bon présage. Elle n’était pas superstitieuse, mais on tombait parfois sur ce pauvre bougre intarissable dont la conversation tournait entièrement autour des diagnostics de cancer des passagers précédents. Il était venu les chercher une fois, elle et les enfants, alors qu’ils partaient pour Majorque, et il avait plu pendant tout le séjour. Elle était convaincue qu’il leur avait porté la poisse.
– Week-end d’enterrement de vie de jeune fille… incroyable, non ?
Jen ne put retenir un petit rire. Elle avait du mal à y croire elle-même. Comment s’était-elle laissé convaincre d’organiser un truc pareil ? L’idée semblait être passée toute seule d’une vague intention à une réalité imminente.
– Argh. Attachez vos ceintures. Qui est-ce qui se marie ?
Il lui fallut une seconde de plus que nécessaire pour répondre à cette question. Elle allait devoir faire attention si elle ne voulait pas avoir à répondre à des questions plus délicates.
– Moi.
– Ah, super ! Félicitations !
– Merci, répondit-elle, même si elle se disait intérieurement : ne parle pas trop vite, on n’a pas encore franchi la ligne d’arrivée.
– Vous allez où ? Prague ? Barcelone ? Budapest ?
– Clachan Geal. C’est au sud de Barra.
– Ah, d’accord. J’ai du mal à m’imaginer des strip-teaseurs et des boîtes de nuit là-bas.
– Non. On est toutes un peu trop vieilles pour ça. C’est juste une réunion entre copines.
Elle vit le reflet du chauffeur dans le rétroviseur, et leurs yeux se croisèrent brièvement. Il l’inspectait, estimant son âge et bien plus encore, soupçonna-t-elle.
– C’est la première fois, ou vous connaissez déjà ?
Elle savait qu’il ne parlait pas de Clachan Geal.
– La seconde.
– Ouais, pareil pour moi. La première a duré moins de deux ans. Pour la seconde, on approche des trente. On ne connaît rien à rien quand on est jeune.
C’est rien de le dire, pensa-t-elle.
– Depuis combien de temps vous êtes divorcée ? demanda-t-il.
– Je ne le suis pas.
Il sembla mettre un moment à comprendre ce que cela impliquait.
– Oh. Désolé.
– Ne le soyez pas. Je ne l’ai pas été.
Elle le vit réagir par un haussement de sourcils. En fait, sa propre véhémence l’avait elle aussi surprise, de même que sa candeur.
– Vous êtes veuve depuis combien de temps, alors ?
– Théoriquement, trois ans.
– Théoriquement ?
– C’est à ce moment-là qu’il a légalement été déclaré mort. Il avait disparu depuis sept ans. Mais je ne peux pas dire que je l’aie vraiment cherché.
Le chauffeur sourit. Soit il comprenait ce qu’elle ressentait, soit il faisait semblant pour assurer son pourboire.
– Ça veut dire que vous avez touché l’assurance-vie ?
Elle s’esclaffa.
– Il aurait fallu qu’il paie les primes avant de disparaître.
– Ah ouais, il était comme ça ?
Non, se dit-elle. Ça, ce n’était qu’une infime partie de la réalité.
– Vous vous êtes déjà demandé ce qui se passerait s’il revenait ? Ce serait un peu gênant, si c’était au mariage. « Que toute personne ici présente ayant une raison valable de s’opposer à ce mariage parle maintenant ou se taise à jamais. » – « Salut, chuis pas mort ! »
Jen ne put s’empêcher de rire. Il y avait de nombreux soucis qui l’empêchaient de dormir, mais le retour de son mari n’en faisait pas partie. 

JEN

Le prix de la course avait été de quarante livres. Le trajet jusqu’à l’aéroport en coûtait normalement trente-six ou trente-sept. Lorsqu’elle l’interrogea à ce sujet, le chauffeur lui affirma que c’était le tarif standard, et c’est à ce moment-là qu’elle se souvint que le taxi appartenait à une autre compagnie. Jen paya et lui laissa un pourboire, mais il était trop tard. Cette remarque avait laissé un sentiment d’amertume, et c’était sa faute. Encore. Cela valait-il vraiment la peine de gâcher l’ambiance pour trois livres ? Surtout maintenant qu’elle avait tout cet argent à la banque ?
Tout le monde ne joue pas un rôle tout le temps.
Elle s’efforça de chasser sa contrariété alors qu’elle entrait dans le terminal et prenait l’escalator en direction des contrôles de sûreté. Même si elle ne faisait qu’un saut de puce jusqu’aux Hébrides, quelque chose dans cet endroit faisait ressurgir en elle un goût de l’aventure qui remontait à l’enfance.
Alors qu’elle déposait ses affaires de toilette dans un bac, son regard fut attiré par la valise ouverte de la femme qui passait au guichet voisin, dans laquelle se trouvait une boîte rose et bleue reconnaissable entre toutes. L’étiquette disait « Tout en Douceurs » : l’assortiment de quatre pâtisseries produites par l’entreprise de Jen.
« Exquises Douceurs » avait vu le jour sous la forme d’une unique boutique installée dans la grand-rue de Bothwell pour s’étendre quelques années plus tard à deux points de vente supplémentaires à Glasgow et Édimbourg. Les emplacements avaient été choisis de façon stratégique afin de développer la notoriété de la marque, mais le véritable succès commercial était dû aux noms de ses produits. Toutes les variétés de douceurs que vendait Jen portait une étiquette avec un jeu de mots idiot. Douceurs d’Âme, Démarrage en Douceurs, Quelques Grammes de Douceurs dans un Monde de Brutes. Et elle passait rarement à côté d’une référence puisée dans les chansons ou les séries en vogue, comme dans le tube de Nekfeu : « D’où Sors-Tu Tes Douceurs Tuent. »
Une fois la marque établie, Jen s’était concentrée sur le développement de la production, proposant ses produits dans les supermarchés au lieu de se cantonner à sa seule chaîne de salons de thé. C’est à ce moment-là que les gros bonnets étaient venus frapper à sa porte. Elle avait conclu un accord l’année précédente pour vendre son entreprise, même si elle demeurait à la tête de celle-ci.
Elle sentit gonfler quelque chose en elle. Si elle prenait un chauffeur de taxi enjoué pour un heureux présage, alors il s’agissait là d’un signe des cieux. Et Dieu sait qu’elle avait besoin d’être rassurée. Elle réunissait six femmes venues de périodes complètement différentes de sa vie, certaines par amour et nostalgie, d’autres par idéalisme, les dernières par obligation. C’était un diagramme de Venn dans lequel elle était le seul point où les cercles se recoupaient. Beaucoup d’entre elles ne se connaissaient pas, l’une d’elles ne connaissait personne, pas même elle, une autre la détestait très probablement et les deux dernières se détestaient de manière indiscutable. Ce n’était pas comme si quelque chose risquait de mal tourner. Qu’est-ce qui pouvait mal tourner ?
Jen supposait qu’elle serait la première car elle était censée retrouver Samira, sa future belle-sœur, qui devait arriver par un vol en provenance de Londres. Mais alors qu’elle émergeait du labyrinthe du duty-free pour pénétrer dans les salles d’embarquement, elle aperçut Helena devant elle. Celle-ci traînait devant la boutique Jo Malone comme si elle craignait de ne pouvoir se réfréner si elle en franchissait le seuil.
Jen lui avait proposé de passer la prendre en taxi, mais Helena avait tenu à y aller de son côté. Elle n’avait pas insisté. Helena se montrait méfiante ces derniers temps, ce qui ne lui ressemblait pas. Elle était en général tellement candide qu’il lui arrivait d’en dire trop, comme c’est le cas lorsque des années de maternité ont totalement anéanti votre sens de la vie privée, de la dignité et de la discrétion.
Elles étaient toutes les deux devenues mères à peu près en même temps, et à présent elles étaient toutes les deux confrontées au syndrome du nid vide. La différence c’était que, contrairement à elle qui y avait vu l’occasion d’un nouveau départ, Helena semblait focalisée sur ce qui touchait à sa fin. Même si, pour être honnête, le fait que son mari l’ait quittée n’avait pas aidé les choses.
Helena semblait perdue dans ses pensées, et elle ne la vit pas arriver. Jen mit ses mains en porte-voix autour de sa bouche.
– Ding-dong. Passagère Eckhart, l’embarquement pour le prochain vol à destination de FIESTA ISLAND va commencer porte numéro…
Helena fit un pas vers elle et la serra dans ses bras.
– C’est toi, Dunne ? demanda-t-elle.
– Non, moi c’est Pâté de sable.
C’était une blague entre elles qui remontait à leurs années d’école, au jour où elles s’étaient rencontrées en sixième. Elles s’étaient retrouvées assises côte à côte au moment des inscriptions car leurs noms de famille se suivaient dans l’ordre alphabétique : Michelle Cassidy, Jennifer Dunne, Helena Eckhart. Mais en dépit du fait qu’elles se connaissaient depuis tout ce temps, Jen et Helena ne s’étaient jamais considérées comme étant des meilleures amies. C’était en grande partie parce qu’Helena connaissait Michelle depuis la grande section de maternelle, de sorte que lorsque Jen les avait rencontrées, elles formaient déjà un tout. Il était impossible d’être aussi proche d’Hel et Shell qu’elles ne l’étaient l’une de l’autre, même lorsqu’elles étaient brouillées pendant quelques jours. Ni même lorsqu’elles étaient brouillées depuis dix-sept ans.
– Alors, comment va la splendide future mariée ? Tu comptes les jours qui te restent avant de devenir Mme Hussain ?
Jen mit un peu trop longtemps à répondre, et Helena le remarqua.
– Quoi ? demanda-t-elle. Il y a quelque chose qui ne va pas ?
– Oh, rien. Juste un peu nerveuse. J’ai peur que ce soit trop beau pour être vrai.
– Ça, c’est bon signe, lui assura Helena. C’est mieux que te demander si tu n’aurais pas pu trouver mieux.
Jen ne savait pas trop si Helena faisait allusion à ce qu’elle pensait de son mari maintenant qu’ils étaient séparés, ou à ce que Neil avait peut-être pensée d’elle avant.
– Tu es prête pour ce week-end ? demanda Jen, désireuse de s’éloigner du sujet des ex et (éventuels) futurs maris.
– J’ai hâte.
Helena semblait sincère ; ou du moins faire un véritable effort pour donner le change. Il est plus facile de voir si quelqu’un fait semblant quand on le connaît depuis toujours. Ou alors, c’est qu’il ne ressent pas tant que ça le besoin de cacher la vérité.
Elles se regardèrent dans les yeux un instant, le temps de reconnaître qu’il était raisonnable de ne pas être prêtes pour ce week-end.
– Faut se marrer, bon sang, dit Jen.
– Faut se marrer, bon sang, répondit Helena. À quelle heure doit atterrir l’avion de Salena ?
– Samira. Dans une demi-heure environ.
– Et à quelle heure arrivent Nicolette et…
À ce moment-là, le téléphone de Jen sonna. Elle sourit et brandit l’appareil, montrant un message de Kennedy, leur prof de tennis. Ici le sergent Timing de la brigade Fiesta. Les recrues doivent se présenter à la table 13 du Caledonia Bar.
– Elle a pu venir, alors, dit Helena.
Jen ressentit une vague de soulagement. Elles avaient reçu un message WhatsApp de Kennedy la veille avec un selfie posté depuis les urgences. Elle s’était tordu la cheville pendant un match. Elle leur avait promis qu’elle serait quand même du voyage, mais Jen n’avait pu s’empêcher de s’inquiéter. Elle savait que Kennedy était le ciment nécessaire à la cohésion du groupe.
Jen et Helena traversèrent d’un pas vif la salle d’embarquement jusqu’à l’endroit où elles virent Kennedy et Nicolette leur faire signe. Le pied gauche de Kennedy était coincé dans une botte orthopédique, un truc en plastique encombrant qui ressemblait à une chaussure de ski. Elles étaient assises à une table sur laquelle étaient posés une bouteille de Prosecco et cinq verres. Elles s’étaient souvenues que Samira devait également les rejoindre, ce qui était attentionné, mais la vue des cinq verres lui rappela une autre réflexion préoccupante que Zaki lui avait faite la veille au soir.
– Ne laisse pas trop boire Samira. Déjà en temps normal ça ne lui réussit pas, et ce sera la première fois qu’elle pourra se lâcher depuis une éternité.
Elles échangèrent des bonjours excités : quatre personnes qui jouaient au tennis ensemble deux fois par semaine et qui faisaient comme si elles ne s’étaient pas vues depuis des mois. On aurait dit que tout le monde se glissait dans la peau de son personnage, mais il y avait quelque chose d’amusant dans cette complicité mutuelle.
– Comment va cette cheville ? demanda Jen.
– Elle n’est pas cassée. Ça, c’est juste pour que ça ne s’aggrave pas. J’ai le droit de l’enlever, genre si on me le demande dans l’avion, mais je ne suis pas censée prendre appui dessus sans mon attelle.
Il n’y eut pas d’embrassades, ce qui soulagea vaguement Jen. Si votre relation n’a pas atteint ce stade alors que vous vous connaissez depuis plus d’une dizaine d’années, comme c’était le cas avec Nicolette, cela aurait paru bizarre de commencer du jour au lendemain. Quant à Kennedy, eh bien, elle ne serrait jamais personne dans ses bras. Même lorsqu’elles étaient de sortie, elle se montrait pétillante mais pas tactile. La seule fois où Jen l’avait vue avoir un contact physique direct avec quelqu’un, c’était lorsqu’elle corrigeait sa position pour lui apprendre à servir. Cela se remarquait peut-être d’autant plus que Kennedy était beaucoup plus jeune que les autres, vingt-cinq, trente ans tout au plus, et Jen avait l’impression que cette génération recourait plus volontiers aux marques d’affection physiques.
La jeune femme portait un bas de survêtement et un t-shirt ordinaire, mais elle parvenait malgré tout à avoir l’air habillée. Certaines personnes ont ce don, une grâce naturelle qui leur donne de la classe quoi qu’elles portent. Michelle l’avait toujours eu.
Nicolette était super glamour, bien sûr, mais contrairement à Kennedy son apparence indiquait que beaucoup de préparation et d’efforts avaient été nécessaires pour arriver à ce résultat. Paul, son mari, lui avait dit qu’une fois Nicolette avait annulé un match parce qu’elle n’avait plus de fond de teint.

Chris Brookmyre est un écrivain écossais né à Glasgow en 1968. Ses romans sont un mélange de comédie, de politique, de critique sociale et d'action, le tout soutenu par une puissante force narrative. Il est l'un des auteurs du mouvement littéraire Tartan Noir. Depuis 2008, il est président de la Humanist Society of Scotland.

Bibliographie