Publication : 21/01/2005
Pages : 336
Poche
ISBN : 2-86424-526-4

Nomad's Land

Gilles CARD

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11 €

Mac Gregor revient de Moscou, où il est allé faire un audit sur des installations industrielles "hors nucléaire" pour le compte de L'Entreprise, une officine des services spéciaux. James Bond sans vocation, il est pris dans des aventures qui le dépassent largement, au cours desquelles son hélicoptère sera abattu sur la rive du lac Jarnisjarvi.

Gravement blessé, il est soigné par un chaman qui l'initie aux plantes sub-polaires et Mac Gregor découvre brutalement le plaisir d'être un renne... Sur ces lisières du réel, il rencontre un charmant petit renard et ne revient à la réalité que pour échapper à de mystérieux poursuivants en compagnie d'une jeune fille rousse. De poursuites en guets-apens auxquels il ne survit que grâce à son humour et aux mystérieuses relations de sa compagne, il traverse une ancienne Union soviétique en plein chaos tout en rêvant d'un retour annoncé par son totem qui se réveille et intervient toujours à l'improviste.

Un extraordinaire roman de suspens et d'aventures sur les traces d'un héros désabusé et ironique qui nous parle de ce que nous avons fait de notre planète.

  • "Avec ce roman d'espionnage déjanté, sanglant et plein d'humour, Gilles Card jongle avec tous les clichés du genre pour entraîner son héros, sorte de James Bond agent à EDF dans l'enfer crépitant d'un polar de Robert Ludlum (version punk) ou au cœur d'un jeu vidéo à la Doom. Un pur moment de plaisir !"
    Philippe Blanchet
    ZURBAN
  • « Hallucinante, c'est le mot juste, l'équipée [...] dans le froid noir et blanc du cadavre de l'Union soviétique ? un cadavre tout secoué encore de terribles soubresauts. Pas seulement le froid et la tempête qui balaient l'itinéraire de Mac Gregor et sa compagne d'aventure, mais la guerre au jour le jour et les troupes d'assassins fous, amis ou ennemis, quelle différence ? [...] écrit avec une désinvolture grave dont le moindre des effets est que, foutre dieu, à chaque phrase on y est plongé jusqu'aux engelures. En retenant son souffle. »
    Pierre Pelot
    LE REPUBLICAIN LORRAIN

JUSTE AVANT

Dans certains lieux, à certaines époques, le jour ne se lève pas. L'aube monte comme un soufflé avant de retomber inexorablement: l'Univers est une cuisinière a court de gaz. Le point d'orgue a lieu le 21 décembre; vingt-trois heures trente de nuit, une demi-heure de jour avorté. Les hommes et les bêtes passent comme des ombres, rien ni personne n'est plus vraiment vivant. Et l'on en arrive même à se poser la question de sa propre existence.

Ce jour est pour demain.


AÉROPORT

1

Comment en suis-je arrivé à penser aux premières fois? À ruminer dans mon coin alors que la tourmente m'incitait à préparer la dernière seconde?

< Une marche sur un escalier.>

Hein? Bon, laisse-moi continuer...

À l'évidence, les premières fois conditionnent quelque chose: elles sont nos stages de survie à l'échec. Et en avant pour le grand frisson. De toute manière, la vie a tendance à se comporter comme un buvard: je tamponne et j'avale. Ensuite, il ne reste plus que des ombres, lesquelles finissent par ne plus prendre de place. Avec elles, on s'arrange...

C'était la première fois que je montais dans un hélicoptère. Dix minutes après le décollage, j'avais décidé que ce serait la dernière. Je savais qu'un baptême de l'air dans un appareil frappé de symboles douteux, en bout de piste, sous une tempête de neige de fin des temps, me laisserait des traces sur le fuselage. Je le savais, mais à ce moment-là, j'étais dans un état à la fois hébété et curieux - sans doute la conséquence de la nuit précédente.

Je venais juste de m'asseoir sur le banc métallique de la carlingue quand le copilote - uniforme noir aux armes de la société - m'a sanglé contre la paroi. Il m'a résumé le programme, mais je n ai rien compris parce que le bruit du rotor couvrait sa voix; et aussi parce que je ne parlais pas très bien sa langue. Cela fait, il a disparu dans le cockpit pour s'asseoir sur le siège vacant, s'est harnaché avant de manipuler quelques boutons. Un écran orange s'est allumé sur le pare-brise, avec des tas de chiffres et de lignes entrecroisées. Tout cela clignotait en faisant des bips. Etonnant.

Deux autres types étaient assis en face de moi. Casque, fusil et, pour compléter la panoplie, un automatique conçu pour la chasse au buffle pendouillait à leur ceinture.

Juste avant le décollage, un cinquième soldat est monte, casque ballottant sur la cuisse, un bon millimètre de cheveux blonds sur le crâne. Ça n'aidait pas à le rendre agréable. Il s'est assis à côté de moi en me claquant la cuisse. Comme si nous repartions au baroud après une bonne permission. Enfin il m'a fait un signe du pouce, ce qui signifiait sans doute que tout allait pour le mieux. Là, j'ai eu envie de descendre.

Mais il était trop tard: le sifflement de la turbine a plongé dans l'aigu, les tôles et la charpente de l'appareil se sont mises à vibrer. Mes genoux et mes dents aussi.

Alors l'hélicoptère a fait un saut instantané d'une dizaine de mètres vers le haut. Par la porte restée ouverte, j'ai vu le sol couvert de neige du tarmac qui s'effondrait. Puis l'appareil a pris une gîte accélérée vers l'avant, le sol s'est plié vers la gauche, la vibration du rotor s'est amplifiée et nous avons filé tout en continuant à monter. Les pales hachaient la tempête en débitant des bourrasques chargées de flocons de neige qui fusaient au milieu des rayons de lumière orange de l'aéroport.

C'est donc là, dix minutes après avoir posé le pied dans la carlingue, que j'ai résolu de ne plus jamais réitérer l'expérience.

Si j'en réchappais, naturellement.

Je me suis cramponné en serrant tout ce que je pouvais serrer. En l'occurrence, des suspentes en acier le long desquelles mes gants glissaient comme s'ils étaient enduits de graisse. La sensation de montée a duré quelques minutes, comme dans un ascenseur que quelque géant sadique et gavé d'hydromel aurait hissé par les câbles. J'ai fermé les yeux au moment où mon estomac s'effondrait du côté de ma vessie. Au bruit qui s'atténuait, j'ai compris que quelqu'un venait de fermer la porte de la carlingue.

Une main m'a tapé sur l'épaule. Grand Costaud, cramponné au câble de la suspente, souriait comme si de rien n'était. Il m'a tendu un paquet de Marlboro. J'ai saisi une cigarette alors que j'avais envie de dégueuler tripes et boyaux. Il a allumé la sienne d'une seule main, à l'aide d'un briquet à plasma. Puis il me l'a tendu.

En face, les deux autres ont ajusté des écouteurs et un micro fixé au col de leur treillis avant de se livrer à une courte conversation. L'impression qu'ils ne faisaient pas partie de la bande s'est confirmée. Ils paraissaient moins costauds, d'une complexion plus mate: d'un autre monde. L'un d'eux a sorti une boîte de sa poche de poitrine, en a tiré une cigarette plutôt mal roulée que l'autre a allumée avec le même briquet à plasma. L'outil devait faire partie de la dotation standard.

J'ai pompé ma Marlboro en haussant les épaules. Pourquoi pas, après tout? Ils venaient sans doute d'un pays où la coutume avait la vie dure. L'autre, celui qui était à côté de moi, m'a expliqué le topo, mais j'avais largué les amarres, rien qu'avec la cigarette...

Au bout du temps réglementaire, les deux avaient leur compte et déconnaient à pleins tubes en se racontant leurs histoires de troufions déjantés. Et à en rallumer une autre, des fois qu'elle les aurait envoyés plus haut, plus loin, dans un pays où un soleil en fusion fait des clins d'yeux à tout ce qui bouge. C'était quelque chose que je pouvais comprendre.

Je me suis penché pour jeter un coup d'œil dans le poste de pilotage. Les écrans clignotaient: du bleu, du rouge, du vert, super joli, tout ça. Ce type d'hélico datant des années 60, il était plus que probable qu'il avait suivi une cure de modernisation: écrans tactiles, diodes électroluminescentes, manche ergonomique fixé sur la platine de pilotage automatique. Un lifting sérieux et hors de prix. J'en ai conclu que la société faisait son beurre: certains commerces rapportent beaucoup plus qu'ils ne coûtent. CQFD.

Le gros balèze debout à côté de moi a consulté sa montre, à la suite de quoi il a lui aussi ajusté son micro et ses écouteurs. J'ai coulé un regard vers les deux types en plein délire, mais le message ne devait pas leur être adressé: ils ont continué à battre la campagne dans leur coin en pouffant de rire.

D'après le programme, nous avions à peu près cinq cents kilomètres devant nous. Puis, après ravitaillement, à nouveau cinq cents kilomètres. Et au milieu, un entracte d'une demi-heure. J'ai soupesé l'éventualité de descendre à la prochaine et continuer à pied. Et tant pis pour mes rendez-vous... Je me suis aussi demandé à quoi occuper mon temps pour oublier que j'avais bêtement accepté ce transfert. Encore une de mes plus mauvaises idées... J'en avais tellement eu de la même veine.., rien qu'à faire le compte, on aurait pu rallier le pôle Nord sans épuiser le sujet. Les hoquets de la turbine me rappelaient que le vin était tiré.

Au bout d'une heure de secousses, j'ai vu un éclair blanc à la périphérie de mon regard, dans le cockpit. L'hélico a fait une embardée - qu'on ne me demande pas dans quel sens. L'univers entier a changé d'axe, si bien qu'une de mes épaules s'est dégagée du harnais et que j'ai embrassé la cloison de la carlingue, en direction de la queue. Là-bas, toute une théorie de caisses en plastique jaune arrimées au sol attendait ma venue. Puis mon corps est reparti de l'autre côté, vers Grand Costaud, qui s'était levé. Accroché à la suspente, il avait sorti son automatique. Comme dans un jeu de massacre sur le Grand Huit, il a plombé les deux junkies: le programme avait l'air de subir un léger changement.

Dix secondes plus tard, l'hélicoptère avait plus ou moins repris son assiette. Grand Costaud s'est dirigé vers le cockpit. J'en ai profité pour dégager mon autre épaule et me lever; je me suis une nouvelle fois ramassé, avant de gicler contre les deux gars - aussi morts que possible -' qui avaient glissé vers la queue, contre les caisses en plastique.

Je me suis cramponné à la cuisse du premier que j'ai pu accrocher. Son automatique me faisait signe, à trente centimètres du nez; j'ai tendu la main, puis l'ayant sorti du holster, je me suis couché par-dessus. Vu d'ici, c'était le voyage le plus inconfortable que j'aie jamais fait dans un truc détaché du sol.

Grand Costaud a sorti un des pilotes du cockpit. Il l'a laissé tomber en vrac et, tout en se cramponnant aux sus-pentes d'une main, il a appuyé sur un bouton. La porte s'est ouverte, le vent est entré et je n'ai pas compris comment ce gars faisait pour rester debout - il avait dû s'entraîner avant d'embarquer. Du pied, il a dégagé le pilote. L'hélico a fait une embardée et les deux clowns ont glissé vers l'avant. J'ai lâché une des caisses avant de déraper sur le sol riveté. Et des rivets, il y en avait.

De ma main libre, j'ai accroché le pied du banc sur lequel j'etais assis trente secondes plus tôt. Je me suis relevé avant d'empoigner une sangle et me suis assis en camouflant l'automatique dans la poche droite de mon manteau.

Lorsque nous sommes restés entre survivants, Grand Costaud s'est dirigé vers moi. Il m'a fait un grand discours avec le sourire et en tendant la main. J'ai raffermi mes prises - l'une sur la sangle, l'autre sur l'automatique dont j'ai fait sauter la sécurité. Puis il s'est approché: à bord de ce vol, les places étaient comptées.

Misant sur la différence de taille, il a rangé son arme avant de me fouiller. J'ai écarté le pan de mon manteau pour lui faciliter la tâche, des fois qu'il se mette en tête de visiter la poche garnie. Avec mon passeport, il a trouvé une disquette. Apparemment satisfait de sa trouvaille, il s'est relevé, l'a rangée dans sa poche de poitrine, tandis qu'il me rendait mon passeport. J'ai douté un instant que le contenu de la disquette fasse son affaire… Puis il a ressorti son automatique.

Je n'ai pas attendu: à travers ma poche j'ai tiré, plusieurs fois. Il a basculé sur moi, puis l'appareil a fait une nouvelle embardée et nous nous sommes retrouvés emmêlés sur le sol, moi en dessous, évidemment: jusqu'au bout, ce voyage serait merdique.

J'ai réussi à dégager ma main, celle qui tenait l'automatique, et j'ai continué à tirer au hasard. Mais il m'a balancé un méchant coup de pied sur le côté de la cafetière et c'est dans un rêve teinté de rouge que j'ai senti l'hélico plonger. Mes jambes ont glissé vers la porte, je me suis accroché d'une main au montant, mais Grand Costaud s'est acharné sur mes doigts. C'est dans un cauchemar glacé que j'ai vu la porte s'éloigner, que j'ai continué à tirer dans l'encadrement illuminé, qu'il m'a semblé apercevoir une silhouette s'effondrer et l'hélico gîter à mort. Peu après - très peu, en fait -, mon corps a percuté une surface tellement dure qu'il aurait pu s'agir de glace. Puis je suis entré dans l'eau.

C'était tellement froid que je me suis senti rétrécir. Je suis remonté en suffoquant, mais je savais qu'à cette température, on ne peut espérer survivre plus d'une minute. Je n'ai même pas attendu autant. Le bruit de l'air coupé en tranches par les pales de l'hélicoptère s'est estompé comme au ralenti, au dessus et au loin. J'ai cru entendre un autre bruit de chute, mais aussi des cloches et, par-dessus tout ça, un moteur qui jouait les Vêpres de Rachmaninov.

Mais il faisait froid, beaucoup trop; un froid insupportable.

Alors, pourquoi le supporter?

Gilles Card est né en 1954 à Albertville. Après avoir enseigné le français, les sciences naturelles et la technologie, il travaille dans l’industrie thermique. Il a créé une revue amateur de romans policiers, Marée noire.

Bibliographie