Une journée dans la vie de la ville de São Paulo: des gens perdus dans l’anonymat de la mégalopole, des couples qui se défont, des enfants mordus par des rats dans des taudis immondes, des enlèvements, des meurtres, des camelots, des vagabonds, des chômeurs, des prêcheurs sur les places, des voleurs, des chauffeurs de taxi qui racontent leur vie à leurs passagers, tous plongés dans la nostalgie d’une vie d’avant meilleure mais abandonnée au nom de l’argent et de la survie. Les protagonistes se croisent sans se rencontrer et l’auteur, placé dans la perspective du personnage et non du spectateur, donne un aspect très singulier à cette fresque d’un immense troupeau perdu dans l’anonymat d’une vie frénétique, dont personne ne connaît plus rien.
Les tableaux se multiplient, l’écriture déploie un kaléidoscope du rythme de la cité et le langage fragmenté reflète cette course à l’intérieur de la plus grande ville d’Amérique latine.
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"Poète et nouvelliste, Luiz Ruffato maîtrise la forme brève et use de variations typographiques qui ne sont pas sans rappeler les audaces mallarméennes, sans toutefois se piéger dans une répétition de la fin du dix-neuvième siècle ou dans une avant-garde fumeuse.[...] Le regard de l'auteur détaille son temps, la ville, en cherche les traits saillants et parfois drolatiques (comme l'invocation au Saint-Expedit, patron des causes urgentes) et jamais ne fige le texte dans la raideur démonstrative de fictions expérimentales ; c'est à ce titre, et à bien d'autres, que Tant et tant de chevaux a été salué à sa sortie au Brésil. Il faut donc laisser flotter en soi les voix éparses de ce livre, tout comme le psaume 82 , en ouverture de ces pérégrinations paulistes : " Jusqu'à quand jugerez-vous injustement en soutenant la cause des impies ? "Clémence BoulouqueLE FIGARO LITTERAIRE
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« Sans doute un de nos plus grands chocs de lecture [...], une bousculade de microrécits, de monologues brûlants, d'éclats de vie et de souffrance. [...] A travers une multitude de voix, c'est un extraordinaire portrait de Sao Paulo, la mégalopole brésilienne, qui se compose peu à peu. [...] Frénétique, dévorant, le roman présente ainsi la modernité comme un enfer cacophonique. Éblouissant premier roman. »Michel AbescatTELERAMA
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« La puissante écriture de Luiz Ruffato, récompensée par le prix Machado de Assis au Brésil, mériterait bien cette réédition en poche. »Alice LemaireTEMOIGNAGE CHRETIEN
1. EN-TÊTE
São Paulo, 9 mai 2000.
Mardi.
2. LE TEMPS
Aujourd’hui, ciel couvert à partiellement couvert.
Température: minima 140, maxima 230.
Qualité de l’air: de médiocre à satisfaisante.
Lever du soleil à 6h42, coucher à 17h27.
Nouvelle lune.
3. HAGIOGRAPHIE
Sainte Catherine de Bologne, née à Ferrare, Italie, en 1413, a été abbesse d’un monastère à Bologne. À la Noël 1456, elle a reçu l’Enfant Jésus des mains de Notre-Dame. Elle a voué sa vie à secourir les indigents et son seul souci était d’accomplir la volonté de Dieu. Morte en 1463.
4. EN CHEMIN
La Neon file à toute allure sur l’asphalte accidenté, sans tenir compte des bosses, dos d’âne, cassis, nids-de-poule, aspérités, dénivellations, graviers, trouée noire dans la nuit noire, emprisonnée, la musique hypnotique, toum-toum toum-toum, sensuelles les mains glissent sur le cuir du volant, toum-toum toum-toum, le corps, la voiture, avancent, écartent les lumières qui brillent à gauche à droite, une bague achetée sur la Portobello Road, un satellite au majeur droit, toum-toum roum-toum, le bolide vrombit en direction de l’aéroport de Cumbica, croise des phares d’autobus qui convergent de toutes parts, plus person pour l’emmerder
un mètre soixante-douze
centimètres c’est écrit sur son Certificat de service militaire, pantalon et chemise Giorgîo Armani, parfum Polo vaporisé sur le cou, chaussures italiennes, rasé de près, cheveux coupés à la tondeuse, Rolex en or de contrebande,
plus person pour l’emmerder
elle doit être en train d’arriver, une de ces étoiles qui survolent la route, la femme, le patron
rendez-vous à ne pas rater à Brasília j’ai expliqué à
oui, bien sûr, il le traite comme
le fils qu’il aurait aimé avoir eu
oui, bien sûr, le fils un crétin le cocaïnomane promène son arrogance dans les bureaux de l’agence, oui, bien sûr, le fils un crétin le cocaïnomane exhibe ses pectoraux stéroidés aux tables de boîtes et de petits bars – déjà brûlé -, à la gueule des videurs et sous le nez des filles « programme » – déjà brûlé -, aux machines à écrire de commissariats – également déjà
oui mais c’est mon fils
et il achète la police,
le commissaire,
le patron de la boîte,
les filles « programme »
les videurs.
oui mais c’est mon fils
oui, bien sûr, sa fille habite à Embu, macrobiotique, artiste plasticienne ésotérique, toujours les mêmes tableaux
qui n’a pas d’yeux pour voir
traits rouges, hystériques, spasmodiques, épais, fins, fond blanc
il n’a pas d’yeux pour voir
une fois il l’a baisée horrible dans l’atelier entre pinceaux et pots de peinture sur une table où était posée à plat une immense toile blanche
ça c’est de l’art
elle empeste l’encens
le shit c’est naturel
nue sous sa tunique indienne, des traces de foutre sur la surface blanche
ça c’est de l’art
plus person pour l’emmerder
elle a fait la gueule dans un coin tu regrettes? Ce n’est qu’un petit employé
oui, mais mon père m’adore
un professionnel compétent
parce que je gagne de l’argent pour lui à la Bourse
un appartement énorme à moema tout un étage trois suites
j’ai engagé un pédé l’argent c’est pas un problème il a monté un cirque les meufi sont épatées alors je dis la décoration c’est cette grande folle elles ont un orgasme
oui, compétent:
il y a six ans il traînait sa pâle maigreur par les rares ombres des rues tristes de muriaé une ville triste
il y a cinq ans avec les premières neiges de fairfield ohio il s’habillait grâce à une bourse de l’american fields décrochée dans un concours organisé par le rotary club de muriaé une ville triste
il y a quatre ans il rongeait ses incertitudes à la citibank
ses certitudes à la citibank
depuis deux ans il gagne de l’argent pour
mon vieux ne va pas me laisser une miette
depuis un an il est responsable de la caisse noire
tout va revenir à ses
elle débarque london-gatwick une bague achetée sur la portobello road dans la paume de la main
c’est pour toi
londres comment c’était?
toum-toum toum-toum toum-toum toum-toum.