Publication : 07/10/2021
Pages : 112
Grand Format
ISBN : 979-10-226-1159-6
Couverture HD
Numerique
EAN : 9791022611657

Haine

José Manuel FAJARDO

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15 €
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9,99 €
Titre original : Odio
Langue originale : Espagnol
Traduit par : Claude Bleton

La haine que nous voyons se déchaîner sur les réseaux sociaux n’a rien de neuf, elle utilise juste de nouveaux canaux techniques. Ce court roman nous amène à distinguer ses invariants à travers la puissance de la littérature.

Au XIXe siècle, dans les rues de Londres plongées dans le brouillard et la misère, se promène un fabricant de cannes aigri, ne trouvant aucune reconnaissance sociale, qui va s’enfoncer de plus en plus dans les bas-fonds de la ville.

Au début du XXIe siècle, dans la banlieue parisienne, nous assistons à la transformation d’un jeune homme frustré et incapable d’affronter les autres autrement que par la colère et la violence.

La mise en miroir de ces personnages révèle l’image des démons de la haine de l’autre à travers deux époques, les tire de l’anonymat, et montre les traces de leurs chemins cachés et mortifères parmi nous. L’auteur se livre à un exorcisme littéraire de notre époque.

Un texte fort, pertinent et original.

  • « Des monstres d’hier aux jeunes paumés d’aujourd’hui, son roman habile trace des parentèles inattendues, des filiations nourries aux mêmes invisibles colères. À sonder sans relâche les parts les plus obscures de la nature humaine, l’écrivain espagnol constate que les démons sont toujours à nos portes. Après une longue absence c’est un plaisir de retrouver la pertinence de son regard. »
    Frédérique Bréhaut
    Le Maine Libre/Le Courrier de l’Ouest/Presse Océan
  • « Avec cette fable qui téléscope Stevenson et le Bataclan, José Manuel Fajardo met à nu les racines du Mal. Un jeu littéraire aussi brillant que sombre. »  
    Damien Aubel
    Transfuge
  • « El invitado de RFI » Voir l'interview ICI
    Jordi Batallé
    RFI
  • « José Manuel Fajardo tire des portraits psychologiques au cordeau et rend bien l’ambiance des sociétés dans lesquelles évoluent ses protagonistes. »  
    Marie-Anne Georges
    La Libre Belgique
  • "Une lecture dérangeante mais passionnante !!" Lire la chronique ici
    Blog Baz'Art
  • "Quelques lignes suffisent à José Manuel Fajardo pour planter le décor de son court roman sur l’un des sentiments humains les plus teigneux : la haine ordinaire. […] Une manière saisissante et habile d’étudier tous les ressorts de la haine, de ses origines dans la déchéance, le déclassement, l’humiliation ou l’invisibilité, à ses expressions dans la vengeance, le mépris, la colère. Et la mort."
    Marie Godfrin-Giudicelli
    Zibeline
  • "La Haine, figure mystérieuse et tentaculaire, s’invente un passé et une histoire dans ce court texte qui convoque certaines grandes figures de la littérature, du Docteur Henry Jekyll à Jack l’Eventreur, débusquant leur personnage de l’ombre, révélant leur secret pour dévoiler les mécanismes de la violence et de la haine."
    Alexandra Villon
    Page des libraires -Librairie La Madeleine
  • "Avec ce roman d’une intensité volcanique, José Manuel Fajardo révèle sans fards jusqu’où l’être humain, animé par ses plus bas instincts, est capable d’aller. Une mise en garde contre l’exaltation des sentiments au-delà de toute rationalité qui est devenue monnaie courante de nos jours." Lire l'article ici
    Elena Paz
    Que tal Paris ?
  • "Un texte qui se lit tout seul, habile, interpellant, effarant : la haine est-elle donc partout, depuis toujours, pour toujours ?" Lire la chronique ici
    Blog Voyages au fil des pages

À la tombée de la nuit, la ville plongeait dans un épais brouillard qui semblait plutôt monter du fleuve que tomber du ciel, une purulence de ses eaux pestilentielles, un brouillard qui rampait dans les ruelles et virait au jaunâtre, comme s’il prélevait au passage la crasse des quais et des quartiers portuaires, malgré les derniers rayons du soleil qui lui arrachaient encore quelques éclats de cuivre trompeurs. À l’aube, sa densité était oppressante et avec l’arrivée du matin il se transformait paresseusement en brume légère qui ne s’évaporait que lorsque la journée était bien avancée. Londres devenait alors une ville concrète, réelle, si réelle qu’elle en devenait insupportable. Pour cette raison sans doute, les habitants des quartiers les plus pauvres finissaient par apprécier la brume qui enveloppait leurs nuits. Elle était la mère sévère qui les emmitouflait et occultait les misères de leur vie, une ardoise sur laquelle ils pouvaient dessiner leurs rêves en attendant que le soleil soulève le voile au matin et que la ville, populeuse, fébrile, aussi bouillonnante qu’une marmite que les eaux de la Tamise ne pouvaient refroidir, montre son visage féroce. Une ville auréolée d’un halo de corruption, qui flottait avec une densité particulière sur les bâtiments noirs de crasse de Soho, une deuxième brume invisible au regard, mais perceptible aux émois de la peau, qui se hérissait au spectacle de ses rues.

Même l’architecture de ce quartier avait un côté monstrueux. Les immeubles s’entassaient, enkystés comme des tumeurs, grotesques, pleins de recoins qui semblaient défier toute logique. Des auvents inutiles, des portes condamnées, des fenêtres éternellement fermées derrière lesquelles on ne voyait jamais briller le souffle d’une lumière, des cours stériles qui n’avaient aucun accès, des toitures où proliféraient les cheminées, telle une armée de spectres sur laquelle flottait le noir nuage des âmes de ses guerriers morts. Les négoces fleurissaient au pied de ces murs, comme autant d’excroissances. Derrière leurs vitrines à l’abandon, les articles empilés, jetés plus qu’exposés, ressemblaient à une prolifération d’insectes. On était près de croire qu’ils allaient soudain se déplacer tout seuls. Le quartier tout entier transpirait la misère, mais on entendait presque, à l’image d’un essaim d’abeilles, la rumeur de l’argent passant d’une poche à l’autre, un murmure de pennies partout, les petites sommes de la pauvreté, infimes chez chaque individu, ridicules si on les voyait schilling par schilling, mais juteuses si on prenait en compte l’ensemble de la ruche. Tel était le secret le mieux gardé de Soho: un flot d’argent qui coulait dans ses rues par petites quantités, dilapidé par ceux qui devaient vendre leurs maigres possessions pour survivre, immolé dans le brasier concupiscent de ceux qui venaient chercher des plaisirs interdits, noyé dans des alcools d’origine suspecte, transformé en modestes nourritures payées bien au-dessus de leur valeur réelle, subtilisé dans la poche des étourdis, joué dans des tripots clandestins, investi dans les salaires des fonctionnaires chargés d’assurer l’approvisionnement électrique, la distribution du courrier ou l’ordre public. De l’argent partout et à peine des miettes dans chaque poche. La loi fabuleuse des foules.

Au cœur de Soho, à deux rues de la place qui donnait son nom au quartier, se trouvait la boutique de cannes, gants et maroquinerie tenue par Jack Wildwood. Dire que ce monsieur détestait ses semblables serait une façon miséricordieuse de le décrire. En réalité, Mr.Wildwood éprouvait une haine féroce pour la meute, ainsi la nommait-il, qui peuplait les rues de Soho. Bien sûr, si on l’avait interrogé sur ses concitoyens, il aurait nié de bonne foi que tel était son sentiment. Au pire, il aurait admis une contrariété, voire de l’indignation, devant ces vies, mais sans plus. Sa haine était devenue aussi naturelle que sa respiration, un sentiment dépourvu de toute connotation morale, une seconde peau dont il n’avait même pas conscience. Il haïssait, jour après jour et sans mélange, et il déplorait avec la même constance la brutalité et le ressentiment ambiants, selon lui les principaux attributs de la plupart de ses concitoyens. Une opinion qui se renforçait chaque soir, à la lecture du journal, quand il cherchait le récit des vols, crimes et abus commis dans la ville.

Un observateur avisé qui l’aurait vu marcher dans les rues d’un pas ferme, la tête légèrement relevée et le chapeau enfoncé jusqu’aux oreilles, aurait détecté sur son visage l’infime contraction d’un rictus dépité, chaque fois que l’un de ces nombreux infirmes qui végétaient comme des champignons sur les trottoirs boueux tendait la main vers lui dans l’espoir d’une aumône. Mais aux yeux d’un observateur distrait, ses manières pouvaient passer pour une simple manifestation d’indifférence.

Mr.Wildwood marchait avec la prudence de ces gens qui en traversant un incendie essaient d’empêcher les flammes d’attaquer leurs vêtements. C’est dans cet état d’esprit qu’il esquivait les mendiants, les ivrognes et les camelots. Il voyait, dans la populeuse pauvreté qui l’entourait, un gigantesque brasier qui, loin de le réchauffer ou de rassurer sa solitude de célibataire, menaçait de réduire sa vie en cendres; un brasier alimenté en outre par les agitateurs qui sillonnaient les rues en appelant à une révolution qui renverserait l’ordre social comme un sablier. Pour Mr.Wildwood, ces révolutionnaires constituaient une faune prolifique et incompréhensible qui suscitait en lui une peur sans mélange. Les bonnes paroles des socialistes pacifistes de la Fabian Society ne lui apportaient aucun réconfort, car il était convaincu que les réformes sociales que ceux-ci préconisaient, si elles étaient menées à bien, entraîneraient les mêmes catastrophes que l’hypothétique victoire des anarchistes et de leurs bombes: la fin de tout ordre, la perversion des mœurs et la ruine de la nation.

Les émeutes de chômeurs qui envahissaient de plus en plus fréquemment le centre de la City lui faisaient littéralement dresser les cheveux sur la tête. Et il ne se lassait pas de chanter les louanges, devant qui voulait l’entendre, des autorités américaines qui, le 1ermai dernier, selon les journaux, avaient dispersé à coups de feu les ouvriers mutinés du Haymarket Square, à Chicago. À ses yeux, les protestations de la presse et des personnalités socialistes devant de tels événements étaient un comble d’hypocrisie, et il appelait de ses vœux une justice qui pende les meneurs de cette populace, pour l’exemple. Il était convaincu que toute pitié à leur égard encouragerait de nouvelles exigences de la part des factieux, qui demandaient maintenant une journée de travail de huit heures, comme si la paresse était un droit, et qui un jour revendiqueraient de gouverner pour mener à bien leurs visées subversives. Mr.Wildwood s’efforçait de laisser derrière la porte de son commerce l’abjection et la misère omniprésentes dans le quartier, qui lui répugnaient si fort, mais les temps nouveaux prophétisés en termes tempétueux dans les diatribes des syndicalistes l’horrifiaient encore plus.

José Manuel FAJARDO est né à Grenade en 1957. Journaliste et historien de formation, il a vécu au Pays basque, en France et au Portugal. Il est l’auteur, entre autres, de Lettre du bout du monde, Les Imposteurs, Les Démons à ma porte et L’Eau à la bouche, ainsi que d’essais historiques. Il est le traducteur de Céline.

Bibliographie