Publication : 30/04/2008
Pages : 260
Grand Format
ISBN : 978-2-86424-655-8
Couverture HD
Poche
ISBN : 978-2-86424-915-3
Couverture HD

La Couleur de la peau

Ramon DÍAZ-ETEROVIC

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18 €
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10 €
Titre original : El Color de la piel
Langue originale : Espagnol (Chili)
Traduit par : Bertille Hausberg

Comme beaucoup de jeunes Péruviens, Alberto Coiro est venu chercher du travail à Santiago du Chili, et lorsqu’il disparaît brutalement Heredia, le détective privé mélancolique et désabusé, se laisse persuader de partir à sa recherche. Il explore, sous la conduite d’un vieil homme, l’univers des vagabonds et des chiffonniers qui, la nuit, envahissent la ville. Il découvre les réseaux de jeux clandestins, les salles de billard, le trafic de cocaïne et tout un monde de personnages glauques. Mais il croise aussi le sourire de la jolie Violeta et se laisse émouvoir.
Dans son enquête il est aidé par les conseils philosophiques de Simenon, son chat. Flanqué de ses complices habituels, Serón le flic à la retraite, Anselmo le kiosquier turfiste et le journaliste Campbell, il nous montre le Santiago de l’émigration et du racisme.
Avec une intrigue bien menée dans une ville à la fois banale et fantastique, un style ironique et une impressionnante galerie de personnages secondaires pleins de vérité, Díaz-Eterovic prouve qu’il est un auteur de romans noirs avec lequel il faut compter.


  • « Ramón Díaz-Eterovic nous donne une fois encore rendez-vous avec son privé Heredia, personnage mélancolique et très humain qui trompe sa solitude en dialoguant avec son chat savant Simenon. Un régal. »
    Mireille Descombes
    L’HEBDO

  • « Né à Punta Arenas en 1956, Ramón Díaz-Eterovic est l'un des leaders incontestés de la nouvelle génération d'écrivains qui symbolisent le mouvement artistique le plus attrayant de la scène culturelle du Chili des années 90. »

    ESPACES LATINOS
  • « Les lecteurs de La mort se lève tôt ; Les Sept Fils de Simenon ; Les Yeux du cœur retrouverons dans cette nouvelle enquête le privé Heredia et son chat Simenon. L’occasion pour l’auteur de nous mener dans les bas-fonds de la capitale du Chili, univers des vagabonds et des chiffonniers, pour nous montrer le Santiago de l’immigration et du racisme. »

    Maïté Pinero
    VIVA

  • « Quel bonheur de retrouver ce rejeton chilien de Maigret (il a prénommé son chat Simenon!) et de Mike Hammer, ses enquêtes statiques, son goût pour le pisco, ces citations littéraires. »

    François Julien
    VSD

  • « Un roman très attachant par son ton et son humour, qui nourrit une méditation sur l’art de vieillir. »

    Françoise Barthélémy
    LE MONDE DIPLOMATIQUE

  • « Laissez-vous porter par cette nouvelle aventure du privé créé par Ramon Diaz-Eterovic, écrivain journaliste chilien. »

    Arnaud de Montjoye
    TEMOIGNAGE CHRETIEN

  • « Les polars de Ramon Diaz-Eterovic sont épatants, intelligents et sensibles. Comme les plus grands, ses maîtres à écrire, il a su se créer un petit univers bien à lui, où le lecteur a plaisir à se retrouver. Vivement la prochaine enquête d'Heredia.»

    Jean-Claude Perrier
    LIVRES HEBDO

 

1

Aux premières heures d’une paisible nuit d’été, le quartier vivait sans broncher la routine de ses vieilles constructions et de ses rues plongées dans la pénombre. Une frange bleue se reflétait sur les courbes lointaines de la cordillère des Andes, refusant de suivre le soleil dans sa mort quotidienne. De mon bureau et avec un peu d’imagination, je pouvais entendre le murmure du Mapocho avançant sur les pierres et les broussailles, sans enthousiasme, transformé en un filet d’eau boueuse, anémique. A ma montre il était vingt heures et, bien que le crépuscule ait transformé le paysage en une tache rosée, l’air chaud, parfois brûlant, qui déambulait depuis le matin dans tous les coins du quartier, entrait encore par ma fenêtre entrouverte.
Les bars et les restaurants commençaient à se remplir de clients. De l’intérieur jaillissait l’écho tapageur des conversations avivées par la bière. J’ai préparé une tasse de café, allumé une cigarette et, ayant retrouvé mon coin près de la fenêtre, je me suis dit que j’avais passé une bonne journée, une de celles où toutes les flèches semblent faire mouche.
Le matin j’avais touché des honoraires grâce auxquels j’avais pu payer mes dettes à la propriétaire de l’appartement et remplir d’essence le réservoir de ma voiture. Le prix du combustible augmentait toutes les semaines mais cela n’inquiétait pas ma vieille Chevy, immobilisée depuis trois jours, assoiffée, abandonnée à son sort de tas de ferraille d’un autre temps, antérieur à l’existence des boites automatiques et à l’invasion des voitures coréennes et japonaises qui engorgeaient les rues.
Sur le bureau se trouvait le journal que j’achetais tous les matins et, étalé dessus, cachant les manchettes qui annonçaient une nouvelle catastrophe dans le monde, mon chat Simenon faisait minutieusement sa toilette avec la patience d’un félin ignorant les horaires et les obligations. S’il existait la possibilité de vivre une autre vie, je voudrais revenir sur terre transformé en chat aux yeux sombres, sans autre souci que celui de m’étendre sur un tapis à l’abri des rayons du soleil, indifférent à toute chose y compris à la silhouette d’une succulente souris.
Je me suis approché de lui en prenant soin de ne pas interrompre sa toilette.
– Tu te bichonnes avant d’aller te promener sur les toits ?
Simenon consacrait une bonne partie de sa journée à ce rituel, utilisant la partie rugueuse de sa langue pour se débarrasser de la poussière, des poils morts et des résidus de son alimentation.
– Tu as rendez-vous avec une innocente petite chatte ? ai-je insisté en le regardant se pourlécher les moustaches.
– Les innocentes petites chattes n’existent pas, Heredia. A ton âge tu devrais savoir que la chatte la plus réservée sort ses griffes à la moindre provocation.
– Tu sembles avoir eu de nombreuses déceptions.
– Pas autant que toi, Heredia. Juste assez pour me méfier d’une paire de beaux yeux.
– Que sais-tu de ma vie, fouinard de chat ?
– Tout.
– Alors tu dois savoir que j’ai envie d’une bière bien fraîche.
– Qu’est ce qui t’en empêche ? La paresse d’ouvrir et de fermer la porte.
J’ai pris la veste suspendue au dossier de mon fauteuil et j’ai quitté l’appartement sans prêter attention à la dernière impertinence de Simenon. Une fois dans la rue, j’ai respiré profondément et j’ai laissé mes pas me conduire lentement jusqu’au bistrot situé en face de l’entrée de mon immeuble, au carrefour des rues Bandera et Aillavillú, cœur d’un quartier de restaurants populaires, de friperies, de cabarets, d’horlogeries et de petits kiosques offrant des tas de babioles et de gadgets en plastique.
Je suis entré auTouring et me suis accoudé au comptoir. Les murs étaient toujours revêtus d’azulejos et, autour de ses tables de bois mal en point, toute une collection d’hommes et de femmes à l’air joyeux et insouciant était rassemblée. J’ai commandé un verre de vin et me suis installé près d’un petit homme aux cheveux noirs et aux yeux à fleur de tête.
Il avait la peau brune et luisante et arborait une moustache clairsemée, noirâtre, qui contrastait avec la blancheur éclatante de ses dents. L’homme a souri légèrement et a aussitôt porté à ses lèvres son demi de bière. Après quoi, l’ayant posé sur le comptoir, il a regardé autour de lui, le visage empreint d’une expression de soulagement.
– Une belle nuit, a-t-il dit d’un ton amical. Son timbre clair m’a surpris au milieu des éclats de voix jaillissant des différentes tables du bistrot.
– Très belle, lui ai-je répondu, peu désireux d’entrer en conversation.
Au moment où l’homme allait ajouter quelque chose, il a été violemment heurté par un grand gaillard qui s’ouvrait un chemin vers le zinc à grand renfort de bourrades.
– Depuis quand on sert à boire à ces Péruviens puants ? a demandé le nouveau venu en s’adressant au serveur derrière le comptoir.
L’homme brun n’a rien dit. Il a contenu sa rage et bu une nouvelle gorgée de bière en regardant la porte du bar comme s’il attendait l’arrivée d’un ange rédempteur. En vain. Il a dû alors se contenter d’observer l’arrivée de trois jeunes gens vêtus de noir qui arboraient sur leurs bras des tatouages voyants de serpents et de dragons.
Le malabar a pris la bière que le garçon venait de lui servir et, au passage, a renversé d’un revers de main le demi du Péruvien. Après quoi il a regardé le liquide se répandre sur le comptoir avant de dégouliner sur le sol :
– Ces rastaquouères ne savent même pas se tenir.
Le Péruvien s’est préparé à lui faire face et je me suis dit qu’il n’avait aucune chance : sa tête arrivait à peine au menton de son agresseur et on pouvait voir au premier coup d’œil qu’il manquait d’expérience en matière de bagarre avec des voyous. J’ai dit au gaillard :
– Si le bar ne vous plaît pas, vous pouvez toujours aller ailleurs.
– De quoi tu te mêles ?
– Je passais par là et j’ai été attiré par les jolies gueules de certains clients.
L’armoire à glace a ébauché un sourire malicieux et son visage s’est empourpré :
– Tu veux te battre, fouille-merde ?
– Je veux boire en paix et je veux aussi que vous remplaciez la bière de mon ami que vous avez renversée.
En regardant le mauvais coucheur j’ai senti qu’il allait essayer de me cogner.
– Toi et ton ami Péruvien, je peux vous mettre dans le même sac.
– C’est probable mais, à ta place, j’y réfléchirais à deux fois avant d’essayer.
– Pas besoin de réfléchir, je sais comment m’y prendre avec les fouille-merde.
– Fais un effort, connard. Je ne suis peut-être pas seul.
– Je ne vois personne.
Je lui ai montré une bosse sous la poche gauche de ma veste :
– J’ai un bon copain, il m’accompagne partout. Tu veux que je te le présente .
Le gaillard a reculé d’un pas et a semblé reconsidérer la situation. Les deux hommes installés près de lui ont commencé à prendre leurs distances et, dans l’expectative, le silence s’est installé autour des tables les plus proches.
– Les hommes se battent à mains nues.
– Alors, il faudra attendre que tu évolues et que tu perdes ton air de chimpanzé.
Il a serré les poings et, pendant une seconde, a regardé autour de lui.
– De plus, j’essaye toujours de garder de bonnes manières quand je travaille, ai-je ajouté.
– Quel travail ? De quoi tu parles, fouille-merde.
– Le commissariat central est tout près. Tu veux y faire un tour ? Je peux te faire visiter des cachots dégueulasses. J’ai la clé, j’y vais quand ça me chante.
En observant sa réaction, j’en ai conclu que j’avais réussi à faire naître un doute raisonnable dans sa petite tête.
– Une semaine au trou, ça permet de penser à plein de choses. Alors, tu veux toujours te battre ?
Après avoir observé les clients qui se trouvaient près du comptoir, le grand gaillard a haussé les épaules d’un air dégoûté en murmurant :
– Je plaisantais, l’ami. Je ne veux pas de problèmes avec la police.
– Tu nous dois une bière, connard.
En souriant de mauvaise grâce il a aussitôt sorti un billet de son pantalon et l’a posé sur le comptoir.
– Tu as assez bu pour ce soir, lui ai-je dit en regardant la porte du bar.
Tête basse, le truand s’est dirigé vers la sortie en ruminant sa rage.
J’ai repris ma place près du comptoir. Sur le visage du Péruvien, un large sourire semblait souligner ses dents et sa moustache.
– J’espère qu’il s’est calmé pour un bon moment.
– Ce salopard ne semblait pas avoir toute sa tête. Merci de votre aide.
– De rien ; j’aime avoir de l’espace quand je bois au comptoir.
– Aparicio Méndez, a-t-il ajouté.
– Heredia, lui ai-je répondu en lui serrant la main.
– Laissez-moi vous offrir une bière, monsieur.
– Ce n’est pas nécessaire, puis j’ai ajouté en voyant la déception du Péruvien, vous êtes de quelle région du Pérou, l’ami.
– Je suis né et j’ai grandi à Lima. Je suis venu à Santiago pour travailler et ça ne m’a pas trop mal réussi. Je ne gagne pas grand-chose mais je dépense peu ce qui me permet d’envoyer quelques billets à mes parents.
– La plupart de vos concitoyens n’ont pas votre chance.
– Je le sais. Je vais tous les après-midi faire un tour du côté de la Cathédrale et, à chaque fois, j’y rencontre de plus en plus de compatriotes qui cherchent du travail. Ça ne marche pas très fort pour nous.
– Pour les Chiliens non plus.
– Malgré tout, pour certains d’entre nous, c’est le paradis, a dit Méndez et il a commencé à faire une longue liste de malheurs qui m’a rappelé le début d’un roman de Vargas Llosa que j’avais lu quand je faisais mes études « A quel moment le Pérou s’est cassé la figure, Zavalita ? »
– Et vous, monsieur, vous êtes de la police comme vous l’avez dit au truand ? a demandé Méndez en voyant que je ne prêtais pas beaucoup d’attention à ses lamentations.
– Je n’ai jamais dit que j’étais flic.
– Non ? m’a-t-il dit d’un air méfiant.
– Je suis détective privé. Mon bureau se trouve dans l’immeuble d’en face. Si vous avez un jour un problème ou simplement envie de bavarder, prenez l’ascenseur jusqu’au septième étage. Sur la porte il y a une plaque en plastique sur laquelle on peut lire : Enquêtes Légales.
– J’ai une sacrée chance d’avoir été aidé par un détective !
– J’ai pu régler le problème mais je ne suis pas sûr de pouvoir en faire autant la prochaine fois. Le truand peut revenir et il me sera difficile de lui faire avaler de nouveau l’histoire du revolver.
– L’histoire ? Ne me dites pas que vous n’êtes pas armé !
J’ai palpé la bosse sous ma veste :
– Je porte seulement la fiasque que m’a offerte un poète de mes amis. Je vous conseille de rentrer chez vous ou de changer de bistrot.
– Oui, oui, bien sûr. Je m’en vais tout de suite.
Le Péruvien était pressé mais nous avons vidé nos verres avant de nous séparer. Il suait la nostalgie par tous les pores et, tout en parlant des beautés liméniennes, il a longuement disserté sur les avantages du pisco péruvien sur celui du Chili. Ensuite, quand il a voulu parler de foot et des dernières confrontations entre les équipes de nos deux pays, je lui ai fait un signe pour lui indiquer la porte. Méndez a alors compris qu’il était temps de rentrer chez lui.
Le bar avait deux entrées. L’une donnait sur la rue Aillavillú, l’autre sur la gare Mapocho. Méndez a choisi la deuxième et je l’ai vu s’éloigner d’un pas léger. Je me suis dit que ma promenade avait été trop courte et j’ai décidé de continuer mon chemin. J’ai allumé une cigarette. La nuit était toujours aussi chaude.

Né à Punta Arenas en 1956, Ramon Díaz-Eterovic est l’un des leaders incontestés de la nouvelle génération d’écrivains -nés depuis 1948- qui symbolisent le mouvement artistique le plus attrayant de la scène culturelle du Chili des années 90. Parallèlement à son travail d’écriture, Díaz-Eterovic participe activement à la Société des Ecrivains du Chili, qu’il a présidé de 1991 à 1993. Ramon Díaz-Eterovic est un écrivain très prolifique, il a publié un grand nombre de nouvelles et de story-boards pour des dessins animés et de la poésie. Il manifeste un intérêt profond pour la psychologie humaine et une forte intuition pour les histoires à intrigues. Ramon Díaz-Eterovic a été récompensé par de nombreux prix littéraires, et parmi eux, par le prix renommé Anna-Seghers 1987 en Allemagne, le prix Dashiel Hammett en Espagne et en 2007, le prix municipal de Littérature de Santiago (Chili).

Bibliographie