"J'ai su qu'en me mettant à courir j'allais la perdre et que moi aussi, en un clin d'œil, j'avais signé ma perte."
Marlon, jeune clandestin colombien, s'égare dans New York le soir même de son arrivée. Commence alors une descente aux enfers, la traversée d'un cauchemar américain où Marlon, devenu SDF, n'a qu'une obsession: retrouver celle qu'il aime, cette Reina avec laquelle il s'est enfui de son Medellin natal. Ce récit d'une folle passion est aussi une plongée dans un New York latino méconnu où des centaines de milliers d'exilés pareils à Marlon s'acharnent à recoller les morceaux du rêve brisé. Reconstituant peu à peu son passé et les étapes de son voyage, Marlon finira par trouver un sens à sa quête et sortir du labyrinthe.
Comme dans La Fille aux ciseaux, Jorge Franco dresse ici le portrait d'une génération désespérée au cœur d'un monde de violence.
" Voici l'un des auteurs colombiens auxquels j'aimerais passer le flambeau. "
Gabriel García Márquez
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La quête que déroule cette belle chronique du désespoir se fonde sur une intrigue de prime abord bien mince, mais c'est sans compter sur l'habileté de l'auteur à subvertir la chronologie des faits [...]Lire la suiteBlandine LongreSITARTMAG
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Paraiso Travel est surtout un roman vital parce qu'il est à la fois âpre et urgent, parcouru par un souffle aussi vivant que douloureux. " J'ai eu un vertige et je suis tombé mais elle m'a relevé d'un geste, elle a passé son bras autour de ma taille et elle a soutenu mes épaules de l'autre pour empêcher mon squelette de tomber en morceaux ". Chez Jorge Franco, les hommes n'en finissent pas de s'écrouler et de se relever. C'est le seul mouvement qui leur permet d'échapper à la mort, de bénéficier d'un sursis. Oui mais combien de temps ?Benoît BroyartLE MATRICULE DES ANGES
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C'est un roman-labyrinthe. Il a beau être court et ses dialogues, percutants, il ouvre sur un gouffre, un espace hors le temps où les pauvres bougres se perdent sans espoir de retour. Marlon, narrateur et personnage du roman, s'y égare d'ailleurs dès la première ligne : "J'aurais pu mourir à l'aube, se souvient-il, quand je me suis perdu, non seulement parce que j'avais senti le souffle de la mort dans mon cou, mais parce que j'en crevais d'envie." Ce perdu est Colombien. Et New York l'avale. Il est parti de chez lui avec sa belle, sa reine, son ambitieuse Reina, qui se rêvait américaine du nord depuis toute gamine. Il l'a suivie, sans fric, sans visa, sans rien d'autre que son amour et ses doutes, son timide : "Mais Reina, je ne parle pas anglais?" n'ayant pas suffi à décourager l'ensorceleuse. Une organisation au doux nom mensonger de Paraiso Travel s'est chargée du voyage (en enfer). Et, à peine arrivé, l'amoureux s'est égaré. Reina, comme jadis ses parents, lui avait pourtant dit : Non, Marlon, ne sors pas !, mais fou de rage, il s'est jeté tout seul dans la nuit. La ville l'a happé. Les rues, les foule, les immeubles, dehors, tout se ressemblait. Il n'a bientôt plus su d'où il venait? Et l' "immeuble illégal" (comme dit le langage officiel) de nous entraîner avec lui dans un New York de l'envers du décor, violent et sordide mais pas sans fraternité. Voyage initiatique, Paraiso Travel n'est pas une lecture de tout repos. Il faut accepter de s'y perdre, comme Marlon, dans le dédale de voies sans soleil, pour y comprendre quelque chose?Pascale HaubrugeLE SOIR
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Paraíso Travel est un roman de l'urgence, un récit où l'on ne fait que fuir pour échapper à tout : la famille, la misère, le passé, les gringos. Jorge Franco a su trouver une écriture fragmentée pour donner ce sentiment de peur permanente et d'espoir insensée.Christine FerniotTELERAMA
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Ce qui frappe d'emblée dans le roman de Jorge Franco, c'est la rigueur de la construction, édifiée autour d'une ouverture tragique. Dans une chambre infâme, à New York, résonne un cri, celui des couples sur le point de se dissoudre : " Ne sors pas! ". De cette crise initiale, de cette crête, on peut observer les deux versants de l'aventure, les deux actes de la tragédie, que Franco racontera en alternance. C'est le parcours de deux jeunes gens de Medellin qui décident de tenter leur chance, sans papiers, à " Nueva York ", et c'est aussi ce qui se passe après leur séparation accidentelle, au soir de leur arrivée à mauvais port : réadaptation douloureuse à un monde étranger, la quête cruelle pour retrouver l'autre. Cette structure périlleuse dans laquelle le lecteur pourrait se perdre, Franco la maîtrise avec assurance. Il en tire tout le parti possible et nous intéresse presque simultanément aux espoirs d'une jeunesse frustrée que fascine la métropole du Nord, aux souffrances du parcours clandestin qui y mène, aux déceptions cruelles devant une réalité qu'on ne soupçonnait pas, et finalement à la renaissance d'un espoir timide et fragile : celui de s'adapter un jour[...]Jean SoublinLE MONDE DES LIVRES
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« Un roman singulier d'une grande force dramatique. »Christine GomarizPARIS MATCH
J'aurais pu mourir à l'aube, quand je me suis perdu, non seulement parce que j'ai senti le souffle de la mort dans mon cou mais parce que j'en crevais d'envie. Je me suis rappelé et j'ai compris toutes les fois où Reina disait autant se foutre en l'air, elle l'avait si souvent répété que plus personne n'écarquillait les yeux comme au début.
- Autant se foutre en l'air, c'était ce qu'elle disait, d'un ton furieux, dès que quelque chose la contrariait.
J'avais peur, pas seulement pour Reina mais pour tous les autres, pour ma propre vie dont je prenais tant de soin, sans raison apparente, peut-être à cause de cet amour pessimiste que j'ai toujours eu pour la vie. Un amour qui a duré jusqu'à cette nuit où je me suis senti le plus désespéré des êtres vivants, quand pour la première fois je me suis dit: mieux vaut mourir que vivre sans Reina. Même si c'est justement le souvenir de ses idées étranges qui m'a poussé à envisager de faire quelques pas supplémentaires.
J'ai su qu'en me mettant à courir j'allais la perdre et que moi aussi, en un clin d'œil, j'avais signé ma perte. Et tandis que je m'enfuyais, les flics à mes trousses, je pensais à elle, à sa grimace de colère quand elle avait crié: non, Marlon, ne sors pas!
Mais moi aussi j'étais fou de rage, et j'étais sorti sans me douter que cette nuit-là je me perdrais dans le plus vaste et le plus embrouillé des labyrinthes, bien obligé de ne garder comme dernier souvenir de Reina que son geste de colère, et sa voix qui ressemblait à celle de ma mère quand j'étais petit: non, Marlon, ne sors pas dans la rue!
Moi aussi, j'ai crié quelque chose à Reina et je suis sorti. Nous nous sommes envoyés à la figure toute la fatigue et le silence accumulés depuis que nous avions eu la brillante idée de partir chercher un avenir à New York.
-New York? lui avais-je demandé.
-Oui, New York.
-Mais pourquoi si loin?
- Parce que c'est là-bas que cela se passe, m'avait dit Reina.
C'était elle qui avait eu l'idée. En général, c'était elle qui avait toutes les idées. J'en avais moi aussi parfois, mais seules les siennes étaient mises en application. Et celle-là, elle comptait la mener à bien. Quand elle m'en a parlé, c'était déjà décidé. Elle ne m'a pas demandé si j'étais d'accord.
- On part tous les deux, a-t-elle dit.
Elle a aussi parlé des opportunités qui s'offraient à nous, des dollars, de l'argent à gagner, de la vie meilleure, de la possibilité de quitter ce sinistre merdier.
- Ici, nous n'avons fait, nous ne faisons et nous ne ferons jamais rien.
Elle a parlé d'avoir enfin un endroit pour nous deux où prospérer, et même d'avoir des enfants. Elle avait, quand elle en parlait, des yeux tellement brillants de sincérité que je l'ai crue. Un regard si décidé qu'il m'a fait peur.
- Mais là-bas c'est loin, on ne connaît pas, lui ai-je dit.
Reina a pris mes mains dans les siennes et s'est collée à ma bouche. Je ne voyais pas ses yeux mais deux taches vitreuses aux couleurs changeantes qui bougeaient rapidement, à la recherche de la panique au fond des miens. L'haleine de Reina aussi changeait selon son humeur.
- On part tous les deux, a-t-elle répété. A moins que tu ne veuilles rester ici, comme ta mère, ton père ou le mien, comme des pauvres cons pareils à tout le monde?
Elle parlait à voix basse, ses lèvres collées sur mon visage, serrée contre moi, exhalant de l'air chaud par le nez, calme mais résolue, me faisant sentir ses seins au rythme de sa respiration pour bien souligner ce que je perdrais si je ne venais pas.
- On part tous les deux.
Elle ne m'a pas embrassé comme je m'y attendais, mais elle a décollé son visage et a passé sa main dans mes cheveux. Elle l'y a laissée et elle a continué à me regarder comme si elle s'était attendue à ce que je lui dise quelque chose d'autre que le oui qu'elle tenait déjà pour acquis, peut-être une idée neuve qui renforcerait son projet, qui continuerait à faire briller ses yeux bicolores.
- Mais Reina, je ne parle pas anglais...
C'est tout ce que j'ai trouvé à lui dire, et elle a retiré sa main de mes cheveux.
C'était elle qui avait eu l'idée. Je le lui ai reproché quand nous sommes arrivés. Nous n'avions plus d'argent, l'adresse où nous étions censés nous rendre n'existait pas et les choses ne s'étaient pas déroulées comme nous l'espérions. Nous avions pris sur nous et gardé le silence durant tout le voyage. Nous n'avions presque pas dormi parce que les cahots nous en empêchaient, et pendant la journée nous n'avions pas non plus trouvé le repos, et je m'étais souvent dit que nous n'arriverions jamais là où Reina voulait arriver. Je le lui ai dit en face, avec rage:
- C'est toi qui as eu l'idée.
- Je sais, m'a-t-elle dit. Toi, tu n'as pas d'idées.
Je lui ai reproché la piaule sordide qui n'avait rien à voir avec l'endroit dont elle m'avait fait rêver, celui qu'elle m'avait décrit quand nous imaginions la vie que nous mènerions. C'était elle qui racontait, comme si elle connaissait déjà tout, comme si elle était déjà venue avant pour préparer notre arrivée: un appartement tout blanc avec vue sur l'Hudson et la statue de la Liberté, un étage élevé avec une petite terrasse et un mini jardin, et deux chaises pour nous asseoir et regarder le coucher du soleil sur New York. Elle m'a parlé du chien que nous aurions et que nous sortirions promener après le travail et qui surveillerait l'appartement pendant que nous serions dehors. Elle m'a raconté la cuisine très propre, remplie d'appareils ménagers, et parlé d'une salle de bain blanche avec une grande baignoire blanche elle aussi où nous ferions l'amour tous les soirs. Nous allons faire l'amour tous les soirs, me disait-elle, et moi je sentais des picotements dans mon sexe et je me disais: on part tous les deux.
Mais la chambre véritable était comme un cachot que l'on nous avait laissé en échange de nos derniers billets et que nous avions pris parce que nous n'avions pas le choix. Nous n'avons pas retrouvé Gloria, sa cousine, celle qui lui avait envoyé les photos, celle qui lui avait monté la tête, qui lui avait dit: tu devrais venir, cousine, ici il y a du fric et du boulot pour tout le monde; et elle lui avait envoyé la photo de son appartement, et, il n'y a pas à dire, il était drôlement bien, et une autre photo prise à côté d'une voiture, dont je doute aujourd'hui que c'était la sienne, et encore une autre photo sous la neige avec un chien et un bonhomme de neige qui avait deux branches pour les bras, une carotte à la place du nez et deux trucs noirs pour les yeux, et sur la photo tout le monde riait, mais ils étaient bizarres, décalés, comme des singes au pôle Nord.
- On va voir la neige, Marlon, disait Reina en s'étreignant elle-même, comme pour anticiper le froid.
Je me disais: oui, toi tu peux passer pour une Américaine, parce que, même si tu as de drôles d'yeux, ils sont clairs, et tes cheveux aussi; un peu de teinture et tu peux être complètement blonde. Mais moi, c'est écrit sur ma figure que je suis d'ici; c'était ce que je pensais, mais je ne le lui disais pas. Tellement d'ici que je ne veux pas en partir.
- Regarde les photos que m'a envoyées ma cousine Gloria. Elle les montrait comme si elle avait été en train de tirer les tarots.
Elle me les a montrées tous les jours, elle les gardait dans son portefeuille, elle les sortait dans le bus, dans la rue, pour jouir de l'appartement, de la voiture, du chien, du bonhomme de neige de Gloria, sa cousine. Elle me les a montrées à l'aéroport, à tous les endroits où j'ai eu peur, durant tout le voyage, depuis notre départ jusqu'à l'arrivée ici; elle les a gardées plus précieusement que ses papiers d'identité, que le visa que l'on ne nous avait pas donné, que l'argent que nous avons dépensé, que le passeport que l'on nous a fait jeter.
- Mais Gloria, ta cousine, lui ai-je dit, quand nous étions déjà dans le taudis, nous a donné une autre adresse.
- Nous l'avons peut-être mal retenue, a dit Reina pour la défendre.
- Et le téléphone aussi, nous l'avons mal retenu?
C'est là que nous avons dépensé les derniers sous. Quelqu'un a répondu en anglais et Reina a dit seulement:
Gloria, Gloria please, mais à l'autre bout du fil on lui a répondu par une tirade qui lui a fait peur.
- Prends le téléphone et essaye de comprendre, m'a-t-elle dit.
Une idée tellement saugrenue que cela m'a fait rire. Elle a dit: nous nous sommes peut-être trompés, nous devrions rappeler, et je l'ai mise en garde: Reina, c'est notre dernière pièce, mais Reina m'a jeté un regard noir avant de refaire le numéro et de retomber sur le même scénario: Gloria, please, et la même tirade en anglais. Et Reina a osé l'admettre: je crois que c'est une voix enregistrée.
- Nous ferions mieux de monter, a-t-elle dit, et de rappeler demain.
Je lui ai demandé avec quel argent et elle m'a dit qu'un voisin nous prêterait bien son téléphone, mais je doutais fort que dans ce bouge humain il fut possible de trouver un autre téléphone que celui à pièces accroché au mur dans le couloir. Et une fois retourné là-haut, je me suis senti submergé par les problèmes.
- C'est toi qui as eu l'idée.
- Qu'est-ce que tu croyais, m'a-t-elle dit, qu'on allait débarquer au Hilton?
- Non, juste chez ta cousine.
C'était peut-être dû à la taille de la pièce, mais tous nos mots résonnaient comme des cris. Reina m'a dit: demain j'appellerai Gloria, nous ferions mieux de dormir, cela fut des jours que nous n'avons pas dormi. Alors je lui ai demandé: qu'allons-nous faire, Reina?, mais elle ne m'a pas répondu, je lui ai demandé de nouveau et plus fort: qu'allons-nous faire?, et elle m'a lancé un regard tel que j'ai décidé d'aller fumer ma dernière cigarette dehors, je pensais refroidir ma colère, marcher pour réfléchir. J'ai claqué la porte et elle l'a rouverte derrière moi.
- Non, Marlon, ne sors pas! a-t-elle crié.
J'ai descendu quatre à quatre l'escalier sombre et j'entendais toujours les vociférations de Peina: nous ne connaissons rien, Marlon, nous n'avons pas de papiers; je suis arrivé dans le hall, j'ai regardé rageusement le téléphone qui nous avait volé un demi-dollar et je suis sorti dans la rue. Je n'avais pas pris ma veste et le vent froid m'a saisi, mais quand j'ai allumé la cigarette, j'ai senti un peu de chaleur. J'ai regardé vers le haut pour voir si Reina était à la fenêtre mais je n'étais même pas sûr que la nôtre donnait sur la rue, ni même que nous avions une fenêtre. J'ai regardé devant moi et j'ai vu un panneau éclairé où je suis parvenu à distinguer le seul mot que j'ai compris: Queen. Je le connaissais: Queen, cela veut dire Reina en espagnol.
Je me suis mis à marcher et malgré le froid, l'air frais m'a fait du bien. Je me suis dit que Reina avait peut-être raison: après avoir dormi, nous aurions les idées plus claires. Peut-être que demain nous retrouverions Gloria et que tout s'arrangerait. J'avais fait la moitié du tour du pâté de maisons, ma cigarette était à moitié consumée et ma fureur aussi. J'ai décidé de faire le tour complet et de rentrer lui dire que je m'étais vraiment conduit comme un idiot. J'ai jeté le mégot et j'ai tourné au coin pour rentrer, mais une main s'est posée sur mon épaule et m'a glacé le cœur, la main d'un flic en colère.
Il a parlé et je ne l'ai pas compris. Il a montré la voiture que je n'avais pas vue, ou il a peut-être montré son collègue en train de parler dans la radio. Je crois que j'ai balbutié quelque chose et que lui aussi a dit des mots que je n'ai pas plus compris mais qui ont déterminé que mes pieds agissent à ma place. Et pendant qu'il parlait à l'autre en le regardant, je me suis mis à courir à grandes enjambées, poussé par la panique, me cognant aux gens mais sans tomber; j'ai regardé derrière moi et les flics aussi couraient, pas très loin, ils s'ouvraient un chemin à coups de sifflet et ils avaient dégainé leurs armes mais ils ne me visaient pas encore. Mes pieds avaient des ailes et les voitures freinaient pile devant moi à chaque fois que je traversais une rue. Je voyais leurs phares comme si j'avais été en train de courir à l'intérieur d'un manège. Les flics étaient toujours à mes trousses mais la peur m'a fait redoubler de vitesse.
- Non, Marlon, ne sors pas!
Je courais et je me souvenais du cri que j'aurais dû écouter. J'ai couru avec les deux types derrière moi et les voitures entre mes jambes, et les phares qui m'éblouissaient, mais j'ai continué à courir - Non Marlon, ne sors pas! - et j'ai traversé d'autres rues et j'ai couru sans savoir si j'allais y arriver, mais les coups de klaxon me harcelaient, je voyais les flics se rapprocher et je pensais à Reina et à Dieu. Soudain, j'ai senti un choc brutal en traversant une autre rue, je me suis fait renverser, ai-je pensé, mais ce n'était pas moi, c'était l'un des deux flics qui a fait un vol plané et qui est retombé tout près de moi, et l'autre s'est alors arrêté, il a regardé son collègue qui gisait au sol, et il m'a regardé moi, mais j'ai continué à courir, et j'ai couru encore entre des parois immenses avec des néons, et des immeubles qui se perdaient dans le ciel, au milieu d'une mer de gens qui ne s'intéressaient pas du tout à la course éperdue d'un fugitif sans poursuivant.
J'ai traversé beaucoup de rues, avant d'arriver à un endroit sombre, l'endroit peut-être où mon souffle et mes pieds se sont dérobés. J'ignorais combien de temps j'avais couru. J'avais traversé beaucoup de rues et un pont très long; complètement paniqué mais pas autant que l'instant d'après, quand les yeux mouillés, j 'ai regardé autour de moi et que je n'ai rien reconnu; j'étais au milieu d'entrepôts, et même s'il y avait des écriteaux, j'étais incapable de les comprendre. Encore à bout de souffle, je me suis souvenu de ce que j'avais toujours dit à Reina: moi, je ne connais pas, je ne parle pas anglais.
Et ensuite son cri: ne sors pas, Marlon! qui avec le temps s'est dilué dans toutes les autres vociférations new-yorkaises; ce cri dont j 'ai longtemps cherché ardemment à ne pas perdre l'écho, parce que c'était la seule chose qui me soutenait pour continuer à chercher Reina.