Bernhard Haber, enfant d’une famille de réfugiés chassée de sa terre natale, ne parvient pas à se sentir chez lui dans la ville où ses parents ont dû se réinstaller : Il a dix ans lorsqu’en 1950 sa famille quitte Breslau (Wroclaw) en Silésie pour une petite ville de Saxe dont les habitants voient d’un très mauvais œil l’afflux de réfugiés et de sinistrés. Certes, on a besoin d’artisans et le père de Bernhard est menuisier, mais les habitants de la ville préfèrent confier leurs commandes à l’un des leurs. Un jour l’atelier du menuisier brûle, il s’agit probablement d’un incendie criminel, bien que la police ne puisse – ou ne veuille – en apporter la preuve. Le fils du menuisier n’a pas non plus la vie facile à l’école, les maîtres veulent le "rééduquer", il est la risée de ses camarades et on abat même son chien. Il jure de se venger.Christoph Hein laisse à cinq personnages, à cinq voix, le soin de raconter cinquante années de la vie de Bernhard Haber, des années 50 jusqu’à la fin du XXe siècle. Chacun des narrateurs l’a connu à un moment ou à un autre de sa vie, chacun d’entre eux porte sur lui un regard différent. Le roman se structure dans une sorte de kaléidoscope, les perspectives narratives se croisent et se répondent, le récit de vie sur fond de chronique sociale prend forme. Le lecteur découvre peu à peu l’ascension sociale de cet enfant marginalisé du fait du statut de sa famille. C’est dans la même petite ville saxonne, Guldenberg, que Christoph Hein avait déjà situé l’action de l’un de ses précédents romans, La Fin de Horn (1985 en Allemagne, 1987 pour la traduction française), un roman lui aussi polyphonique et faulknérien. Comme La Fin de Horn brisait l’un des mythes fondateurs de la RDA, ce roman met fin à un silence qui aura duré quelque cinquante ans. Il est vrai que les travaux des historiens et les ouvrages de vulgarisation ont ces dernières années raconté l’exode des populations allemandes chassées de Silésie, de Poméranie, des Sudètes et de Prusse orientale, mais ils ont fait peu de cas de l’accueil qui leur avait été réservé dans les deux Allemagnes, le sujet est resté tabou, avec ses corollaires, la xénophobie, la peur de l’étranger, l’hostilité à son égard. Comme dans l’ensemble de son œuvre narrative, Christoph Hein se veut dans ce roman un chroniqueur attentif de son époque et des conflits qui l’agitent et la perturbent. Il y parvient magistralement et brosse un tableau inhabituel de la société est-allemande avant, pendant et après la chute du Mur de Berlin.
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« Le roman, très habilement construit sur un mode polyphonique, s'apparente au récit d'une revanche, et presque d'une vengeance : celle d'un étranger qui doit s'intégrer dans un pays qui n'est qu'à demi le sien, où il deviendra membre actif du Parti, passeur vers l'Allemagne de l'Ouest et finalement entrepreneur prospère. »Fabrice GabrielLES INROCKUPTIBLES