Dans les petites communautés, il y en a toujours un par génération qui se fait remarquer par son goût pour le chaos. Pendant des années l’engeance historique de l’île où je suis née, celle que l’on montrait du doigt lorsqu’un truc prenait feu ou disparaissait, ça a été moi, Blanche de Rigny. C’est à mon grand-père que je dois un nom de famille aussi singulier, alors que les gens de chez moi, en allant toujours au plus près pour se marier, s’appellent quasiment tous pareil. Ça aurait dû m’interpeller, mais ça ne l’a pas fait, peut-être parce que notre famille paraissait aussi endémique que notre bruyère ou nos petits moutons noirs… Ça aurait dû pourtant…
Au XIXe siècle, les riches créaient des fortunes et achetaient même des pauvres afin de remplacer leurs fils pour qu’ils ne se fassent pas tuer à la guerre. Aujourd’hui, ils ont des petits-enfants encore plus riches, et, parfois, des descendants inconnus toujours aussi pauvres, mais qui pourraient légitimement hériter ! La famille de Blanche a poussé tel un petit rameau discret au pied d’un arbre généalogique particulièrement laid et invasif qui s’est nourri pendant un siècle et demi de mensonges, d’exploitation et de combines. Qu’arriverait-il si elle en élaguait toutes les branches pourries ?
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"Je viens de le terminer, et comme d'habitude avec Hannelore Cayre, je me suis régalée ! Son écriture est toujours pleine d'énergie et d'humour, du suspense, j'ai beaucoup apprécié le mélange d'intrigue contemporaine et de roman historique, et le caractère engagé de l'histoire. Bref il fera assurément partie de mes coups de cœur cette année !"Frédérique
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"Oh là là, qu'est ce qu'il démange, gratte et fait du bien le nouveau roman de Hannelore Cayre ! c'est une fois encore habilement construit, grinçant à souhait, des personnages détestables et d'autres à serrer dans les bras, elle embrasse au passage une multitude impressionnante de sujets, et tout se tient, se répond, fait écho...comme le système qu'elle dénonce avec toute l'intelligence de sa plume."Lucile
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Blanche De Rigny supporte plus son nom à particule qu'elle ne le porte, et porte mieux son handicap qu'elle ne le supporte. Blanche De Rigny est originaire d'une île bretonne (l'Ile d'Ouessant ?), et, malgré son nom à particule, de basse extraction. 1870- C'est la guerre contre les Prussiens. La famille De Rigny ne va quand même pas s'abaisser a y envoyer ses fils... Elle cherche à acheter un remplaçant, comme c'est l'usage chez les nantis à cette époque. Après "La Daronne" (au cinéma le 25 mars), Hannelore Cayre revient en force avec ce roman doublement choral : à cheval entre le monde de la grande bourgeoisie du 19èm siècle et celui des délaissés actuels. Un roman historique, social et engagé. Un verbe qui claque, aux #punchline bien senties. On en redemande.
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Si vous avez aimé "Au-revoir là haut", "Richesse oblige" vous plaira sûrement. De la Commune de Paris au système juridique actuel, c'est brillant et passionnant !Agathe Guillaume
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"Roman social presque militant autour de la possession et de la possible redistribution des richesses. En bonne avocate pénaliste, Hannelore Cayre n'a pas la langue dans sa poche et ne ménage pas son lecteur. Ses personnages débordent de vitalité et sont prêts à tout pour sauver leur cause et honorer leurs droits, parfois sans trop de scrupules ni de délicatesse. Les réparties sont vives, drôles et le ton cassant. Roman mené tambour battant comme une plaidoirie réjouissante et percutante. De 1870 à nos jours, le roman dresse le portrait acide de nos sociétés argentées animées par le gain et l'accumulation des richesses. C'est l'histoire d'une famille sur plus d'un siècle agissant en toute impunité sans s'encombrer de conscience ni de partage, à quelques exceptions près. Un plaidoyer impeccable."Betty Duval-Hubert
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"De nos jours, Blanche de Rigny découvre par hasard qu'elle est issue d'une branche latérale d'une richissime famille. Au XIX siecle la famille De Rigny cherche désespérément à trouver un remplacant au service militaire pour le plus jeune fils.... Hannelore Cayre tisse avec brio une intrigue qui entremêle habilement ces deux fils. De l'achat d'un remplaçant (pratique courante au 18 et 19e siecle) popur éviter aux fils de bonne famille le service militaire aux magouilles pétrolieres de nos jours, la famille de Rigny est vraiment détestable (doux euphémisme)... On se marre franchement , le rythme est endiablé et Hannelore Cayre n'a pas son pareil pour appuyer là ou ça fait mal. Prenez de la critique sociale, un doigt de cynisme, beaucoup d'humour, une solide documentation, agitez le tout...et vous obtenez un mélange savoureux de polar social et de chronique historique (ou l'inverse). Bref, une bonne bouffée de rigolade mais pas que..."Arnaud
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Plume acérée et humour caustique ! Hannelore Cayre, après son livre intitulé La daronne persiste et signe un nouveau roman génial !
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Avec ce roman audacieux, Hannelore Cayre nous immerge dans une histoire familiale de recherche généalogique et d’héritage prenant racine au XIXème lors de la guerre franco-prussienne avec le fameux principe en vigueur de conscription. L’injustice et la lutte des classes se ressemblent quelque peu entre hier et aujourd’hui, nous livre en substance l’autrice qui porte haut le blason du roman noir français. Le ton est délicieusement irrévérencieux, drôle et sarcastique et le son de la révolte gronde, jamais très loin. Autour d’une « bracassée », vraie guerrière au sens de la justice aiguisé, et de ses proches, le lecteur part ainsi en croisade à la suite des héros de papier pour une lecture haute en couleurs et riche en rebondissements. Un roman étonnant et intelligent !Anne-Sophie Poinsu
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"Un livre puissamment écologique et politiquement incorrect !" Lire la chronique iciBlog La table de nuit
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"Une histoire folle et plutôt immorale comme elle les aime." Lire la chronique iciSite Bulles de culture
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« Roman noir : trouble dans le genre »Marie-Françoise SantucciMarie-Claire
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"Hannelore Cayre instille une lucidité tranchante et un humour grinçant dans ses livres."Veneranda PaladinoDernières nouvelles d'Alsace
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"Un livre qui confirme un peu plus l’importance et le talent de l’avocate pénaliste Hannelore Cayre parmi les auteur(e)s de roman noirs qui comptent aujourd’hui." Lire la chronique iciSite Benzine Mag
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"Le choix de placer le roman dans cette page de l’histoire où l’on achetait des hommes comme de simples marchandises est très original et nous donne une image assez réaliste de cette fin du XIXe siècle où certains se mettaient à rêver à un monde plus juste et plus beau." Lire la chronique iciSite Zone Livre
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"Elle n’écrit pas, elle tire à vue. Rapide, drôle, féroce, l’avocate pénaliste Hannelore Cayre est une justicière de la plume."Claire JulliardL'Obs
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"C’est un drame, mais en même temps une comédie. De mœurs ? Peut-être. On adore."Isabelle de Montvert-ChaussySud-Ouest
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"Richesse oblige, d'Hannelore Cayre, est immoral et jubilatoire" Lire l'article iciSophie CreuzL'écho Belgique
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"Hannelore Cayre signe un polar engagé, documenté et jubilatoire." Ecouter le podcast iciTewfik HakemFrance Culture
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"Précipitez-vous sur ce livre parce qu’il est d’un cynisme réjouissant et généreux, et qu’il se déguste comme une bande dessinée des Pieds Nickelés." Lire l'article iciSophie CreuzRTBF Musiqu3
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"Hannelore Cayre nous plonge cette fois dans une passionnante histoire du capitalisme à travers la figure métonymique de la famille de Rigny."Simon BentolilaLe Nouveau Magazine Littéraire
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"Hannelore Cayre réussit un roman passionnant à la fois polar et fresque sociale où les fantômes de Balzac et de Zola s'invitent dans notre début de XXIe siècle. C'est brillant, piquant, incorrect en diable, mais qu'est-ce que c'est bon !" Regarder la chronique vidéo iciFrançois BusnelLa p'tite librairie
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"On reste et on dévore ! Alors foncez." Lire la chronique iciBlog Livres for fun
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"L'auteure de La Daronne est de retour, avec son franc-parler, son humour grinçant, son regard acéré sur la bourgeoisie mais aussi sur les moyens de tirer profit de notre système judiciaire." Lire la chronique iciBlog Sans connivence
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"J’ai adoré les personnages et leur esprit retors. Un vrai coup de cœur !" Lire la chronique iciBlog Nourritures en tout genre
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"L’effet est saisissant, l’écriture toujours aussi réjouissante, j’ai appris des choses dont j’ignorais totalement l’existence (par exemple Auroville) et je me suis laissée porter d’une seule traite jusqu’à la dernière ligne." Lire la chronique iciBlog Cunéipage
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"Un roman vraiment réussi, un plaisir de lecture garanti, une joie revancharde contre les avanies de notre époque." Lire la chronique iciBlog Double marge
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"Qu'est-ce que je l'aime cette Blanche de Rigny, elle qui fait ce que nous sommes nombreux à rêver de faire." Lire la chronique iciSite Actu du noir
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"Richesse oblige est un roman engagé, malin, jouissif, un vrai plaisir de lecture !" Lire la chronique iciBlog Tu vas t'abîmer les yeux
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"Un roman décapant et souvent jubilatoire, à ne pas manquer." Lire la chronique iciBlog Le goût des livres
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"La Daronne, votre précédent polar, a rencontré un très beau succès, et ce n'est rien à côté de ce qui devrait arriver à votre nouveau roman, Richesse oblige, qui vient de paraître aux Éditions Métailié et qui est brillantissime." Voir le replay de l'émission iciFrançois BusnelLa Grande Librairie
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"Dans ce sixième roman, grinçant et décalé, on retrouve avec un plaisir évident Hannelore Cayre. Faisant un pas de côté, elle fait une brillante incursion dans le registre du roman historique pour nous rappeler que, de tout temps, les pauvres ont été brutalisés. [...] On se réjouit du ton toujours incisif et engagé d’Hannelore Cayre qui signe un grand roman de la justice sociale."Maria FerraguPAGE DES LIBRAIRES
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« Sarcastique et savoureux. »Prima
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« L’auteure de l’excellent polar La Daronne creuse à nouveau le sillon social noir. Et gratte avec pertinence, humour, là où ça fait mal. »Voici
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« La loi du fric, la rébellion des freaks, la lutte des classes : ces thèmes sont à la fois le petit bois et le char bon des brûlots que sont tous les romans d’Hannelore Cayre sous des airs de comédies badass. […] Quel flow, quel flot de vitalité. »Sabrina ChampenoisLibération
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« "J’aime choquer, aller dans le sens inverse de ce qu’on attend de moi. A l’école, je n’ai jamais été la gentille fille." Pourtant, malgré elle, Hannelore Cayre est drôle et sympathique. Mais ne le lui dites surtout pas ! »Pascale FreyLe 1 Hors Série
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« Hannelore Cayre nous offre un polar tout aussi grinçant et décapant, en un mot jubilatoire ! »Librairie BiseyL'Alsace
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« Instructif et divertissant »Willy PerselloÊtre
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"Un roman noir qui vaut son pesant d'or"Karine VilderLe Journal de Montréal
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"L’auteure a le chic pour enquiller les portraits farfelus irrésistibles."Les Echos week-end
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"Hannelore Cayre enfonce le clou de La Daronne, frappe à nouveau fort, très fort et surtout terriblement juste. C’est un régal d’intelligence et d’ironie mordante que nous avons sous les yeux." Lire la chronique iciSite Addict Culture
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"L’effet est saisissant, l’écriture toujours aussi réjouissante." Lire la chronique iciBlog Cunéipages
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"Un roman enthousiasmant qui file illico sur l'étagère des indispensables !" Lire la chronique iciBlog Cathulu
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"Hannelore Cayre a une plume énergique, incisive et avec du caractère ! Pour moi, c'est une incontournable !" Lire la chronique iciBlog Fairy Stelphique
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"Un polar décapant !" Lire la chronique iciSite Onlalu
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"Épatant. Chapeau bas !" Lire la chronique iciBlog Nyctalopes
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"Etrangement, je me rends compte que plus je vieillis plus je deviens de gauche" Ecouter l'interview de l'auteure iciTewfik HakemFrance Culture
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"C’est avec un grand talent feuilletonesque que l’auteure brasse les époques, lançant des ponts de la Commune de Paris aux gilets jaunes."François MontpezatDernières nouvelles d'Alsace
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"Toujours aussi corrosive, l’auteure de La Daronne déchaîne sa verve caustique dans une hilarante fable noire qui raille la reproduction des élites."Paris Match
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"Un roman noir doublé d’une belle évocation de l’histoire de la Commune de Paris."Jean-Paul GuéryLe Courrier de l'Ouest
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"Hannelore Cayre fait trembler le monde du polar avec ce texte qui plaide coupable de mauvais esprit avec préméditation, et c'est une grâce !"Julie MalaureLe Point
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Ecouter le podcast iciAntoine de CaunesFrance Inter
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"On retrouve à nouveau dans Richesse Oblige une justicière singulière Blanche de Rigny, une "chieuse historique" comme l'écrit Hannelore Cayre." Ecouter le podcast iciBernard LehutRTL
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"Une bien belle histoire criminelle très drôle et très politiquement incorrecte, menée d'une main de maître par une spécialiste du genre." Ecouter le podcast iciBernard PoiretteEurope 1
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"L’écrivaine et avocate fait de la justice sociale le carburant de ses romans noirs : les petites gens gagnent, les puissants perdent. C’était le cas dans La Daronne, en 2017, et plus que jamais aujourd'hui dans Richesse oblige." Lire l'article iciMacha SéryLe Monde des Livres
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"Un roman drôle, irrévérencieux et jubilatoire, dans la plus pure tradition du polar anarchiste à la française." Lire l'article iciFemme actuelle senior
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"Richesse oblige contient tout ce que nous aimons chez l’auteure de Commis d’office : des personnages cassés mais marquants, une langue crue, un humour féroce, une colère politique sous-jacente, une histoire percutante, des rasades de subversion." Lire l'article iciHubert ArtusLire
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"Une fiction dont la langue décoiffe, comme souvent chez cette autrice au style mitraillette." Lire l'article iciHubert ArtusCausette
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Lire l'article iciNicolas BenièsL'US Université Syndicaliste Mag
C’est dans la campagne sans lune, noir total, que je l’ai vu pour la première fois le lapin vert fluo, vert intense dans son champ abandonné, menant sa vie, indifférent à l’idée de son étrangeté, dans un halo brûlant, comme quand on ferme les yeux sur le souvenir de quelqu’un, signal dans la nuit noire, petit point.
Olivier Cadiot,
Retour définitif et durable de l’être aimé
– Est-ce que tu crois que c’est une tenue correcte, ça, pour un enterrement ?
– Ben c’est mon plus beau survêt… Celui en velours ! Et toi, tu t’es vue ? On dirait… Mais, on s’en fout, non ? Elle avait raison, Hildegarde, on s’en foutait. Nous avions l’air de deux shlagues, c’est vrai, mais quoi que nous choisissions de porter, de toute façon, tout le monde nous regarderait de travers.
Il y avait Juliette, ma fille, en vert kaki, qui était dans sa période tenue de camouflage. Pistache et Géranium, nos deux clébards hideux sans laisse ni collier avec des nœuds autour du cou. Hildegarde en survêtement noir en velours, donc, pour faire chic, avec des Nike noires taille 46 sur lesquelles elle avait dû passer un vague chiffon pour enlever la poussière. Et enfin moi avec mes nouvelles orthèses japonaises en titane qui me permettaient de me passer de mes béquilles. Pour le moment ma démarche ressemblait peu ou prou au pas de l’oie, mais ça s’améliorait de jour en jour. C’est sûr que tout ça détonnait au cimetière du Trocadéro, là où les de Rigny avaient leur caveau entre la famille Dassault et la famille Bouygues.
Vu que j’avais acheté l’encart le plus cher du Figaro pour annoncer en grande pompe le décès de tata, beaucoup de personnes étaient venues, mais aucune d’elles ne nous avait saluées. Mieux, il s’était créé entre ces gens et nous trois un vide, une sorte de cordon sanitaire qui leur permettait de s’isoler de notre infecte présence.
Qui étaient-ils tous ? Des copines de bridge ? Des gens qui enquillaient les événements mondains ? Des vioques venus célébrer la procrastination à mourir d’une de leurs idoles ? Aucune idée ! Huit mois que nous nous occupions d’Yvonne et nous n’avions jamais reçu la moindre visite dans son hôtel particulier à part celles de son notaire et de son banquier. Je suis néanmoins sûre que c’est nous que sa disparition affectait le plus. C’est qu’on s’y était attachées, à la vieille, surtout vers la fin où elle débloquait au point de nous chanter toute la journée, on ne savait pourquoi, Les Nuits d’une demoiselle de Colette Renard :
Je me fais sucer la friandise
Je me fais caresser le gardon
Je me fais empeser la chemise
Je me fais picorer le bonbon
Ce qui, à quatre-vingt-dix-huit ans, vous l’avouerez, ne manque pas de panache.
Quoi qu’il en soit, cela faisait quatre jours maintenant qu’elle était décédée et que j’étais devenue riche. Inimaginablement riche. Du coup, parce que les riches sont toujours pressés, je n’avais pas que ça à faire, glander dans un cimetière. Notre avion partait dans six heures pour notre nouvelle maison sise les îles Vierges britanniques – paradis fiscal –, et lundi prochain, parce qu’il est toujours important de faire commencer la fin du monde un lundi, on se mettrait au travail.
Devant ce caveau que les fossoyeurs ne prenaient même plus la peine de sceller tellement les de Rigny tombaient comme des mouches (six en moins d’un an tout de même), je pensais à notre ancêtre commun Auguste. Que son existence telle que je la chronique dans ces quelques pages soit ou non conforme à celle qu’il a vraiment vécue, que son caractère ait été tel que je le décris, n’a aucune importance.
Vous livrer ces quelques mois de la vie de cet attachant jeune homme toujours un peu à côté de la plaque est une façon de lui offrir la chair et l’immortalité qu’il mérite afin de le remercier du geste qu’il a accompli envers ma famille. De l’extraire des ténèbres du passé et des abîmes du temps, comme dirait Shakespeare. Il viendra ainsi rejoindre d’autres compagnons fidèles qui n’existent peut-être pas dans la vraie vie, mais simplement dans ces romans du XIXe siècle qui ont façonné ma réflexion politique et fait de moi ce que je suis.
Saint-Germain-en-Laye, 18 janvier 1870
Assis sur le rebord de son lit depuis plus d’une heure, Auguste observait fixement cette coûteuse nouveauté des Grands Magasins nommée réveille-matin, offerte par sa tante Clothilde pour ses vingt ans.
Parce que nous savons tous qu’il n’y aura jamais assez de coqs dans Paris pour vous tirer du sommeil, y avait-il écrit sur le petit carton malicieusement joint au paquet.
Il s’agissait d’une horloge insérée dans un boîtier ouvragé représentant des oiseaux de paradis. En contemplant cette invention, le jeune homme songea tristement qu’à bien des égards celle-ci bouleverserait l’existence de tous les noctambules qui comme lui peinaient à se lever le matin. La chose se réglait de manière à ce que le déclenchement de la sonnerie se fasse à un moment déterminé. Outre celle des heures et des minutes, une aiguille spéciale qu’on fixait la veille au soir marquait l’heure du lever. Auguste avait placé celle-ci devant le chiffre 7, une heure avant celle indiquée sur sa convocation pour aller tirer au sort.
Cette fameuse échéance avait commencé à le hanter dès le mois d’octobre, après qu’il se fut présenté à la mairie pour le recensement de la classe 1869, l’année de son vingtième anniversaire. Ne dessaoulant plus jusqu’en janvier, il avait essayé de ne plus y penser pendant les fêtes, puis il s’était surpris à l’espérer comme un dénouement à ses angoisses.
Le décompte des jours était enfin arrivé à son terme et c’était ce matin !
Ce matin il saurait enfin si le tirage d’un mauvais numéro l’obligerait à abandonner la Sorbonne, à échanger sa vie parisienne, ses plaisirs et ses bonnes paresses contre neuf ans d’un service militaire dégradant, dont cinq entouré de brutes, dans une caserne humide pourvue de mauvais lits.
La sonnerie de l’invention démoniaque le fit sursauter tout en lui tordant les viscères : ceux qui ne se présenteront pas à l’appel à huit heures précises seront déclarés les premiers à marcher, y avait-il écrit en bas de sa convocation.
Il aurait tant désiré que sa mère et sa sœur l’accompagnassent pour aller tirer, malheureusement ces dernières avaient été appelées d’urgence au chevet d’une tante souffrante. Son père, cloué à la maison par un mal de dos, ne pouvait pas non plus se joindre à lui. Restaient son beau-frère Jules, un ancien officier converti aux affaires, et son frère Ferdinand, un ambitieux vouant un culte dévot à l’argent et dont le passe-temps favori était de le pousser dans ses derniers retranchements jusqu’à ce qu’il explose. Ces deux-là, à supposer qu’ils eussent proposé de le réconforter dans l’épreuve, Auguste aurait catégoriquement refusé.
Les femmes de la famille ne l’avaient tout de même pas totalement abandonné puisqu’elles avaient fait dire une messe à Saint-Germain-de-Paris afin que la Providence le dispensât du service militaire. Évidemment, Auguste ne croyait pas en Dieu, encore moins depuis qu’il avait lu De l’origine des espèces, un livre lumineux venant scientifiquement réfuter la conception grotesque de la création divine de la vie, mais il se disait en secret que les quelques prières achetées par sa mère ne pouvaient pas non plus lui nuire.
Il s’habilla à la hâte et traversa la maison silencieuse tout en prenant garde de ne réveiller personne. Une fois passé le seuil, il remonta son col jusqu’aux oreilles pour se jeter comme on tombe dans le noir d’encre de ce matin d’hiver, mais à peine avait-il franchi la grille de la demeure paternelle que son imagination s’emballa. Il se voyait déjà marcher la peur au ventre vers une bataille comme en décrivait, pour effrayer les dames, un vieux grognard mal élevé que ses parents s’obstinaient à inviter à leur table ; un dénommé Pélissier, survivant de l’affreux siège de Sébastopol. C’est tout juste s’il n’entrapercevait pas, nimbés par la clarté des becs de gaz, les cadavres des chevaux tordus par le gel ou en partie dévorés par les soldats.
Au fur et à mesure qu’il remontait la rue de la République, l’aube se peuplait de silhouettes dont les pas imprimés dans la neige convergeaient tous vers l’hôtel de ville de Saint-Germain-en-Laye. Devant la porte de l’édifice, des enfants jouaient à la guerre, distrayant les quelques militaires en faction. Ils chevauchaient des montures imaginaires et, armés de bouts de branche en guise de sabres et de boules de neige, s’élançaient en hurlant au-devant d’ennemis invisibles ; des Prussiens, disaient-ils.
Les accompagnateurs furent invités à rester à l’extérieur alors que tous les jeunes appelés étaient dirigés par des hommes de troupe vers le hall d’honneur. Là, attablés face au registre du canton contenant les noms de tous les garçons nés en 1849, les attendaient le maire ceint de son écharpe tricolore ainsi qu’un officier impatient flanqué d’une poignée de soldats.
Auguste alla rejoindre autour d’un gros poêle à charbon un petit groupe de bourgeois auxquels s’étaient naturellement joints les enfants de leurs domestiques. Il salua le fils Bertelot qu’il connaissait pour avoir eu un temps des vues sur sa cousine, ainsi que son ami d’enfance Duchaussois que son père citait inlassablement en exemple pour s’être tourné vers la magistrature. Il vit Berquet, Bruault et Fromoisin, des collègues de lycée… Portefaux, le fils du conservateur des hypothèques, était là aussi. Auguste le reconnut à peine tant il avait grossi : il visait la réforme pour obésité, disait-il. Il fut également surpris d’y voir celui que sa mère avait toujours appelé le petit Perret, le benjamin de leur jardinier qui se révéla être né la même année que lui. Les rejoignirent également les fils des commerçants de la ville. Il en connaissait certains pour les avoir côtoyés à l’église, pour avoir partagé leurs jeux lorsqu’il était plus jeune ou pour les avoir simplement aperçus dans l’arrière-boutique de leurs parents. Très vite un joyeux brouhaha s’éleva de ce premier cercle.
Plus loin, à une distance respectueuse du poêle, une foule de jeunes prolétaires vêtus de blouses d’usine, mais aussi quelques petits paysans fagotés comme pour aller à la messe, luttaient en silence contre le froid. Tous avaient fait l’effort de s’habiller proprement car s’il était toléré d’être pauvre, c’était à condition d’être bien tenu et de ne pas offenser le monde auquel on se mélange avec sa misère.
Auguste ne put s’empêcher de les observer à la dérobée. “Comme ils sont nombreux”, s’étonna-t-il. “Comme leurs manières sont gauches et leur silence buté. Comme leur attitude tranche sur l’aisance et la civilité des nantis. Pourquoi n’est-ce pas eux avec leurs pauvres vêtements si mal taillés pour le froid, leurs corps émaciés, leurs mauvais souliers, qui venaient se réchauffer contre le poêle ?” “Ces pauvres gars avaient, paraît-il, un prix. Combien pour ce robuste spécimen qui passait d’un sabot sur l’autre pour ne pas finir gelé ? D’ailleurs, est-ce que cet homme consentirait à se vendre, s’il ne devait pas partir pour son compte ? Considérait-il que se faire tuer à la place d’un fils de famille est ‘une question de goût’ comme le disait encore récemment M. Thiers à la Chambre ? Pensait-il que cela allait de soi comme céder
sa place autour d’un poêle ?”
“Que tout cela est compliqué !” songea-t-il en soupirant.
En raison de la pression des pères de famille sur l’Empereur, et cela malgré son désir de moraliser le commerce des hommes, le principe de la liberté des transactions avait encore une fois triomphé à la Chambre.
Les députés libéraux avaient voté à une grande majorité en faveur du rétablissement du remplacement militaire tel qu’il était pratiqué avant l’avènement de Napoléon III. Ce n’était donc plus à l’État moyennant finance de se charger de trouver un remplacement aux garçons refusant de marcher, mais aux familles elles-mêmes. Il y avait bien eu le petit groupe socialiste mené par Jules Simon pour s’élever contre cette traite des blancs ; ce retour en force des trafiquants de chair humaine… mais dans l’indifférence générale. Les conservateurs, quant à eux, avaient brandi le spectre d’une guerre avec la Prusse. Sans que personne ne s’y attende, ce pays pourtant beaucoup plus petit que la France venait d’écraser en une seule bataille l’Autriche à Sadowa, et cela grâce à son service obligatoire et son armée d’un million deux cent mille hommes, mais eux aussi avaient prêché dans le désert.
Vers dix heures, l’officier présent commença l’appel en suivant l’ordre de la liste dégrossie des exemptions pendant qu’un soldat tournait la manivelle d’un tambour contenant les 127 numéros enfilés dans leur cosse de bois.
Chaque fois qu’un nom était appelé pour tirer, Auguste, à la fois paniqué et mauvais en calcul, sursautait et perdait le fil de son raisonnement : “Sur 167 recensés et 20 exemptés, sachant que le canton doit fournir 25 hommes et en imaginant qu’il y ait 10 réformés pour causes diverses, un numéro deviendrait vraiment mauvais à partir du double soit 50, il y a donc une chance sur…”
… De la petite bande du poêle à charbon, ce fut Duchaussois le premier à être appelé. Ce dernier avait pris soin de préparer, au cas où il tirerait un mauvais numéro, un document établi par un procureur général de la Cour impériale de Paris proche de sa famille, portant son engagement comme juge suppléant au tribunal de la Seine pour trois ans sans rémunération. Il tira un 10, fit valoir ses droits et fut exempté d’office.
Ensuite ce fut le nom de Portefaux qu’on appela… Après avoir hésité quelques minutes en marmottant on ne savait quelle incantation, le jeune homme fut rappelé à l’ordre et poussé d’autorité vers l’urne pour tirer. Lorsqu’il dépiauta le numéro hors de sa cosse, il se mit à sangloter de soulagement : le 120.
– Tu vas pouvoir t’y mettre, à ta diète, gros lâche, persifla le soldat qui se remit à tourner la manivelle du tambour.
Vers midi, ce fut enfin le tour d’Auguste.
À l’appel de son nom, son visage se décomposa. Charriant un corps qui pesait des tonnes, il s’approcha de l’urne, y plongea sa main, puis la retira comme si elle eût contenu de l’eau brûlante :
– Un 4, murmura-t-il, défait.
– Retenu ! cria l’officier avant de lui débiter d’une voix mécanique les articles du Code. Monsieur, vu votre numéro et à moins d’être réformé, votre position est définitivement fixée comme comprise dans le contingent. Le conseil de recrutement se prononcera le 18 juillet. Vous pourrez y présenter un remplaçant que vous aurez trouvé dans tous les départements de l’Empire. M. le Maire vous indiquera les conditions exigées pour son admission ainsi que les pièces à produire. Nous comptons sur votre zèle à remplir le devoir qui vous est imposé et nous vous rappelons les malheurs que votre désobéissance attirerait sur vous ainsi que sur votre famille.
Auguste resta figé devant le militaire, les yeux perdus, les mains molles, à la dérive. Puis un autre nom fut appelé et il fut contraint de bouger, bousculé par celui qui venait tirer à sa suite. Il quitta l’hôtel de ville sans saluer personne et d’ailleurs personne n’aurait désiré être salué par lui, car maintenant il portait la poisse. Abasourdi, il s’en retourna chez lui où l’attendait son père impatient de connaître les décisions à prendre.
D’un tempérament pourtant confiant et paisible, Casimir s’était toujours fait beaucoup de souci pour son plus jeune garçon.
Une fois que ce dernier avait passé le baccalauréat, il avait bien tenté de l’initier aux charmes de la construction des bâtiments publics – c’était de mémoire ce qu’un de Rigny avait toujours fait, du moins depuis Colbert – mais les yeux d’Auguste étaient restés à ce point vides à
la vue de son dernier chantier qu’il en avait tristement conclu qu’il n’était pas du tout fait pour ce genre d’affaires. Le contraire absolu de son autre fils Ferdinand. Après avoir fait sienne cette extraordinaire invention juridique qu’était la société anonyme – faire des affaires sans être responsable de ses échecs –, son aîné avait accompli le prodige, à vingt-sept ans, de quadrupler ses avoirs en nageant avec l’adresse d’un vieux poisson dans les eaux troubles de l’attribution des marchés publics.
“Que faire de ce garçon à la sensibilité morbide qui ne s’envisage dans rien ?” se demandait souvent Casimir lorsqu’il lui arrivait d’observer son Auguste.
Il ne voyait qu’une explication au comportement si différent de ses deux enfants : là où Ferdinand avait grandi tant en force qu’en dynamisme, son jeune frère avait depuis sa naissance enchaîné coup sur coup toutes les maladies imaginables et, comme tous les enfants disputés à la mort, il avait été beaucoup trop gâté par sa mère.
Physiquement, Auguste était de la race des grands chats maigres avec un large front et des cheveux blonds en baguettes de tambour rejetés en arrière. Ses grands yeux bruns, brillants comme des marrons d’Inde, lui donnaient un air exalté comme dévoré de l’intérieur, avec en plus un petit quelque chose de féminin. Il se voyait philosophe ou poète, ou les deux. Il sortait des inepties particulièrement exaspérantes du genre : “J’aimerais bien apprendre un métier manuel afin d’aider le peuple en frère.” Il prédisait qu’il mourrait à trente-trois ans comme le Christ et les dames trouvaient cela très amusant. Ses parents, beaucoup moins.