Un vieil homme se fait tabasser et voler son portefeuille par un groupe de petits voyous mais il récupère vite son bien, arme à la main... Quand il chuchote à l'oreille du voleur son nom, le gamin se met à trembler. Il pourrait le laisser partir ce serait plus sage, mais il pense: "Et depuis quand avons-nous été sages?" Après avoir tué le petit voleur il hurle: "J'étais avec le Libanais!"
Le Libanais, le Froid, le Dandy le Buffle, Patrizia... une bande de petits voyous a fait main basse sur Rome, entre la fin des années 70 et celle des années 90. Voici l'histoire authentique de la "bande de la Magliana", qui a mis la capitale en coupe réglée.
Toute l'histoire souterraine de l'Italie de ces années récentes (loge P2, terrorisme noir assassinat dAldo Moro, politiciens et policiers corrompus, services secrets...) défile ainsi sous nos yeux, sans que jamais Giancarlo De Cataldo renonce aux moyens de ta littérature: avec une écriture jubilatoire il alterne les scènes de roman noir et les tableaux de mœurs, la bouffonnerie et le drame. Il crée des personnages forts et originaux, notamment de magnifiques figures de femme.
Ce roman épique d'une incroyable puissance a été unanimement salué par la presse italienne avant d'être adapté au cinéma par Michele Placido.
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Plus d'infos ici.22 septembre 2011LIBERATION.FR
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"Si le volume, presque 600 pages, dépasse déjà le genre noir, d'habitude beaucoup plus économe en papier, c'est l'ambition de l'entreprise qui est tout à fait débordante : raconter non pas une mais les mille histoires qui ont autant composé que décomposé l'Italie récente, de l'enlèvement d'Aldo Moro par les Brigades rouges le 16 mars 1978 à la montée en puissance de bandes criminelles prospérant en cette zone grise, d'une rare opacité, où l'Etat et l'anti-Etat se rejoignent et parfois se confondent."Jean-Baptiste MarongiuLIBERATION -
"A la manière de James Ellroy dans sa trilogie Underground USA, mais avec une identité propre, très italo-italienne [...], l'auteur recompose une Italie tragique, qui avance le dos courbé, ployant sous le poids des trahisons et compromissions, dont la narration ne fait pas l'économie. Romanzo criminale est le grand livre d'une certaine Italie, nous en sommes certains."Pierre SiankowskiLES INROCKUPTIBLES -
"Plus qu'un polar, au sens classique du terme, Giancarlo De Cataldo, lui-même magistrat, nous offre une épopée, le tableau d'une Italie en pleine mutation dont la bande serait en quelque sorte l'avant-garde. L'écrivain joue sur différents niveaux de langue, comme un reflet de ces transformations, et éclate la narration en de multiples points de vue, composant un puzzle fascinant peuplé de figures inoubliables.Christine GomarizPARIS MATCH -
« G. De Cataldo ne s'est pas contenté d'écrire une énième fiction politique sur une époque volontairement occultée. L'auteur en a fait un polar ambigu, une intrigue policière dont les héros sont des truands, des tueurs, des vrais. [...] Un roman à froid, qui ne prend pas de gants avec la violence. Les faits, rien que les faits. ça flingue, ça gueule, intrigue. ça lie des alliances avec la mafia, la police. ça jalouse, désire, trahit. »
Martine LavalTELERAMA -
« G. De Cataldo retrace cette histoire obscure de l'Italie jusqu'aux années 90, alternant les coups d'éclat et les ratages minables de ses personnages avec la chronique sociale et politique du pays. Le résultat est formidable grâce à un roman vivant en diable? Un régal. »
Frédérique BréhautLE COURRIER DE L'OUEST -
« Une fresque romancée sur le destin d’une bande de truands italiens, et, à travers elle, quinze ans d’histoire du pays. En Italie, le succès a été énorme. Un film en a été tiré, puis une série télé. »
Hubert ProlongeauLE MAGAZINE LITTERAIRE
LA NOIRODE, Interview de Serge Quadruppani à propos de Romanzo Criminale
http://./video/dewplayer.swfPrologue
Rome, aujourd'hui
Recroquevillé entre deux voitures garées, il attendait le coup suivant en essayant de se protéger le visage. Ils étaient quatre. Le plus méchant était le petit morpion, avec une cicatrice de coup de couteau en travers de la joue. Entre deux assauts, sur son portable, il échangeait des répliques avec sa nana: la chronique du tabassage. Par chance, ils cognaient à l'aveuglette. Pour eux, c'était juste une bonne partie de rigolade. Il pensa qu'ils auraient pu être ses fils. A part le black, bien sûr. Des petits loubards. Il pensa que, quelques années plus tôt, rien qu'à entendre son nom, ils se seraient tiré dessus eux-mêmes, plutôt que d'affronter la vengeance. Quelques années plus tôt. Quand les temps n'avaient pas encore changé. Un instant fatal de distraction. Le brodequin clouté le cueillit à la tempe. Il glissa dans le noir.
- On s'arrache, ordonna le morpion, me semble que çui-là, il se lèvera plus!
Mais il se leva, en fait. Il se leva qu'il faisait déjà sombre, le torse en feu et la tête confuse. A deux pas de là, il y avait une fontaine. Il lava son sang séché et but une longue gorgée d'eau ferrugineuse. Il était debout. Il pouvait marcher. Sur la route, des bagnoles avec la stéréo à plein volume et des groupes de jeunes qui tripotaient leurs portables et ricanaient de son pas claudicant. Aux fenêtres, les lueurs bleuâtres de mille téléviseurs. Un peu plus loin encore, une vitrine illuminée. Il se considéra dans le reflet du verre: un homme plié en deux, son pardessus déchiré et taché de sang, de rares cheveux gras, les dents pourries. Un vieux. Voilà ce qu'il était devenu. Une sirène passa. D'instinct, il s'aplatit contre un mur. Mais ce n'était pas lui qu'on cherchait. Personne ne le cherchait plus.
- Moi, j'étais avec le Libanais! murmura-t-il, presque incrédule, comme s'il venait à peine de s'approprier la mémoire d'un autre.
L'argent avait disparu, mais les gamins n'avaient pas remarqué le passeport ni le billet. Et pas même la Rolex, cousue dans une poche intérieure. Trop pris par leurs réjouissances pour le fouiller comme il faut! Un sourire lui échappa. Ils devraient en bouffer encore, du pain noir!
Trois heures le séparaient de l'embarquement. Il avait tout son temps. Le camp nomade était à moins d'un kilomètre.
Le premier à le remarquer, ce fut le black. Il s'approcha du morpion, en train de peloter sa nana, et lui dit que le papi était revenu.
- Mais l'était pas mort?
- Beh, j'en sais rien, moi. Le voilà!
Sans se presser, l'homme coupait à travers la place, en regardant autour de lui avec un sourire idiot, comme pour s'excuser de l'intrusion. Les autres gamins, après un coup d'œil distrait, retournaient à leurs propres affaires.
Le morpion envoya sa nana faire un tour et l'attendit, bras croisés. Le black et les deux autres, l'un très grand, le visage grêlé, et l'autre gros et tatoué, l'encadraient.
- Bonsoir, dit l'homme, vous avez quelque chose qui m'appartient. Je veux le récupérer!
Le morpion se tourna vers les autres.
- Ça lui a pas suffi!
Ils rirent. L'homme secoua la tête et sortit le flingue.
- Tout le monde à terre! dit-il sèchement.
Le black s'agita. Le morpion cracha par terre, nullement impressionné.
- Ouais, maintenant, on va se faire une petite sieste! Mais à qui tu veux foutre la trouille avec ce jouet!
L'homme observa d'un air contrit le petit semi-automatique calibre 22 qu'il avait eu du Gitan en échange de la Rolex.
- C'est vrai, il est petit… mais si on sait s'en servir…
Il tira sans viser et sans détacher le regard du morpion. Le black tomba avec un hurlement, en se tenant le genou. D'un coup s'installa un grand silence.
- Cassez-vous tous! ordonna-t-il sans se retourner. Tous, à part ces quatre-là.
Le morpion agita les mains, comme pour l'apaiser.
- C'est bon, c'est bon, là, ça va s'arranger… mais toi, reste calme, hein?
- Tout le monde par terre, j'ai dit, répéta-t-il, lentement.
Le morpion et les autres s'agenouillèrent. Le black se roulait au sol avec une plainte continue.
- Le fric, je l'ai donné à ma nana, geignit le morpion, alors là, je l'appelle sur le portable et je te le fais amener, hein?
- Tais-toi. Je réfléchis…
Combien de temps avant l'embarquement? Une heure? Un peu plus? En quelques minutes, la fille pouvait les rejoindre. Il aurait récupéré son argent. Le Venezuela l'attendait. Il aurait un peu de mal à s'intégrer, mais… dans ce coin, ça ne devait pas être si difficile… oui. Il aurait été sage de se replier, à ce point. Mais depuis quand était-il sage? Depuis quand eux tous avaient-ils été sages? Et puis, la peur du gosse… l'odeur de la rue… ce n'était pas pour des moments comme celui-là qu'eux tous avaient toujours vécu?
Il se pencha sur le morpion et lui murmura son nom à l'oreille. L'autre commença à trembler.
- Tu as entendu parler de moi? lui demanda-t-il d'une voix douce.
Le morpion hocha la tête. L'homme sourit. Délicatement, il plaça le canon sur le front du garçon et lui tira entre les yeux. Indifférent aux pleurs, aux bruits de pas, aux sirènes qui approchaient, il leur tourna le dos et, pointant l'arme contre cette putain de lune, hurla, avec tout le souffle qu'il avait dans le corps:
- Moi, j'étais avec le Libanais!
PREMIÈRE PARTIE
1977-1978
Genèse
1
Le Dandy était né là où Rome est encore aux Romains: dans les maisons de Tor di Nona.
A douze ans, on l'avait déporté à l'Infernetto, au Petit Enfer. Sur l'ordonnance du maire, était écrit "Rénovation des immeubles dégradés du centre historique. L'histoire durait depuis une éternité, mais le Dandy n'arrêtait pas de répéter que, un jour ou l'autre, il reviendrait dans le centre. En patron. Et tout le monde devrait s'incliner sur son passage.
Pour l'instant, il vivait avec sa femme dans un deux pièces avec vue sur le gazomètre.
Le Libanais s'y rendit à pied depuis le quartier du Testaccio. Ce n'était qu'à deux pas, mais la sueur d'août collait la chemise noire contre son torse velu. Plus il marchait et plus sa fureur montait contre le gamin.
Le Dandy lui ouvrit, la mine ahurie. Il portait une robe de chambre rouge à pompons. Une fois, par pur hasard, il avait lu quelques pages d'un livre sur Lord Brummell. Depuis lors, il tenait beaucoup à l'élégance. C'est pour cela qu'on l'appelait le Dandy.
- J'ai besoin de la moto.
- Doucement. Gina dort. Qu'est-ce qui se passe?
- Y m'ont pris la Mini.
- Ah bon?
- Dedans, il y avait la sacoche.
- On s'arrache.
Le sirocco était même plaisant, sur la Kawasaki. Ils s'avalèrent la route jusqu'aux pompes de drainage de la Magliana, se garèrent devant un rideau de fer rouillé et s'avancèrent dans la prairie. La baraque était entre une casse automobile et un entrepôt de ferraille. Porte barricadée, pas de lumières.
- Il n'est pas encore rentré, dit le Libanais.
- Qui c'est?
- Un gamin. Le neveu de Franco, le barman.
Le Dandy hocha la tête. Ils se disposèrent autour d'un vieux tronc creux. Le Dandy sortit un joint. Le Libanais aspira deux taffes et le lui repassa. C'était pas le moment d'être pété. Un instant, ils gardèrent le silence. Les yeux fermés, le Dandy savourait la relaxation plaisante du haschisch.
- On perd du temps, dit le Libanais.
- Tôt ou tard, le con doit rentrer.
- C'est pas ça le problème. Je dis, en général: on perd du temps.
Le Dandy rouvrit les yeux. Son pote était inquiet.
Le Libanais était petit, brun, carré. Il était né place San Cosimato, au cœur du Trastevere, mais sa famille venait de Calabre. Ils se connaissaient depuis toujours. Ils avaient formé ensemble une bande de gosses, et maintenant ils étaient juste une petite équipe.
- Je pense au baron, Dandy.
- On en a parlé cent fois, Libanais. C'est pas le moment. On est trop peu. Et puis, y'a l'histoire du Terrible. Et lui, il nous la donnera jamais, la permission.
- C'est ça le problème, Da'. J'en ai plein le cul de demander la permission. On s'en passera.
- Peut-être. Mais on est toujours trop peu.
- Pour le moment, pour le moment, coupa, pensif, le Libanais.
Une grosse lune jaune avait pris possession de l'horizon. Le Libanais n'avait pas tort. Il fallait se mettre à penser en grand. Mais une équipe de quatre jeunes n'avait pas grand avenir. Une organisation. Combien de fois en avaient-ils discuté? Mais comment bouger? Et avec qui? Un chien se mit à aboyer.
- T'as entendu?
Des pas sur le pavé. Qui que ce fût, il ne se souciait pas de se cacher. Ils glissèrent doucement jusqu'à une pile de pneus de camion. Le garçon, sec et tordu, avançait d'un pas ondulant. Quand il fut à leur portée, sur un signe d'entente, ils s'élancèrent.
Le Libanais le prit par derrière, l'immobilisant. Le Dandy lui balança un coup de pied dans le bas-ventre. Le garçon s'effondra avec un gémissement. Le Libanais lui enfonça le visage dans la terre sèche, extirpa son revolver et lui plaça le canon sur la nuque.
- T'as compris qui je suis, abruti?
Le garçon hocha furieusement la tête. Le Libanais déplaça l'arme.
- Lève-toi.
Le garçon se mit à genoux.
- Il pue comme un bouc, dit le Dandy, dégoûté.
- C'est la came. Il est défoncé jusqu'aux yeux. Lève-toi, j'ai dit.
Le garçon essayait de se mettre debout, tant bien que mal. Le Libanais sourit.
- J'ai promis à ton oncle de ne pas exagérer mais ne me fais pas perdre patience. Réponds seulement par oui ou par non.
Le garçon le fixait, hébété. Son visage était plein de boutons. Le Dandy lui balança un coup de pied à la mâchoire.
- Oui ou non?
- Oui.
- Bien, reprit le Libanais, t'as pris la Mini à Testaccio, pas vrai?
- Oui.
- T'as regardé dans le coffre?
- Non.
- Sûr?
- Oui.
- Ça vaut mieux pour toi. Où est la voiture, maintenant?
- Je l'ai plus…
Le Dandy se limita à une gifle sur la nuque. Le jeune homme commença à pleurnicher. Le Libanais soupira.
- Tu l'as vendue?
- Oui.
- A qui?
Le jeune homme tomba à genoux. Il ne pouvait pas le dire. C'était des gens dangereux. Ils le tueraient.
- Sale situation, hein, garçon? dit le Libanais. Si tu parles, eux, ils te flinguent. Et si tu parles pas, ça sera nous…
- Libanais, dit le Dandy, une fois, j'ai vu un western…
- Et quel rapport, là?
- Y'a un rapport, y'a. Y avait un cheval blessé, le pauvre, il était vraiment sur le point de caner… et son maître ne savait pas quoi faire… pauvre bête, il le regardait avec de ces yeux… pourquoi je dois souffrir comme ça, il disait…
- Aaaah! J'ai compris! Et alors lui, il lui tire le coup de grâce… pan!
- Exactement!
- Mais… mais, Dandy, excuse, hein, mais faut que je te dise quelque chose.
- Eh ben, dis-le, Libanais!
- Mais ce cheval était blessé… et le garçon, là, en fait, il me semble encore bien sain…
Le Dandy lui tira dans une jambe. Le jeune s'agrippa le genou et commença à hurler.
- Regarde mieux, Libanais!
- T'as raison, Dandy. Il est vraiment mal foutu! Et comme il souffre! Qu'est-ce t'en dis, on le lui donne, ce coup de grâce?
Le garçon parla.