Publication : 04/10/2002
Pages : 228
Grand Format
ISBN : 2-86424-442-X

Super Etat

Brian ALDISS

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18 €
Titre original : Super-state, A novel of the European Union forty years hence.
Langue originale : Anglais
Traduit par : Daniel Lemoine
Bienvenue au mariage du fils du président de l’Union européenne, le Super Etat qui s’étend de l’Irlande à la Grèce et aux contreforts de l’Est. La mariée a été retenue sur l’Everest par une tempête mais une androïde la remplace avantageusement. (Un seul problème avec les androïdes, ils posent toujours trop de questions sur les humains. Ils sont bruyants, on doit les enfermer le soir dans les placards.) Malgré le printemps, le temps est orageux, mais c’est à cause du réchauffement de l’atmosphère! Le père du marié est très excité par son projet de guerre contre ce petit pays musulman des confins de la Chine, c’est tellement amusant d’essayer des armes nouvelles!
Puis tout bascule: la banquise fond et un raz-de-marée engloutit toutes les côtes de l’Irlande à la Bretagne, la mariée, enlevée, s’amourache d’un terroriste, les Foudéments sèment la panique sur le Net tandis que l’expédition scientifique sur Jupiter trouve une forme de vie et, affamée, la mange.
Un roman de vraie SF intelligent, prémonitoire, noir et drôle.
  • Projetons-nous dans une cinquantaine d'années. Il existe désormais un Président de l'Union européenne qui gouverne un Super état englobant notre zone euro actuelle. Rien de bien nouveau certes, à part peut-être des androïdes sortis des chaînes de montage Renault, capables de remplacer les gens si nécessaire. En secret, on coule, en Méditerranée, tous les bateaux de clandestins qui tentent coûte que coûte de pénétrer dans l'Union européenne. En représailles, le Tébarou, un petit état musulman, nouvellement créé sur un morceau de territoire de la Chine, envoie quelques missiles. Cela donnera l'occasion au Président du Super état de tester des armes toujours plus perfectionnées et efficaces. D'un coup la banquise fond et de nombreuses côtes - comme la Bretagne - sont désormais sous l'eau ! Une organisation terroriste en profite pour semer la panique sur le Net. Voilà le tableau à peu près complet de ce que vous allez connaître si vous avez aujourd'hui vingt ou trente ans, ou ce à quoi vous allez échapper si vous avez plus ! Cette fresque acerbe, drôle et acide est le fruit de l'imagination toujours aussi fertile de Brian Aldiss. Né en 1925, Brian Aldiss est un des piliers de la science-fiction anglaise. Nous lui devons notamment la magnifique trilogie d'Helliconia, à ranger aux côtés du roman Dune et autres chefs-d'œuvre. Avec Michael Moorcock et James Ballard, il préside également aux destinées de la revue New Worlds. L'amour de la SF conserve, c'est bien connu !
    Alain Grousset
    LIRE
  • « Un kaléidoscope assez sidérant. [...] Un régal ! »
    J. Baudou
    LE MONDE
  • « Un pur livre d'auteur, inventif, débridé, spéculatif. »
    P. Curval
    LE MAGAZINE LITTERAIRE

Des nuages noirs se massaient au-dessus des montagnes, au nord. Des éclairs y brillaient. Mais dans la vallée, en cette journée de joie, le soleil était comme de la crème dans un bol.

Les invités arrivaient depuis le début de la matinée. Le moyen de transport le plus répandu consistait à venir de la ville voisine à bord d'un bateau à vapeur de plaisance. On avait, pour l'occasion, construit un imposant débarcadère provisoire. Les passagers des bateaux à vapeur passaient, pour accéder au débarcadère, sous une arche ornée de fleurs. Un orchestre les accueillait, jouait des airs entraînants tels que Some enchanted evening et Cow-cow boogie.

Les invités moins favorisés gagnaient le groupe de pavillons neufs dans des autocars de luxe, qui empruntaient des routes construites spécialement - des routes qui étaient infiniment supérieures au vieux chemin de halage qu'elles recouvraient.

Quelques invités arrivèrent en automobile. Des avions déposèrent d'autres privilégiés, atterrirent sur la piste neuve, brillamment éclairée par des projecteurs et des guirlandes d'ampoules. Mais la façon la plus chic d'arriver consistait à le faire à bord de son hélicoptère personnel.

Parmi les premiers arrivés par ce moyen, il y eut, naturellement, le groupe du Président, les de Bourcey dans deux hélicoptères. On conduisit immédiatement les de Bourcey au Pavillon de la Paix Pérenne, édifié dans le style Oriental, où ils se retirèrent et se détendirent derrière les tentures, si bien que personne ne les vit pendant plusieurs heures.

Les de Bourcey furent suivis par le groupe des Gonzales Clayman. A leur descente d'hélicoptère, ils visitèrent les lieux, très étendus, dans une limousine, puis se retirèrent dans la Rotonde de la Relaxation Royale, par les fenêtres de laquelle ils pouvaient jeter des coups d'œil discrets sur le Pavillon de la Paix Pérenne.

Rose Baywater arriva en compagnie de son associé, Jack Harrington, le géant de la peinture, toujours élégant, et de son admirateur, le général Gary Fairstepps. Ils descendirent de l'hélicoptère de la romancière, dont la décoration évoquait l'abdomen d'une guêpe, puis gagnèrent aussitôt leur hôtelette personnelle  qui faisait partie d'une succession interminable d'hôtelettes, toutes d'une couleur différente - où Rose prit immédiatement un bain chaud, barbota pendant une heure et pensa des pensées roses.

Laura Nye, frêle et âgée arriva en compagnie de ses amis à bord du Con Amore, un vapeur; ils prirent possession de leur hôtelette, commandèrent aussitôt du champagne et de l'aspirine.

Olduvai Ports, jeune chanteur et animateur au physique avantageux, arriva par avion et fut accueilli par le Maître des Cérémonies, Wayne Bargane, qui portait un costume impeccable. Olduvai était en tenue décontractée. Son large visage aux traits sans finesse demeura grave, même quand il adressa un signe à la foule qui l'applaudissait.

Un peu plus tard, on demanda à Olduvai de chanter son dernier succès, Les Merveilleuses Vacances d'autrefois, et il fut très applaudi. Il fut interviewé, sur l'ambient, par Wolfgang Frankel en personne, pas moins, dandy et magnat des médias. Pour l'occasion, Frankel avait sur l'épaule un autour qui portait un chaperon.

-Lui aussi, il passe des vacances merveilleuses, blagua-t-il.

Olduvai hocha la tête mais ne sourit pas.

L'archevêque Byron Arnold Jones-Sims arriva par avion une demi-heure avant le début de la cérémonie, se promena, parfumé, dans la foule, se laissa baiser la main tous les six mètres.

L'archevêque s'autorisa également à échanger quelques mots avec Wolfgang Frankel, sur le thème de l'état plutôt lamentable du monde. De ce fait, il fallait tenter de le rendre meilleur.

Et le soleil brillait toujours. Et le ciel s'assombrissait toujours au-dessus des montagnes, au nord. L'orchestre jouait toujours, sur le débarcadère, ainsi qu'un quatuor classique dans l'énorme salle de réception et un groupe pop sur la Place des Cérémonies. Il y avait aussi la musique des fontaines. Dans le cinéma édifié pour l'occasion, passait le dernier film tiré d'un roman de Rose Baywater: Tendresse et gilets de sauvetage.

Les invités, de plus en plus nombreux, allaient et venaient entre ces points de repère, s'arrêtaient aux bars où on servait du champagne, aux rotondes où on pouvait déguster des fruits de mer, devant les petites échoppes de souvenirs et les manèges. Les invités bavardaient, restaient en général au sein de leur groupe, appelaient de temps en temps, sur un ton artificiel, les amis qu'ils croisaient. Le tintement des voix et des verres faisait vibrer l'air.

Un des invités de marque, qui avait pris position près de la Rotonde de la Relaxation Royale, était un homme imposant et robuste qu'on appelait simplement Gabbo. Gabbo portait un costume blanc luxueusement orné de revers dorés et de la pluie d'étoile de la LOUE, la Légion d'or de l'Union européenne. Les laboratoires de Gabbo avaient inventé l'ambient, premier système intégré de communication mondiale.

En conséquence, Gabbo était désormais si riche qu'on ne connaissait que son sobriquet solitaire et absurde - alors qu'il s'appelait humblement à sa naissance dans une petite ville de Basse-Saxe Martin Rich - si riche qu'il aurait pu, selon un commentateur, "acheter le Louvre avec la Joconde en prime". Sa distraction préférée consistait à financer des films médiocres; Mal d'amour pendant le carême accumulait les mauvaises critiques depuis une semaine. Gabbo, assis, très droit et absolument impeccable, ses cheveux noirs luisants, semblait faire partie de son fauteuil et était en compagnie d'Obbagi, dont il ne se séparait jamais. Obbagi était un robot, ou un androide, de haute taille, sans visage, que Gabbo qualifiait, quand il prenait la peine de le qualifier, de randroïde. Obbagi était considéré comme extrêmement intelligent et parlait en général à la place de Gabbo. Tout comme il s'entretenait, en ce moment, avec le sympathique Wolfgang Frankel. Frankel buvait du champagne. Obbagi avait un verre, mais ne buvait pas.

- Les mariages sont ennuyeux, dit Obbagi.

Sa voix sortait des profondeurs de sa structure. Il n'avait pas de bouche.

- L'ennui ne présente pas de difficulté. C'est la distraction qui est épuisante. Heureusement, je ne suis pas obligé de me consacrer à la distraction.

Wolfgang eut un rire un peu forcé et l'autour posé sur son épaule bougea. Pour l'occasion, l'animateur allemand portait une imitation de costume XVIIIe en satin, abondamment rehaussé d'argent.

- La distraction aide assurément à passer le temps.

Le randroide psalmodia:

- Je n'ai pas conscience du passage du temps.

Jusqu'ici, Gabbo n'avait pas prononcé un mot. Il intervint, ce qui arrivait très rarement.

- Dans la mesure où on a conscience de vivre sur une planète largement dominée par le crime, la distraction est une occupation dont les limites sont plutôt étroites. Tu n es pas d'accord, Obbagi?

- On voit, partout, la comédie de la distraction.

- Oh, laissez tomber la morosité, s'écria Wolfgang. La morosité est démodée, dans notre Super État bienveillant. J'ai rencontré Paulus Stromeyer, qui est diaboliquement intelligent, et qui est en train d'inventer, si j'ai bien compris, une mathématique nouvelle capable d'engendrer l'égalité des riches et des pauvres.

-Il ne fait qu'inventer des règles. Stromeyer est comme un androïde, dit Obbagi, toujours aussi austère. Enfin, je veux dire qu'il est comparable à l'ALF 21, cette catégorie d'androïdes délibérément stupides, mis sur le marché en vue de flatter l'ego des êtres humains. Je trouve les êtres humains méprisables, et Gabbo est du même avis.

- Je ne connais personne qu'on puisse moins comparer à un androide que Stromeyer, dit Wolfgang.

il vida son verre de champagne, adressa un sourire affable à Gabbo et s'éloigna.

-Son aspect est étrange, dit le randroide sans visage.

-Celui de l'oiseau aussi, ajouta Gabbo.

-Comme on s'amuse! dit Stéphanie Burnell à son mari. Comment s'y prendront-ils pour faire mieux quand viendra le jour du divorce?

Karl Lebrecht, qui se promenait en leur compagnie, répondit:

-C'est ce qu'il y a de plus proche du dôme des plaisirs depuis la création de celui de Kublai Khan.

-Imaginez comme cette vallée devait être jolie avant que les de Bourcey la repèrent, dit Roy Burnell.

-Ne sois pas grincheux! dit Stéphanie, qui rit et le prit par le bras.

Elle ne s'intéressait pas véritablement à lui, regardait plutôt les robes extraordinaires que portaient presque toutes les femmes. Tout le monde s'efforçait de se présenter sous son meilleur jour.

Karl dit:

-Considérée dans une perspective différente, cette vallée est temporaire. La Terre est le théâtre de transformations dues non seulement à la dérive des continents, mais aussi aux chocs destructeurs de masses rocheuses venues de l'espace interstellaire.

Sans réfléchir, Stéphanie dit:

-Espérons qu'il n'en tombera pas une tout à l'heure. Karl, que ce type de réaction superficielle agaçait profondément, dit:

-Dans l'histoire de la Terre, il y a eu quatre grandes extinctions massives, toutes dues à des météorites venus de l'espace. La première a eu lieu pendant l'ordovicien, il y a quatre cent millions d'années.

-Ne sois pas si lugubre! dit Stéphanie. Regarde cette robe fabuleuse. Qui est cette femme? J'adore ce retour du look victorien!

-C'est Rose quelque chose, la romancière, dit Roy. Je crois.

Ils burent quelques gorgées de champagne. Karl trouva judicieux de changer de sujet. Il dit:

- Vous voyez ce colosse, en compagnie de cet androïde effrayant, près de la salle principale? C'est Gabbo!

- Bon sang, Gabbo! s'écria Stéphanie. Qu'est-ce qu'il fait ici?

- Si j'ai bien compris, c'est lui qui finance ce spectacle, pas de Bourcey. On raconte qu'il cherche à déceler les comportements bizarres, que c'est son hobby.

- Dans ce cas, il n'a pas de raison de nous regarder!

- Qu'est-ce que tu en penses, Francine? demanda Ann à sa fille éblouissante.

Elle estimait que son rôle, dans l'existence, consistait à persuader Francine de parler.

- Oh, absolument, dit Francine.

- Tu vois, ils sont enfin parvenus à créer dans la réalité un monde tel que celui que tu décris dans tes romans. Jeunesse, beauté, paix, abondance..., dit le général Fairstepps qui, une expression ravie sur le visage, regarda Rose Baywater sortir de la douche de leur hôtelette couleur de pêche

- Oh, abondance d'abondance, dit-elle, se drapant dans un énorme drap de bain rose. J'adore l'abondance d'abondance, pas toi? C'est si totalement joli.

Il se caressa la moustache.

- Tout dépend de l'abondance de quoi.

Rose lui plaisait, mais cette conasse faisait parfois des réflexions idiotes.

- La lignée compte beaucoup, Rose. Quelles sont tes origines?

- Oh, elles sont très ordinaires, Gary. Même si ma grand-mère, du côté de mon père, a été la Tentatrice en chambre du roi du Danemark, Hengist. Depuis cette époque glorieuse, nous descendons la pente...

Fairstepps grogna.

- Au moins, tu peux descendre une pente. Mon arrière-arrière-grand-père, je t'en ai peut-être déjà parlé, est mort en héros à la bataille de Damenbinden-sur-le-Main en 1881. Mon arrière-grand-père a écrit l'histoire de son régiment de cavalerie, le Twelfth Przewalski's Horse. L'éducation compte.

Le visage de plus en plus rouge, parce qu'il tentait de retirer ses bottes, il ajouta:

- L'élite militaire, les Fairstepps. La devise de notre fàmille:

je le fais si vous le faites. Bon sang ne saurait mentir, ma chère.

- Oh, dit Rose, j'espère que tes propos sont aussi sincères que ton sang.

- Un orage se prépare sur les montagnes, dit Jack Harrington sur un ton qui laissait entendre qu'il comprenait que sa remarque n'était pas pertinente. Comme pour nous rappeler qu'il fait beau ici, pour les privilégiés.

- Je ne sais pas pourquoi on m'a invité, dit Fairstepps. Je ne suis pas du genre à courir les réceptions.

- Mais tu es important, Gary. Pas comme moi.

- C'est vrai, reconnut Fairstepps. Ces foutues bottes...

- Personnellement, j'aime beaucoup les vallées, dit la romancière, comme pour snober davantage encore son associé.

Assurément, Jack était effacé... effacé, mais riche.

- Les vallées ont été inventées pour moi, mais toi, vieux dégoûtant (elle s'adressait maintenant à Fairstepps) tu étais destiné à vaincre les montagnes.

- Seulement dans un coin perdu tel que le Tébarou, répondit le général, comme si elle avait dit quelque chose de drôle... à moins que ça ne soit lui.

Au bar où on servait des fruits de mer, Jane Squire, qui avait repris son nom de jeune fille après son divorce, contemplait au-dessus du comptoir l'immense reproduction d'un tableau hollandais représentant des crevettes et des langoustes. Elle était au centre d'un groupe joyeux dont faisait partie une jeune femme spectaculairement belle et mince, que tous les hommes qui passaient regardaient avec admiration. Cette jeune femme s'appelait Francine Squire. Francine Squire était la fille d'Ann Squire et de Kevin Krawstadt, ainsi que la nouvelle étoile des Films Gabbo. Elle était déjà trop célèbre pour prendre part à la conversation. Francine se contentait de rester assise, très droite, un expresso  intact devant elle, et d'éblouir.

Jane était bavarde, enthousiasmée par l'événement. C 'était une femme élégante. Elle avait renoncé aux vêtements campagnards qu'elle portait d'habitude, était vêtue pour l'occasion avec une élégance qui ne lui était pas coutumière. Elle avait désormais tendance à grossir, en raison de l'âge, et avait commencé à teindre ses cheveux en noir; mais sa personne et son caractère affable demeuraient très désirables aux yeux des hommes d'un certain âge.

Son ami, Kevin Krawstadt, appartenait à cette catégorie. Après avoir commandé un verre de vin blanc, il dit, sur le ton de la plaisanterie:

- Est-ce que le tableau stimule ton appétit, Jane... Probablement sa raison d'être principale?

- Mon appétit ou, plus vraisemblablement, ma gourmandise.

il se pencha vers elle et dit, sur le ton de la confidence:

- Franchement, ce mariage en lui-même n'est qu'une glorification de la gourmandise.

- La peinture doit-elle glorifier la gourmandise? Ou la sainteté? Ou le chagrin?

- C'est à chaque peintre de décider.

Ann Squire, sœur cadette de Jane, estima qu'elle devait se joindre à la conversation.

- Mais la mode joue un rôle. Ce qui n'est pas à la mode, un tableau, un livre, un morceau de musique, n'aura pas de succès, n'est-ce pas?

- Oh, j'aime tout, dit Jane sur un ton léger. Peu m'importe que ça soit ou non à la mode, du moment que c'est consistant. Donnez-moi des crevettes, s'il vous plaît.

Elle fouilla dans son sac à main. Quand elle en sortit sa carte univ, Kevin Krawstadt lui rappela que tout était gratuit pour les invités.

- Oh, quelle honte! s'écria Jane. Je présume que je serai redevable aux de Bourcey jusqu'à la fin de mes jours.

- Qu'est-ce que veut dire redevable? demanda Bettina, la fille de Jane, à qui personne ne prit la peine de répondre.

Extrêmement consciente du fait qu'elle brillait d'un éclat beaucoup moins vif que sa cousine, Francine, Bettina ne nageait pas dans le bonheur. A cette époque de la fin de son adolescence, Bettina portait une frange qui touchait ses sourcils. Cela avait pour effet, espérait-elle, à la fois d'attirer les jeunes hommes et d'agacer sa mère. En réalité, un jeune homme, qui occupait une table voisine, était attiré. Et elle s'en était aperçue.

- Je leur suis déjà redevable, dit Ann Squire.

Laura Nye rit.

- Un bon derrière est souvent le moyen d'arriver sur le devant de la scène.

Toute la famille savait que c'était grâce à sa liaison avec Victor de Bourcey que Francine avait obtenu un rôle dans Mal d'amour pendant le carême, production très décriée des Films Gabbo, mais qui avait obtenu un oscar.

Laura était vieille et brinquebalante, souffrait d'arthrite. Néanmoins elle se tenait très droite, sur son tabouret, consciente de son rôle de grande dame.

- A la santé de la réception, dit Kevin, qui leva son verre de champagne.

- Est-ce qu'il est vrai que la reine de Suède est invitée? demanda Francine.

C'était, pour elle, une longue phrase.

- Allons, la Suède n'a sûrement plus de reine! s'écria Laura. Quel anachronisme! Mais, enfin, je suis moi aussi un anachronisme...

Né à Norfolk en 1925, Brian Aldiss, est considéré comme l’un des fondateurs du renouveau de la science-fiction contemporaine.
Romancier, anthologiste, essayiste, son œuvre littéraire épouse dans un premier temps les règles de “ l’extrême science-fiction ” (Non-stop, 1958) pour évoluer par la suite vers un genre mixte, vers une rencontre entre le roman de proche anticipation et celui de littérature dite générale, aux critères de genre plus souples et plus libres, autorisant la mise en œuvre de descriptions psychologiques complexes (Rapport sur probabilité A, 1968; Pieds nus dans la tête, 1969), voire érotiques (Un petit garçon élevé à la main, 1970; Frankenstein délivré, 1973). Son œuvre culmine avec la Trilogie d’Helliconia, un livre-univers à la mesure du cycle de Dune de Frank Herbert qui installera son auteur sur la liste des best-sellers.

Bibliographie