Dans la presse

SUD OUEST DIMANCHE

Gérard Guégan

Au risque d'augmenter le nombre de mes ennemis, je dois avouer que je ne fais pas grand cas du romancier Paco Ignacio Taibo II. Attention, je ne le juge pas antipathique, ses intrigues criminelles n'ont rien pour me déplaire, sinon qu'elles sont, vice rédhibitoire à mes yeux, entachées de manichéisme. Or je reste persuadé qu'un héros, quel qu'il soit, se doit d'affronter un adversaire à sa taille, sinon où serait le plaisir de lui damer le pion ? Sartre en avait tiré, me semble-t-il, une théorie très en vogue dans les années 50, celle du "salaud magnifique". Théorie qu'il appliqua surtout dans ses pièces de théâtre, grâce à quoi on les lit encore aujourd'hui sans ennui alors que leur problématique a terriblement vieilli.
Bref, à force de bons sentiments, Taibo m'irrite vite. Il a beau mélanger de savoureux ingrédients, empruntés aussi bien à la mythologie hollywoodienne qu'à l'imaginaire politique, la mayonnaise ne prend pas. Il se peut d'ailleurs que cela tienne parfois à la traduction.
Caroline Lepage, qui vient de mettre en français le dernier opus de Taibo, "Archanges", ne mérite, elle, que des louanges. On la sent captivée par ces "douze histoires de révolutionnaires sans révolution possible", un sous-titre que Taibo, dont l'érudition est incontestable, a dû choisir en songeant au surréaliste André Thirion et à son superbe livre de souvenirs, "Révolutionnaires sans révolution". Le résultat, en tout cas, de cette complicité entre la traductrice et le romancier m'a pleinement convaincu. Comme si Taibo, ici avocat des causes perdues, s'était senti obligé de se hisser lui-même à la hauteur de la tragédie. Il ne truque plus, il joue cartes sur table. Disons qu'au travers de ses personnages, nullement inventés, il abat son jeu. Lequel n'a rien pour plaire aux esprits sectaires.
Ainsi réhabilite-t-il d'une même plume vibrante d'émotion le Stalinien Siqueiros, mêlé à l'assassinat de Trotski et le gauchiste Hölz, liquidé par le Guépéou. Aucun dogmatisme ne l'anime sinon le culte de l'action. Serait-elle suicidaire, à l'image du socialiste Friedrich Adler, qualifié de provocateur par son marxiste de père, qui abattit en 1916 Stürghk, fervent militariste. En résumé, Taibo ne joue plus au plus fin en face de ces hommes et de ces femmes (quel beau portrait fait-il de Larissa Reisner !) qui ne reculèrent pas devant l'impensable.
Déjà, au printemps, l'historien Philippe Videlier s'était plu à imiter le romancier en évoquant, dans " le Jardin de Bakounine ", quelques destins révolutionnaires. Cette fois, c'est un romancier qui dépoussière l'Histoire en faisant entendre des voix enfouies sous la poussière du temps. Dans une note préliminaire, Taibo s'explique sur son projet. Il s'agit, au-delà de
"l'intention pédagogique", de "rassembler des grands-pères oubliés". Eh bien, c'est peut-être cet amour, car il en faut pour se composer une famille, qui l'a, soudain, rendu convaincant.