Dans la presse

LIBERATION

Mathieu Lindon

"C'est un bref roman dont les premières phrases donnent le ton d'une extrême violence implicite et explicite: "Je me souviens que j'étais encore un enfant un jeune enfant, lorsque mon père m'avait dit: -Si tu t'embarques, je te coupe une jambe. Sa voix était claire et grave, et j'eus peur, moi qui ne lui arrivais pas à la taille." Le narrateur s'embarquera. Il y a beaucoup de naufragés dans ces Naufragés dont l'auteur est né en 1969 et enseigna à l'Institut d'études politique en France avant de le faire maintenant à l'université australe du Chili. Le titre original du livre est Ameland et Ameland est une île, quoiqu'une île épouvantable. "Bien que la mer et le sable soient éternels, Ameland avait une histoire", et, depuis l'origine, cette histoire est faite de naufragés, au sens propre, qui devinrent les premiers "îliens", les premiers humains, du moins, d'un lieu abandonné à des animaux on ne peut plus sauvages. Le narrateur est un naufragé plus psychologique, c'est pour avoir débarqué dans l'île qu'il sera à la dé-rive. L'histoire Ameland ne demeure pas dans la mémoire des terriens, ainsi qu'il le constatera quand il sera redevenu l'un d'eux, mais ne disparaîtra au contraire jamais de l'esprit de ceux qui eurent le malheur d'y mettre les pieds. Y avoir découvert l'amour ne suffit pas à transformer positivement cette estimation. On pourrait dire que les Naufragés ressort de la littérature d'évasion, mais d'une évasion bien particulière. On n'échappe pas à Ameland, on ne guérit pas de son séjour là-bas. L'évasion n'est pas un morceau de plaisir, quand bien même un bateau vous recueillerait-il."