Des membres humains sont retrouvés dans une friche de Bogotá, mais leur propriétaire est vivant et emprisonné pour avoir tué sa femme. Le procureur Edilson Jutsiñamuy et son équipe sont chargés de l’enquête. La journaliste Julieta et sa secrétaire Johana, une ex-guérillera, vont les rejoindre pour remonter toute une chaîne de crimes atroces qui les amènera à faire la connaissance du romancier Santiago Gamboa, de son œuvre et de ses personnages qui ont des rapports troublants avec le réel. Cette rencontre leur ouvrira les portes d’une Colombie frustrée et pluvieuse marquée par les exactions des milices paramilitaires. L’intrigue captive le lecteur dans un jeu fascinant de miroirs entre réalité et fiction tout autant qu’entre les diverses représentations de l’auteur lui-même qui joue sa vie dans cette radiographie de la situation colombienne.
Conteur hors pair au sens de l’humour aiguisé, Santiago Gamboa séduit par sa verve et son ironie. Une intrigue passionnante menée de main de maître et une écriture ironique et efficace font de ce roman noir un livre exceptionnel.
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Une enquête en Colombie d'un réalisme frappant, qui nous fait voir les blessures de la guerre civile et la violence des milices paramilitaires. Un polar noir mené d'une main de maître, complexe, violent, avec un soupçon d'ironie : un régal !Lison
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"Avec la verve et l’humour qui le caractérisent, Santiago Gamboa signe un polar intense, à l’écriture serrée, à l’intrigue passionnante. Du grand art !"Catherine FattebertRTS (Suisse)
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"Roman noir historico-politico-sociologique pimenté d’humour, de moments très chauds et de cuisine typique (glossaire à l’appui), Colombian Psycho prouve une nouvelle fois toute la maîtrise de son auteur pour brosser un tableau sans concessions de la Colombie." Lire la chronique iciSite La cause littéraire
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"C’est une confrontation avec les fantômes, un jeu de piste avec une puissance d’évocation qui relève du grand art." Ecouter le podcast de l'émission (à partir de la minute 50’42) iciHubert ProlongeauFrance Culture - Mauvais genres
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« Un roman captivant, dense et intelligent, où les scènes les plus violentes et crues sont compensées par un humour décapant et de savoureuses descriptions de la vie quotidienne au cœur des rues de Bogotá. […] Les nombreux retournements de situation et péripéties admirablement orchestrées font de ce roman un véritable tour de force littéraire. »Emmanuel RomerLa Croix
DÉCOUVERTES INQUIÉTANTES
1.
Une main solitaire émergeait de la terre, comme si elle s’était lassée de reposer au milieu des cailloux et des fourmis, et voulait indiquer quelque chose. Ou dire simplement : “Je suis là, maintenant vous devez m’écouter.” C’était l’effet des fortes pluies. Un torrent d’eau avait creusé un profond sillon, arrachant de leur silence et leur secret les pierres les plus enfouies. Ainsi avait surgi cette main osseuse, noircie, comme métallique, dans les collines à l’est de Bogotá. Une sombre fleur au milieu de l’herbe et de la pierraille. Tels ces crabes noirs qui, sur l’île de Providencia, descendent pour pondre au bord de la mer et s’arrêtent en chemin, surpris par la lumière.
Une main abandonnée, poing fermé.
Une tarentule immobile indiquant quelque chose.
2.
Cette histoire commence dans une somptueuse propriété aux environs de La Calera, dans les hauteurs de Patios, une zone résidentielle des collines de Bogotá, où la famille Londoño Richter, propriétaire du domaine depuis au moins trois générations, offrait une extraordinaire et traditionnelle fête d’Halloween qui, pour les invités, marquait le départ vers le mois de décembre, les neuvaines et Noël. Les gens déambulaient dans les salons et les allées du jardin avec leurs masques, au son des premiers chants de Noël interprétés par un orchestre de douze musiciens. “Les poissons boivent et boivent dans la rivière”, fredonnait un garçonnet tout en jouant sur le portable Huawei 40 Lite de sa mère. L’entreprise Londoño Richter était leader dans le domaine de l’alimentation en conserve et condiments, avec des branches dans d’autres secteurs du commerce, de l’immobilier et de l’administration publique. Aussi ses fêtes étaient-elles célèbres : s’y retrouvaient des exportateurs, des avocats pénalistes, médecins, actrices et juges, commerçants et patrons de radios. Ainsi que des sportifs et des écrivains. Un illustre avocat se servait son quatrième whisky et chantonnait en exhalant son haleine alcoolisée, “pour voir naître le Dieu…”. Le mélange entre déguisements et thèmes anticipés de la Nativité, ponctué par le coup de pistolet annonçant le père Noël, était la clé du succès de ce raout annuel qui semblait chaque fois surprendre un peu plus les invités.
Cette année-là on avait monté dans les jardins près de la terrasse un ensemble de tentes qui protégeaient les invités des fortes pluies. À l’abri de l’averse étaient dressés le somptueux buffet central, le coin très fréquenté des alcools et, bien sûr, les tables, chacune décorée au centre par une impressionnante pyramide de langoustines (“quasi égyptienne”, dit quelqu’un), panachée de dés de vivaneau et de beignets de morue. Chaque table où trônait une de ces Khéops était entourée de quatre énormes sapins de Noël chargés de boules, d’étoiles et d’ampoules colorées. Naturels, ces sapins ? Les serveurs passaient entre les invités en portant sur leurs plateaux vin blanc, rouge, whisky Buchanan’s on the rocks, eau gazeuse, orangeade et Coca light. Et prenaient des commandes de cocktails. Beaucoup de femmes étaient en manteau de fourrure. D’autres en chemisier transparent, près des barbecues électriques, exhibaient bijoux, décolletés et seins siliconés. On apercevait au loin les lumières de la ville. À l’écart des tentes il y avait trois traîneaux, chacun avec un père Noël grandeur nature dont les yeux brillaient de lumières colorées. Et les enfants ? Où étaient les enfants ? Ils gambadaient entre les invités et les tables en pariant sur leurs cadeaux et en bousculant les serveurs.
Bien que la réception fût celle de ses parents, la jeune Dorotea Londoño avait invité un petit groupe d’amis. Elle faisait des études de sciences politiques à l’université des Andes et avait déjà atteint le huitième semestre. Comme le ton solennel de la fête les ennuyait, les jeunes gens décidèrent de s’enfermer dans l’atelier de joaillerie de la mère de Dorotea, un pavillon à l’écart de la maison, sans se priver, bien sûr, de faire des allées et venues pour rapporter des plats d’amuse-gueule de polenta frite, de fruits de mer, et surtout des bouteilles de vin blanc, de cognac et de whisky. Daddy, daddy cool. Bye bye daddy cool. Loin des adultes et de leur musique fadasse, ils pouvaient s’adonner au plaisir de leurs playlists Spotify, rétro ou vintage, électronique, techno, chacun à tour de rôle, et sauter, se contorsionner, faire des pogos, se sentir libre, boire au goulot, s’envoyer tout ce qui leur chantait, faire des selfies et les poster sur les réseaux sociaux.
Dorotea vivait un drame avec son camarade Felipe Casas, sur lequel elle faisait une fixette depuis au moins le cinquième semestre. Il lui plaisait, il la fascinait. Il la faisait craquer. Rien que de le voir elle se mettait à vibrer comme un lave-linge en phase d’essorage. Ce soir-là, elle était décidée. Elle voulait se le faire une fois pour toutes et cette fête était l’occasion ou jamais. “Je crève d’envie de m’envoyer en l’air avec lui”, dit-elle à Valentina, sa meilleure amie. “Je veux ce gland à fond, jusqu’au sang”, chantait-elle, un joint à la main et morte de rire devant sa quasi-sœur. “Wouah ! c’est le gland amour !” Valentina, en revanche, était très relax. Tranquille. Elle se tapait depuis des mois un professeur de statistiques de l’université, un type marié. Un peu chochotte, oh yes, mais marrant et un bon coup. Le soir même elle l’avait raccompagné aux résidences Altos de La Calera. “J’adore le rendre à sa femme écrémé, tout parfumé à chatte indice 6, herbe et fragrances. Et petit savon de motel.” Pour la pauvre Dorotea, en revanche, c’était total carême. Colombian drought, tous des tapettes ! Il ne se passe rien là en bas, juste des signaux de fumée. Des dactylocrates, et encore ! “Ma solitaire zone V doit croire qu’on est mortes et au paradis.” C’est que Dorotea avait de grosses exigences. Elle n’aimait que les types bien gaulés.
Alors, c’était maintenant ou jamais, ici et maintenant (hic et nunc ?).
Elle s’habilla super sexy, style hippie chic, une Janis Joplin créée par Chanel et Dolce & Gabbana : jeans déchirés découvrant des jambes lisses et bronzées, tee-shirt frappé de l’effigie du dieu Ganesh au ras du pantalon, laissant voir son ventre plat et son nombril décoré. Sabots genre Frida Khalo, colliers yeux de papillon de Dori Csengeri. Et dessous, la dynamite : culotte mi-short mi-string en fil couleur mercure, La Perla, et un top en latex. Catwoman créole version canon. Plus maquillage : crayon noir autour des yeux, regard lointain, entre Padmé Amidala et ce boniment de drague nicaraguayen : “Comparées à tes yeux, les étoiles c’est que dalle.” Si Felipe s’en battait l’œil ce soir-là, elle se tirait une balle.
La fête se déroula normalement et, vers dix heures, après avoir bien sautillé et pogoté sur la musique de Queen pour chauffer les hanches et métaboliser les poppers, Dorotea réussit à l’entraîner dans la pénombre.
Et là, elle se décida.
Action !
Elle lui mordit les lèvres en prenant un air chaviré, puis elle voulut l’embrasser en lui fourrant la langue, mais Felipe l’arrêta.
– Attends, attends… lui dit-il à l’oreille tandis qu’elle le langottait, lui léchait le cou et les oreilles, suçotait les pores pileux de ses joues, savourait le lobe de l’oreille. Baby, je t’adore, le problème c’est que je suis dans un processus très intime, c’est un secret, poupée…
Elle continuait à se frotter contre lui. Elle lui posa la main sur la taille et descendit, direction sud, zone de forêts tropicales.
– Raconte-moi ce truc intime, poussin, à moi tu peux tout dire. Ça me fait mouiller ! soupira, murmura, bava Dorotea à son oreille.
– Mais… tu me jures que t’en parleras à personne ? Ben voilà… c’est que je ne sais pas encore très bien si je suis gay, bi ou crypto-straight, tu vois ?
Dorotea cessa aussitôt les baisers et le regarda.
– Et alors, qu’est-ce que ça peut bien foutre maintenant ? s’exclama-t-elle avec un air d’enfant gâté.
Elle se frotta de plus belle contre lui, seins collés.
Elle lui prit une main, lui suça les doigts pour les enduire de salive et lui fourra la main dans son jean : bosquet embrumé, marais semi vierge, désert, humidité. Elle lui dit à l’oreille :
– Arrête tes chochotteries et mets-m’en deux sur cinq, juste deux…
– Je t’adore, je te jure, Doro, mais je sais pas, ce truc c’est avec une psychanalyste hyper pointue et elle m’a dit d’essayer pour le moment de pas me précipiter…
Elle pensa l’entraîner dans une chambre, le déshabiller de force et lui faire le “triple sec” : lui caresser l’anus avec le doigt et, simultanément, une pipe avec pression des couilles. Mais la maison était pleine. Elle allait devoir tenter quelque chose plus tard.
Sur ce, elle vit son amie Valentina, la mine tragique, qui lui faisait de loin des signes de panique, se frappait les cuisses avec les mains, et un air de… Tsunami ! Alerte Rouge ! Houston we have a… !
Elle lâcha Felipe pour la rejoindre.
– Qu’est-ce qui se passe ?
– Putain de putain ! lui dit Valentina. C’est la CA-TA ! on n’a plus de coke et il n’est même pas minuit, qu’est-ce qu’on fait ? Ton frangin en a pas ? David a déconné, je lui avais dit d’en apporter un max. C’est qu’on est nombreux !
– Oh que non, mon frère ne me filera jamais sa coke, même si on va toutes les deux le sucer. Attends, j’appelle Norbey pour voir s’il peut nous en monter un peu, au moins jusqu’au péage de Patios. Ça va coûter cher mais on s’en fout.
– Oui, oui, appelle-le. Moi je vais faire la quête.
Elle réussit miraculeusement à parler avec le dealer et elle eut une idée : descendre là-bas avec Felipe et, au retour, arrêter la voiture dans un chemin creux. Et là, tringlette.
Ce qu’elle fit. Elle prit le 4×4 de sa mère, hyper spacieux. Une chambre de motel sur roues, une suite de Best Western avec volant et frein à main. Elle trouva le dealer au péage de Patios, lui donna l’argent et prit la coke, et au retour elle s’engagea sur un chemin étroit qui menait à la propriété, que personne n’empruntait. C’était parfait. Elle arrêta le véhicule sous un bouquet d’arbres (de là on apercevait les lumières de Bogotá, indifférente à eux et à ce qu’ils allaient faire), elle disposa quatre lignes de poudre sur l’écran de son portable iPhone X Pro, qu’ils sniffèrent à tour de rôle.
Puis elle commença à l’embrasser.
– Qu’est-ce que tu sens quand je t’embrasse comme ça ? Sois sincère, Pipe. Ça t’excite pas ? Allez, avoue, t’aimerais pas te faire une bombe comme moi ?
– Bien sûr que si, baby, mais je t’ai expliqué… j’ai besoin de temps.
De temps ? Même pas en rêve. Hic et nunc. Dorotea lui déboutonna la chemise et lui suçota les tétons, puis le nombril. Elle lui ouvrit le pantalon et trouva le pénis qui, incertitudes sexuelles ou pas, paraissait très au courant de la situation à en juger par sa turgescence, prêt à l’attaque telle une division de panzers. Das vergononen. Elle se le fourra dans la bouche et commença à sucer en exerçant une pression de trois niveaux avec la langue, le premier au bord des dents. Une technique suédoise qu’elle avait apprise par un tutoriel sur Internet.
Un moment s’écoula, mais les choses ne semblaient pas vouloir passer à la vitesse supérieure, elle s’écarta et leva les yeux vers Felipe.
– Tu sens quelque chose ?
– Je sais pas, je sais pas… Je suis un peu paumé.
Dorotea se remit à sucer plus fort en salivant et engloutit le membre jusqu’au fond de la gorge.
– Arrête ton film, écoute-moi, lui dit-elle, compréhensive. Si après tu as envie de te faire trouer la rondelle, moi ça m’est égal, mais ce soir n’y pense pas, cool, laisse-toi aller, déconnecte, d’accord ?
– Bon, mais mets-moi un peu de coke sur la queue, dit Felipe les yeux fermés.
– Fuck me, chaton, j’en crève…
Elle se mit à quatre pattes sur le siège passager en lui offrant sa nudité et baissa la vitre pour sortir sa tête et sentir la bruine. Ses turbines internes bouillaient, prêtes à recevoir l’attaque. Et maintenant La Marseillaise, le chapitre 7 de Marelle et les Jardins suspendus de Babylone… Dorotea poussa son cul sur Felipe et se cramponna à la fenêtre pour sentir ce piston gonflé qui l’envahissait, s’enfonçait dans sa cavité en faisant valser les cellules, l’épithélium et les membranes humides, dont la muqueuse, de plus, absorba aussitôt les restes de chlorhydrate.
Une dérive continentale de plaisir lui fit fermer les yeux.
Mais, une seconde avant, elle aperçut quelque chose dehors.
Quelque chose qui brillait entre les gouttes de pluie.