Dans la presse

LE MONDE DES LIVRES

Gérard Meudal

Le cas de l'Islande semble particulier. Comment un pays peu étendu et peu peuplé (moins de 300 000 habitants) pourrait-il susciter des intrigues policières ? En forçant le trait, on pourrait dire qu'à Reykjavik tout le monde se connaît. On est loin en tout cas de l'anonymat des grandes villes américaines. A tel point que la population islandaise, isolée pendant des siècles, présenterait, paraît-il, des caractéristiques génétiques particulièrement intéressantes à observer. Dans les années 1990, une société privée, de Code Genetics, a même obtenu de l'Etat islandais le droit de constituer un fichier de l'ensemble de la population à des fins de recherche médicale.
Une telle décision n'a pu se prendre sans soulever de violentes polémiques et c'est le point de départ de La Cité des Jarres d'Arnaldur Indridason, premier roman policier traduit de l'islandais. Un homme dont la fille est morte à l'âge de 7 ans d'une maladie génétique rare profite de sa position au Centre d'étude du génome d'Islande pour mener sa propre enquête. De toute sa famille il est le seul porteur sain de l'anomalie qui a coûté la vie à sa fille. Une explication s'impose : il n'est pas le fils de ses parents, soit qu'il ait été adopté, soit que sa naissance soit le résultat d'un adultère. Il ne lui est pas très difficile de retrouver la trace de son père biologique et de lui demander des comptes. L'inspecteur Erlandur, qui officie sur cette affaire, est l'archétype du policier qui a perdu toutes ses illusions sur la nature humaine. La cinquantaine, divorcé, il n'a pas gardé de bonnes relations avec son ex-épouse et n'a pas vu ses enfants grandir. A présent qu'ils sont adultes, il ne les voit guère davantage. Son fils Sindri en est à sa troisième cure de désintoxication ; quant à sa fille Eva, complètement droguée (et enceinte), elle ne déboule chez lui que pour lui extorquer de l'argent quand elle est en manque.
Si l'on ajoute le climat plutôt déprimant et le fait que l'essentiel de l'action se passe à creuser des caves marécageuses, à exhumer des squelettes dans les cimetières ou à autopsier des cadavres aux fins d'analyses ADN, on aura une idée assez juste de la touche décidément très sombre qu'apporte ce polar islandais au tableau du roman noir.