Dans la presse

PHOSPHORE

Anne Ricou

Automutilation, Le mal à fleur de peau
Coupures au couteau, incisions au cutter, brûlures... Les actes de scarification et autres "autoblessures" sont en forte augmentation chez les jeunes, surtout du côté des filles. Une tendance alarmante.
Trois questions à David Le Breton
Phosphore: Quel sens donner à ces actes de scarification et d'incision de sa propre peau ?
David Le Breton: Une première signification est de couper court à une souffrance intense, dévorante. On provoque de la douleur physique pour lutter contre la souffrance morale. Là, vous y mettez "un cran d'arrêt" en matérialisant votre désarroi par une plaie.
Il peut être aussi question de purification, une signification que l'on rencontre beaucoup chez des victimes de sévices sexuels. Le sang qui coule matérialise le souhait d'évacuer une souillure personnelle. Les actes de scarification sont toujours un moyen de se prouver que l'on existe, que l'on reste maître de son corps, surtout quand on est sous l'emprise d'un chaos intérieur. Ils donnent l'impression que l'on s'arrache de ce chaos en se déchirant à l'extérieur.
Ces actes concernent plus les filles que les garçons. Pourquoi ?
Chez les garçons, l'incision est plutôt une affirmation de virilité et une démonstration de force de caractère... Ils vont alors davantage rechercher des témoins. Les filles, elles, sont plus dans l'intériorisation de leur souffrance. Ce sont des coupures silencieuses, dans le secret, discrètes, elles ne vont en parler à personne. ça ne se voit pas car le visage est le lieu sacré de notre identité personnelle. L'atteinte au visage est alors le signe du basculement vers la folie et la psychose. Un signal de non-retour vers le monde ordinaire.
Pourquoi existe-t-il ce silence et ce malaise autour des actes d'automutilation ?
Les entames corporelles bouleversent profondément les gens parce qu'elles viennent rompre une série d'interdits fondamentaux de nos sociétés. On attaque le corps. On fait couler le sang. On se fait mal sciemment. On joue symboliquement avec la mort... Et puis, si cette immense souffrance passe inaperçue, c'est aussi parce qu'elle ne pose pas de problèmes sociaux.
Ils ont dit...
"Dès que quelque chose va mal, je prends un couteau ou une lame de rasoir et je me coupe. Je m'entaille la peau doucement, sans aucune intention suicidaire. Et je m'arrache la peau, méthodiquement. Il y a quelques années, j'ai été l'objet sexuel d'une autre femme et ce secret m'a détruite. Je ne veux plus me faire du mal, je ne veux plus voir ces cicatrices sur mes bras." Malk
"Dès que je m'énerve, je suis obligée de me faire du mal. C'est comme une drogue et, après, je me sens si bien. Je veux me sentir bien sans avoir à me lacérer mais j'y arrive pas. C'est plus fort que moi." Anonyme
"C'est pour m'amuser. Je passe le couteau sur mon bras. ça coupe un peu la peau. C'est tout. La douleur, c'est psychologique, tu peux la maîtriser. C'est pas du sadisme, c'est juste le plaisir de jouer avec le couteau. Peut-être pour voir la couleur du sang, je sais pas." Thomas, dans La Peau et la Trace