Dans la presse

MADAME FIGARO

Delphine Peras

Elle a eu quarante ans le mois dernier." Ne m'en parlez pas! J'ai déprimé pendant une semaine." Interviewée par téléphone, Maïtena Burundarena, qui partage son temps entre Uruguay et Argentine, se reprend aussitôt : " Oui, c'est vrai, j'ai toujours pensé que ça ne me ferait rien de passer le cap de la quarantaine car je n'ai jamais considéré la jeunesse comme une valeur en soi. Le fait d'avoir été mère très tôt m'a toujours donné conscience de mon âge. Je suis vieille depuis longtemps! " Petite-fille d'un émigrant de Biscaye, Maïtena (" la plus aimée ", en basque), sixième d'une famille de sept enfants, prend vite goût au dessin " pour avoir la paix ". C'est moins son ingénieur de père que sa mère, architecte, qui l'encourage dans cette voie, avec la secrète ambition de voir sa benjamine devenir artiste peintre. En vain. Peu de goût pour les études, un caractère bien trempé, une première fugue à douze ans. La drôlesse n'en fait qu'à sa tête. " J'étais punk et agressive, j'en voulais à la terre entière. " Un premier enfant à dix-sept ans, un second à dix-neuf, puis elle se marie avec leur père mais divorce aussi sec. S'emploie donc à payer le prix de son indépendance. " J'ai commencé en autodidacte comme illustratrice pour toutes sortes de revues spécialisées -sportives, financières, etc. " Sa série des " Déjantées " naît quand un magazine féminin argentin, " Para Ti", lui offre une page hebdomadaire. " Avec ma vie si décousue, si décalée, je doutais de pouvoir relever le défi pour un journal aussi respectable. En fait, peu à peu, j'ai réalisé que je ressemblais bien plus aux autres femmes que je ne le croyais. Maïtena s'institue en entomologiste hors pair de ses congénères, qu'elle épingle comme autant de bestioles condamnées à se heurter aux vitres d'une société implacable, où il faut être belle, mince, élégante, épanouie au travail comme en amour. Bref, parfaite. " Je parle du point de vue de la souffrance, pas de l'humour. L'humour permet de dédramatiser et de vivre telles que nous sommes, avec nos contradictions, nos insatisfactions et nos kilos en trop ! " Résultat: sa mine démine allègrement le terrain domestique et le découpe en tranches de vie saignantes: l'essayage d'un maillot de bain tourne au drame existentiel; les soldes coûtent plus cher que dix ans d'analyse; la cellulite passe pour une maladie honteuse, et les régimes pour un mal nécessaire. Et, bien sûr, la séduction, le couple, la famille, l'amitié, le travail, la solitude ne sont pas en reste. Fervente admiratrice de Claire Bretécher, la dessinatrice argentine malmène autant les femmes mais force moins le trait. Et laisse affleurer une certaine tendresse: " Je suis devenue beaucoup plus tolérante ", concède la pasionaria assagie, de nouveau mère à trente-sept ans. Pas de complaisance pour autant, juste un soupçon de compassion. Féministe, Maïtena? " Non. Même si j'estime que nous devons beaucoup au féminisme. Mais je ne pense pas que la femme soit supérieure à l'homme, pas plus que je ne crois à l'égalité des sexes. L'important, c'est que nous ayons les mêmes droits. " à commencer par le droit de faire rire. " L'humour est resté longtemps l'apanage des hommes pour des questions d'éducation et de mentalité: traditionnellement, une fille se devait d'être discrète, douce, posée. Tout le contraire de l'humour, par nature corrosif et dérangeant. Or l'humour des femmes est beaucoup plus personnel. Elles sont plus drôles, surtout entre elles, car elles n'hésitent pas à faire leur autocritique. Les hommes, eux, discutent de tout - politique, sport, sexe - sauf d'eux-mêmes. Alors que notre distraction favorite, c'est de parler de nous. C'est dire si Maïtena est condamnée à plancher encore longtemps.