Dans la presse

LA VIE

Marianne Dubertret

Sa nouvelle de science-fiction a tapé dans l'œil des plus grands réalisateurs. Kubrick en avait rêvé, Spielberg l'a fait : A.I. débarque sur les écrans. Rencontre avec un auteur qui s'interroge depuis longtemps sur le propre de l'homme.
écrivain, essayiste et anthologiste, auteur d'une quarantaine d'ouvrages, Brian Aldiss est l'un des plus importants auteurs britanniques de science-fiction. Il a écrit, il y a trente ans, les nouvelles dont se sont inspirés Kubrick puis Spielberg pour bâtir le scénario de
I.A.
L'intelligence artificielle reste l'un de ses principaux sujets de réflexion.
La Vie. Parviendra-t-on, un jour, à fabriquer des ordinateurs qui imiteront exactement le fonctionnement du cerveau ?
Brian Aldiss. Je n'ai pas de réponse, mais c'est une question qui m'intéresse au plus haut point. Je suis en train d'écrire une autre nouvelle, sur la manière dont l'intelligence artificielle pourrait modifier le fonctionnement de la société. Plus que l'intelligence, c'est la conscience qui est le propre de l'être humain, ce qui le distingue des autres mammifères, et des ordinateurs. Saura-t-on bientôt la définir ? Et la reproduire artificiellement ? Il aurait d'ailleurs mieux valu intituler ma nouvelle, et le film de Spielberg, Conscience artificielle.
Pourquoi avez-vous cessé de travailler avec Stanley Kubrick sur l'adaptation de votre nouvelle ?
B.A. Peu après notre rencontre, Stanley m'a offert une très belle édition de Pinocchio. Il voulait absolument que David, le robot de I.A, rencontre lui aussi la fée bleue, celle qui a transformé Pinocchio en véritable petit garçon. Je détestais cette idée sentimentale. Donc, nous avons cessé de travailler ensemble.
Selon vous, pourquoi Kubrick n'a pas tourné le film ?
B.A. Comme il s'orientait vers une solution sentimentale, il a pensé à Spielberg. En même temps, il avait l'espoir qu'une grande firme fabriquerait pour lui un petit robot qui aurait incarné le personnage de David. Dans ces conditions, le défi l'aurait passionné. Il a compris que cela ne serait pas possible et s'est tourné vers les techniques de réalité virtuelle. Mais il lui fallait attendre qu'elles soient au point. Kubrick était doué d'une patience formidable. Puis il est mort. Spielberg a racheté les droits et a trouvé la bonne solution: David serait un vrai petit garçon qui jouerait le rôle d'un robot, et non l'inverse.
Qu'avez-vous pensé du film ?
B.A. C'est intelligent. C'est émouvant. Mais c'est la fée bleue, rien de plus. Il n'y a aucun souci scientifique. Il y avait pourtant matière à créer un véritable mythe moderne. Il aurait été intéressant d'envisager un monde où il aurait été courant de s'acheter un androïde. On aurait pu alors suggérer une analogie avec la manière dont les Occidentaux ont traité leurs esclaves pendant des siècles.
Cela supposerait que les androïdes, comme les anciens esclaves, soient doués d'une conscience ?
B.A. Non, pas forcément. La question n'est pas de savoir s'ils souffrent ou pas, s'ils ont une dignité ou pas. On peut s'interroger, en revanche, sur ce qui pousse les gens à s'acheter des esclaves et à les maltraiter. Si j'avais un domestique androïde, j'en viendrais inévitablement à le considérer comme un semblable : on voit bien qu'on parle à nos chats et à nos chiens. Si je me mettais à le frapper, je m'inquiéterais donc sur mes propres pulsions. Il y aurait des questions à se poser sur mon propre comportement, non ?