Un garçon de seize ans lit Moby Dick et part chasser la baleine. Un baleinier industriel japonais fait un étrange naufrage à l’extrême sud de la Patagonie. Un journaliste chilien exilé à Hambourg mène l’enquête et ce retour sur les lieux de son adolescence lui fait rencontrer des amoureux de l’Antarctique et de ses paysages sauvages. Il nous entraîne derrière l’inoubliable capitaine Nilssen, fils d’un marin danois et d’une Indienne Ona, parmi les récifs du cap Horn, sur une mer hantée par les légendes des pirates et des Indiens disparus, vers des baleines redevenues mythiques.
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Rencontre avec Luis Sepulveda, chilien de Hambourg, qui après avoir fait lire des romans d'amour à un vieux, chasse le cétacé au bout du monde. S'embarquer à Hambourg n'est pas le plus court chemin pour aller pêcher la baleine en Patagonie, surtout pour un Chilien. Si le Monde du bout du monde, le dernier roman de Luis Sepulveda, commence dans ce port allemand, c'est que les choses ont bien changé depuis le temps du capitaine Achab : " "Appelez-moi Ismaël appelez-moi Ismaël... " Je ne cessais de me répéter cette phrase en attendant dans l'aéroport de Hambourg, et je sentais qu'une force extraordinaire rendait mon mince billet d'avion plus lourd, toujours plus lourd à mesure que l'heure du départ approchait. " Il ne s' agit plus aujourd'hui de traquer les baleines, mais de faire la chasse aux navires-usines qui, au mépris des règlements internationaux, s'obstinent à exterminer les dernières baleines. Le héros du Monde du bout du monde, un journaliste spécialisé dans la dénonciation des atteintes à l'environnement, part enquêter sur les agissements clandestins d'une baleinière japonaise, quelque part du côté de la Terre de Feu. Sa mission est aussi l'occasion d'un retour aux sources pour ce Chilien émigré en Allemagne, tout comme Sepulveda. Les raisons pour lesquelles Luis Sepulveda, né en 1949, est venu se fixer à Hambourg sont plutôt diverses. Parmi elles un goût prononcé pour les romantiques allemands, l'envie de lire Marx et Engels dans le texte, un long séjour en prison qui lui a laissé des loisirs pour apprendre les langues étrangères, ou tout simplement le fait que c'est la section allemande d'Amnesty International qui a réussi à le faire sortir des geôles de Pinochet. Sans elle, il y serait encore puisque, après le putsch de 1973, Sepulveda a été condamné à vingt-huit ans de prison, peine commuée au bout de deux ans et demi en huit ans d'exil. Sepulveda passe d'abord quelques années en Equateur où il fonde, à Quito, une troupe de théâtre dans le cadre de l'Alliance française, puis au Nicaragua où il s'engage dans la brigade internationale Simon Bolivar, avant de venir s'établir en Europe. C'est à Barcelone et non pas aux confins de la Patagonie qu'il rencontre Bruce Chatwin. Manifestement, Luis Sepulveda n'aime pas beaucoup les Anglais quand ils se piquent d'écrire des récits de voyage Dans le Monde du bout du monde, il écrit, à propos de la Terre de Feu : " Un Anglais est passé par ces lieux, et il les a regardés sans rien comprendre. Il a écrit : "Tristes solitudes où la mort, plus que la vie, semble régner en souveraine." N'ayant rien compris, en bon Anglais, il a menti. Il s'appelait Charles Danvin. " Avec Bruce Chatwin pourtant, l'amitié est immédiate, au point que Sepulveda et lui entreprennent d'écrire un roman en commun. La mort de Chatwin, en 1989, a suspendu le projet, mais actuellement Sepulveda est en train d'achever seul ce roman inspiré de la vie de Butch Cassidy. C'est plus le roman d'aventure que la littérature dite de voyage qui influence Sepulveda. Le vieux qui lisait des romans d'amour, son premier roman traduit en français (et qui fut un des succès de librairie de l'année passée, avec près de cent mille exemplaires vendus, éditions de club comprises), est inspiré par un séjour en Amazonie mais n'en est pas le simple journal de route. " J'ai participé à une expédition scientifique de l'Unesco destinée à mesurer l'impact du processus de colonisation sur les Indiens Shuars. Ce fût un fiasco total. Tout le monde est tombé malade et je me suis retrouvé seul pendant six mois chez les Indiens." Sepulveda n'est pas tombé malade mais s'est fait mordre par un serpent, et c'est cette mésaventure qui l'a rapproché des Indiens. " Je ne disposais d'aucun remède. Un curandero m'a soigné en exigeant que je suive à la lettre toutes ses instructions. C'est ainsi qu'est née la confiance entre nous. J'ai appris le shuar, les méthodes de chasse des Indiens, j'ai participé à leurs rituels. ça a changé ma vision du monde. Toute la théorie révolutionnaire d'Amérique latine est la pire répétition du discours du conquistador. Ma génération a toujours pensé qu'on ne parle que deux langues en Amérique latine, l'espagnol et le portugais, alors qu'il en existe près de quatre-vingt-dix. L'indien n'est pas seulement l'image touristique du joueur de flûte des Andes. J'ai découvert un monde inconnu qui vit des réalités plus intéressantes et plus profondes que la théorie communiste. " Le héros du Vieux qui lisait des romans d'amour découvre lui aussi les vertus de 1a civilisation indienne à la faveur d'une morsure de serpent, mais c'est avant tout un aventurier qui a trouvé son port d'attache. S'il défend à sa façon les Indiens et leur mode de vie, c'est qu'il veut qu'on le laisse en paix lire ses romans d'amour. " Je ne propose pas le monde indien comme une alternative. Les Indiens Shuars m'ont dit : tu es comme un des nôtres, tu n'es pas des nôtres. Ton monde est celui des Blancs. La régression à la pureté indienne que proposent certains écologistes est une utopie, mais la destruction de l'Amazonie est une menace bien réelle, et pas seulement du point de vue de l'écologie. Je ne prétends pas faire de morale mais seulement raconter des histoires. " La défense de l'environnement occupe une grande place dans . Il y est question de militants de Greenpeace et de protection des cétacés, puisque le combat loyal d'autrefois est devenu un massacre organisé à l'échelle industrielle. Le narrateur se souvient d'une expédition qu'il fit sur une baleinière à l'âge où la lecture de Conrad ou Melville vous pousse à prendre la mer. L'adolescent revint déçu et vaguement écœuré de sa première pêche à la baleine, convaincu en tout cas que la réalité ne tient pas les promesses de la littérature. La charge finale des cétacés qui rassemblent leurs forces pour attaquer le navire-usine japonais, ça n'arrive que dans les romans. Quand aux dernières baleines survivantes, " elles chercheront d'autres baies, d'autres fjords au sud, toujours plus au sud, jusqu'à ce que le monde leur manque, conclut Pedro Chico en manœuvrant la barre avec douceur. - Voilà. Vous avez vu. Vous pouvez écrire ce que vous voudrez, dit le capitaine Nilssen, et il ajoura : - N'oubliez pas de mentionner le Finisterre. Les bateaux qui ont connu le goût de l'aventure deviennent amoureux des mers d'encre et ils aiment naviguer sur le papier. " Tout comme les hommes qui ont connu l'aventure continuent longtemps à en rêver. " Je me souviens particulièrement de l'un d'entre eux. Un homme très grand et corpulent, chevelure rebelle et barbe blanche, qui après avoir été péon d'estancia, châtreur de moutons, contremaître, puis marin sur le bateau-école Baquenado et enfin baleinier, a fait une pause dans ses courses sur les mers australes pour devenir le plus grand écrivain du Chili. Il s'appelle Francisco Coloane, il doit avoir quatre-vingts ans et, chaque fois qu'un ami lui rend visite, il l'emmène naviguer sur les canaux et les mers du Bout du Monde. "Gérard MeudalLIBERATION
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« Ce livre a les vertus des coquillages de nacre que l'on colle à son oreille : la musique de ses phrases nous révèle le bruit sans âge de la mer. »Michèle GazierTELERAMA
» Appelez-moi Ismaël… appelez-moi Ismaël… » Je ne cessais de me répéter cette phrase en attendant dans l’aéroport de Hambourg, et je sentais qu’une force extraordinaire rendait mon mince billet d’avion plus lourd, toujours plus lourd à mesure que l’heure du départ approchait.
J’avais passé le premier contrôle et j’arpentais la salle d’embarquement, accroché à mon sac de voyage. Je ne l’avais pas rempli exagérément: un appareil photo, un carnet de notes et un livre de Bruce Chatwin, En Patagonie. J’ai toujours détesté les gens qui soulignent ou mettent des annotations dans les livres, mais dans celui-là mots soulignés et points d’exclamation s’étaient accumulés au bout de trois lectures. Et je comptais le lire une quatrième fois pendant le vol Hambourg-Santiago du Chili.
J’avais toujours voulu retourner au Chili. Oui, je le voulais vraiment, mais au moment de la décision la peur l’emportait, et le désir de retrouver mon frère et les amis que j’ai là-bas était devenu une promesse
en laquelle je croyais de moins en moins a force de l’avoir trop répétée.
J’avais passé trop d’années à vagabonder sans but précis et, parfois, l’envie de m’arrêter me conseillait un petit village de pêcheurs en Crète,
Ierapetra, ou une paisible bourgade asturienne, Villaviciosa. Et puis, un jour, le livre de Chatwin m’était tombé entre les mains, et voilà qu’il m’avait rendu à un monde que je croyais avoir oublié et qui m’attendait toujours: le monde du bout du monde.
Quand j’avais lu pour la première fois le livre de Chatwin, j’avais été pris de la nostalgie du retour, mais la Patagonie était trop loin des simples désirs, et les distances ne font souffrir que lorsqu’elles sont associées à des souvenirs.
Aéroport de Hambourg. Les voyageurs entraient et sortaient de la boutique hors-taxes, occupaient le bar, certains avaient l’air nerveux, ils regardaient leur montre comme s’ils doutaient de l’exactitude répétée sur des douzaines d’horloges électroniques. Le moment approchait où les portes allaient s’ouvrir et où, après le contrôle des cartes d’embarquement, un bus allait nous mener à l’avion. Je pensais qu’après vingt-quatre ans d’absence je revenais au monde du bout du monde.