Dans la presse

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Alexie Lorca

"Dans un petit appartement de banlieue parisienne, Esteban Hinestroza, un écrivain colombien de 34 ans, médite sur son existence. Il vit de sa plume, au sens large du terme. Ses reportages radiophoniques et ses articles pour la presse écrite se convertissent plus facilement en espèces trébuchantes que ses romans. Mais Juan Goytisolo, l'un de ses écrivains favoris, n'affirme-t-il pas que " quand on vit de ses livres, on finit par publier des âneries " ! Fort de cette maxime et calfeutré entre les piles de livres qui envahissent la pièce, Esteban se laisse doucement envahir par ses souvenirs.
C'est d'abord l'enfance à Medellin - celle d'avant les narco-traficants - entre Pablito le frère aîné, les parents, deux universitaires passionnés de beaux-arts et de littérature, et Délia, la jeune bonne. Ce sont ensuite des déménagements à Bogotà puis à Rome, avant Madrid où Esteban débarque seul pour entreprendre des études de philologie. Chaque période est empreinte de nouveaux apprentissages, de nouvelles quêtes de sens et de rencontres qui rendent le quotidien fascinant. Car, dans cette famille unie et anticonformiste, la vie elle-même est un art, peut-être même l'Art majeur par excellence.
Proche de l'autobiographie
Aujourd'hui, un roman évoquant la douceur de vivre en Colombie - qui plus est à Medellin - fait figure d'événement rare. D'autant que chez Santiago Gamboa, l'autobiographie nourrit la fiction. La relation " vie-littérature " qui a déstabilisé, voire traumatisé, plus d'un romancier semble pour le Colombien un facteur d'équilibre et de sérénité ! Aussi est-on porté à croire qu'il a lui-même expérimenté l'une des " joyeuses idioties " tentées par Esteban, alors apprenti écrivain: convaincu que ses personnages manquent de chair, le jeune homme n'hésite pas à les incarner, à penser, à se mouvoir et à agir comme eux!
Dans son dernier roman, la biographie du " héros " et la sienne se confondent. Mais c'est à partir des histoires de multiples personnages secondaires - imaginaires ? - que Gamboa file la trame de l'histoire d'Esteban. Il y a là Tonio, l'amoureux déçu qui trouve sa voie dans la guérilla, Blas, le curé de gauche qui, de révolution en révolution, atteindra la plénitude à travers l'amour d'une femme. Puis Federico, expert en suicide, ou Rodolfo, étrange exilé argentin passionné par le jeu d'échecs. " On ne peut écrire sur sa vie qu'en racontant celle des autres ", constate d'ailleurs Esteban. A l'aube de la maturité, il a compris que " pour écrire il fallait vivre " et que pour vivre il fallait savoir reconnaître et saisir le bonheur. La traduction littérale du titre original est en cela tout à fait éloquente : " Vie heureuse d'un jeune homme nommé Esteban ".