Publication : 12/09/2013
Pages : 320
Grand Format
ISBN : 978-2-86424-938-2
Couverture HD
Numérique
ISBN : 979-10-226-0012-5
Couverture HD

Le Livre du roi

Arnaldur INDRIDASON

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22 €
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13,99 €
Titre original : Konungsbók
Langue originale : Islandais
Traduit par : Patrick Guelpa

En 1955, un jeune étudiant islandais arrive à Copenhague pour faire ses études. Là il va se lier d’amitié avec un étrange professeur, bourru, érudit et buvant sec, spécialiste des Sagas islandaises, ce patrimoine culturel inestimable qu’ont protégé les Islandais au long des siècles comme symbole de leur nation. Il découvre le secret du professeur, l’Edda poétique, le précieux Livre du roi, dont les récits sont à l’origine des mythes fondateurs germaniques, lui a été volée pendant la guerre par des nazis avides de légitimité symbolique.

Ensemble, le professeur et son disciple réticent, qui ne rêve que de tranquillité, vont traverser l’Europe à la recherche du manuscrit. Un trésor pour lequel certains sont prêts à voler et à tuer. Un trésor aussi sur lequel on peut veiller et qu’on peut aimer sans en connaître la valeur.

Une histoire inhabituelle et une aventure passionnante sur ce qu’on peut sacrifier et ce qu’on doit sacrifier pour un objet aussi emblématique qu’un livre.

Arnaldur Indridason met son talent et son savoir-faire de conteur au service de son amour des livres. Et de ce livre mythique en particulier.

  • « Je me suis délecté de la lecture du Livre du Roi, malheureusement comme toujours lorsqu'un livre nous enchante il est trop court... »

    Romain Boyer
  • « Pour les amateurs de chasse aux trésors, pour les aficionados d'aventures au long cours et pour tous les amoureux des livres, partez sur les traces de cette saga légendaire ! »

    Cécile Juignet
  • « Une enquête tout aussi haletante que celles du commissaire Erlendur, à la recherche du mythique livre du roi, père de toutes les sagas islandaises. On reste longtemps attendri par le personnage du narrateur, jeune étudiant hésitant entre naïveté et hardiesse et impressionné par son mentor tout en démesure qui l’entraîne dans des aventures rocambolesques. Pour découvrir une autre facette du grand Indridason, et l'importance de l'écrit et des histoires dans la culture islandaise. »

    Marie-Aube Nimsgern
  • « Dans cet ouvrage Arnaldur Indridason met en avant l’histoire incroyable et méconnue de son pays. Son écriture est froide, sombre, parfois pince-sans-rire, j’adore ! Impossible de ne pas lire ce livre d’une traite, tant ses personnages sont attachants et touchants. A chaque chapitre, une nouvelle intrigue vient s’ajouter à un suspense jouissif. A ne rater sous aucun prétexte ! »

    Marie Boisgontier
    Librairie L’Lire (Laval)
  • « Un polar historique atypique qui, sur le modèle d'un Umberto Eco, vous emmène dans le monde des livres et des sagas islandaises. Ce livre, assez singulier dans l'œuvre d'Indridason, est un véritable "page turner" et se lit d'un seul souffle. »

  • « Le lecteur est emporté dans cette course folle, subit les revers mais se redresse avec les deux héros, salue leur engagement pur et leur courage, comprend leur ténacité, souhaite ardemment leur victoire. Finit par se passionner lui-même pour ces textes anciens islandais, dont il n'est pourtant pas très proche culturellement.» Plus d'infos ici.
    Cécile Pellerin
    SITE ACTUALITTE
  • « Un peu d’Indiana Jones savamment mélangé à du Blake et Mortimer. A lire absolument. »
    Télématin
    FRANCE 2
  • « Le Livre du roi se lit comme un roman d’aventures érudit et éveille une grande curiosité pour une abondante littérature qu’une barrière linguistique a trop longtemps laissée ignorée. » Plus d'infos ici.
    Serge Perraud
    SITE LE LITTERAIRE.COM
  • « Sous couvert d’action, Le Livre du roi est en réalité un brillant roman d’initiation raconté par Valdemar, prodigieux étudiant capable de déchiffrer sur le pouce les manuscrits d’antan. Il est construit autour de la figure de son professeur – ivrogne aux manières brutales, mais aussi immense chercheur, doté d’une conscience morale digne de Hognor, l’un des héros du Codex Regius. En publiant les premières pages en exclusivité de ce qui promet d’être l’un des grands romans de la rentrée, Le Magazine Littéraire et Marianne vous invitent à pénétrer dans les secrets de ce chercheur fictif, et dans ceux d’une Islande qui n’a acquis une indépendance pleine et entière qu’en 1944. » Lire l'article entier ici.
    Alexis Brocas
    Hors-série MAGAZINE LITTERAIRE/ MARIANNE
  • « L’Islande d’Arnaldur Indridason. » Lire l'article entier ici.
    interview d’Arnaldur Indridason par Michel Abescat
    TELERAMA
  • « L’auteur islandais de La Cité des jarres est l’un de ceux qui a inoculé la fièvre du roman noir à l’Europe du Nord. Sous l’œil mélancolique de son héros récurrent - un policier usé et traumatisé - se révèlent une histoire et une culture très singulières, mais aussi les folies de la globalisation. » Lire l'article entier ici.
    dossier spécial par Alexis Brocas
    LE MAGAZINE LITTERAIRE
  • « On est ici plus proche des aventures d’Indiana Jones que du précédent opus d’Indridason, Etranges rivages. Son talent de conteur rend le récit captivant. »Lire l'article entier ici.
    Catherine Balle
    LE PARISIEN
  • «Ce roman est un peu atypique, plus nourri de références historiques que les précédents, mais tout aussi enlevé, jubilatoire et pince-sans-rire. Si adaptation au cinéma il y avait un jour, le rôle du professeur paraît taillé sur mesure pour Sean Connery. Pour Valdemar le casting reste ouvert. » Lire l'article entier ici.
    Jean-Claude Perrier
    LIVRES HEBDO
  • « On entrait léger et bien ignorant dans cette chasse au trésor, on en ressort armé jusqu’aux dents sur l’histoire de ces drôles d’insulaires. Et mordu par le mystère de leurs sagas. » Lire l'article entier ici.
    Julie Malaure
    LE POINT
  • « Arnaldur Indridason sait faire vivre pleinement des personnages, soutirer le maximum de leur psychologie sans jamais céder à la facilité et aux clichés du genre. Avec une écriture tout en élégance, il ponctue son récit de quelques mots judicieusement choisis pour nous faire ressentir les années 50. » Plus d'infos ici.
    Daniel Marois
    HUFFINGTON POST
  • « Une histoire inhabituelle sur ce qu’on peut sacrifier et ce qu’on doit sacrifier pour un objet aussi symbolique qu’un livre.»
    Hervé Bertho
    OUEST FRANCE
  • Article à lire ici
    interview d’Arnaldur Indridason par Julie Malaure
    Le Point

1863

 

 

À TRAVERS LES MUGISSEMENTS de la tempête, le vieux paysan entendit le bruit sourd et il sut tout de suite qu’il avait atteint les planches du cercueil. Appuyé sur sa pelle, il leva les yeux vers le voyageur qui au bord de la tombe suivait les opérations. L’homme s’était énervé et lui avait intimé l’ordre de se dépêcher. Le paysan replongea la pelle dans la terre et continua à déblayer. C’était une tâche difficile, la pluie faisait ruisseler l’eau dans le trou et il avait du mal à caler ses pieds car le terrain, semé de gravillons, était dur, et la fosse étroite. Il était lui-même transi et trempé. De plus, il n’y voyait rien. L’homme sur le bord tenait une petite lampe dont la lueur blafarde dansait sans arrêt au-dessus de la tombe. Vers le soir, les nuages s’étaient amoncelés et le temps s’était dégradé jusqu’à devenir pluvieux et orageux.

– Tu vois quelque chose?? lui cria l’homme.

– Non, rien encore, fit le paysan.

Ils avaient commis un sacrilège dans le vieux cimetière, mais cela ne tracassait pas le paysan. Il remblaierait la tombe, tout simplement. En fait, peu de gens connaissaient l’existence de ce cimetière. On le mentionnait dans les livres anciens, mais on avait depuis longtemps cessé de l’utiliser pour les sépultures. Le voyageur, lui, le connaissait et paraissait savoir qui y était enterré, mais il refusait d’expliquer pourquoi il voulait ouvrir la tombe.

Cela se passait au début de l’hiver, une période où on pou­vait s’attendre à tout de la part de la météo. Quelques jours auparavant, cet homme était arrivé à la ferme, seul, à cheval, et avait demandé l’hospitalité. Il avait une bonne monture et avait amené deux autres chevaux de bât avec lui. Dès le premier jour, il s’était rendu au vieux cimetière et avait commencé à prendre des mesures. Il paraissait s’être renseigné sur les anciennes dimensions du cimetière et il l’arpenta depuis un coin imaginaire en se penchant vers le nord puis vers l’ouest, et en s’étendant dans l’herbe pour coller son oreille contre la terre comme s’il voulait ausculter les défunts.

Le paysan ignorait lui-même qui reposait dans ce cimetière. Il avait emménagé dans cet endroit avec sa femme quarante ans plus tôt, accompagné d’une ouvrière et d’un ouvrier. La contrée était très à l’écart et ingrate. Sa femme était morte quinze ans auparavant. Ils n’avaient pas eu d’enfants. Les ouvriers étaient partis depuis longtemps. Avec le temps, le couple s’était approprié le terrain avec les droits et les devoirs afférents. Il avait raconté tout cela à l’homme et lui avait dit que son terrain, Hallsteinsstadir, était le dernier endroit habité sur les hauts-plateaux et qu’ils avaient rarement l’occasion d’avoir des visiteurs. L’hiver, la neige était abondante et per­sonne ne circulait. On aurait dit que le vieux paysan redoutait l’hiver. Il avait avoué qu’il ne voulait plus croupir dans ce trou et qu’il allait demander l’asile à l’un de ses neveux. Ils en avaient discuté. Il pouvait emmener ses moutons avec lui pour améliorer sa situation, mais il ne voulait pas qu’on lui fasse l’aumône.

Le nouveau venu écouta le paysan lui raconter tout cela le soir après qu’ils furent rentrés et eurent soupé. Le premier soir, il coucha dans le séjour après avoir demandé au paysan s’il avait des livres. Il n’en avait pas beaucoup, à part le Psautier. L’homme lui demanda alors s’il s’y connaissait en livres, mais le paysan répondit qu’il s’y intéressait peu et donna à l’homme ce qu’il avait à manger, qui était probablement assez quelconque pour un tel hôte?: un brouet aux herbes mélangé à du fromage blanc le matin, du pot-au-feu avec du hachis le soir. Le voyageur avait vraisemblablement mieux mangé dans les villes cosmopolites, lui qui disait avoir vu de ses yeux la cathédrale de Cologne.

Le paysan lui trouvait des manières d’un homme du monde. Ses vêtements étaient ceux d’un homme riche?: bou­tons d’argent et bottes de cuir. Quant au paysan, il n’avait jamais voyagé. Il n’avait aucune idée de l’importance que pouvait avoir ce vieux cimetière pour des gens venus de loin. C’était un cimetière abandonné comme n’importe quel autre en Islande, avec juste quelques tertres herbeux éparpillés çà et là sur un terrain en pente. L’homme lui rappela que Hallsteinsstadir était un ancien lieu de sépulture. Il ne se souvenait plus de l’histoire de la petite église?? Si, elle était à l’abandon car elle avait brûlé, à l’évi­dence parce qu’on y avait mis le feu par mégarde. En ce temps-là, on n’y célébrait plus l’office depuis longtemps sauf une fois par an, si toutefois le pasteur dipsomane qui résidait alors à Melstadur consentait à y venir.

C’est ainsi que le paysan se mit à bavarder, il en avait rarement l’occasion. Parfois personne ne passait de tout l’hiver. Le nouveau venu, lui, était particulièrement avare de paroles sur l’intérêt qu’il portait au cimetière et aux mesures qu’il y avait prises. Il prétendait ne pas être de la campagne et n’avoir aucun parent dans la région. Il disait qu’il était né en Islande et qu’il avait fait des études de droit à Copenhague. Il y avait habité quelques années ainsi qu’en Allemagne. Cela s’entendait à son parler. Il avait un accent étrange et le paysan trouvait que cela le rendait parfois un peu ridicule.

L’homme avait deux grandes valises avec lui, des livres à belles reliures, des vêtements et aussi de l’eau-de-vie, du café et du tabac dont il fit cadeau au paysan. Il avait aussi des provisions, de la morue séchée, de la viande fumée et de la bonne pâte à tartiner qu’il partageait avec le paysan. La plupart du temps, il tenait une sorte de journal dans lequel il se plongeait parfois et il arpentait le cimetière en marmonnant quelque chose que le paysan n’entendait pas. Le chien du paysan, doux, à la queue recourbée, s’attacha à cet hôte qui lui lançait des morceaux de viande fumée ou de la peau de poisson séché et qui le flattait.

Parfois, le paysan essayait d’engager la conversation avec le voyageur, mais il s’en retournait maussade, celui-ci n’était visiblement pas venu pour le distraire.

– On parle toujours de l’éclair?? demanda le paysan.

– Je n’en sais rien.

– La foudre a tué trois personnes, dit le paysan. À Vatnsley­suströnd, à ce que j’ai entendu. C’était il y a un an.

– J’ignore tout de cet éclair, fit l’homme. Je suis arrivé par bateau en mai.

Trois jours passèrent. En fin de compte, l’homme avait l’air d’être parvenu à un résultat. Il se tenait pensif au-dessus d’un tertre sur la pente. Il vit le paysan venir vers lui. Il commençait à faire sombre et à pleuvoir. Le vent se levait. Il jeta un coup d’œil au ciel. Cette nuit, il ferait probablement un temps de chien. Le vent soufflait de l’ouest.

Le paysan était allé trouver son hôte au cimetière avec l’intention de lui parler du temps. Il connaissait le vent d’ouest en cette saison. Mais il n’en fit rien, car avant qu’il ait pu dire un mot, l’homme lui avait exposé son affaire et il avait du mal à comprendre.

– Est-ce que tu peux creuser ici pour moi?? demanda-t-il en indiquant le tertre.

– Où ça?? demanda le paysan qui regardait tour à tour l’homme et le tertre.

– J’ai besoin qu’on creuse ici, dit l’homme. Je te paierai. Ça devrait te faire deux rixdales.

– Vous voulez descendre dans la tombe?? demanda le paysan en écarquillant les yeux. Il n’avait jamais rien entendu de semblable. Pourquoi, si je peux me permettre??

– Ça concerne des antiquités, dit l’homme qui sortit de sa poche deux rixdales et les donna au paysan. Ça devrait suffire, c’est même beaucoup.

Le paysan avait les yeux rivés sur l’argent au creux de sa main. Il n’avait pas vu depuis longtemps une telle somme et il lui fallut un certain temps pour calculer dans sa tête qu’il venait de recevoir pour une bagatelle l’équivalent d’un mois de salaire d’un bon ouvrier.

– Des antiquités?? fit le paysan.

– Je peux aussi faire ça moi-même, dit l’homme en ten­dant la main vers l’argent.

– Alors, vous aurez besoin de ma permission si vous avez l’intention de creuser sur ce terrain, rétorqua sur un ton offensé le paysan qui serrait les rixdales dans sa main.

Le visage de l’homme avait changé. Il avait été discret, cour­tois, voire bienveillant lorsque son hôte lui avait demandé des choses, par exemple quels étaient les anciens chemins qui tra­versaient les montagnes vers le pays voisin, et quand il posait des questions sur la parentèle et les hôtes du paysan, ses compétences et la taille de son exploitation. Et voilà qu’il parlait sur un autre ton?: celui de l’impatience, voire de l’insolence.

– Inutile de faire des histoires pour cela, dit l’homme.

– Des histoires?? fit le paysan. Je peux creuser pour vous, si vous voulez. Je ne me souviens pas qu’il y ait des antiquités ici. Vous savez quel caveau c’est??

L’homme fixa le paysan. Il regarda vers l’ouest le ciel chargé et l’orage qui s’annonçait, et son expression se fit dure et décidée. Sa chevelure brune lui descendait sur les épaules, il avait le front haut et intelligent?; ses yeux étaient enfoncés, mobiles et inquisiteurs. Il était grand, svelte, et portait une bague en or qui avait attiré l’attention du paysan le premier soir. C’était une grosse bague ornée d’un emblème inconnu.

– Non, dit-il, c’est pour ça que je veux creuser. Tu veux bien le faire?? Je suis pressé.

Le paysan jeta un coup d’œil à l’homme, puis aux deux rixdales.

– Je vais chercher les outils, fit-il en empochant l’argent.

– Dépêche-toi?! lui cria l’homme. Ce temps ne me dit rien qui vaille.

Il se tenait maintenant près de la tombe et encourageait le paysan. Le temps avait encore empiré. La tempête faisait rage et la pluie tombait drue. Le paysan proposa de poursuivre le lendemain en espérant que le mauvais temps s’apaiserait un peu au petit jour, mais l’homme ne voulut rien entendre. Il lui fallait prendre le bateau. Une étrange humeur s’était emparée de lui, il s’était mis à parler tout seul, prononçant des mots que le paysan n’entendait pas, et il lui demandait sans arrêt s’il voyait quelque chose, un squelette par exemple, et s’il voyait des objets dans la tombe.

C’était de toute évidence ces objets qui intéressaient l’homme. Il ne voulait pas dire au paysan de quoi il s’agissait et s’il y en avait beaucoup, ni même comment il était au courant de leur présence dans ce vieux caveau du cimetière qui n’était plus utilisé depuis plus d’un siècle si ce n’est deux.

– Tu vois quelque chose là?? cria-t-il au paysan au milieu des rugissements de la tempête.

– Je n’y vois rien, cria le paysan. Approchez la lumière?!

L’homme s’approcha du bord et avança la lampe. Il vit des morceaux de cercueil dans la tombe. Celui-ci s’était rompu, ébranlé par les coups, et des débris épars gisaient dans l’humus. Il regarda la toile et se dit que le cadavre avait peut-être été enveloppé dans un linceul. Le paysan devait se fatiguer à déblayer, mais il prenait son temps. Il y avait de moins en moins de choses dans sa pelle à mesure qu’il la reposait plus souvent sur le bord.

– Là, qu’est-ce qu’il y a?? s’écria l’homme en faisant un signe de la main. Déblaie-moi ça?!

Le paysan était essoufflé.

– Remonte?! lui cria l’homme. Je vais terminer. Allez?!

Il tendit la main au paysan heureux de cette pause. L’homme le tira de la fosse et lui demanda de tenir la lampe. Ensuite, il sauta dans la tombe et commença à déblayer à toute vitesse. Il lança les débris du cercueil sur le bord et eut tôt fait de parvenir aux ossements. Il reposa la pelle et se mit à les dégager à la main. Une côte et un os du bras émergèrent de la terre et, finalement, le paysan vit les os du crâne. Lorsqu’il vit les orbites vides, le trou du nez et la bouche édentée, il eut froid dans le dos.

– Qui est-ce?? hurla-t-il. À qui est cette tombe??

L’homme fit comme s’il n’avait pas entendu.

– Est-ce bien raisonnable?? murmura le paysan. Nous n’allons tout de même pas réveiller les morts?? Les morts doivent reposer en paix?!

L’homme ne lui répondit pas, au contraire il continua à dégager les ossements à la main. La pluie, qui tombait avec toujours plus de violence, avait transformé la tombe en bourbier.
Tout à coup, il sentit une résistance dans la terre. Il se pencha et poussa un léger cri en voyant ce que c’était. Il venait de découvrir un petit tube en plomb.

– Est-ce possible?? soupira-t-il, comme oublieux de l’espace et du temps.

Il nettoya le tube et le tint à la lumière.

– Vous avez trouvé quelque chose?? lui cria le paysan.

L’homme posa le tube sur le bord et remonta de la fosse. Ils étaient tous deux couverts de boue de la tête aux pieds, complètement trempés. Cela semblait laisser l’homme indiffé­rent, mais le paysan, qui tenait la lampe sur le bord, s’était mis à grelotter. Il avait une barbe blanche et n’avait plus de dents?; il portait un bonnet pour protéger sa calvitie. Sa vie difficile l’avait voûté. Il avait dit à son hôte qu’il n’était pas exclu qu’il essaie de trouver refuge chez l’un de ses parents.

L’homme prit le tube en plomb et en enleva la terre.

– Rentrons, dit-il, et il se dirigea vers la ferme.

– C’est bon, fit le paysan qui lui emboîta le pas.

Ils rentrèrent à la ferme et le paysan se mit aussitôt à attiser le feu dans la cuisine. L’homme s’assit avec le tube et, après quelques efforts, il parvint enfin à en ouvrir une extrémité. De l’index, il en récupéra le contenu et l’examina avec cir­conspec­tion. Il semblait satisfait de sa découverte.

– Ils vont trouver ça bizarre quand je leur raconterai tout ça, dit le paysan les yeux fixés sur le contenu.

L’homme leva les yeux.

– Qu’est-ce que tu dis??

– Que c’est la visite la plus bizarre que j’aie jamais eue, fit le paysan.

L’homme se redressa. Ils se tenaient face à face dans le petit séjour et, pendant un instant, l’homme parut réfléchir. Le paysan, qui gardait les yeux fixés sur lui, vit une lueur illuminer son visage ruisselant de pluie ainsi que ses yeux marron sous son chapeau et, soudain, il lui revint à l’esprit l’histoire qu’il avait entendue une fois alors qu’il était en voyage d’affaires, sur un éclair qui avait frappé des hommes à Vatnsleysuströnd et les avait tués sur le coup.

LORSQU’AU DEBUT DU PRINTEMPS suivant la neige se mit à fondre, on partit à la recherche du paysan, à la demande de son neveu. Mais sans succès. Le paysan n’était pas chez lui et semblait avoir été absent tout l’hiver. Il y avait longtemps qu’on n’avait pas allumé le feu et certains indices donnaient à penser que la maison était restée inhabitée pendant des mois. Tout avait été bien rangé dans la cuisine. Chaque chose était à sa place. Dans la salle à manger, les grabats avaient été faits. À l’extérieur, les portes avaient été soigneusement fermées. Le chien du paysan était introuvable et n’avait été vu dans aucune des fermes du fjord. On retrouva ses moutons avec les autres en automne. Ils étaient restés seuls tout l’hiver et tout l’été.

On apprit avec étonnement dans le pays la disparition du paysan, car tous connaissaient la beauté des alentours de sa maison. Aucune nouvelle de lui. Il n’avait été vu dans aucune ferme. Avec le temps, on en vint à penser qu’il s’était mis en route en hiver avec son chien, probablement vers Noël, et était mort victime des intempéries.

Lorsqu’on partit à leur recherche en les hélant, on ne trouva pas la moindre trace d’eux ce printemps-là, ni jamais. Le lieu resta à l’abandon. Lorsqu’il fut évident qu’il avait disparu, les gens qui se rendirent à Hallsteinsstadir pour prendre les rares biens du paysan constatèrent que le terrain avait été retourné près de la ferme et on s’accorda à penser que les tertres en pente avaient été aplanis avant sa disparition.

Arnaldur Indridason est né à Reykjavík le 28 janvier 1961. Diplômé en histoire, il est d’abord journaliste et critique de films pour le Morgunbladid, avant de se consacrer à l’écriture. Ses nombreux romans, traduits dans quarante langues, ont fait de lui un des écrivains de polar les plus connus en Islande et dans le monde, avec 18 millions de lecteurs. Il a reçu le prix Clef de verre à deux reprises, en 2002 pour La Cité des jarres, et en 2003 pour La Femme en vert (également couronné par le Gold Dagger Award et le Prix des lectrices de Elle), le Prix du Polar européen Le Point en 2008 pour L'Homme du lac, le prix d’honneur du festival les Boréales en 2011, et le prix espagnol rba du roman noir en 2013 pour Passage des Ombres (troisième tome de la Trilogie des Ombres). Douze de ses romans mettent en scène le personnage d’Erlendur Sveinsson, inspecteur de la police de Reykjavík. Plusieurs autres sont consacrés à des énigmes historiques ou des affaires d’espionnage. Dans la fascinante Trilogie des Ombres, il met en scène un nouveau couple d’enquêteurs, à l’époque de la « Situation », l’occupation américano-britannique de l’Islande à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Portrait par Sabrina Champenois, LIBERATION - juillet 2010 Rendez-vous sur la page Facebook de l'auteur pour suivre toutes ses actualités