Une veuve trouve un vieux pistolet dans les affaires de son mari et l’apporte à la police. Une vérification montre qu’il a été utilisé pour un meurtre non résolu depuis de nombreuses années. Konrad, un détective à la retraite, s’y intéresse car son père a eu une arme similaire…
Konrad nous apparaît ici dans toute son ambiguïté morale, aux prises avec les démons de son enfance auprès de ce père malhonnête, dangereux et assassiné par un inconnu. La soif de vengeance le domine, mais il résout les crimes restés sans réponses claires dans le passé. Il regrette un certain nombre de ses actes et essaye de s’amender. Ce faisant, il nous révèle la dureté de la société islandaise à l’égard de tous les déviants.
Un roman noir pur et dur, de beaux personnages pour lesquels le lecteur éprouve de l’empathie, de vrais méchants, aussi. Un de ces romans addictifs dont Indridason a le secret et qui restent dans le cœur des lecteurs bien à l’abri des tempêtes hivernales.
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"Voilà un pur Indridason dans le style où il excelle. Avec cette force et cette originalité d’arriver à nous attacher à un personnage pas forcément très sympathique. Ni totalement honnête. On retrouve l’Islande avec ses tempêtes de neige, ses disparus, ses fantômes réels ou imaginaires. Et les traumatismes liés à la violence faite aux plus faibles." Lire la chronique iciBlog Actu du noir
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"Bien calé sur le rythme lancinant des errances de son antihéros, Indridason démystifie une nouvelle fois avec ce roman d’un noir profond la rudesse et le conformisme de la société islandaise."Jean-Nicolas BernicheCarrefour savoirs
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"Depuis qu’il a initié sa série consacrée à Konrad – un ancien policier toujours vert – l’écrivain islandais Arnaldur Indridason semble avoir conclu un pacte avec son public. Il exige désormais de lui une patience et une fidélité sans faille. […] Au gré de ses enquêtes, l’ex-flic révèle des facettes de sa personnalité éminemment troubles et noires. Jusqu’où sera-t-il capable d’aller pour découvrir la vérité sur la mort d’un père pourtant violent, malhonnête et tricheur, qui battait sa femme et avait abusé de sa propre fille ? Le lecteur en vient à craindre le pire." Lire la chronique iciBlog Polars, polis et cie
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"Comme en écho à la rudesse des paysages soumis à l’épreuve de la nuit, de la neige ou du vent, ce roman brosse un portrait glaçant de la société islandaise des années 50 à 70. Pauvreté, homophobie, mauvais traitements infligés aux enfants des orphelinats, corruption de la police, le portrait est au couteau. Ecouter le podcast de l'émission iciMichel AbescatFrance Inter - Le polar sonne toujours deux fois
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"Dans ce cinquième volet de la série dévolue à l’inspecteur Konrad, Arnaldur Indridason ne se contente pas de creuser la veine du "nordique noir" islandais, qu’il incarne depuis deux décennies. Il hybride son polar d’une plongée dans l’histoire de son île, qu’il explore avec une concision presque obsessionnelle roman après roman. En particulier celle de l’après-guerre, lorsque l’Islande rurale et pauvre entra brutalement dans la modernité."Marie CharelLe Monde des Livres
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"Dans Les Parias, tout est mêlé, emmêlé, entortillé, notamment le passé et le présent. […] La vérité qui sortira de cet embrouillamini savamment organisé va évidemment à l’encontre des déductions que le récit suggère tout au long de sa progression. De la très bonne technique littéraire pour dire, notamment, que les parias l’étaient vraiment : "Ce qu’on pouvait avoir honte, c’était de la folie."Alain LéauthierMarianne
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"Une intrigue forte et prenante." Lire l'article complet iciLaurent GreusardSite K-Libre
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"Toujours cette qualité d’écriture, des sentiments nobles, une empathie sans cesse renouvelée pour les faibles, les bannis. Du bon polar !"Blog Nyctalopes
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"On frissonne à plus d’un titre à la lecture de ce polar en noir et blanc où les parias d’aujourd’hui meurent de froid dehors, la nuit." Lire la chronique iciSite Encres vagabondes
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Lire la chronique iciBlog En lisant en écrivant
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"Avec cette intrigue sobre et belle, Arnaldur Indridason se pose une nouvelle fois en grand écrivain du clair-obscur, régnant sur le paysage islandais comme dans l’âme de ses personnages."Elise LépineLe Point
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"Un roman très addictif du maître du polar islandais."Guy DuplatLa Libre Belgique
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"Arnaldur Indridason excelle, une fois encore, à faire de l’Islande le berceau noir du péché et des impunités coupables."Sophie CreuzL'Echo (Belgique)
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"Comme toujours, Arnaldur Indridason a l’art d’imbriquer passé et présent dans un puzzle tragique et prenant. Son héros, ici, est l’ambiguïté même. Ses zones d’ombre dévorent le récit, le happent dans une nébuleuse à haut risque. […] Placé sous le signe de l’ironie dramatique, le voyage est aussi désespérant que haletant."Sophie PujasTransfuge
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"Les Parias est touffu, un rhizome. Dans le sillage de Konrad, on s’y perd, parfois, entre les prénoms en “i”, et entre les options. Mais la profusion met en relief la limpidité de l’écriture d’Indridason et son autorité : lui avance en chasse-neige, sûr de son fait, impressionnant." Lire l'article iciSabrina ChampenoisSite Libération
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"Lire Indridason c'est aussi apprécier les formidables traductions d'Éric Boury." Lire la chronique iciBlog Baz'Art
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"Dans un paysage dépaysant de neige, de glace et de nuit, voici Konrad plus abattu que jamais, contraint d'affronter seul les traumas de son passé et d'accepter le côté sombre qui est en lui. […] Un subtil roman noir aux intéressantes facettes sociétales." Lire l'article iciIsabelle LesniakSite Les Echos
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"Tout en plongeant de plus en plus profondément dans l’obscurité, Indridason continuer de livrer des romans qu’il est tout bonnement impossible de lâcher."François MontpezatDernières nouvelles d'Alsace
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"Cette Islande-là est un labyrinthe à ciel ouvert : on s’y cogne, on s’y perd, on se garde des vivants, et le vent est le cri des fantômes. Au cœur du dédale, Arnaldur Indridason règne en marionnettiste suprême."Fabrice ColinLire Magazine littéraire
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"Arnaldur Indriðason revient en force. [...] C’est parfois très sombre mais c’est passionnant du début à la fin. Une excursion en Islande bienvenue avant d’offrir, comme chaque année, ce polar à ma mère. Une tradition que j’aime beaucoup." Lire la chronique complète iciBlog La Nuit je mens
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"Les Parias est un roman noir addictif, un page-turner captivant." Ecouter le podcast de l'émission iciMohamed BerkaniFrance Info Culture
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"Star du roman policier nordique, l'Islandais revient avec un thriller où Konrad, son ancien flic anti-héros, se dévoile et révèle le côté obscur de Reykjavik."Hubert ArtusLe Parisien week-end
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"Comme toujours avec l’Islandais Arnaldur Indridason, mieux vaut être prêt à plonger dans les coins les plus sombres de l’âme humaine. Une lueur d’espoir ? Vous plaisantez. De la psychologie, oui. Des chemins sinueux, également. Tout ça pour servir des personnages en quête de rédemption que l’auteur excelle à cerner."Nicolas AguirreTélé Star Jeux
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"On a appris à s’attacher à cet antihéros au fil des cinq opus que le romancier islandais lui a déjà consacrés, nourrissant livre après livre une biographie marquée par une enfance difficile et une existence loin d’être irréprochable. […] Au-delà de l’intrigue, ce qui frappe dans ce roman est le climat crépusculaire qu’[Arnaldur Indridason] maintient de bout en bout. Cela tient aussi à la psychologie complexe d’un héros à la moralité vacillante."Françoise DargentLe Figaro littéraire
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"C’est un roman à la fois magnifique pour le contenu, le récit et terrible par les sujets abordés. Il est difficile à lâcher pendant la lecture et il marque la mémoire la dernière page refermée." Lire la chronique complète iciSite Le Littéraire
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"Ce qu’il y a de bien avec Indridasson c’est qu’il résume subtilement ses intrigues dans les dialogues de ses personnages. Aussi complexe soit-elle, l’histoire en devient plus lisible, plus éclairée et encore plus facile à lire malgré les différents méandres empruntés par le récit. Une très bonne histoire et une suite des affaires de Konrad." Lire la chronique complète iciBlog Café noir et polars gourmands
1
Le jour de ses neuf ans, le père de Konrad lui avait une fois encore reproché ses questions idiotes. L’enfant avait eu le temps de comprendre bien des choses pendant sa courte vie. Certaines étaient plutôt simples à assimiler, d’autres lui avaient été inculquées par l’expérience.
La journée ne s’était accompagnée d’aucune réjouis- sance. Son père n’avait rien fait pour la célébrer. C’était un jour comme les autres. Seppi avait oublié l’anniver- saire de son fils. À croire qu’il n’en avait jamais connu la date. Ce samedi-là, vers midi, il avait entendu frapper à la porte de son appartement, il était allé ouvrir et avait découvert Addy, son ancienne belle-sœur, la tante de Konrad du côté de sa mère, avec un gâteau au chocolat qu’elle avait préparé pour l’occasion et, coincé sous son bras, un paquet que la mère du petit avait envoyé depuis les fjords de l’Est. Addy avait toisé Seppi avec un franc mépris.
- Toutes mes félicitations au jeune homme ! s’était- elle exclamée en tirant sur sa Camel.
Elle était si maigre qu’on pouvait lui compter les côtes.
- Au jeune homme ? Lequel ? avait rétorqué
- Enfin, à Konrad ! Comment ça, lequel ?! C’est son anniversaire ! Tu n’es pas au courant ?!
- Putain, de quoi je me mêle ? avait tonné le père.
Il n’avait pas assez dormi, sa voix était rauque après une nuit difficile.
- Où est Konrad ?
Seppi avait regardé le paquet.
- C’est sa mère qui lui envoie ça ? L’enfant était alors apparu derrière
- Bonjour, mon chéri, joyeux anniversaire ! Neuf ans aujourd’hui ! Te voilà devenu un grand et beau garçon !
- N’essaie pas de te le mettre dans la poche, l’avait mise en garde Seppi.
Konrad se taisait. Il avait regardé tour à tour les deux adultes et attrapé le paquet. Addy avait expliqué que c’était sa mère qui le lui envoyait. Elle l’embrassait très fort. Elle était vraiment désolée de ne pas pouvoir venir à Reykjavik pour lui souhaiter son anniversaire, et elle espérait qu’ils se reverraient bientôt.
Konrad aurait voulu lui répondre, mais ne sachant pas quoi dire, il avait gardé le silence jusqu’au moment où son père avait décidé qu’il en avait assez et claqué la porte au nez de la tante. Il avait poussé son fils vers l’inté- rieur de l’appartement d’un geste si brusque que l’enfant avait trébuché. Sur quoi, il était retourné s’allonger sur son canapé en marmonnant que cette engeance n’avait qu’à s’occuper de ses oignons, et n’avait pas tardé à se rendormir.
Le petit avait posé le paquet sur la table de la cuisine et coupé à l’aide d’un couteau la ficelle qui l’envelop- pait. Il y avait trouvé une lettre adressée à “Konrad, pour tes 9 ans”, écrite en gros caractères faciles à déchiffrer. “Joyeux anniversaire, tu me manques tant. Ta maman dans l’Est.” Sa sœur Beta l’embrassait, toutes deux avaient tellement hâte de le revoir, même s’il allait falloir être patient, en tout cas sa mère espérait que son petit garçon chéri allait bien.
La boîte contenait aussi un beau gilet bleu qu’elle avait tricoté, imprégné de la douce odeur des deux barres de chocolat, des bâtons de sucre d’orge et des caramels qui l’attendaient sous le tricot, avec un canif à manche en bois et un livre intitulé Le Mystère de l’île verte.
Konrad était trop jeune pour s’en rendre compte, mais ces cadeaux étaient aussi chargés de mauvaise conscience. Sa mère avait supplié Seppi de la laisser
emmener son fils lorsqu’elle avait quitté le foyer fami- lial. Elle manquait beaucoup au petit garçon qui espérait qu’elle reviendrait à la maison, mais elle n’abordait pas le sujet dans sa lettre. Il avait beau essayer de la com- prendre, il ne pouvait pas s’empêcher de lui en vouloir. Il avait plus d’une fois vu son père lever la main sur elle. Il l’avait plus d’une fois entendu dire que jamais il ne la laisserait l’emmener. Jamais !
- Elle essaie de t’embobiner ? s’était inquiété Seppi plus tard dans la journée en examinant le contenu du
Il avait avalé une rasade d’alcool pour mieux se réveil- ler, pris un caramel qu’il avait enfourné et attrapé une des barres de chocolat comme un percepteur véreux. Puis il avait regardé le gilet, hoché la tête d’un air approbateur et sorti de sa poche cinq couronnes qu’il avait tendues à Konrad. C’était son cadeau d’anniversaire.
- Les hommes avec qui tu as joué cette nuit, c’était qui ? avait dit l’enfant en levant les yeux du Mystère de l’île verte.
- Tu ne dormais pas ?
- Ils sont intéressants ?
Son père ne lui avait pas répondu.
- Pourquoi on te surnomme Seppi ? avait demandé Konrad, qui ne s’adressait jamais à lui par ce surnom servant d’ordinaire à désigner un chien.
Il avait posé cette question avant autant de candeur que le coup qui avait suivi était violent. La main de son père s’était abattue avec une telle brutalité sur son visage qu’il avait saigné du nez. Il était tombé de la chaise de la cuisine et s’était cogné l’arrière de la tête contre le mur.
- Arrête avec tes questions idiotes ! avait éructé son père.
Avec l’expérience, Konrad avait appris à ne pas poser de questions idiotes même si pas mal de choses éveil- laient sa curiosité. La nuit précédente, il avait entendu
à travers la cloison peu épaisse les voix des compagnons de jeu de son père lui ordonner de “se dépêcher d’aller me chercher ça, Seppi, et de remplir mon verre, Seppi”. Ils s’étaient adressés à lui comme s’il était leur chien, comme à un moins que rien. Certains de ces types avaient trouvé ça drôle, ils avaient éclaté de rire. Seppi n’avait rien répondu, il ne s’était pas non plus mis en colère, à la grande surprise de son fils.
D’où la question de Konrad. Ce n’était hélas pas simple de savoir comment se comporter face à cet homme dont la manière d’agir n’était pas nouvelle. Ce n’était pas la première fois qu’il ordonnait à Konrad de lui épargner ses questions stupides et qu’il lui répondait par une gifle ou pire encore. Il avait la main leste. Ses réactions imprévisibles laissaient souvent son fils désem- paré. Ce jour-là, Konrad n’avait pas compris en quoi sa question était bête. Tout dépendait de l’humeur de Seppi sur le moment.
Au fil du temps, Konrad avait compris qu’il valait mieux garder le silence. Il se contentait souvent de haus- ser les épaules quand son père lui demandait pourquoi il était toujours tellement taciturne.
2
Il s’installa plus confortablement dans le fauteuil de jardin et prit une gorgée de thé glacé. Apparemment, il allait bientôt devoir prendre sa prochaine dose. Il regarda la pelouse, la piscine vide, la végétation qui souffrait. La sécheresse s’éternisait, les autorités avaient donné l’ordre à la population d’économiser l’eau.
Il s’était toujours plu ici et n’avait pas envie de vivre ailleurs. Le soleil n’était plus au zénith, l’heure la plus chaude était passée, c’était une chaleur sèche, moins désagréable et moins lourde que celle des pays au climat humide. Il aimait bien les gens du cru. Ses voisins étaient adorables, ils lui posaient parfois des questions sur l’Is- lande car ils avaient envie d’y aller après avoir entendu tellement de bien sur la pureté de son air et la beauté de sa nature. Ils avaient également eu vent du coût exorbi- tant de la vie, ajoutaient-ils parfois dans un rire.
Il lui arrivait de croiser quelques Islandais, leur nombre s’était accru depuis quelques années. Ils appréciaient la douceur du climat et les terrains de golf, et venaient passer quelques mois au plus noir de l’hiver dans des maisons qu’ils louaient ou dont ils étaient propriétaires. Les plus âgés avaient envie de chaleur. Il entretenait peu de rapports avec ses compatriotes, il n’en avait jamais eu envie et ne prenait jamais l’initiative de les contacter. Certains avaient compris à l’entendre parler qu’il vivait ici depuis longtemps, ils lui demandaient s’il pouvait les aider à trouver un logement convenable, leur recom- mander de bons restaurants, enfin, ce genre de choses.
L’Islande lui manquait de temps à autre, il rêvait d’al- ler y passer quelques jours. Il était parfois nostalgique des printemps islandais, de la clarté éternelle des journées
d’été. Il savait qu’il ne pourrait plus y retourner. Les médecins lui donnaient quelques mois et il voulait en profiter tranquillement avec Ray.
L’adorable Ray, originaire de l’Arizona.
Tous deux avaient travaillé dans la même compagnie aérienne quand ils étaient jeunes et ils avaient emmé- nagé ensemble à une époque où les gens voyaient encore d’un mauvais œil ce type de relations et où la lutte pour l’égalité des droits en était à ses balbutiements. Puis la société avait évolué, elle était devenue plus tolérante et les préjugés avaient pour ainsi dire disparu. Tout le monde s’en fichait.
Il tendit la main vers son thé glacé et pensa à ce qu’il devait faire, à ce qu’il considérait être son devoir. Il s’en voulait depuis longtemps de ne pas avoir été tout à fait honnête avec Ray. Il redoutait la réaction de l’homme qu’il aimait, mais depuis que le temps lui était compté, depuis le verdict des médecins, le besoin de tout racon- ter à son ami se faisait toujours plus pressant. La chose le hantait depuis des années. Pas une seule journée ne s’était écoulée sans qu’il y pense. Sans qu’il pense à la douleur qu’il avait causée. Aux erreurs qu’il avait com- mises. Au silence dans lequel il s’était muré.
Il n’avait jamais osé en souffler mot à son compagnon depuis toutes ces années qu’ils vivaient sous le même toit. Il ne s’en était tout simplement pas senti la force. Désormais, il voulait tout lui raconter, avant qu’il ne soit trop tard. Il fallait que Ray soit au courant de cette histoire. Il lui ferait promettre de n’en parler à personne jusqu’au terme de sa maladie. Ensuite, ce serait à Ray de décider de ce qu’il ferait.
Quelle chaleur !
Il approcha son verre de thé glacé de son visage et sentit la fraîcheur sur son front.
Non, il ne pouvait pas se taire plus longtemps.
3
Tranquillement assise à l’accueil du commissariat, rue Hverfisgata, la vieille dame attendait que vienne son tour. Arrivée seule, en taxi, peu après midi, vêtue d’un épais manteau beige, d’une écharpe nouée autour du cou et d’un bonnet en laine islandaise qu’elle n’avait pas tardé à enlever, elle serrait son grand sac à main sur les genoux. Elle avait aussi fini par dénouer son écharpe. Elle approchait des quatre-vingts ans, ses petits yeux perçants observaient les allées et venues. Toutes sortes de gens passaient au commissariat, certains attendaient seule- ment quelques instants avant qu’on s’occupe d’eux. Elle n’avait parlé à aucun de ces visiteurs et aucun ne lui avait adressé la parole. En arrivant, elle avait demandé à être reçue par un policier. N’importe lequel. Mais, apparem- ment, il fallait attendre. Cela ne semblait pas l’inquiéter, c’était à croire qu’elle n’avait pas mieux à faire.
Sa tenue était adaptée à la météo. Depuis plusieurs jours, de puissantes dépressions traversaient le pays avec leur lot de froid, de chutes de neige et de blizzard. Le manteau neigeux de plus en plus épais rendait les dépla- cements en ville difficiles et, à en croire les prévisions, de nouvelles dépressions s’annonçaient encore.
Lorsque Marta s’engouffra dans le commissariat après sa longue pause déjeuner, elle remarqua la présence de la femme et, en allant prendre son café, presque deux heures plus tard, elle vit qu’elle était encore assise là sans que personne se soucie d’elle.
– Qui est cette dame ? demanda-t-elle à l’accueil.
Elle n’a quand même pas passé toute la journée ici ?
Son collègue lui donna une réponse évasive. Le motif de sa visite semblait avoir été oublié. Elle avait simplement
attendu son tour sans insister. Marta réprimanda les idiots chargés de l’accueil du public, puis alla voir la vieille dame en lui demandant ce qu’elle pouvait faire pour elle.
- Oh, rien d’urgent ni de bien Vous êtes policière ? demanda-t-elle.
À ses yeux, il y avait peu de chance qu’elle travaille pour l’administration, vêtue de cette tunique informe, sans la moindre trace de maquillage et le cheveu en bataille.
- Suivez-moi, répondit Marta en lui faisant signe de l’accompagner dans le couloir où se trouvait son Elle l’invita à s’asseoir et lui proposa un café qu’elle refusa poliment. La dame avait surtout envie de rentrer
chez elle.
- En quoi pouvons-nous vous être utiles ? demanda la policière en regardant les flocons lourds et mouillés qui s’accumulaient sur la À nouveau, une violente averse de neige fondue s’abattait sur Reykjavik. On dis- tinguait à peine les phares des voitures sur le boulevard Snorrabraut derrière l’épais rideau.
- Je viens pour l’arme.
- L’arme ?
- Celle-ci, répondit la dame en ouvrant son sac. Elle en sortit un vieux torchon sale qu’elle déplia, et qui contenait un vieux pistolet qu’elle montra à la policière.
- Qu’est-ce que c’est que ça ?
- Il est possible qu’elle ait appartenu à mon mari, répondit la vieille dame en lui tendant l’objet. Il est mort il y a six mois, paix à son âme. Voyez-vous, je ne sais pas quoi faire de cette chose-là. Et mon amie, Kamilla, m’a dit qu’il fallait rapporter les armes à feu ou bien les faire à nouveau enregistrer en cas de décès de leur proprié- taire, c’est son mari qui a lu ça quelque part. Comme je ne voyais pas à qui m’adresser, je suis venue ici.
Elle poussa un soupir. Ç’avait été un travail de titan de trier tout ce qu’elle et son mari possédaient. Une
bonne partie de ce qu’ils avaient accumulé au fil des ans avait fini à la décharge. Elle avait fait venir un container de la déchetterie, l’avait installé devant leur maison et y avait jeté une bonne partie du contenu du garage. Elle ne savait pas quoi faire de tous les livres et encore moins du monceau de disques qu’avait achetés son mari, grand amateur de jazz, de variété américaine et de symphonies russes tonitruantes. Ils avaient vécu dans cette maison depuis leur mariage et, aujourd’hui, elle s’apprêtait à emménager dans un appartement pour personnes âgées, une résidence avec ascenseur et gardien. Le container n’avait pas tardé à être rempli de meubles et d’objets dont elle pouvait se passer, sachant qu’elle n’aurait plus la place pour les garder. Elle voulait seulement empor- ter les plus précieux et ceux auxquels elle était le plus attachée.
La découverte de ce pistolet l’avait laissée sans voix. Elle n’y connaissait rien en armes à feu et s’était demandé d’où il pouvait bien provenir. Elle l’avait trouvé au sommet d’une étagère dans le garage où son mari était le seul à aller. L’arme était enveloppée dans ce vieux tor- chon, caché derrière une caisse à outils.
- Vous ne saviez pas qu’il possédait cet objet ? demanda Marta lorsqu’elle eut terminé son récit.
- Je n’en avais aucune idée. Je ne savais pas qu’il avait ça. Il ne m’en a jamais parlé. Je suppose que ce pistolet lui appartenait, mais j’ignore sa provenance. Je suis incapable de vous en dire plus.
- Et vous souhaitez qu’on l’enregistre à votre nom ?
- À mon nom ? Sûrement pas ! Je ne vois pas ce que j’en Je veux que vous le preniez, répondit la dame en le lui tendant.
Marta n’identifia pas immédiatement le type d’arme dont il s’agissait, même si elle lui semblait étrangement familière. C’était un vieux pistolet à canon fin, doté d’une épaisse crosse qui tenait bien dans la main. Noir,
lisse au toucher et patiné, il n’avait sans doute pas servi depuis bien longtemps. Elle ne voyait pas s’il était chargé. Malgré toutes ses années passées à la Criminelle, elle n’y connaissait pas grand-chose en balistique. D’après elle, c’était un petit calibre. Elle le soupesa. Il lui semblait en avoir vu des semblables au cinéma.
- Il était enregistré au nom de votre mari ? demanda- t-elle. Vous avez retrouvé le certificat ?
- Non, je n’ai rien trouvé. Et mon mari n’était pas chasseur, je peux vous l’assurer.
- Ce n’est pas le type d’arme qu’on utilise pour la chasse, répondit Marta.
En l’examinant de plus près, elle trouva la marque presque effacée. C’était un Luger, un vieux pistolet alle- mand.
- Vous savez, c’est moi qui l’ai trouvé, reprit la dame. J’étais partie faire quelques courses avec une amie et, quand je suis rentrée, il était couché par terre dans le salon, il avait eu une attaque.
Elle eut un sourire triste.
- Tout était normal sauf qu’il était mort. Il avait bu un café et lu son Il épluchait toutes les nécrolo- gies, ajouta-t-elle.
Le pistolet resta quelques semaines dans le tiroir du bureau de Marta. Elle était débordée, la brigade souffrait d’une pénurie chronique de personnel et les tâches s’accu- mulaient. Elle reprenait le travail après son congé pour cure de désintoxication. C’était surtout Konrad qui l’avait encouragée à se faire admettre au centre de Vogur et elle avait fini par l’écouter. Désormais de retour, elle avait eu besoin d’un peu de temps pour se remettre en selle.
Elle envisagea de glisser l’arme dans sa poche sans en parler à personne et de la garder comme pièce de col- lection. Comme un objet sorti d’un vieux film. Puis un jour, alors que le train de dépressions avait enfin ralenti,
elle l’emporta sans raison véritable alors qu’elle devait se rendre à la Scientifique dans le quartier de Grafarvogur et la montra à Oliver, l’expert en balistique, qui travail- lait là depuis longtemps. Marta se disait que ce pistolet avait peut-être de la valeur, mais elle aurait refusé de le reconnaître devant qui que ce soit. Oliver était occupé. Il lui avait répondu d’un air absent qu’il l’examinerait lorsqu’il aurait le temps. Il demanda à Marta de le lui confier, ce qu’elle fit en dépit de ses réticences.
4
Les deux hommes étaient assis dans la voiture. Leo somnolait. Il était sorti faire la fête la veille au soir et l’avait prolongée chez lui, dans le quartier de Thingholt. Il avait eu beaucoup de mal à venir travailler. Il avait envisagé d’appeler le commissariat pour dire qu’il était souffrant, mais avait fini par arriver en fin de matinée, était resté assis à son bureau le reste de la journée, incapable de faire quoi que ce soit, à part boire du café. Konrad n’avait pas envie de consacrer sa soirée à la planque. Ça le contrariait de passer tout ce temps à attendre dans la voiture. Le récit des beuveries de Leo le fatiguait.
Les deux policiers s’étaient rapidement lié d’amitié, ils faisaient une bonne équipe. Leurs épouses étaient elles aussi devenues amies et, très vite, les deux couples avaient pris l’habitude de se retrouver régulièrement le week-end pour sortir ou aller camper à Husafell ou à Thorsmörk. Leo était drôle et parfois extravagant, il avait toujours mille projets et Dora, sa femme, connais- sait mieux l’Islande que les trois autres réunis, c’était elle qui préparait leurs excursions.
- Où est donc ce type ? demanda Leo, réveillé après son petit somme en s’essuyant la bouche d’un revers de manche. Il n’arrive On ne ferait pas mieux d’y aller ? Il nous a menés en bateau, tu ne crois pas ?
Konrad regarda sa montre.
- Laissons-lui encore cinq minutes, ensuite on lève le camp.
- Tiens, tu connais ce truc-là ? demanda Il aug- menta le volume de l’autoradio et continua à scruter la nuit.
- Non, répondit Konrad en tendant l’oreille. C’est du disco, non ?
- Boney M., confirma Leo avec un hochement de tête.
Konrad n’en avait jamais entendu parler.
- C’est un peu comme ABBA, mais en mieux, ajouta
Konrad n’avait pas d’opinion sur la question. Il pré- férait de loin les chansons de variétés islandaises, même si la plupart d’entre elles étaient des mélodies étrangères adaptées dans la langue nationale.
- Tu dois quand même avoir envie de savoir ce qu’il s’est passé, reprit Leo après un Le contraire m’étonnerait.
Avant de piquer son petit roupillon, Leo avait abordé un sujet qu’il mettait régulièrement sur le tapis dans ses conversations avec son collègue : le meurtre du père de Konrad devant les abattoirs de la rue Skulagata.
- Disons qu’à mon avis, il l’a bien cherché, répondit
- Tu veux dire qu’il méritait de finir comme ça ?
- Non, personne ne mérite une chose
- Et ça remonte à… une quinzaine d’années, c’est ça ?
- Oui, à peu près.
- Si c’était arrivé à mon père, je n’aurais pas laissé tomber, poursuivit Leo. Cet homme a été poignardé. Assassiné. À ta place, je n’arriverais pas à trouver le repos. Surtout si j’étais ensuite entré dans la police.
- Oui, répondit Konrad, mais je n’aime pas trop aborder le sujet.
- Certes, c’était un drôle d’oiseau, insista Leo, balayant d’un revers de main la remarque de son col- lègue. Un violent, un minable voyou, mais quand même…
- Oui, je…
- À moins qu’il n’ait aussi été un père désastreux. Je ne sais pas… peut-être que, dans ce cas, on voit les choses sous un autre angle.
- Tu as beaucoup prolongé la fête, la nuit dernière ? demanda Konrad.
- Pfff, oui, beaucoup trop, soupira Leo. J’ai dû dormir trois heures.
- Tu sais, les collègues commencent à jaser, avertit Konrad pour orienter la conversation sur son équipier. Chaque fois que ce dernier lui parlait de son père, il s’en agaçait.
- Ah bon ? s’étonna
- Enfin, pas trop quand même. Je voulais seule- ment que tu le saches. Aujourd’hui, par exemple, nous sommes lundi et, à ton arrivée au boulot, tu étais encore soûl.
- Qu’ils jasent donc ! souffla Leo, méprisant. Je vais très bien. Tu peux le leur dire. Et qui parle de moi ?
Les deux hommes sursautèrent. Quelqu’un frappait à la vitre. Penché en avant, un quadragénaire emmitouflé dans un anorak observait l’intérieur de l’habitacle.
- Vous êtes bien Konrad ? demanda-t-il quand le poli- cier eut baissé sa C’est vous que j’ai eu au téléphone ?
- Montez, proposa Konrad. L’homme regarda Leo, sur ses
- Il travaille avec vous ?
- Oui, je vous présente Leo, montez et asseyez-vous, répéta Konrad.
L’homme hésita un instant et s’installa derrière lui. Il sentait le tabac, comme s’il venait de fumer un cigare bon marché. Peut-être avait-il observé les deux policiers de loin pendant un moment en se demandant s’il vou- lait vraiment sauter le pas. Leo se tourna sur son siège pour mieux le voir. Konrad n’apercevait que son visage dans le rétroviseur.
On avait signalé à la police des ventes illégales d’alcool et de cigarettes dans une discothèque en vogue à Reyk- javik. Il ne s’agissait sans doute pas d’un trafic de grande envergure, mais Konrad avait jugé bon d’examiner
l’affaire. C’était un employé de l’établissement tenant à conserver l’anonymat qui avait fait ce signalement. On l’avait mis en contact avec Konrad qui, après une longue discussion, était parvenu à le convaincre d’un rendez- vous. L’homme avait décidé du lieu et de l’heure. D’où la longue attente des deux policiers dans cet endroit désert, à quelques encablures de Blesugrof. Konrad lui avait promis l’anonymat, sachant que l’homme y tenait, il avait bien senti au téléphone que son appel n’avait rien d’une plaisanterie, il semblait même effrayé.
- Je ne suis pas une balance, déclara l’informateur dès qu’il eut pris place dans la voiture en fixant Konrad dans les yeux par le biais du rétroviseur. Je tiens à ce que les choses soient Je veux seulement vous mettre au courant de ce trafic et, ensuite, j’exige que vous me laissiez en dehors de cette histoire. Je ne veux pas que mon nom apparaisse où que ce soit.
- Qu’est-ce qui vous fait peur ? demanda
- D’accord, promit Konrad en réglant son rétrovi- seur pour mieux voir son informateur. Dites-nous de quoi il s’agit précisément. Et nous aimerions tout de même connaître votre identité.
L’homme continuait à regarder Leo d’un air méfiant. Il assura qu’il n’avait peur de personne, mais qu’il y avait dans cette discothèque un sacré trafic. L’établissement était à la mode et plein à craquer tous les week-ends, on y écoulait de grandes quantités d’alcool et de tabac dont la majeure partie ne figurait pas dans la compta- bilité officielle. Il existait une comptabilité parallèle concernant les produits de contrebande provenant de la base américaine ou des cargos, et la totalité des béné- fices allait directement dans les poches du propriétaire. Des livraisons d’alcool arrivaient régulièrement de la base de Keflavik ou de marins travaillant dans la marine marchande, parfois par bidons entiers, et les produits n’avaient pas été estampillés par le Monopole d’État des
alcools et du tabac. L’informateur assurait avoir travaillé dans plusieurs bars ou discothèques un peu partout en Islande, il avait souvent vu des gens escroquer le fisc en vendant des produits de contrebande, mais jamais en telle quantité.
- Cette comptabilité occulte, est-ce que vous l’avez ? demanda Konrad.
- Non, je n’en ai tenu aucune, répondit l’homme. Mais je connais son C’est moi qui réceptionne cet alcool, je le mets en bouteille et je le vends au bar. Quant aux cartouches de cigarettes, nous les réservons à nos clients privilégiés. J’en ai eu ma claque de toutes ces magouilles et j’ai voulu vous prévenir.
- Vous voulez dire que vous ne travaillez plus là-bas ? L’informateur hésita.
- Non, j’ai quitté cet
- Pourquoi ? À cause de ce trafic ?
- Oui, on peut dire ça, répondit l’homme qui exi- geait l’anonymat et regardait Konrad droit dans les yeux d’un air grave dans le rétroviseur.
Puis il sembla tout à coup effarouché et ouvrit sa por- tière. Leo tenta de lui expliquer qu’il devait leur donner des précisions, mais c’était exclu. Il n’avait rien de plus à leur dire. Il descendit de voiture. “Où allez-vous ? Reve- nez !” cria Leo, mais l’informateur ne l’écouta pas, il claqua violemment la portière avant de s’évanouir dans la nuit.
- Drôle de type, commenta Leo, toujours tourné vers la banquette arrière depuis le siège passager.
- On devrait vérifier tout ça, tu ne penses pas ? sug- géra Konrad.
- Oui, sans doute, répondit son collègue sans convic- tion.